Pour comprendre qui décide : l’ OCDE
La base de données économiques de l'OCDE, si elle est une des plus fournies au monde, sert sans nuances mais au moyen d’ une communication très étudiée, le libéralisme économique.
Les analyses, mesures et comparaisons, produites par l’OCDE, et plus particulièrement les études qu’elle consacre à l’éducation, sont présentées, avec les recommandations qui les accompagnent, comme la source d’inspiration et le point de départ incontournable des politiques à mettre en place pour sortir de la crise.
Décoder les études PISA (Programme international pour le suivi des acquis) consacrées à l’enseignement, mettre ces clarifications à la disposition des citoyens et plus particulièrement des enseignants est une entreprise qui se révèle plus complexe qu’un simple constat des progrès et reculs enregistrés. Le dossier de N. Hirtt nous l’a démontré.
La base de données économiques de l’OCDE, si elle est une des plus fournies au monde, sert sans nuances mais au moyen d’ une communication très étudiée, le libéralisme économique. Les nombreux chercheurs qu’elle mobilise, forment un think tank, inquiet de la bonne application aux systèmes éducatifs de ses recettes, toutes ultra libérales comme il se doit. Du « cousu main » pour une école plus soucieuse de l’état du marché et de « l ’employabilité » des élèves par ce même marché, que de développement par la culture et le savoir.
L’histoire et le fonctionnement de l’OCDE témoignent d’un basculement idéologique qui a eu lieu dans la deuxième moitié du XXème siècle. L’ idée centrale est de considérer l’économie comme n’ obéissant qu’ à des lois naturelles, ne devant pas être entravée ou régulée par l’ action publique des Etats.
Un peu d’histoire... En juillet 1944, alors que le débarquement des forces alliées en Normandie n’est pas terminé (la libération de Paris n’aura lieu qu’en Aout), 730 délégués des 44 nations alliées et un observateur soviétique se réunissent à Bretton Woods, aux Etats-Unis, afin de mettre au point un système monétaire mondial qui doit favoriser la reconstruction et le développement des pays touchés par la guerre. Il s’agit aussi pour les Etats-Unis d’ouvrir l’Europe aux produits américains. Le plan des britanniques était ébauché dès 1941 et visait à préparer un système monétaire mondial fondé sur une unité de réserve non nationale, le banco. Les américains proposaient plutôt de créer un fond de stabilisation construit sur les dépôts des états et une banque de reconstruction pour l’après-guerre. C’est la proposition américaine qui l’emporte, organisant le système monétaire mondial autour du dollar US, mais avec un rattachement nominal à l’or. Deux organisations, toujours en activité, voient le jour lors de cette conférence : la banque mondiale (BM) et le fonds monétaire international (FMI). Ces deux institutions ont un point commun : les Etats-Unis y sont seuls à pouvoir exercer un droit de véto. Les pays européens alors ruinés, doivent accepter que des conditions soient liées aux prêts du FMI.
En 1948, le plan Marshall, officiellement appelé « programme de rétablissement européen » est mis en place afin de reconstruire une Europe ravagée par la guerre mais aussi de « protéger les états libres de l’avancée du communisme » (2). Les États-Unis demandent aux États européens de s’accorder entre eux au sein de l’ OECE pour commencer la reconstruction. Cette organisation européenne de coopération économique a comme mission de répartir les crédits du plan Marshall et de coordonner l’économie des pays bénéficiant de fonds. La libéralisation du commerce et des échanges monétaires en est le but avoué. Cette organisation, ancêtre de l’OCDE, doit étudier la possibilité de créer une union douanière ou de libre-échange.
l’OECE comprend l’ Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’ Irlande, l’ Islande, l’ Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, la Turquie, l’ Allemagne occidentale, zones d’occupation anglaise, américaine et française.
La structure de l’OECE consiste en comités chargés de domaines spécifiques : alimentation et agriculture, charbon, électricité, pétrole, sidérurgie, matières premières, équipement, métaux non ferreux, produits chimiques, bois, pâtes et papiers, textiles, transports maritimes et intérieurs, programmes, balance des paiements, échanges, paiements intra-européens et main-d’oeuvre. L’OECE accomplit également un important travail d’échange d’informations statistiques.
L’URSS refuse le plan Marshall, le libre-marché et la libération économique étant incompatibles avec l’économie communiste. Staline ne voulait pas que les pays sous influence soviétique passent sous contrôle américain. La guerre froide commence.
A partir de 1952, l’ OECE perd de son utilité. L ’OTAN se servira de ses comités pour alimenter ses propres travaux. La création de la CEE, pour une coopération économique entre la RFA, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays Bas, en 1957 rend la situation de OECE bancale et fait échouer, notamment, la conclusion d’un accord de libre-échange dans le cadre de l’ Organisation.
En 1961, l’OCDE, comprenant les Etats unis et le Canada, se substitue à l’OECE.
Comment fonctionne l’OCDE ?
Le conseil de l’organisation se compose d’un représentant par pays membre, il se réunit régulièrement afin de décider afin de fixer les priorités des travaux qui seront réalisés par le secrétariat.
Les comités (environ 250) sont des groupes de travail et groupes d’experts spécialisés. Il débattent des idées et progrès réalisés en économie, échanges, emploi, science, éducation et marchés financiers.
Le secrétariat, présidé actuellement par M. Angel Gurria, effectue les travaux suivant les priorités fixées par le conseil. Le secrétariat, établi à Paris, au château de la Muette, compte quelque 2500 agents. Ils ne sont pas tous basés à Paris, certains travaillent dans des centres de l’OCDE à l’étranger.
« L’OCDE est financée par ses pays membres. Les contributions financières des membres au budget annuel sont calculées à partir d’une formule qui dépend de la taille de l’économie de chacun des pays membres. Les Etats-Unis sont le contributeur le plus important, suivis par le Japon. Avec l’approbation du Conseil, les pays peuvent également apporter leurs contributions de manière distincte à des programmes particuliers qui ne sont pas financés à partir du budget de base.
Le budget de l’OCDE et son programme de travail sont établis par le Conseil ».(3)
Que fait l’OCDE ?
On trouve, sur son propre site, une description du rôle que s’assigne l’OCDE : "La mission de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde.
L’OCDE offre aux gouvernements un forum où ils peuvent conjuguer leurs efforts, partager leurs expériences et chercher des solutions à des problèmes communs. Nous travaillons avec les gouvernements afin de comprendre quel est le moteur du changement économique, social et environnemental. Nous mesurons la productivité et les flux mondiaux d’échanges et d’investissement. Nous analysons et comparons les données afin de prédire les tendances à venir. Nous établissons des normes internationales dans un grand nombre de domaines, de l’agriculture à la fiscalité en passant par la sécurité des produits chimiques.
Nous examinons également les questions qui affectent directement la vie des gens, comme le coût des impôts et de la sécurité sociale ou le temps libre dont ils disposent. Nous comparons la façon dont les systèmes éducatifs préparent les jeunes à la vie moderne et la façon dont les systèmes de retraite protègeront les citoyens plus âgés.
En nous appuyant sur les faits et l’expérience concrète, nous recommandons des politiques dont le but est d’améliorer la vie de tous. Nous travaillons avec les entreprises, à travers le Comité consultatif économique et industriel auprès de l’OCDE, et les syndicats, à travers la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE. Nous consultons d’autres organisations de la société civile, notamment en organisant chaque année le Forum de l’OCDE. Tous nos travaux ont pour point commun un engagement partagé en faveur du développement durable, de l’emploi et des échanges, reposant sur la coopération internationale et visant le bien-être de tous. Chemin faisant, nous nous efforçons aussi de rendre la vie plus dure aux terroristes, aux fraudeurs fiscaux, aux entrepreneurs véreux et à tous ceux qui sapent les fondements d’une société juste et ouverte. »(3)
Voilà pour la présentation officielle ! En réalité, on assiste à une mondialisation des politiques ultra-libérales, via un organisme financé par nos états, qui se fixe ses propres règles et travaille à l’ acceptation d’un système de relations internationales entre états bénéficiant aux intérêts des États-Unis et de ses alliés.
La promotion de politiques et les mesures de productivités ne consistent pas en d’anodines spéculations : dernièrement, la visite du secrétaire M. Angel Gurria à notre premier ministre afin de lui remettre ses conclusions sur les « progrès » de la Belgique a été présentée dans les médias comme de première importance. Ce rapport a d’ailleurs été commenté dans la presse sous forme de "bons points" et "mauvais points" attribués à notre pays, allant jusqu’ à expliquer comment cela fonctionne : si la Belgique ne suit pas les recommandations de l’OCDE, elle risque de perdre sa "bonne réputation" et de se faire taper sur les doigts par l’Europe, le FMI, la BCE… Ainsi, sans avoir l’air de s’ingérer dans la politique belge, l’OCDE se présente comme conseiller incontournable.
Le fait de rendre la vie plus dure aux terroristes, fraudeurs et entrepreneurs véreux reflète le côté « punitif » de l’organisation qui, en principe, n’a aucune légitimité en matière de poursuites. En effet, ces catégories d’individus sont normalement traquées par toutes les polices financières ou criminelles qui font leur travail. Tout comme les violeurs, les trafiquants de drogues ou d’êtres humains…
Pourquoi ne citer que les terroristes, fraudeurs fiscaux et entrepreneurs véreux ? Pour les deux derniers, on comprend le rapport à l’économie et le raccourci qui les rend responsables de la crise camoufle les inégalités sociales. Pourquoi y associer les terroristes ? Parce que, dans le contexte des guerres provoquées par les principaux pourvoyeurs de fonds de l’organisation, c’est sans aucun doute l’actualité qui dicte la ligne à suivre. Sinon, pourquoi ne pas citer les violences ou corruptions policières qui secouent des états comme les USA ou le Mexique ? La communication de l’ OCDE ne met en lumière que ce qu’elle veut bien. L’ OCDE, dépourvue officiellement de pouvoir de coercition, produit des rapports relayés docilement dans les médias afin de conditionner l’opinion.
Le grand bond en arrière
Serge Halimi, dans son essai « le grand bond en arrière », étudie comment l’ordre libéral s’est imposé au monde car « il a beaucoup fallu penser pour les marchés avant que ne se généralise l’idée qu’on ne pourrait plus penser contre eux ».(4)
Il y montre comment « changer le monde » est devenu un but pour la droite américaine et les néo-libéraux en général. Serge Halimi met en lumière la mise en place de politiques, de stratégies et de création d’ organisations internationales (OCDE, FMI, BM, BCE…) dont le but est, essentiellement, de faire triompher leurs idées au niveau mondial et de « fabriquer du marché ». Dans un chapitre qu’il consacre à l’OCDE, il démontre combien les travaux de l’organisation sont douteux : « …ses pronostics sont pour le moins hasardeux : entre décembre 1995 et mai 1996, elle (l’OCDE) a du diviser par cinq ses prévisions de croissance pour l’Allemagne… Pour l’année 1996 ! Depuis 2004, l’OCDE publie d’ailleurs ce genre de chiffre en indiquant une marge d’erreur parfois égale au taux de croissance annoncé. » (4)
Pour lutter contre le chômage, l’OCDE recommande, entr’autre, plus de flexibilité du marché et des travailleurs, ignorant superbement qu’il n’y a suffisamment de postes offerts que pour mettre au travail une petite partie des demandeurs d’emploi et que les pays où le taux d’ employabilité est le plus grand est aussi celui où on trouve le plus d’emplois à temps partiel et de situations de précarité (3). Et pourtant, ces recommandations continuent à modeler nos politiques. Cette même flexibilité, avec les compétences qui s’y rattachent, envahit l’enseignement.
Si l’ OCDE consacre une bonne partie de ses travaux à l’analyse des systèmes d’enseignement c’est qu’il faut rendre ceux-ci plus compétitifs. Evidemment, cette compétitivité-là ne tient compte ni du développement personnel ni d’ une évolution sociale rendue possible par l’ éducation. L’école reste soumise au sacro-saint « marché du travail ». La pensée néolibérale s’ impose de la même manière dans les cours d’économie au coeur des universités : à l’UCL, les étudiants jugeant leur cursus trop dogmatique, n’ ont obtenu que récemment un cours d’histoire des doctrines économiques. Les prévisions de l’organisation ne sont pas pertinentes et ne tiennent compte ni des exigences nationales, ni des spécificités de chacun. Ce travail de collecte de statistiques et d’analyses devrait être confié aux universités et soumis au débat contradictoire. Les sommes versées à l’OCDE seraient plus utiles à l’enseignement supérieur…
En conclusion : « l’organisation de coopération et de développement économique devrait être vendue ou dissoute…elle ne cesse d’expliquer que le contribuable est trop imposé. Pourquoi devrait-il participer plus longtemps au financement d’un organisme qui n’a d’autre obsession que de le dépouiller des quelques droits sociaux que le marché lui laisse ? » (4)
Michèle JANSS
Source : Investig’Action
(1) Dossier de N. Hirtt sur PISA : http://www.skolo.org/spip.php?article1656
(2) discours de Harry Truman au congrès des Etats-Unis -12 mars 1947
(3) site de l’OCDE, http://www.oecd.org
(4) Serge Halimi, Le grand bond en arrière, comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Eléments - Editions Agone 2006
(5) Mateo Alaluf, http://politique.eu.org/spip.php?article3072