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De l’Irak au Yémen, le piège confessionnel

Par Grégoire Lalieu

 

 

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Rien ne va plus entre les sunnites et les chiites. Du Liban au Bahreïn en passant par la Syrie ou l'Irak, les deux communautés s'illustrent par leur antagonisme. Le Yémen vient s'ajouter à la liste, théâtre apparent d'une guerre par procuration entre l'Arabie saoudite et l'Iran. Le Moyen-Orient est-il destiné à s'embraser autour de guerres confessionnelles ? Après Jihad made in USA, nous retrouvons Mohamed Hassan pour analyser les événements récents qui secouent la région : engagement militaire de Téhéran contre Daech, guerre au Yémen et accord-cadre sur le nucléaire iranien. « Si vous ne réfléchissez qu'en termes de sunnites et de chiites, vous n'y comprendrez rien », prévient notre spécialiste.

 


 

L’Iran était déjà bien impliqué politiquement en Irak. Mais il a également investi le terrain militaire en participant à la lutte contre Daech. Comment expliquez-vous cet engagement de l’Iran ?

 

De nombreux défis se posent au gouvernement iranien : sanctions économiques, corruption, développement du marché noir, sècheresse, poussée démographique et j’en passe. Les autorités ont tenté de dissimuler ou de relativiser certains de ces problèmes. Mais ils se combinent tous en même temps et rendent la situation extrêmement compliquée.

Dans ce contexte, le gouvernement iranien a cherché des solutions hors de ses frontières, notamment en Irak. Jouant sur les affinités religieuses, l’Iran s’est employé à étendre sa zone d’influence. L’objectif est de s’ouvrir de nouveaux marchés qui pourraient lui permettre de surmonter ses difficultés internes. Ainsi, en Irak, l’Iran a soutenu la montée au pouvoir de la bourgeoisie chiite pro-iranienne après le renversement de Saddam Hussein. Si bien que les protégés de Téhéran occupant des postes clés et disposant d’importants portefeuilles ministériels ont privilégié l’achat de produits iraniens. Les bénéfices ont été considérables pour l’économie iranienne.

 

Pour l’Irak, l’alliance n’a pas été aussi profitable. Le gouvernement de Maliki (2006-2014), soutenu par Téhéran, était réputé pour sa corruption. Il a en outre mené une politique sectaire qui a contribué à l’embrasement du pays. L’Iran est souvent considéré comme une figure de proue de la lutte anti-impérialiste au Moyen-Orient. N’est-il pas étonnant de le voir profiter de la sorte du chaos irakien ?

 

Rappelons tout d’abord que l’Iran est l’unique puissance régionale à soutenir la résistance du Hamas et du Hezbollah face à Israël. Ensuite, ce n’est pas l’Iran qui a lancé une guerre dévastatrice contre l’Irak en 2003.

Cela dit, l’Iran peut se trouver en contradiction avec l’impérialisme US et Israël, mais sur le fond idéologique, ce combat est limité par la vision du gouvernement iranien qui n’est pas révolutionnaire. Il s’agit en fait d’un gouvernement bourgeois, dominé par la bourgeoisie des bazars. Ces bazaris sont en quelque sorte à mi-chemin entre les nationalistes et les compradors. Les premiers développent leur pays sur une base indépendante en gardant le contrôle des ressources nationales. Les seconds sont des marionnettes des puissances néocoloniales qui participent au pillage des richesses par les multinationales. Ils font de l’import-export et ne contribuent en rien au développement de leur pays. Les bazaris sont entre les deux. Cette bourgeoisie s’est constituée en commerçant des produits de l’artisanat dans les petites villes. Quand l’Iran s’est modernisé, les bazaris ont profité du développement des infrastructures. Aujourd’hui, certains sont milliardaires. Ce ne sont plus des petits marchands de tapis.

Afin de surmonter les problèmes internes de l’Iran, cette bourgeoise a profité de la guerre d’Irak et s’est ouvert de nouveaux débouchés pour ses exportations. En jouant la carte confessionnelle, l’Iran s’est offert un accès à des marchés qui lui étaient fermés du temps de Saddam Hussein. Cette forme d’opportunisme est totalement condamnable. Et je pense que l’Iran va s’attirer de sérieux problèmes pour avoir procédé de la sorte.

 

Pourquoi cette implication dans le conflit irakien pourrait-elle avoir des répercussions néfastes sur les affaires internes de l’Iran ?

 

Parce que vous ne brûlez pas la maison de votre voisin ! Tôt ou tard, l’incendie va revenir à vous. Les Etats-Unis sont une puissance impérialiste, ils peuvent mener des conflits à des milliers de kilomètres de chez eux. Mais ce n’est pas le cas de l’Iran. En s’engageant en Irak sur une base confessionnelle, le gouvernement iranien s’expose à un dangereux retour de flamme.

L’Iran est une mosaïque composée de nombreuses ethnies. Les Persans constituent le groupe majoritaire, mais représentent à peine plus de 60 % de la population. À côté de ça, une minorité importante d’Azéris parlent turc, tout comme les Turkmènes également présents. Il y a bien évidemment des Kurdes et toute une série d’autres groupes qui vont des Baloutches aux Assyriens en passant par les Gilakis dont est issu Abd al Qadir al-Jilani, une figure importante du soufisme. Il est donc très dangereux d’entretenir un conflit sectaire à côté de chez vous quand votre propre pays repose sur l’équilibre de dizaines d’ethnies différentes.

De plus, l’Arabie saoudite va pouvoir utiliser cette intervention en Irak pour monter les sunnites contre son grand rival iranien. L’engagement de l’Iran contre Daech est une aubaine pour ceux qui veulent enrôler tous ces jeunes sunnites désespérés dans des groupes extrémistes. Au-delà des conflits locaux, c’est une guerre générale qui se profile pour tout le Moyen-Orient. Cette guerre risque d’être longue. Elle fera beaucoup de morts et sera très éprouvante pour les économies des pays directement concernés.

 

Le conflit sunnite-chiite constitue-t-il la principale contradiction qui traverse le Moyen-Orient aujourd’hui ?

 

Ce n’est pas tant une question de religion. Pour reprendre un slogan célèbre aux Etats-Unis, on pourrait dire : « It’s the economy, stupid ! » La guerre impérialiste menée par Bush contre l’Irak, l’occupation de ce pays et les rivalités confessionnelles qui en ont découlé, l’utilisation d’extrémistes sunnites pour déstabiliser la région ou bien encore les volontés expansionnistes de la bourgeoisie iranienne... Tout cela répond aux intérêts économiques de certaines élites. Quand vous grattez un peu les conflits qui embrasent le Moyen-Orient, vous voyez que les actions des belligérants sont motivées par des enjeux stratégiques liés aux sphères d’influence, au contrôle des zones stratégiques, à l’accès au pétrole, etc. On passe une petite couche de vernis religieux pour alimenter la propagande et disculper les véritables responsables de ce chaos. Mais le fond du problème est bien économique.

 

C’est pourtant bien autour de la religion que les alliances se nouent dans la région...

 

Non, ce n’est pas le facteur déterminant. Prenez cet « Axe du Mal » défini par Bush. Il englobe l’Iran, la Syrie, le Hezbollah et le Hamas. On l’appelle aussi « Axe chiite », mais les Palestiniens du Hamas sont sunnites. Pour mieux imposer une lecture confessionnelle et priver cet axe du crédit palestinien, le Qatar a tenté d’extirper le Hamas de cette alliance. Il a soudoyé la direction du mouvement à coups de pétrodollars. Mais la base de l’organisation n’a pas suivi. Malgré les divergences qui avaient éclaté au début du conflit syrien, le Hamas a depuis réaffirmé les liens qui l’unissaient à l’Iran. Depuis Doha, il a également condamné l’intervention de l’Arabie saoudite au Yémen. Intervention soutenue par... le Qatar !

Prenons aussi l’exemple de la Syrie dans cet « Axe chiite ». Le gouvernement est présenté à tort comme un « régime alaouite ». Bien sûr, cette minorité est surreprésentée dans l’appareil d’Etat. Il faut étudier l’histoire de la Syrie pour comprendre cette particularité. Néanmoins, il n’y a jamais eu de projet conscient de la minorité alaouite de prendre le pouvoir pour gouverner dans ses seuls intérêts. Le gouvernement syrien se revendique en fait du nationalisme arabe, un nationalisme laïc qui a été le ciment d’une société multiconfessionnelle. On est donc loin de l’idéologie islamique des chiites iraniens, mais cela n’a pas empêché Damas et Téhéran de devenir des partenaires stratégiques.

Certes, le facteur religieux peut influencer les alliances qui se nouent et se dénouent au Moyen-Orient. Mais si vous ne réfléchissez qu’en termes de sunnites et de chiites, vous ne comprendrez rien aux problèmes qui traversent la région. Il s’agit avant tout de problèmes de classes.

 

Ce qui est vrai pour le Hamas ou la Syrie ne l’est pas forcément pour l’Irak où comme vous l’avez dit, l’Iran a joué la carte confessionnelle...

En Irak, le conflit entre sunnites et chiites est une fantaisie, un produit de l’imagination des impérialistes, des pétromonarques, de la bourgeoisie iranienne et d’un petit groupe d’Irakiens protégés de Téhéran.

Ainsi, bon nombre de chiites irakiens sont opposés à l’intervention de l’Iran.

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