Protection et gestion de l'environnement
L’ENCYCLIQUE « LAUDATO SI » (2015)
LA DECLARATION DE COCOYOC (1974)
MÊME CONSTAT, MÊME COMBAT.
Le MS21 se réclame de l'expérience des pays d'Amérique latine (Équateur, Bolivie, Venezuela) dans leur lutte contre le néo-libéralisme, la finance, la technocratie, contre l'explosion des inégalités, contre la dégradation environnementale et sociale qui prend à présent une dimension planétaire. L'un des meilleurs ambassadeurs actuels du discours anticapitaliste, écouté par les médias dominants, se trouve être aujourd'hui le chef de l’Église catholique, premier pape non européen depuis 13 siècles, issu de cette Amérique latine qui l'a vu naître.
Le Vatican a un statut d’Etat observateur à l’ONU depuis 1964. C’est à ce titre que le Pape lors de l'Assemblée générale des Nations Unies (ONU), à l'occasion du lancement des Objectifs du millénaire pour le développement, plaidera le 25 septembre très probablement pour une écologie intégrale, liant l'humain et l'environnement. L'encyclique du Pape François sur l'écologie, Laudato Si, appelle à un autre système économique, celui que nous connaissons se révèle délétère pour l'homme et la planète. Voici donc un pape qui s’adresse à tous, croyants et non croyants, qui assure qu'un autre monde est possible, ici-bas et maintenant. « Tout est lié » souligne-t-il : la pauvreté et l'exclusion, la dictature du court-terme, le productivisme et le consumérisme, la culture du déchet, le réchauffement climatique, la destruction de la biodiversité, l'eau potable, droit humain primordial, transformée en marchandise soumise aux lois du marché.
Quarante et un ans séparent l’intervention du Pape aux Nations Unies de l’un des textes les plus fondamentaux traitant de ce sujet. Il s'agit de la Déclaration de Cocoyoc, texte enterré délibérément par les gouvernements des pays riches de l'époque et qui fait partie des documents rayés de l’histoire officielle des Nations-Unies. Le MS21 tient à faire reconnaître l’actualité de ce texte essentiel qui fait partie de ses fondamentaux.
La Déclaration de Cocoyoc du 23 octobre 1974 est un texte radical sur le développement et la nécessité de protéger l’environnement. Il a été rédigé dans la suite de la Conférence mondiale sur l'environnement de Stockholm de 1972 et résulte des travaux d'un colloque qui s'est tenu à Cocoyoc au Mexique portant sur « l’utilisation des ressources, de l’environnement et des stratégies de développement ». La similitude des réflexions à 40 ans de distance est frappante.
La Déclaration de Cocoyoc porte la voix des pays en développement et des pauvres et aspire à un nouvel ordre économique mondial. La déclaration finale est un réquisitoire contre les politiques occidentales en général et des États-Unis en particulier. Voici quelques points clés de cette Déclaration :
Pauvreté : « les affamés, les « sans-abri » et les illettrés sont plus nombreux aujourd’hui que lorsque les Nations Unies ont été créées »
Ordre colonial : les rapports de force de « cinq siècles de contrôle colonial qui a massivement concentré le pouvoir économique entre les mains d’un petit groupe de nations » n’ont pas été modifiés.
Richesses : le problème n’est pas lié à un manque de richesses produites, mais à une « mauvaise répartition et un mauvais usage ».
Croissance : « un processus de croissance qui bénéficie seulement à une très petite minorité et qui maintient ou accroît les disparités entre pays et à l’intérieur des pays n’est pas du développement, c’est de l’exploitation ». « Par conséquent, nous rejetons l’idée de la croissance d’abord et d’une juste répartition des richesses ensuite ».
Economie de marché : « les solutions à ces problèmes ne peuvent provenir de l'auto-régulation par les mécanismes de marché »
Pauvreté et dégradation de l’environnement : ce n’est pas la pauvreté qui est désignée comme responsable de la dégradation de l’environnement, mais les relations économiques inéquitables et le prix dérisoire des matières premières sur les marchés, c’est à dire une pauvreté organisée par les classes dirigeantes.
Gestion environnementale des biens communs : permettre l’autonomie des nations sans tomber dans l’autarcie. Nul besoin d’une « aide » des pays riches, mais le paiement au juste prix des matières premières.
La Déclaration de Cocoyoc impressionne autant par la justesse de l’analyse que par les perspectives politiques qu’elle dessine. La radicalité du texte fut analysée par les pays occidentaux comme une véritable provocation. Deux points furent jugés inacceptables : la critique du mode de vie occidental et le refus d’un monde centré sur les pays développés. Les États-Unis, par l’intermédiaire d’un long télégramme adressé par le Secrétaire d’État Henry Kissinger au Secrétaire général des Nations Unies, rejeta l’intégralité du texte.
La Déclaration de Cocoyoc est un texte fondateur à redécouvrir pour la protection et la gestion de l’environnement. Il est le seul texte international sur l’environnement à vouloir rompre avec l’ordre économique mondial dominant. Il résonne à trois mois de la Conférence Climat de Paris (COP21) où déjà le Président François Hollande, dans sa conférence de presse du 7 septembre, fait mine de s'interroger sur les risques d'échec de cette conférence alors que tout indique qu'il n'en sortira rien ou si peu de choses, ni engagement concret et contraignant pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, ni financement ferme pour l'aide aux pays pauvres alors qu'un engagement de 100 milliards de dollars par an avait été pris lors de la Conférence de Copenhague en 2007.
La solution à la crise écologique ne peut se trouver auprès des dirigeants politiques inféodés à un système économique destructeur. Il s'agit de rompre avec une économie où les questions de l'éthique, du bien commun sont exclues par la fiction de la « main invisible » censée réguler le marché et ses conséquences environnementales et sociales. La solution politique se trouve au niveau des peuples et non plus des élites égarées par la logique d'un système qui conduit à terme à un effondrement de nos sociétés.
Repenser nos sociétés conduit donc à reformuler les bases de leur fonctionnement : la remise en cause d'une économie basée uniquement sur les lois de la concurrence, la libre circulation des capitaux, le libre-échange commercial, la nécessité de retrouver une souveraineté monétaire, la possibilité de faire des choix, ce qui pose la question de la démocratie et du respect de la souveraineté nationale et populaire. Cette souveraineté est à présent ouvertement désavouée et bafouée. Comme le souligne Roland Gori, initiateur de l'Appel des appels, « la crise grecque met en lumière jusqu'à l'obscénité la mise sous curatelle technico-financière des peuples et des nations », se référant ainsi au propos laconique et terrible de J.Cl. Juncker, Président de la Commission européenne « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». Retrouver la démocratie demande de se réapproprier des espaces de parole, de débats et de discussion, en finir avec les formes dégénérées que sont la démocratie du spectacle et la démocratie de l'expertise. C'est donc bien tout l'édifice institutionnel et politique de l'Union européenne qui doit être remis en cause pour se libérer du jeu des économies financiarisées. Celle-ci s'est construite autour des seules idées de concurrence, de compétitivité, de libre-échange qui ont pour vocation de supprimer la souveraineté des peuples. La crise grecque confirme ce que nombre d'économistes, de militants et de citoyens répètent depuis des années, l'Union européenne n'est pas réformable de l'intérieur, la seule option qui reste est d'en sortir.
Pour en savoir plus :
A. Bernier 2012 Comment la mondialisation a tué l'écologie. Ed. Mille et Une Nuits. [Dans cet ouvrage le lecteur peut retrouver l’intégralité de la Déclaration de Cocoyoc en version française].
J.M. Dumay 2015 Le pape contre le « fumier du diable ». Le Monde Diplomatique, septembre 2015
R. Gori 2015 « Il faut redonner au politique toute sa place désertée » , entretien dans L'Humanité du 4,5 et 6 septembre 2015 et L'individu ingouvernable. Ed. Les Liens qui libèrent
Pape François 2015. Loué sois-tu (Laudato Si). Lettre encyclique sur la maison commune, disponible chez plusieurs éditeurs (Bayard, Cerf, Artège, Salvator), téléchargeable sur Internet (www.vatican.va)