Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les dix casseroles de Vinci, bétonneur de Notre-Dame-des-Landes

par Tiffany Blandin (Reporterre)

 

Il est le deuxième groupe de BTP au monde. Et champion français du béton, concessionnaire d’autoroutes, de parkings, de stades, d’aéroports. Il veut saccager la zone humide de Notre-Dame-des-Landes. Mais Vinci, c’est aussi une liste, non exhaustive, de dossiers destructeurs de l’environnement. Et de juteux arrangements financiers.

Vinci : cinq lettres, un géant peu connu, le promoteur du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Aéroports du Grand Ouest (AGO), filiale du groupe et concessionnaire du site, a demandé à la justice l’expulsion immédiate des habitants historiques de la zone, qui refusent de quitter leurs terres. Le tribunal de Nantes a approuvé les expulsions lundi 25 janvier. L’éviction par Vinci de ces opposants permettrait le début des travaux de cette infrastructure très controversée.

Mais qui connaît vraiment Vinci ? À Reporterre, nous avons eu envie de dresser un portrait du premier groupe de construction français. Qui est aussi le deuxième acteur du BTP (bâtiments et travaux publics) dans le monde, avec 38,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Réparties dans une centaine de pays, plus de 185.000 personnes sont salariées par ce mastodonte.

Quand l’État français décide de confier la construction et la concession de grands projets à une entreprise privée, la firme implantée à Rueil-Malmaison, près de Paris, remporte souvent le contrat. Elle gère ainsi 4.386 kilomètres d’autoroutes, de nombreux parkings souterrains, des stades, et même l’éclairage public de certaines communes. Le groupe se développe aussi à l’étranger. Un des principaux axes de sa stratégie est de se développer dans les aéroports, à l’étranger - et en France. Il en exploite 33. Pour connaître le détail des activités de Vinci, c’est par ici.

Mais il y a évidemment un revers à la médaille. Bulldozers et pelleteuses massacrant l’environnement, soupçons autour de l’attribution des marchés, conditions de travail de ses salariés. Voici la liste, non exhaustive, des casseroles du géant du BTP.


1. La LGV entre Tours et Bordeaux : désastre commercial et environnemental

Quand les patrons de Vinci veulent en imposer devant un futur client, parions qu’ils parlent de la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux. En quatre ans, le groupe a bâti 340 kilomètres de voies nouvelles, érigé 500 ponts et ouvrages d’art, déplacé 60 millions de mètres cubes de terre. Liséa, le consortium mené par Vinci chargé de l’exploitation de la ligne, a d’ailleurs publié une vidéo sur internet dont le titre en dit long sur la fierté que représentent ces travaux pour le groupe : « Embarquez pour le survol du chantier en full HD ! ». Filmé à l’aide d’un drone, cette vidéo de 24 minutes et 40 secondes sur fond de musique pop montre l’ampleur du chantier... et des dégâts sur l’environnement.

Tout à leur émerveillement, les dirigeants n’ont pas vu arriver la catastrophe commerciale. Vu les sommes investies par Vinci, le péage payé par la SNCF sur l’axe Paris-Bordeaux va beaucoup augmenter. Pour faire des économies, le groupe ferroviaire va programmer en moyenne 16,5 allers-retours quotidiens, soit une dizaine de moins que prévus initialement, et privilégier les trains directs pour ne pas diminuer l’attrait commercial de la ligne. Du coup, non seulement Vinci aura moins de recettes que prévu, mais en plus, plusieurs élus ont décidé de suspendre leur financement après s’être rendus compte que le TGV allait bien passer chez eux, mais sans s’arrêter.

2. Des expropriations à moindre coût pour le grand stade de Lyon

JPEG - 65.4 ko
Sur le chantier de construction du grand stade de l’Olympique lyonnais, début 2014.

Un grand stade, le siège de l’Olympique lyonnais (OL), deux hôtels de luxe, un centre de loisirs, et 7.000 places de stationnement. Ce Disneyland du foot business, c’est le rêve de Jean-Michel Aulas, le président de l’OL, et une aubaine pour Vinci, qui doit recevoir autour de 400 millions d’euros pour réaliser ces travaux.

Mais les Lyonnais ne voient pas très bien l’utilité d’un tel projet immobilier qui mange 160 hectares de champs en bordure de l’agglomération. Quant aux riverains du futur complexe, ils ont essayé de tout faire capoter. Ces rabat-joie ont réussi à faire annuler cinq déclarations d’utilité publique concernant les accès au stade. Motif ? Leurs terres ont été rachetées 1 euro le mètre carré, parce qu’elles étaient classées en zone agricole. Étienne Tête, leur avocat, a réclamé qu’elles soient valorisées à 40 euros le mètre carré, parce qu’elles sont situées en zone périurbaine. Mais le Conseil d’État a cassé l’avis de la Cour administrative d’appel de Lyon. La fête peut continuer.

3. En Russie, des soupçons de corruption pour une autoroute

JPEG - 64 ko
Camp de résistance à Khimki en 2013

Il n’y a pas que les campagnes françaises que Vinci recouvre de béton. En Russie, la forêt de Khimki, qui servait de poumon vert à la région de Moscou, est aujourd’hui méconnaissable. Elle est maintenant traversée par une autoroute entourée de bâtiments sur plusieurs kilomètres de large.

Mais ce n’est pas le seul problème. En 2013, plusieurs associations, dont Sherpa, ont déposé une plainte contre Vinci concessions Russie pour infractions financières et corruption d’agents publics. Le groupe français est accusé de s’être associé à des partenaires liés à la mafia et au blanchiment d’argent pour obtenir la concession de l’autoroute, comme nous vous l’expliquions à l’époque de la plainte.

Aujourd’hui, une enquête préliminaire est en cours. « L’enquête est longue et difficile », confie William Bourdon, avocat et président de Sherpa à Reporterre. Mais pourquoi serait-ce si difficile si Vinci n’avait rien à se reprocher ?

4. Un plan pour les autoroutes très généreux

Quand on travaille pour le compte des pouvoirs publics, les négociations avec les décideurs prennent une place très importante. À ce jeu là, Vinci semble très fort. En tout cas, le groupe - comme les autres sociétés - a bien négocié lors du grand accord sur les autoroutes signé en septembre 2015 avec le gouvernement Valls.

Ce « plan de relance autoroutier » prévoit que les sociétés concessionnaires – Vinci est leur numéro un dans l’Hexagone – prennent en charge une vingtaine de chantiers de raccordements, d’élargissement ou d’aménagements d’autoroutes existantes, pour un montant de 3,27 milliards d’euros. En contrepartie, la durée de leurs concessions (et des recettes des péages) sera allongée de 2,5 ans en moyenne.

Nous avons demandé à Laurent Hecquet, le président du think tank Automobilité et avenir ce qu’il pensait de cet accord. « C’est simple, les sociétés vont empocher 1,2 milliard d’euros par année supplémentaire d’exploitation. Si l’on prend en compte l’évolution des recettes des péages, elles devraient gagner, grâce à cet accord, plus de 10 milliards d’euros. »

5. Le financement public-privé du stade contesté à Bordeaux

Le plan de financement du nouveau stade de Bordeaux est pour le moins complexe. C’est un partenariat public-privé, donc l’État et les collectivités locales paient une partie du projet, et la société SBA (Stade Bordeaux Atlantique) – filiale détenue à parts égales par Vinci et Fayat – en finance une autre. Jusque-là tout va bien. En plus, la municipalité va verser un « loyer » à SBA, qui va exploiter le stade. On suit toujours. La subtilité, c’est que, en plus du loyer, la ville doit rembourser à SBA les impôts locaux que la société devrait normalement lui verser... Là, on s’y perd un peu. C’est aussi le cas de Matthieu Rouveyre, un élu municipal PS qui a déposé un recours devant le Conseil d’État pour dénoncer le contenu de l’accord entre les sociétés de BTP et les pouvoirs publics. Il a en effet calculé que, entre le loyer et les « bons de remboursement », Bordeaux devrait verser 6,45 millions d’euros par an aux concessionnaires pendant 30 ans. Pour ceux qui n’auraient pas tout compris, le détail des explications ici.

6. Les conditions de travail des migrants au Qatar dénoncées

Semaines de 66 heures, 200 euros de salaire mensuel, logements indignes, manque de matériel de protection, confiscation des passeports... Voici à quoi ressemblerait le quotidien des travailleurs immigrés travaillant sur les chantiers d’une filiale de Vinci en vue de la future Coupe de monde de football au Qatar, d’après l’association Sherpa.

Cette dernière a déposé une plainte en mars 2015 pour travail forcé, réduction en servitude et recel contre Vinci construction et les dirigeants français de sa filiale qatarie, Qatari Diar Vinci construction. Elle s’appuie notamment sur un rapport de la Confédération syndicale internationale, qui est allé mener l’enquête sur place. À noter que, suite à cette plainte, Vinci poursuit Sherpa pour atteinte à la présomption d’innocence et diffamation. L’association, interrogée dans Libération, assure que « la procédure engagée par Vinci, que l’on appelle Slapp (Strategic Lawsuit Against Public Participation, ou poursuite-bâillon, en français), vise à entraver la dénonciation de faits par un individu ou un organisme à travers des menaces de poursuite ».

7. Le très contestable projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes

JPEG - 86 ko
Sur la ZAD de Notre Dame des Landes, en juillet 2014

Vinci a obtenu en janvier 2011 la concession du terrain où doit être construit l’aéroport du Grand-Ouest. C’est bien sûr un pur hasard si le préfet de Loire-Atlantique au moment de la rédaction de l’appel d’offres, Bernard Hagelsteen, travaille maintenant chez Vinci Autoroutes. Depuis, le groupe de BTP orchestre les propositions de rachat puis les expulsions des riverains. Les procédures, visant onze familles habitant sur le site, avaient été stoppées par Vinci le 10 décembre dernier, trois jours avant le second tour des élections régionales. Elles ont depuis repris et, le 25 janvier 2016, le tribunal de grande instance de Nantes a autorisé les expulsions.

Rappelons en forme de litote que la question de la légitimité de cet aéroport se pose. Comme Reporterre le rappelait début janvier, les calculs qui ont permis de chiffrer son avantage économique sont introuvables. Or, ces données ont été déterminantes dans la déclaration d’utilité publique de l’infrastructure. Si elles étaient caduques, le projet n’aurait plus lieu d’être.

8. Une route du littoral au prix démentiel à La Réunion

JPEG - 108.9 ko
Vue numérique du projet d’autoroute à La Réunion par le cabinet d’architectes Lavigne Cheron.

Une deux fois trois voies sur pilotis au dessus de la mer. Ce projet d’autoroute à La Réunion fait certainement fantasmer les ingénieurs de Vinci et de Bouygues, les deux groupes choisis pour réaliser une bonne partie des travaux. Mais la « nouvelle route du littoral » est une catastrophe pour l’environnement, doublée d’une aberration économique. La réalisation de ces 12,5 kilomètres de route, entre Saint-Denis et Le Port, doivent coûter 1,66 milliard d’euros, soit 138 millions d’euros le kilomètre. Du jamais vu, dans la mesure où un kilomètre de route coûte en moyenne 6,2 millions d’euros.

Cerise sur le gâteau, une enquête portant sur l’attribution des marchés a été ouverte après une dénonciation anonyme pour malversations. Une quinzaine de perquisitions ont été menées en octobre dernier au domicile de Didier Robert, le président du conseil régional de La Réunion, au siège du conseil régional ainsi qu’au siège du groupement Vinci-Bouygues à La Réunion.

9. Le grand contournement inutile de Strasbourg

JPEG - 92.1 ko
Opposition au projet d’autoroute GCO (grand contournement Ouest) de Strasbourg.

« À Strasbourg, tout le monde sait que le grand contournement Ouest est inutile », lance Marie Marty, secrétaire régionale d’Alsace nature. Tellement inutile que ce grand projet, censé désengorger le trafic routier de l’autoroute A 35, a été abandonné en juin 2012. Motif invoqué, Vinci aurait eu du mal à boucler le financement. De plus, à l’époque, les élus socialistes ont pris position contre le projet.

Mais, dès la rentrée 2012, la Chambre de commerce et d’industrie du Bas-Rhin est partie en croisade pour ressusciter le "contournement", avec par exemple la création d’un blog au titre pas franchement équivoque : GCO 2016, tous gagnants. Fin 2013, le projet est ressorti des placards, dans une version un peu édulcorée : deux fois deux voies au lieu de trois dans sa version initiale. Et en octobre 2015, le gouvernement Valls - dont le conseiller aux transports, Loïc Rocard, est un ancien de Vinci - a choisi... Vinci.

Les opposants n’en reviennent pas. « Sans parler des dégâts environnementaux ou des dépenses inutiles, l’opacité qui entoure le projet est anormale. Par exemple, le contrat de concession qui lie Vinci à la communauté urbaine de Strasbourg est top secret. »

10. Les juteuses opérations boursières de ses dirigeants

JPEG - 18.7 ko
Xavier Huillard, PDG de Vinci

Début 2013, Reporterre avait démontré que Xavier Huillard, le PDG de Vinci, avait touché 2,1 millions d’euros grâce au mécanisme des stock-options. Nous nous sommes demandés si, depuis, tandis que les paysans sont menacés d’expulsion, que la justice enquête sur l’attribution des marchés publics en Russie ou à La Réunion, les dirigeants du groupe continuaient leurs activités boursières. Nous nous sommes rendus sur le site de l’Autorité des marchés financiers (AMF), qui publie les opérations des grands dirigeants sur les actions de leur propre entreprise. Nous avons noté précisément tous les achats et les ventes des actions de la direction de Vinci. Grâce à ses stock-options, un dirigeant peut en effet acheter des actions à un cours défini à l’avance, inférieur au prix du marché. En les revendant au prix du marché quand le cours est haut, il empoche la différence.

Après de savants calculs (la méthode est expliquée ici), il s’avère que Xavier Huillard s’est assagi depuis ses exploits de 2012. Entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2015, ses achats et ventes d’action ne lui ont rapporté « que » 869.942 euros. Rassurez-vous, il a quand même récupéré quelque 12.500 actions à tarif préférentiel, qui pourraient, si le cours se maintient à 60 euros, lui faire gagner 750.000 euros. Quant à Christian Labeyrie, le directeur financier du groupe, il n’a pas chômé pendant cette même période. Il a réalisé pas moins de 35 opérations, lui permettant de s’enrichir de 2.999.370 euros. Bon, d’accord c’est son métier, mais quand même...


Source : Tiffany Blandin pour Reporterre

Dessin : © Tommy/Reporterre

Photos :
. Chantier LGV Tours Bordeaux : capture d’écran vidéo Vinci Flickr (patrick janicek/CC BY 2.0)
. Grue : © Sophie Chapelle.
. La Réunion : Lavigne Cheron
. Notre Dame des Landes : © Hervé Kempf/Reporterre
. Strasbourg : © Gaspard Glanz

 
 
Lien permanent Catégories : Économie, France, Social 0 commentaire

Les commentaires sont fermés.