La France, sponsor des terroristes? De l’esclavage au néocolonialisme, « Y’a bon la françafrique ! » (9/10)
La France en guerre contre le terrorisme? Un coup d’oeil dans le rétroviseur nous rappelle qu’elle n’a rien à envier aux méthodes de ceux qu’elle prétend combattre. Plus inquiétant, le présent n’apparaît pas vraiment plus réjouissant…
Il n’est lieu pas de revenir ici sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, dont l’Europe capitaliste a largement profité pour enrichir sa classe bourgeoise de manière éhontée au fil des siècles. Ces périodes sont largement documentées, et les crimes commis par « les grandes puissances » colonisatrices font l’objet de maints rapports, livres, articles, études et documentaires, auxquels le lecteur intéressé pourra se référer le cas échéant.
De l’époque la plus récente, on rappellera à titre illustratif le massacre de Thiaroye le 1er décembre 1944, qui fit 70 morts[1]. Cette répression sanglante a été menée par l’armée française pour mater des tirailleurs sénégalais dont le seul crime était de réclamer leur solde. On rappellera encore les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en mai 1945, contre des militants nationalistes qui manifestaient pacifiquement contre le colonialisme français. Ces massacres firent entre 3000 et 8000 morts. Ces crimes d’État sont d’autant plus abjects qu’ils ont servi à mater des militants de l’indépendance au moment même où la France, elle, célébrait sa « libération » de l’occupation nazie.
Dans son livre Massacres coloniaux 1944-1950 : la IV République et la mise au pas des colonies françaises[2], Yves Bonot expose les crimes et les massacres de civils opérés par l’armée française contre des militants indépendantistes, depuis le massacre de Rabat-Fès en 1944, à ceux de Côte-d’Ivoire en 1949-1950, en passant par les massacres de Sétif (1945), Haiphong (1946), Casablanca (1947) et Madagascar (1947). En tout, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont morts sur l’autel de l’Empire colonial français. Des dizaines de milliers de civils assassinés pour avoir eu le courage et l’audace de revendiquer leur liberté et de lutter pour leur indépendance.
Il faut y ajouter les 44.282 Algériens qui ont été arrêtés en France pendant la durée du conflit[3], et les milliers de prisonniers algériens immigrés en France qui ont été enfermés dans des camps d’internement. Selon l’historien Benjamin Stora, « entre 1957 et 1962, on peut estimer à environ 10.000 le nombre d’Algériens qui, après avoir été jugés, ont passé entre un et deux ans dans les camps en France[4] ».
N’oublions pas non plus le dernier massacre colonial commis sur le sol hexagonal : le 17 octobre 1961 à Paris, à quelques mois de l’indépendance de l’Algérie, la police française a réprimé dans le sang une manifestation pacifique d’algériens qui protestaient contre le couvre-feu imposé aux seuls Nord-africains. La répression française fit alors plusieurs dizaines de morts, plusieurs centaines de blessés et une centaine de disparus. La répression fut dirigée par le préfet de police Maurice Papon, qui avait collaboré avec le régime nazi et participé au génocide des juifs lorsqu’il était secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944.
A nouveau le 8 février 1962, une manifestation contre l’OAS est réprimée par la police (toujours dirigée par Papon) et fait neuf morts (événement connu sous le nom de « l’affaire de la station de métro Charonne »). Pour couvrir les violences policières, une loi est votée en 1966 amnistiant les infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie, notamment « les infractions commises entre le 1er novembre 1954 et le 3 juillet 1962 dans le cadre d’opérations de police administrative ou judiciaire »[5].
Il semble utile de rappeler que la colonisation et les exactions qui l’accompagnent n’ont pas pris fin lors de la « vague » des indépendances des années 1960. En effet, à peine la décolonisation entamée que naissait sur les ruines encore fumantes de l’édifice colonial son fils légitime, monstrueux et vorace : le néocolonialisme.
Là aussi, nous nous abstiendrons de dresser une liste exhaustive des nombreux crimes commis dans le cadre de la « Françafrique[6] ». Nous orientons le lecteur assidu vers les ouvrages de François-Xavier Verschave et les publications de l’association Survie, qui œuvre depuis plus de trente ans à dévoiler les intérêts de la France en Afrique : affaire Elf, génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, interventions militaires en Côte d’Ivoire, au Mali et en Centrafrique, activités des multinationales françaises, etc. Cette politique néo-coloniale est fondée sur des réseaux d’influence de type mafieux composés d’industriels, de politiques et de militaires. Les intérêts de l’État français se mêlent dangereusement aux intérêts des entreprises françaises privées (Total, Aréva, Vinci, Bolloré, Castel…), au service d’une politique économique qui ne fait aucun cadeau. Jean-Louis Castelnau, le Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique, ne s’en cache aucunement : « Faut-il encore investir en Afrique ? Bien sûr ! Nous ne sommes pas des sociétés de bienfaisance. Si nous ne trouvions pas notre compte en Afrique, nous n’y serions plus. D’ailleurs, les grands groupes sont toujours présents sur ce continent[7]. »
L’association Survie rappelle d’ailleurs que « le pillage des matières premières africaines et la commercialisation de produits transformés étaient au cœur du processus colonial[8] ». La prédation des ressources africaines (pétrole, gaz, or, argent, diamant, cuivre, coltan, uranium, platine, manganèse, cacao, café, caoutchouc, coton, huile de palme…) n’est rien d’autre que la continuité de la politique étrangère de la France à la fin du XIXè siècle qui visait à exporter ses capitaux dans ses nouvelles colonies. C’est ce qu’expliquait Jules Ferry, président du Conseil, en 1885 (année de la Conférence de Berlin) : « Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux (…). La politique coloniale est fille de la politique industrielle. L’Europe peut être considérée comme une maison de commerce qui voit décroître son chiffre d’affaires, car la consommation européenne est saturée.[9] »
Or, cette ponction continue du sous-sol africain, couplée à la corruption des dirigeants et à la main-mise de la France sur la monnaie commune (franc CFA), n’engendre que des désastres pour ces pays africains : paupérisation chronique, accroissement des inégalités, absence d’autonomie, perte de souveraineté alimentaire et énergétique, chômage des jeunes, tensions sociales et communautaires… Bref, le terreau parfait pour que se développe le terrorisme, qui plonge ses racines dans le désespoir d’une jeunesse sans avenir.
Mais la Terreur n’est pas seulement derrière nous, elle est à l’œuvre aujourd’hui même en France, et ce que certains nomment « terrorisme d’État » pourrait bien s’accentuer dans les années à venir. En février 2016, Amnesty International a publié un rapport sur la situation des droits humains dans le monde, et a épinglé la France pour sa politique liberticide menée au nom de la lutte contre le terrorisme. Les mesures concernant le « renforcement de la surveillance, blocages de sites internet, poursuites pour apologie du terrorisme, recours à des perquisitions et assignations à résidence sans contrôle du juge, interdictions de manifestations » sont des lois d’exception qui « ont porté atteinte de façon disproportionnée aux droits et libertés individuelles et ont parfois été mises en œuvre de façon discriminatoire[10] ». La gestion déplorable de la « crise des réfugiés », les conditions inhumaines de la « jungle » de Calais, les expulsions forcées, la répression policière, les arrestations arbitraires sous l’état d’urgence, et les accords de coopération avec des pays pratiquant la torture, ont définitivement fait entrer la France dans la liste des pays pratiquant le terrorisme d’État.
Source: Investig’Action
Notes:
[1] . Armelle MABON, « Sénégal : le camp de Thiaroye, part d’ombre de notre histoire. », Liberation.fr, 25 décembre 2012.
[2] . Yves BENOT, Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, éd. La Découverte, 2001.
[3] . Benjamin STORA, « Camps d’internement en métropole pour “suspects” algériens de La guerre d’Algérie in L’Histoire N° 140, janvier 1991 », Univ-paris13.fr, janvier 1991.
[4] . Idem.
[5] . « L’affaire du métro Charonne », Grand Larousse encyclopédique.
[6] . Néologisme popularisé par le livre de François-Xavier Verschave : La Françafrique, le plus long scandale de la République (1998). Le terme « Françafrique » désigne les relations qu’entretient la France avec ses anciennes colonies africaines, à travers des réseaux d’influence politiques, diplomatiques, économiques, militaires, et culturels.
[7] . « Les entreprises françaises en Afrique », Survie.org, 16 février 2010.
[8] . Idem.
[9] . Cité par Damien MILLET, L’Afrique sans dette, Syllepse, 2006, p. 29.
[10] . « 5 choses à savoir sur les droits humains en France », Amnesty.fr, 23 février 2016
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