Partenariat Trans-Pacifique et mort de la République
Alors que la Commissaire européenne Cecilia Malmström vient de défendre le projet du TTIP devant le parlement fédéral belge, Investig'Action vous propose cette analyse d'un autre accord de libre-échange qu'est en train de négocier Washington. Le TPP, tout aussi discret que son pendant transatlantique, est un accord entre les Etats-Unis, le Mexique, le Canada, le Japon, Singapour et sept autres partenaires concernant 40 % de l’ensemble des marchés mondiaux. La juge Ellen Brown relève comment cet accord ferait passer le droit des multinationales avant celui des citoyens. Un problème qui se pose aussi à travers le TTIP.
« Les Etats-Unis s’engagent à garantir à chaque état de l’Union une forme de gouvernement républicaine » - Article IV . Section 4. Constitution des Etats-Unis
Une forme républicaine de gouvernement est celle qui donne le pouvoir à des représentants des citoyens, officiellement élus et exerçant le pouvoir conformément aux termes de la loi. Dans The Federalist Papers, James Madison définit la république comme « un gouvernement qui tient tous ses pouvoirs directement ou indirectement de l’ensemble de la population… »
Or il faut savoir que, le 22 avril 2015, la commission Finance du sénat a approuvé une loi autorisant le traitement accéléré du Partenariat Trans-Pacifique (TPP), important accord commercial qui court-circuiterait notre forme républicaine de gouvernement et confierait le pouvoir législatif et judiciaire à un groupe étranger d’avocats associés constitué de trois personnes.
Ce si discret TPP est un accord entre le Mexique, le Canada, le Japon, Singapour et sept autres partenaires concernant 40 % de l’ensemble des marchés mondiaux. L’autorité compétente pour le traitement accéléré - fast track - de ce dossier peut désormais soumettre son texte en séance plénière au Sénat dès la semaine prochaine. Fast track signifie que le Congrès ne pourra amender l’accord commercial qui sera soumis à un vote à la majorité simple des élus. La négociation secrète du traité et son vote accéléré par le Congrès est ainsi jugée indispensable pour en assurer l’approbation car, si l’opinion publique avait le temps d’en étudier tous les aspects, l’opposition pourrait s’organiser et le rejeter.
Abdiquer le pouvoir judiciaire en faveur d’un groupe d’avocats associés
James Madison a écrit dans The Federalist Papers : La concentration de tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire dans les mêmes mains peut être fort justement qualifiée de tyrannie… « Quand le pouvoir de juger est associé au pouvoir de légiférer, la vie et la liberté du citoyen est exposée à l’arbitraire car le juge est celui qui rédige les lois… »
Et cela sera la conséquence inéluctable de ce que nous savons des termes secrets des accords du TPP.
La disposition la plus controversée du TPP est l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement)- Organe de règlement des conflits entre Etat et Investisseurs- qui renforce les procédures existantes. Cet ISDS est apparu en 1959 à la faveur d’un premier accord commercial bilatéral. Selon The Economist, l’ISDS octroie aux firmes étrangères le droit inhabituel de déposer plainte auprès d’une cour d’arbitrage discrète constituée d’avocats très bien rémunérés en vue de demander des compensations chaque fois que le gouvernement vote une loi qui, selon elles, porterait atteinte à leurs bénéfices (comme des mesures contre le tabagisme, les dégradations de l’environnement ou encore les risques d’accidents nucléaires).
Ces juges arbitres officient au salaire horaire de 600 à 700 US Dollars, ce qui les incite peu à écarter les plaintes. Le caractère secret des procédures d’arbitrage et le manque de jurisprudence en ces matières laisse libre cours aux décisions les plus fantaisistes et arbitraires.
A ce jour, la compensation la plus élevée exigée par l’ISDS s’élève à 2,3 milliards d’US Dollars demandés par l’Occidental Oil Company au gouvernement équatorien pour l’interruption d’un contrat d’exploitation pétrolière pourtant décidée d’une manière formellement légale. Une autre procédure d’arbitrage est en cours, lancée par Vattenfall, une entreprise suédoise qui gère deux sites nucléaires en Allemagne et qui réclame une compensation de 4,7 milliards d’US Dollars sur base d’une clause de l’ISDS en matière d’investissements énergétiques, après que le gouvernement allemand ait décidé de mettre un terme à ses activités nucléaires après le désastre de Fukushima en 2011 au Japon.
Sous le régime du TPP pourtant, des décisions judiciaires plus dramatiques encore peuvent être attendues dans la mesure où la nature des investissements qu’ils protègent comprend non seulement « l’engagement de capitaux ou d’autres ressources » mais aussi « les gains et bénéfices escomptés ». Cela signifie l’extension d’un droit des entreprises dans d’autres pays que le leur, non seulement sur leurs infrastructures et les capitaux investis mais aussi sur les revenus et bénéfices qu’elles en attendent.
Dans un article adressé par Yves Smith, Joe Firestone émet quelques hypothèses intéressantes : Avec ce TPP, le gouvernement des Etats-Unis pourrait-il être poursuivi et tenu pour responsable s’il décidait de ne plus émettre de bons du trésor et finançait ses déficits d’une autre manière (par exemple en augmentant la masse monétaire ou en émettant des pièces de milliards de dollars ?) Pourquoi pas ? Sauf qu’il ne le fera pas parce que des compagnies privées en subiraient des pertes de profits. Avec le TPP ou le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, en français « Partenariat Transatlantique de commerce et d’investissement ») en cours de discussion avec l’Union Européenne, la Réserve Fédérale risquerait elle des poursuites si elle refusait de soutenir des banques trop grosses pour tomber en faillite ?
Firestone rappelle que sous l’accord commercial Tchèco-Néerlandais la république Tchèque a été condamnée dans un différend Investisseur-Etat pour n’avoir pas accordé sa garantie financière à une banque insolvable où le plaignant avait des intérêts. L’investisseur a obtenu une compensation de £236 millions pour clore le différend. Quels seraient les dégâts se demande Firestone si la FED décidait de ne plus soutenir la Bank of America et qu’une compagnie d’investissement Saoudienne décide de la poursuivre ?
Céder le pouvoir législatif aux multinationales
La simple menace d’une réparation aussi extravagante d’un préjudice contestable suffirait à bloquer les projets de loi en cours. Mais le TPP prend les devants et s’accapare d’emblée la fonction législative en empêchant toute forme de régulation.
Public Citizen fait observer que le TPP offre aussi aux grosses banques de bons moyens d’édulcorer les efforts de régulation de Wall Street après que les dérégulations aient entraîné la pire crise financière depuis la grande dépression. Le TPP empêcherait les Etats d’exclure les produits financiers particulièrement risqués, tels les dérivés toxiques qui ont forcé le gouvernement à couvrir AIG pour un montant de 130 milliard d’US Dollars. Il interdirait les choix politiques qui empêcheraient les banques de devenir trop grandes pour faire faillite et ferait obstacle aux pare-feu envisagés pour prévenir la conversion de nos comptes épargne en fonds de casinos que sont les hedge funds.
Le TPP limiterait aussi le contrôle des mouvements des capitaux, instrument essentiel de prévention des déstabilisations créées par les flux de monnaies spéculatives… Et l’accord interdirait la taxation des mouvements spéculatifs de Wall Street comme le propose la Taxe Robin des bois qui pourtant permettrait de libérer des milliards de dollars pour l’aide sociale, la santé ou l’environnement.
Les décisions résultant de libres accords commerciaux antérieurs sont évoquées pour défier les tentatives de régulation du monde des affaires. Le monde de l’industrie des énergies fossiles tente de contourner les mesures du Québec visant à interdire le cracking écologiquement catastrophique pour exploiter le gaz de schiste. Veolia, compagnie française connue pour la construction d’un réseau de tramways desservant les colonies israéliennes à Jérusalem Est et dans les territoires occupés bloque le relèvement des salaires minimum en Egypte. Philip Morris, le grand cigarettier, poursuit l’Uruguay et l’Australie pour leurs mesures anti-tabac.
L’objectif du TPP n’est pas uniquement d’accroître le pouvoir des industriels étrangers mais celui du monde international de la finance afin qu’il puisse s’en prendre devant des tribunaux étrangers aux politiques financières qui les contrarient et pouvoir ainsi demander des compensations aux contribuables pour les lois et règlements qui, selon eux, limiteraient leurs profits et décevraient leurs espérances de rentabilité.
Hypothéquer la souveraineté nationale
Comment justifier de telles entraves aux droits souverains des gouvernements ? Officiellement, l’ISDS les stimulerait en sécurisant les investissements étrangers. Mais, comme le fait remarquer The Economist, les investisseurs peuvent se protéger en contractant des assurances « risques politiques ».
D’autre part, le Brésil continue à bénéficier d’importants investissements étrangers alors qu’il se refuse à signer tout traité de type ISDS. De plus en plus de pays commencent à imiter le Brésil sur ce point.
Le rapport de ce 22 avril du Centre de Recherche Economique et Politique révèle pourtant à quel point les bénéfices de la libéralisation commerciale internationale sont dérisoires, équivalant à peine à 0.014 % de la consommation, soit environ 0.43 $ par personne et par mois. Cela, en supposant que les bénéfices soient uniformément répartis sur l’ensemble du paysage économique. En réalité, les sociétés multinationales perçoivent l’essentiel des bénéfices au détriment de la population mondiale.
Il semble bien que tout autre chose se prépare au-delà d’un appel aux investissements et d’un encouragement du commerce international. Le TPP voudrait plutôt saper notre forme de gouvernement républicain régi par les lois en plaçant les droits des investisseurs - également appelés « droits du capital »- au-dessus des droits du citoyen.
En clair, le TPP est formellement anticonstitutionnel . Mais comme le fait remarquer Joe Firestone, le néolibéralisme et ses alliés du monde des affaires ont si bien camouflé les éléments du traité qu’ils empêchent de voir à quel point il vend la souveraineté des Etats-Unis à l’étranger et aux grandes sociétés multinationales.
Ellen Brown est juge, fondatrice du Public Banking Institute et auteure d’une douzaine de livres parmi lesquels le best-seller Web of debt. Son dernier livre The Public Bank Solution, étudie sur le plan historique et universel les différents modèles bancaires. Ses 300 articles peuvent être consultés sur son blog EllenBrown.com. Vous pouvez aussi écouter « It’s our money with Ellen Brown » sur PRN fm.
Traduit de l’anglais pour Investig’Action par Oscar GROSJEAN.
Source : Investig’Action
Source originale : Counter Punch