Les Sans Terre du Brésil construisent une nouvelle école au Venezuela
T.D. – Celia, Edson, quel bilan faites-vous de l’accord qui lie les Sans Terre du Brésil au gouvernement vénézuélien ?
Edson Marcos – Nous sommes ici depuis dix ans. Dix ans de multiples activités. Tous les Sans Terre venus du Brésil pour travailler dans le cadre de cet accord ont beaucoup, beaucoup appris. Aujourd’hui nous sommes en train de construire une école de formation sociopolitique et technique, agroécologique, provisoirement baptisée « Caquetios » comme l’Unité de Production Agricole où elle est basée. Nous disposons de terres productives. Les chambres, le réfectoire son quasi prêts, il manque encore quelques détails, mais nous démarrerons bientôt avec une capacité d’hébergement de soixante personnes par formation.
Celia Rodrigues – Nous sommes présents ici avec toute notre volonté, toute notre mystique, pour apporter notre pierre à la construction de la révolution bolivarienne. « Caquetios » est un défi que nous devons relever avec l’ensemble du peuple vénézuélien, de ses collectifs. L’objectif est de fortifier le mouvement populaire, les communes et en particulier le mouvement paysan du Venezuela.
T.D. – C’est le Ministère des Communes qui soutient le projet ?
Edson Marcos – Oui mais nous sommes aussi soutenus par celui de l’Agriculture et des Terres, et par celui de l’Agriculture Urbaine. En fait, nous avons des relations avec l’ensemble du gouvernement : nous envisageons un accord avec le Ministère de l’Éducation et avec celui de l’Enseignement Supérieur pour réunir des enseignants, des techniciens qui pourront apporter d’autres contenus a l’école.
Celia Rodrigues – Quand nous parlons d’institution au Brésil et au Venezuela, nous parlons de deux choses différentes ! Car ici a lieu une révolution, malgré toutes les contradictions qu’elle porte. Nous comprenons que nous devons agir autant dans le champ institutionnel que dans le champ de notre autonomie sociale. Nous sommes des alliés du gouvernement bolivarien mais nous ne sommes pas « gouvernementalistes ». Et l’institution est claire aussi sur ce point : notre autonomie est respectée.
T.D. – Dans cette école, les étudiants pourront produire leur propre alimentation ?
Edson Marcos – L’idée est de garder le maximum d’autonomie en matière d’alimentation, d’où cette intégration des étudiant(e)s au travail de la terre, ce qui leur permettra aussi d’expérimenter la production de semences. Nous avons créé une fondation, le gouvernement nous appuie dans l’infrastructure pour inviter les étudiants et pour planifier la mise en culture de cette grande étendue de terres autour de l’école.
T.D. – Vous avez déjà réussi à sauver un maïs indigène…
Edson Marcos – Oui, il y a un peu plus d’un an, nous sommes tombés sur ce maïs du type « guanape », qui avait pratiquement disparu du pays. Nous avons semé six quintaux de cette variété excellente, très productive et très résistante, ici et dans une plantation à 40 km d’ici. Nous sommes en train de récolter les grains, nous en avons déjà envoyé dans d’autres lieux du pays. Nous produisons d’autres semences agroécologiques : coriandre, aubergine, pois cajan, salade, choux, navets, et d’autres légumes.
T.D. – Cette école sera une plate-forme ouverte à tout type de formation proposée par les mouvements sociaux: de l’agroécologie au théâtre populaire…
Edson Marcos – En effet. Nous somme dans la phase d’administration, de penser la stratégie politique de l’espace, avec une planification ouverte à tous ceux qui veulent venir suivre ou donner des cours ici. Ce sont ces différentes formations qui vont faire croitre le projet. Notre tâche, ici, est transitoire, nous n’allons pas demeurer ici indéfiniment. Nous allons former une équipe vénézuélienne pour assumer la coordination de l’école, avec nous au début, puis elle-même, totalement.
Celia Rodrigues – L’école doit remplir sa fonction sociale d’échange
de connaissances pour nos organisations, y compris pour les militants de la Brigade des Sans Terre au Venezuela, nous espérons que tous ceux qui passent par ici gardent une impression aussi positive que les étudiant(e)s de notre Ecole Nationale Florestan Fernandes (au Brésil, NdT). Que tous sachent qu’ici ils peuvent apprendre quelque chose, et que nous, brésiliens, voulons apprendre aussi.
T.D. – Au Brésil, les Travailleurs Ruraux Sans terre sont le mouvement social le plus mobilisé contre un coup d’État qui est aussi médiatique…
Edson Marcos – Dans la dernière période du gouvernement progressiste, de Lula a Dilma, le Mouvement des Sans Terre s’en est tenu plus ou moins à sa position d’autonomie et nous avons parfois exprimé de dures critiques sur sa politique. Mais la priorité du moment est de le défendre. Dès le coup d’Etat, nous sommes descendus dans la rue pour défendre ce gouvernement, non pour ses erreurs mais pour ses réussites. Les gains pour les travailleurs et pour les plus pauvres ont été très importants. Le retour au néo-libéralisme, pour nous, constitue une très forte régression. Aujourd’hui de nombreux citoyens et mouvements ont rejoint le « Front Populaire » pour mener la lutte. 100 % des médias brésiliens appartiennent aux grandes corporations. Qui paie l’orchestre choisit la musique : les contenus, les éditoriaux, sont en faveur du coup d’Etat et cherchent à désorganiser le monde du travail. La situation est très dure car nous n’avons pas réellement de médias alternatifs pour toucher l’ensemble des citoyens. Reste le travail de base comme outil principal pour diffuser la contre-information.
Entretien : Thierry Deronne. Photos : T. D. et Brigade Apolonio de Carvalho.
URL de cet article : http://wp.me/p2ahp2-2ew