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Cinq réflexions sur le Front National (suite) 2/5

2ème partie
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
Défilé de l'Action Française  "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini
 

Défilé de l'Action Française "Fête de Jeanne d'Arc", Jules Michelet, Ernest Renan, Maurice Barrès, Jacques Doriot, Mussolini

 

 

2 – Le concept de Nation, sa mutation et ses dérives radicales

 

Le Front National ( FN)  a mis la Nation au centre de son action politique. On peut même dire qu’il essaie depuis sa création de s’approprier ce concept. Il le fait en particulier en entretenant des mythes fondateurs de la Nation par un exercice soutenu et médiatisé de la commémoration : millénaire capétien, 1500 ème anniversaire du baptême de Clovis, et de façon encore plus ritualisée, célébration  annuelle de Jeanne d’Arc. On notera cependant que le FN est loin d’avoir l’exclusivité de ces manifestations militantes ; il n’est en fait qu’un élément d’un courant bien plus vaste que l’on peut appeler national-radical où on a pu trouver entre autres : Occident, Jeune Europe, le GUD (Groupe Union Droit), le PFN ( Parti des forces nouvelles), le PNFE ( Parti nationaliste français et européen) , la FANE ( Fédération d’Action Nationale et européenne), les FNE (Faisceaux Nationalistes Européens), Œuvre française, ou le GRECE ( Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) ou le Carrefour de l’Horloge (ex Club de l’Horloge) etc… Tous ces mouvements partagent une vision radicale de la Nation dont nous avons déjà évoqué une forme particulière au XIXème siècle avec la pensée politique de Charles Maurras mais dont il faut comprendre les ressorts et l’évolution.

 

         2.1 Le concept français de la Nation

En 1870, rendue nécessaire par le cas de l’Alsace- Lorraine annexée à l’Allemagne après la guerre de 1870, une correspondance s’engage entre deux historiens, l’un allemand Mommsen et le second français Fustel de Coulanges, sur la question de la Nation. Pour l’historien allemand, ce sont la langue et la race qui définissent la Nation ; donc l’Alsace – Lorraine est allemande. Pour l’historien français, héritier de la Révolution et de Michelet, c’est la libre adhésion des populations qui fonde « une communauté d’intérêts, d’affections, de souvenirs et d’espérances » et l’Alsace-Lorraine veut rester française. En 1882, Ernest Renan précise la conception française de la Nation : « Une Nation est une âme, un principe spirituel, la possession en commun d’un riche legs de souvenirs et le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir un héritage qu’on a reçu indivis » et il ajoute : « L’existence d’une Nation est un plébiscite de tous les jours.»

On le voit, en France, l’idée nationale au XIXème siècle n’a absolument pas de connotation droitière. C’est en effet  la Révolution Française qui avait réalisé la « Grande Nation », celle de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et des grands principes de 1789. Ce patriotisme était humaniste, populaire et jacobin et ses valeurs républicaines étaient opposées à  celles de la Restauration, de  la Monarchie de juillet et du second Empire accusés de trahison.  Or, après 1870, et la victoire de la Prusse, sous l’effet de l’aventure boulangiste puis de l’affaire Dreyfus, le nationalisme français va prendre de nouvelles caractéristiques : il devient militariste, clérical, antiparlementaire et anti-intellectuel. Cette mutation du nationalisme républicain – très liée au parcours idéologique de Maurice Barrès – s’appuie sur deux thèmes principaux. Le premier est l’enracinement. Pour Barrès, il s’agit surtout de l’enracinement dans la région pour contrer le courant centralisateur parisien : « Il y a des vérités lorraines, des vérités provençales, des vérités bretonnes dont l’accord ménagé par les siècles constitue ce qui est bienfaisant, respectable, vrai en France et qu’un patriote doit défendre. » Le second est l’héritage déjà évoqué chez Renan : «  Une Nation, c’est la possession en commun d’un antique cimetière et la volonté de faire valoir cet héritage indivis. » Enfin, sur le plan économique, cette mutation reprend à son compte un protectionnisme très radical qui justifie par exemple  l’application du double tarif douanier de Jules Méline en 1892 : protection des produits nationaux contre la concurrence étrangère, de la main d’œuvre française contre les immigrés étrangers, de la « sève française » contre les façons de penser venues d’au-delà des frontières et les mesures contre les juifs accusés d’être beaucoup trop nombreux dans certaines professions. Des circonstances historiques singulières ont donc provoqué, en une vingtaine d’années,  une forme de mutation insidieuse du concept de Nation pour l’éloigner de sa nature propulsive – un peuple prend son destin en main dans une perspective universaliste – et la réduire de ce fait à une dimension défensive et réactionnaire.

2.2 Le fascisme italien

On le sait, la dérive radicale de l’idée de Nation a pris en Italie une forme encore bien plus caricaturale. Au lendemain de la première Guerre mondiale, qui laisse l’Italie humiliée par les traités, le parti fasciste  prétend être la seule force capable d’incarner les intérêts suprêmes de la Nation italienne. N’ayant pas en face de lui, comme en France, un modèle républicain suffisamment structuré, il a pu rapidement instaurer un modèle totalitaire dans lequel l’individu était censé se fondre dans la communauté de la Nation. Le fascisme a donc été le projet insensé  de créer un « homme nouveau » dans un cadre politique où tous les secteurs de l’activité humaine étaient soumis au contrôle de l'Etat au sommet duquel se trouvait le « Duce », le chef suprême, dont le culte était entretenu par l’embrigadement de la population placée dès son plus jeune âge sous le contrôle du parti national fasciste. La mise en œuvre de ce programme, exaltée par la propagande officielle, ne laissa aucune place aux voix dissidentes qui furent éliminées; elle abolit toute forme de liberté syndicale, et s’appuya sur le corporatisme.

2.3  Doriot et certains intellectuels des années trente

Un autre cas de dérive de l’idée de Nation est celui du PPF (Parti Populaire Français). Fondé en 1936 par Jacques Doriot, un dirigeant communiste exclu du parti en 1934, il compte rapidement plus de 60 000 membres qui sont, pour moitié, des ouvriers. Ce parti - qui a reçu le soutien de journaux de droite et le soutien matériel d’une partie du patronat affolé par les acquis sociaux du Front Populaire - a sombré rapidement dans la séduction du fascisme italien et dans l’antisémitisme. Doriot prône le corporatisme dans le cadre des régions. Il veut voir renaître une paysannerie forte et présente la famille comme la cellule fondamentale de la Nation. Il faut noter que, si, dans le sillage de Doriot,  le fascisme n’a guère attiré les foules, il a cependant réussi à  séduire une partie non négligeable des intellectuels - fascinés par la mystique voire le romantisme fasciste - les préparant pour certains d’entre eux à la collaboration après la défaite de 1940. On citera par exemple les intellectuels proches de la pensée de Charles Maurras : Robert Brasillach, Drieu la Rochelle, les cénacles littéraires et politiques qui écrivent dans les organes de presse de la droite collaboratrice antisémite et fascisante : “Je suis partout" , Candide et Grégoire.


2.4  Les invariants de la radicalisation

On retiendra de ces exemples que le processus de radicalisation de la pensée nationale s’appuie historiquement sur quelques invariants. Il y a d’abord un contexte économique et social très perturbé qui peut être consécutif à une guerre ou à une menace de guerre, mais aussi à un bouleversement de la société lié à un changement de mode de production (révolution industrielle). Cette radicalisation se nourrit  des angoisses identitaires qui accompagnent les modifications du corps social surtout auprès de ceux qui ont le plus à pâtir de ces transformations. Ensuite la Nation ainsi menacée se trouve un ennemi, une cause interne à ses problèmes. Les classes moyennes, principalement commerçantes, ayant le sentiment d’être délaissées par un capitalisme proche du pouvoir, sont tentées par des solutions simplistes. Par exemple dans la France des années 1880, l’antisémitisme, relayé en autres par des pamphlets à succès comme « La France juive » d’Edouard Drumont ou  le journal « La Croix »,  propose une explication simple des difficultés économiques en dénonçant la cupidité et l’internationalisme banquier ou révolutionnaire des juifs.  Enfin, un événement singulier (comme l’Affaire Dreyfus) cristallise les tensions, réactive les mythes idéologiques nationaux en sommeil : l’héritage, l’enracinement, le roman national, les « petits » contre les « gros », la race… C’est cette conjugaison de simplisme idéologique, de frustrations populaires et de perturbations sociales qui caractérise et fait advenir la dangereuse dynamique populiste.

Il faut noter aussi que, de façon générale,  cette radicalisation exerce une fascination sur une partie non négligeable du milieu intellectuel, littéraire et artistique et qu’il serait donc vain de  chercher uniquement dans l’élite intellectuelle l’antidote suffisant à ces dérives. Remarquons enfin que, même alimenté par une oligarchie financière,  cet engrenage ne peut prospérer que porté par des classes populaires et sur les carences du modèle républicain. Le nationalisme radical, idéologie du repli, a toujours détesté la République sociale et l’internationalisme - tels que conçus et promus par Jean Jaurès - dans lesquels il voyait un obstacle majeur à son essor. Ce phénomène explique d’ailleurs, sur la longue durée, et par rapport à d’autres pays européens, le peu d’impact du fascisme dans l’Histoire de France.

 A suivre ...

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