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Initiative de Poutine : une réconciliation syro-saoudienne est-elle possible ?


Oui, l’optimisme est parfois un devoir moral à l’égard des siens, surtout lorsqu’il est nourri de leurs sacrifices et de leur foi en la victoire sur eux-mêmes et sur leurs ennemis. [NdT].

Début juin 2015, l’Armée syrienne et ses alliés ont commencé à se préparer à la contre-attaque des envahisseurs terroristes. Opérations en cours et qui démontrent leur ferme décision de « nettoyer » progressivement les abords de Damas à Zabadani et la frontière sud avec la Jordanie, sans que cela ne se répercute sur les combats menés dans le nord du pays.

 

Le 19 juin, le président russe Vladimir Poutine recevait le ministre saoudien de la Défense et vice-prince héritier, Mohammed ben Salmane. Peu de détails ont filtré, sinon que la réunion a porté sur plusieurs dossiers : le Yémen, la Syrie, le terrorisme, les armes, les réacteurs nucléaires et le marché du pétrole. Il en aurait résulté un accord cadre sur ces grandes lignes [1].

 

Le 29 juin, c’était au tour du ministre syrien des Affaires étrangères et des Expatriés, M. Walid al-Mouallem, d’être reçu par M. Poutine qui a souligné l’engagement de la Russie envers la Syrie, peuple et dirigeants, et a appelé Damas à une alliance régionale contre le terrorisme [2]. Une initiative russe impliquant nécessairement une réconciliation syro-saoudienne, entre autres, et qui relèverait du « miracle » selon M. Mouallem [3] :

 

« J’ai écouté avec la plus grande attention ce qu’a dit M. Poutine sur la situation en Syrie et sur la nécessité d’une alliance régionale et internationale pour combattre le terrorisme. Je sais que le président Poutine est un homme capable de miracles, comme ce qu’il a accompli en République Fédérale de Russie. Mais une alliance avec la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar et les États-Unis, pour combattre le terrorisme, nécessite un très grand miracle. Comment ces pays qui ont conspiré contre la Syrie, ont encouragé le terrorisme, l’ont financé, l’ont armé, et ont fait couler le sang du peuple syrien, pourraient-ils se transformer en alliés pour combattre le terrorisme ? Nous espérons cela… En tout cas, nous avons nos expériences passées, notamment celle des armes chimiques qui s’est concrétisée grâce à l’initiative de M. Poutine. Je reviens sur notre rencontre avec son Excellence qui m’a franchement promis de soutenir la Syrie politiquement, économiquement et militairement… ». [Conférence de presse conjointe de MM. Lavrov et Mouallem, traduction à partir de la 13ème minute ; Ndt].

 

M. Mouallem est donc rentré à Damas avec une proposition saoudienne garantie par la Russie. Son contenu n’a pas été divulgué, mais aurait incité le président Bachar Al-Assad à entreprendre rapidement des négociations, non pas avec les opposants instrumentalisés dans la guerre contre son pays, mais avec leurs maîtres. Et voilà que le 5 juillet est arrivé l’inimaginable depuis 2011 : la rencontre entre une personnalité syrienne du plus haut niveau et Mohammed ben Salmane !

 

Par conséquent, nous sommes face à de grands changements et étant donné que l’initiative russe, en faveur d’une alliance régionale de lutte contre le terrorisme, concerne la Syrie, l’Arabie saoudite, la Turquie et la Jordanie, sans englober l’Irak, nous pouvons parler d’une solution à deux voies :

 

 Entente entre les États-Unis et l’Iran en Irak, avec le consentement de l’Arabie saoudite.

 Entente entre la Russie et l’Arabie saoudite en Syrie, avec le consentement de l’Iran.

Ceci alors qu’il est évident que nous, nous souhaitons une entente entre la Syrie et l’Irak dans le cadre d’une formule unitaire qui rassemblerait les Pays du Machrek au sein d’une grande puissance régionale. Comme il est évident que seul l’équilibre des forces en présence fera que ce qui est du domaine du possible finira par se traduire en termes de procédures diplomatiques. Comment et quand ? Questions qui trouveront probablement leurs réponses d’ici la fin de 2015.

■ ■ ■

Damas a suscité la perplexité des plus éminents analystes politiques. Le gouvernement syrien est allé dans le défi jusqu’à l’extrême limite… moins une ! Il a accepté de dialoguer avec ses ennemis sans jamais quitter son camp ou abandonner son rôle. Peu de gens réalisent la complexité de la stratégie menée par le président Bachar al-Assad pour en finir avec la guerre menée contre son peuple, et l’impact d’une Syrie unie et indépendante sur ses amis et ses ennemis.

 

Ces dernières quatre années et demi, Damas a fait tomber les masques de toute la panoplie des agresseurs allant des prétendus libéraux jusqu’aux plus fanatiques des sectaires. Et désormais, il est clair que depuis le début de ladite « crise syrienne », il ne s’agit pas d’une révolution, mais d’une « guerre mondiale » dans le but de renverser l’État syrien, dernière citadelle du mouvement de libération de nos pays, au bénéfice des régimes arabes réactionnaires, dans l’intérêt des États-Unis contre l’Iran et la Russie travaillant à l’émergence d’un monde multipolaire, et dans l’intérêt d’Israël contre la Résistance à son occupation de la Palestine, du Golan syrien, et des Fermes de Chebaa au Liban.

 

Et parmi les Syriens, mis à part le nombre limité de jeunes enthousiastes à l’idée d’un « Printemps arabe » qui s’est révélé d’une profonde noirceur, ne se sont enfoncés dans la fange que ceux qui y étaient déjà noyés jusqu’au cou, tels les trafiquants, les criminels et les corrompus avec, à leur tête, les « intellectuels félons » ayant vendu leur âme au diable.

 

Si bien qu’aujourd’hui, il est plus qu’évident qu’il n’y a que deux camps qui s’affrontent sur la scène syrienne : celui du Peuple, de son Armée et de ses alliés, contre celui des organisations terroristes internationalement condamnées.

À ce stade, nous pouvons donc dégager cinq points essentiels concernant la Syrie :

 Le premier est que le monde entier est amené à choisir : soit l’État syrien et ses règles précises d’engagement, soit le terrorisme incontrôlable sans foi, ni loi.

 

 Le deuxième est qu’il n’a échappé à personne qu’après de longs mois de très durs combats, l’Armée syrienne est non seulement toujours forte, mais demeure capable de lancer simultanément ses offensives contre les terroristes sur tous les fronts, comme nous l’avons tous observé au cours du mois de Ramadan dernier.

 

 Le troisième est que la résistance de Damas a contraint les États-Unis à régler le dossier du nucléaire iranien par un accord historique qui permet à la République islamique d’Iran de disposer de ses énormes ressources et de renforcer son rôle régional. L’Iran aura donc, publiquement et sous couverture politique internationale, les moyens de soutenir encore plus la Syrie à un rythme déterminé par les nécessités du conflit.

 

 Le quatrième est qu’il n’est plus question que les néo-ottomans puissent songer à envahir la Syrie, Téhéran n’étant plus obligé au silence devant les crimes et menaces d’Erdogan, bien qu’il ait prévenu que « la Syrie sera le cimetière des soldats turcs en cas d’invasion ». Et ce, d’autant plus, que la situation interne en Turquie n’autorise plus Erdogan à envisager ce genre d’aventure. La roue a tourné. En 2011, qui aurait imaginé que le président Bachar al-Assad puisse personnifier la solution à la crise syrienne et régionale, alors qu’Erdogan tomberait si bas, devenant le symbole de la crise turque telle qu’elle s’annonce ?

 

 Le cinquième est que la Russie, qui a cher payé son soutien à la Syrie, par la guerre en Ukraine et par les sanctions occidentales, a quand même dépassé ces deux problèmes à la fois. L’Occident a fini par réaliser qu’il lui était impossible de l’assiéger et de la marginaliser. Elle est revenue au devant de la scène internationale, s’est affirmée comme une puissance militaire, a élargi et a consolidé ses alliances internationales, aussi bien avec les pays du BRICS [Brésil, Inde, Chine, Afrique du Sud] et de l’OCS [Organisation de coopération de Shanghai] qu’avec d’autres pays qui n’en font pas partie. Sans oublier que la Russie et la Chine ont réalisé que leur solide alliance servait leurs intérêts stratégiques réciproques et que désormais, nul autre pays n’est plus proche que la Syrie de cette alliance bipartite. Elle l’a prouvé par le sang de ses martyrs. Elle bénéficiera du nouvel équilibre entre les puissances mondiales du point de vue de son statut, de son rôle, de son armement et de sa reconstruction.

■ ■ ■

Concernant l’Arabie saoudite, la Russie s’est vite rendue compte de la crise profonde qui la menaçait vu ses relations tendues avec les États-Unis, la fragilité de sa situation politique intérieure aggravée par sa claire participation au terrorisme international devenu incontrôlable, l’échec de sa guerre au Yémen, et le défi commercial du pétrole de schiste pesant sur l’économie des deux parties.

 

Or la Russie craint la désintégration de l’Arabie saoudite, considérant qu’elle aboutirait à l’établissement d’un prétendu califat d’organisations terroristes sur une grande partie des territoires du Najd et du Hijaz, ce qui mènerait à de longues années de guerre et de destruction qui menaceraient son propre territoire.

 

C’est dans ce contexte et dans le but de créer un équilibre régional avec l’Iran, que Riyad a commencé, dès que le roi Salmane et son équipe sont arrivés au pouvoir, à développer ses relations avec la Russie. Alors que le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud al-Fayçal [décédé le 9 juillet 2015, NdT], persistait dans ses attaques contre la Russie au Sommet de la Ligue arabe paralysée, les responsables des deux pays discutaient des transactions d’armes, du marché pétrolier, et d’autres dossiers plus secondaires.

 

Et si Moscou a exprimé des réserves au sujet de la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies en faveur de l’intervention de l’Arabie saoudite au Yémen [4], elle n’a pas utilisé son droit de veto. C’était là un message très clair suggérant que Moscou se préparait à jouer ultérieurement le rôle de médiateur.

 

Riyad attend du Kremlin qu’il le tire du piège dans lequel il s’est enfoncé, surtout que DAECH la menace directement depuis que cette organisation terroriste est devenue quasi-indépendante de ses créateurs et de ses financiers.

 

De son côté, la Russie a besoin de l’Arabie saoudite dans trois domaines clés : stopper l’infiltration des terroristes-wahhabites dans les républiques musulmanes de la Fédération de Russie, réguler le marché du pétrole, et résoudre la crise syrienne ; ce dernier point nous ramenant vers la Syrie.

 

En effet, dans ce cas, la Syrie sortirait de cette guerre douloureuse pour se retrouver :

 mandatée par la communauté internationale et régionale à combattre le terrorisme, un rôle de première importance en ce moment clé de l’évolution de la région et du monde ;

 

 alliée des pays vainqueurs émergents, de la Chine à la Russie et à l’Iran ;

 un pôle d’investissements des pays du BRICS pour sa reconstruction et son développement ;

 protégée par une armée forte, aguerrie et équipée des dernières technologies ;

 pilier du renouvellement des régimes arabes, l’Arabie saoudite ayant reconnu la victoire de Bachar al-Assad, l’Egypte ayant admis qu’elle en a besoin pour retrouver son statut dans la région.

 

Quant aux pays et formations politiques du camp de l’Arabie saoudite :

 Israël se retrouve entre deux choix : faire face à la Résistance dans le Golan ou se retirer sans accord, ni traité, ni ambassade, comme ce fut le cas dans le sud du Liban.

 

 Les partis palestiniens partagés entre coordination sécuritaire avec Israël en Palestine, et coordination sécuritaire et militaire avec l’Arabie saoudite au Yémen [le Hamas appelé à la rescousse au Yémen par l’Arabie saoudite ; NdT], sont dépassés, tout autant que le parti des Frères Musulmans. Désormais, Damas avec le Hezbollah sont les plus aptes à reconstruire la Résistance palestinienne selon une ligne politique et patriote éloignée des alliances suspectes et des partis sectaires.

 

 Le cas de la Jordanie, considérée par Bachar al-Assad comme un état frère instrumentalisé mais dont il faut soutenir la stabilité, sera réglé dès qu’une entente avec Washington et Riyad aura abouti. Et, partant de là, il n’est pas difficile d’imaginer son évaluation du groupe du 14 Mars au Liban.

 

Reste à espérer toute la patience nécessaire à l’ambassadeur syrien au Liban, Ali Abdel Karim Ali, pour accueillir le cortège des repentis.

 

Nahed Hattar 
> 21/05/2015

Source : Al-Akhbar [Liban]
> http://www.al-akhbar.com/node/238165

Article traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Notes :

[1] Napoléon d’Arabie, Vladimir et François
> http://hybel.blogspot.fr/2015/06/napoleon-darabie-vladimir-et-francois.html

[2] Poutine promet de soutenir Damas, même militairement
> http://www.challenges.fr/monde/20150629.CHA7387/poutine-promet-de-soutenir-damas-meme-militairement.html

[3] Conférence de presse conjointe de MM Lavrov et Mouallem
> https://www.youtube.com/watch ?v=kPeru323F4s&feature=youtu.be

[4] Résolution 2216 (2015) Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 7426e séance, le 14 avril 2015
> http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp ?symbol=S/RES/2216%282015%29

Monsieur Nahed Hattar est un écrivain et journaliste jordanien résidant à Amman.

 

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