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L’OCDE au chevet du développement par Jacques Sapir

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Vrais problèmes et solutions en faux-semblants

 

 

La question du financement du développement est une des questions au cœur même de l’économie internationale. Il n’est donc pas surprenant que l’OCDE y ait consacré une conférence les 31 mars et 1er avril 2015 à Paris. Intitulé le « Forum Mondial sur le Développement », cette conférence s’attache à un grand nombre de problèmes qui sont pour la plupart d’une importance considérable. On peut en juger sur la liste publiée sur le site de l’OCDE :

 

  • Comment les pays en développement interprètent-ils la vision globale – telle qu’elle est présentée par l’ONU, l’OCDE et d’autres – sur le terrain ?
  • Comment les objectifs peuvent-ils être chiffrés de façon réaliste et leur financement suivi ?
  • Quelles contraintes et conditions nationales gouvernent la politique de financement du développement et sa pratique ?
  • Que révèle l’état d’avancement des travaux sur les réalités du financement local par rapport aux discussions générales portant sur le financement du développement ?
  • Quels sont les points de vue et les rôles des acteurs non-étatiques (tels que le secteur privé, les fondations, les investisseurs institutionnels) dans la mise en œuvre des ODD ?

 

Mais, en réalité, ces questions ne font que reformuler des problèmes qui sont connus depuis maintenant près d’un siècle. Et, s’il est normal que la connaissance de base de ces problèmes ait été acquise il y a longtemps, on peut s’interroger sur la volonté de reformuler sans cesse non pas tant les réponses – qui peuvent naturellement varier – mais l’intitulé de la question. L’OCDE pense-t-il qu’une nouvelle formulation de la question rendra plus facile la solution ? C’est une attitude pour le moins curieuse, et qui mérite bien entendu explication. On doit s’interroger sur ce processus qui conduit une grande organisation internationale à ajuster son discours dans une tentative d’euphémisation des problèmes qui sont, et nul ne le conteste, extrêmement importants et urgents.

 

 

  1. La question de l’investissement.

 

Le problème majeur que rencontrent les pays en développement peut être décrit comme une limitation de l’offre, pour diverses raisons, par rapport à une demande potentielle qui est importante. Mais, et c’est justement le problème, cette demande est bien potentielle et non pas réelle du fait d’un manque de moyens financiers. Il y a un désajustement important entre la demande potentielle et la demande solvable. Il en résulte que l’offre va se limiter à cette demande solvable. Alors que l’on croit que l’offre est techniquement limitée, et qu’il faut donc apporter des solutions techniques à son développement (innovations qui sont largement la propriété des entreprises des pays développés), en réalité c’est une limitation monétaire qui freine le développement. En fait, c’est l’espérance de profit qui limite l’investissement (ici compris comme investissement en capital fixe et en capital circulant), qui lui-même va engendrer la production. Cela pose la question de l’épargne que peut engendrer la population. En fait, le décalage entre demande potentielle et demande solvable a son équivalent dans un décalage entre épargne potentielle et épargne réelle. Dans les pays en développement l’épargne est insuffisante, mais elle l’est parce que les revenus sont insuffisants. On peut tourner cette limite de trois manières :

 

  1. En donnant à la population des revenus suffisant pour accroître l’espérance de profit, et donc accroître l’investissement.
  2. En accroissant la productivité du travail pour faire baisser le prix relatif des biens de capital, ce qui permet d’en acheter plus pour une même somme d’épargne.
  3. En transférant des ressources aux producteurs qui rendront l’investissement moins coûteux ce qui fait que pour une espérance de profit donnée, la taille de l’investissement sera plus grande.

 

La troisième méthode conduit très souvent à une impasse. Mais, ce transfert de ressources pose alors de nouveaux problèmes. Si l’on prélève des ressources sur la population pour les transférer vers les producteurs, ce qui revient a accroître artificiellement le niveau de l’épargne dans le pays considéré, on va diminuer d’autant plus le niveau de la consommation, et l’espérance de profit va baisser, du moins si la production est bien destinée à la population. C’est ce qui s’est passé dans les années 1930 en URSS où la collectivisation peut s’analyser comme un mécanisme destiné à capturer des ressources sur une majorité de la population[1] avec des effets sociaux et économiques importants (chute de la consommation et même famine en 1932-1934), et n’a donné naissance qu’à une production essentiellement consommé par l’Etat[2]. La croissance est alors largement déformée et ne peut être soutenue dès que la pression de l’Etat diminue.

 

La hausse de la productivité apparaît comme plus prometteuse. Mais, elle implique – au moins au départ – des investissements importants. Les pays libéralisent leur compte de capital pour laisser entrer les investissements étrangers qui viennent s’ajouter à l’épargne nationale. Mais, ce faisant, ils courent le risque de créer des situation où l’épargne va être attirés par des placements purement financiers. De plus, les mouvements des capitaux de court terme sont profondément déstabilisateurs pour une économie en développement[3]. Fondamentalement, cela pose la question de l’ouverture financière. Cette dernière n’a pas aidé les pays en voie de développement. On ne peut lire dans les statistiques aucune corrélation entre le développement de ce processus et la croissance[4]. Le cycle dit « boom and bust » que nombre de ces pays ont connu a en réalité freiné la croissance[5]. Les entrées massives de capitaux spéculatifs dans ces pays ont par ailleurs déformé bien souvent la structure de la consommation et conduit à des investissements de peu d’intérêt pour le développement économique. Il est en revanche parfaitement exact que le mécanisme des Investissements Directs Etrangers (les IDE), quand il a été accompagné d’une politique nationale de développement des infrastructures, a eu un effet positif sur la croissance et le développement de ces pays. Mais les IDE représentent moins de 5 % de la circulation globale des capitaux[6] et, en réalité, il n’y avait nul besoin de procéder à une ouverture complète pour les attirer. La globalisation financière a donc bien été un frein au développement des pays dits « en voie de développement » qui a contribué diminuer considérablement le taux d’investissement dans les pays développé[7]. En transformant le monde en un gigantesque casino, on n’a fait qu’enrichir une petite minorité au détriment du plus grand nombre.

 

Il reste donc la première solution : favoriser une hausse du revenu de la population. Cela passe, en partie, par des investissements publics en infrastructures. La conférence de l’OCDE a mis en lumière la pénurie de ces investissements en Afrique notamment, mais pas seulement. Ces investissements doivent être financés. Cela implique des impôts. Logiquement, le taux d’imposition devrait être important dans les pays en développement. Mais, on ne peut surcharger d’impôts une population dont les revenus sont faibles. Certes, on peut taxer plus les entreprises. Mais, cela réduit leurs taux de profits (après impôts) et donc la disponibilité à investir des actionnaires ou des propriétaires. Une solution logique est d’en venir à des entreprises étatisées, mais alors, on risque d’être conduit vers la troisième solution si cette étatisation est générale dans l’industrie. Si les entreprises restent privées, et si de plus on a ouvert l’économie à la globalisation financière, on risque d’être confronté à ce qu’un magnifique euphémisme de l’OCDE appelle le base erosion and profit shifting ou (BEPS), soit la tendance de ces entreprises à échapper à la pression fiscale et à réaliser leurs profits à l’étranger, en général dans des paradis fiscaux[8].

 

 2. Les solutions sont-elles adaptées ?

 

En fait, la conférence qui s’est tenue à Paris le 31 mars et le 1er avril, conférence qui fait suite à d’autres importantes conférences, met à la fois l’accent sur les Objectifs du Développement Durable (ou Sustainable Development Goals – SDGs) mais aussi sur l’interpénétration entre le secteur public et le secteur privé dans le cadre des Partenariats Public-Privé (PPP) et sur le Global Partnership for Effective Development Co-operation ou GPEDC, qui invite des fondations privées à prendre des responsabilités de plus en plus importantes sur les politique de développement. La deuxième session, qui s’est tenue le mercredi 1er avril dans l’après-midi avait d’ailleurs pour titre Solutions éventuelles : Nouveaux acteurs, nouveaux instruments.

 

On voit se dessiner ainsi une logique qui cherche à retirer à l’Etat un certain nombre de ces responsabilités en matière de développement. On peut comprendre cette logique. Financièrement, les Etats, qui ont été soumis à la globalisation financière et à une ouverture toujours plus grande au moins jusqu’en 2008, se trouvent dans des situations fiscales très difficiles. Ils peuvent être soumis, que ce soit de leur propre volonté et de celle d’organisations régionales comme la zone Euro, à des politiques d’austérité qui limitent encore plus les investissements en infrastructure. Cela d’ailleurs peut concerner des pays développés. On sait que le retard pris dans le domaine des infrastructures par l’Allemagne, pour ne citer que ce pays, est aujourd’hui impressionnant. L’idée d’un partenariat avec le secteur privé semble constituer une solution logique et prometteuse.

 

Mais il faut insister sur le « semble ». En effet, les investisseurs privés vont attendre des taux de profit, mais aussi des durée de retour sur capital, qui ne sont tout simplement pas compatibles avec la logique des investissements en infrastructures. Il en résulte que soit les PPP sont peu développés (et dans l’Union européenne la moitié d’entre eux ont été réalisés en Grande-Bretagne), soit impliquent des transferts directs de ressources de l’Etat vers le secteur privé afin de rendre rentables ces investissements, soit enfin le secteur privé n’accepte que la gestion des infrastructures qui ont été largement payés par l’Etat. Le récent scandale de la privatisation des autoroutes en France n’est que l’un des exemples des dérives auxquelles on tend dans le cadre des PPP.

 

Enfin, le recours à des fondations caritatives, ou à but non-lucratif, peut apparaître comme une solution, en particulier si les secteurs où il faut investir, comme la santé ou l’enseignement, ne permettent pas de dégager des profits importants. Mais alors, on aboutit à abandonner à des groupes idéologiques des pans entiers de l’appareil d’Etat. Si l’on considère par exemple la lutte contre le SIDA, on constate qu’en Tanzanie, près de 98% de cette lutte est financée par des fonds non-lucratifs privés[9], ce qui représente plus de 80% du budget de la santé en Tanzanie[10]. On peut alors se poser ouvertement la question d’un possible conflit de priorités entre ces fonds et les gouvernements[11], les fonds cherchant à montrer à leurs « donneurs » que l’argent a bien été utilisé dans la lutte contre le SIDA alors qu’une approche plus scientifique montre qu’il serait important de traiter aussi d’autres maladies infectieuses qui accompagnent, voire qui encouragent, l’épidémie du SIDA[12]. D’une manière générale, l’existence de ces conflits d’intérêts, et de la possible prise de contrôle par des groupes privés sur les politiques publiques, a été montrée dans plusieurs études[13].

 

D’une manière plus générale, il faut ici s’interroger sur la pertinence de solutions qui sont proposées, voire encouragées, par l’OCDE et qui font fi trop rapidement de problèmes politiques importants, quand elles n’aboutissent pas à rendre pire la situation qu’elles prétendaient résoudre. En fait, la réduction à un outillage présenté comme purement technique dans ce qui est du domaine des politiques publiques soulève un problème constaté depuis plus de 10 ans[14]. La question de l’investissement est certainement une question centrale dans le développement, et cet investissement est à la fois matériel et immatériel. Mais, l’exemple du développement des pays asiatiques nous indique l’importance à la fois de la légitimité de l’acteur public, et d’un consensus fort autour de cet acteur public[15]. En un sens le « nationalisme » peut être considéré comme une idéologie favorable au développement.

 

 3. Penser le développement hors des préjugés.

 

Il faut, alors, revenir sur le non-dit qui structure cette conférence. Si l’on peut en dire qu’une politique qui associe l’ouverture à de bonnes mesures macroéconomiques est en général meilleure qu’une politique associant le protectionnisme à des mauvaises mesures macroéconomiques, ceci ne tient nullement au protectionnisme. Ceci, en réalité, tient bien plus à la qualité des dites mesures macroéconomiques qu’à celle de l’ouverture[16]. De fait, les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts, ce qui invalide le résultat précédent sur l’ouverture[17].

LA SUITE ET LES NOTES ICI

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