A l’origine du 1er mai : Lucy Parsons, la veuve des martyrs de Chicago
Peu avant sa pendaison, Albert écrivit à Lucy : « Tu es une femme du peuple, et je te confie au peuple… ». Le Congrès des Ouvriers Socialistes qui se tenait à Paris en 1889 déclara le 1er mai comme la journée internationale des Travailleurs et des Travailleuses. C’était en hommage aux cinq martyrs de Chicago. L’année suivante, cette journée fut commémorée pour la première fois. Lucy était déjà connue comme « La veuve mexicaine des martyrs de Chicago ».
Encore, en 1920, la police de Chicago considérait Lucy Gonzàles comme « plus dangereuse que mille révolutionnaires ».
Elle naquit esclave en 1853, dans un hameau du Texas, un territoire qui cinq ans auparavant faisait partie du Mexique. Elle était la fille d’une mexicaine noire et d’un indien de l’Alabama. A trois ans, elle devint orpheline. Et, à peine put elle travailler qu’on l’envoya dans les champs de coton.
Elle se maria à 19 ans avec Albert Parsons, jeune vétéran de la guerre de sécession (1860-1864). Ils étaient, pour ainsi dire, considérés comme un couple illégal. La mixité raciale était pratiquement interdite dans les états du sud. La participation à la vie sociale ne leur était pas facile, compte tenu qu’ils faisaient partie du petit nombre d’activistes autour de la question des noirs en terres racistes". Les menaces de mort à leur encontre les obligèrent de partir à Chicago en 1873.
A peine posés leurs pauvres effets que déjà ils participaient à la vie politique. Pour assurer leur subsistance, Lucy décida de confectionner à domicile des vêtements pour les femmes. Ce travail était couplé avec sa participation au travail à l’imprimerie. Elle commença à écrire des articles dans le journal The Socialist . Puis ils participèrent à la création de The Alarm, organe de l’Association Internationale des Travailleurs, connu comme étant « l’Internationale Anarchiste ». Elle écrivait des articles sur le chômage, le racisme, ou sur le rôle des femmes dans les organisations politiques. Lucy rencontra un bon accueil au sein des organisations ouvrières, principalement dans les fabriques de textiles. C’est là que l’exploitation était la plus féroce.
Ses deux grossesses ne l’empêchèrent pas de poursuivre ses activités : mais, souvent, elle quittait les réunions dans les ateliers presque au bord de l’accouchement. Avec le soutien d’Albert elle se décida à participer à la création de L’union des Femmes Ouvrières de Chicago. En 1862, cette organisation fut reconnue par « l’Ordre des Nobles Chevaliers du Travail », une sorte de fédération. Une grande avancée : jusqu’alors, le militantisme féminin n’était pas admis.
Elle pouvait toujours compter sur Albert et lui-même pouvait compter sur elle. De lui, non seulement elle avait l’appui politique mais ils partageaient le soin apporté à leurs fils et au foyer.
La lutte pour la journée de huit heures devint la principale revendication nationale. Il faut dire que les petites filles et les femmes devaient travailler entre quinze ou dix-huit heures par jour pour gagner à peine de quoi se nourrir.
Le président Andrew Johnson avait décrété une loi qui promulguait la journée de huit heures mais quasiment aucun Etat ne l’appliqua.
Les travailleurs appelèrent à une journée de grève pour le 1er mai 1886. Aussitôt, la presse se déchaîna. Le 29 avril l’Indianapolis Journal parla « des violentes diatribes de truands et démagogues qui vivent sur le dos des impôts versés par les hommes honnêtes ».
Comme en d’autres occasions Lucy et Albert marchèrent avec leurs enfants. Les Parsons étaient tendus et prudents parce que le Chicago Mail, dans son éditorial, avait traité Albert et d’autres compagnons de lutte de « voyous dangereux restés en liberté ». Et exigeait de « les dénoncer dès aujourd’hui. Les montrer du doigt. Les considérants comme des fauteurs de trouble, les rendre responsables de toutes les difficultés qui pourraient survenir ».
A Chicago où les conditions de travail étaient pires que dans d’autres villes, les grèves et les mobilisations se poursuivirent. Pour le 4, un rassemblement fut organisé au Haymarket square. Albert fut l’un des orateurs.
Le rassemblement se termina sans incident. A peu près 20 000 personnes y participèrent. Au moment de la dispersion, il commençait à pleuvoir. Les Parsons décidèrent d’aller prendre un chocolat au Salon Zept’s. Il restait Quelques 200 manifestants sur la place. Un gros contingent de policiers chargea. Une bombe de fabrication artisanale explosa tuant un officier. La troupe ouvrit le feu. On ne connut jamais le nombre exact de morts. L’état d’urgence et le couvre-feu furent déclarés. Les jours suivants des centaines d’ouvriers furent jetés en prison. Certains furent torturés.
31 personnes furent accusées dont 8 resteront incriminés. Le 21 juin le procès débuta. Après s’être entretenu avec Lucy, Albert se présenta face à la cour déclarant : « Nos honneurs, je suis venu afin que vous me jugiez avec tous mes compagnons innocents ». Le procès fut une mascarade faisant fi des normes élémentaires de la justice. La presse se lança dans une campagne de dénonciation. Ce fut un procès politique car rien ne pouvait être prouvé quant aux responsabilités des accusés. Un véritable lynchage. Le jury déclara les huit accusés coupables. Parmi eux, trois furent condamnés à la prison et cinq à la pendaison. Parsons faisait partie des condamnés à mort.
José Marti, le futur apôtre de l’indépendance de Cuba était présent dans la salle. Le 21 octobre le quotidien argentin La Nation publia un article. Il y décrivait le comportement de Lucy lorsque la sentence fut prononcée : « La mulâtre de Parsons, inflexible et intelligente comme lui, qui parle avec une vibrante énergie dans les rassemblements publics, qui ne se décourage pas comme souvent les autres, là, elle resta fière et ne fit apparaître aucun mouvement sur son visage lorsqu’elle entendit la condamnation. […]. Elle appuya une joue contre son poing fermé, regarda dans le vide, ne proféra aucune parole ; on put noter un tremblement de son poing, allant croissant… »
Lucy, accompagnée de ses fils commença à parcourir le pays pendant presque une année en informant sur le procès. Elle parlait la nuit et voyageait le jour, envoyait des centaines de lettres aux syndicats et à diverses organisations politiques, aussi bien aux Etats-Unis que dans le reste du monde. La solidarité qui se leva, alors, fut immense.
Le 11 novembre 1887 la sentence s’exécuta. Des années plus tard, Lucy se rappelait le matin où elle conduisit ses fils sur le lieu où se tenaient les condamnés. Elle demanda « laissez ces enfants dire leur dernier adieu à leur père ». La réponse fut immédiate. « Nous restâmes enfermés dans le local de la police, pendant que s’exécutait le délit monstrueux ».
Peu avant sa pendaison, Albert écrivit à Lucy : « Tu es une femme du peuple, et je te confie au peuple… »
Le Congrès des Ouvriers Socialistes qui se tenait à Paris en 1889 déclara le 1er mai comme la journée internationale des Travailleurs et des Travailleuses. C’était en hommage aux cinq martyrs de Chicago. L’année suivante, cette journée fut commémorée pour la première fois.
Lucy était déjà connue comme « La veuve mexicaine des martyrs de Chicago ».
Les patrons appliquèrent la journée de Huit heures. Le sacrifice des martyrs ne fut pas vain.
Après la mort de son époux, Lucy continua à parcourir le pays en organisant les ouvrières et en écrivant dans les journaux syndicaux. En juin 1905, elle fut présente lors de la création de l’Organisation des « Travailleurs Ouvriers du Monde », à Chicago. Seulement 12 femmes y participèrent et Lucy y fut la seule à y prendre la parole. « Nous autres les femmes de ce pays, nous n’avons aucun droit de vote. La seule manière est de prendre un homme pour nous représenter […] et cela me paraitrait étrange de demander à un homme de me représenter […]. Nous sommes les esclaves des esclaves… » Elle termina son discours déclarant : « Il n’y a pas de pouvoir humain que les hommes et les femmes puissent obtenir s’ils ne sont pas décidés à être libre ! »
En ceci, elle fut toujours en opposition avec les féministes. Elle les supportait peu. Elle voyait dans le féminisme un mouvement typique de la classe moyenne. Elle soutenait que ce mouvement servait davantage à une confrontation des femmes contre les hommes. Elle répétait que la libération de la femme ne se ferait qu’avec l’émancipation de la classe ouvrière libérée de l’exploitation capitaliste.
A 80 ans, Lucy faisait encore des discours sur la place Bughouse de Chicago. Elle continuait à conseiller, à former les ouvriers et les ouvrières. En février 1941, à 88 ans, elle fit sa dernière apparition publique. L’année suivante, le 7 mars, et déjà aveugle, elle mourut dans l’incendie de sa maison. Même morte la police la poursuivit de sa hargne, la considérant toujours comme une menace. Ainsi, des milliers de ses documents et de ses livres furent saisis.
Publié avec l’autorisation de l’auteur. Ce texte fait partie du livre Latines, belles et rebelles, aux Editions le Temps des Cerises. Paris, mars 2015. 200 Pages, 15 euros.