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terrorisme

  • Propagande de guerre

    Par MS 21

    L’Histoire de l’humanité est - hélas - une succession de périodes de paix plus ou moins longues et de guerres plus ou moins destructrices, sur tous les continents depuis la nuit des temps... Comment les dirigeants, les gouvernements, arrivent-ils à faire admettre à leur peuple la nécessité de faire la guerre ?

     

    Il existe des méthodes maintenant bien connues qui permettent de conditionner les esprits, de les manipuler. Chomsky parle de la "fabrication du consentement" (1). Ces pratiques sont utilisées par les candidats pendant les campagnes électorales et ensuite par les gouvernements pour faire accepter des lois impopulaires. Mais la propagande de guerre revêt un caractère plus spécifique. Anne Morelli dans son ouvrage "Principes élémentaires de propagande de guerre" (2) a répertorié dix "commandements" utilisés régulièrement par tous les belligérants, avant, pendant et après les conflits.

    Personne ne veut la guerre

    Il importe que les gouvernements se présentent épris de paix et qu' ils proclament haut et fort qu'ils feront tout pour éviter un conflit. Les exemples ne manquent pas où les responsables politiques affirment leur intention de préserver la paix. Pendant la deuxième guerre contre l'Irak, Colin Powell affirme "Nous les Américains ne cherchons pas à faire la guerre. Nous la faisons avec répugnance". Von Ribbentrop - ministre de Hitler - déclare, en 1939 : "Le Führer ne veut pas la guerre. Il ne s'y résoudra qu'à contrecœur". Cette volonté de paix est un des let-motivs des déclarations de Hitler. Il affirme dans une lettre adressée à Edouard Daladier - Président du Conseil - [qu'il] " renonce à l'Alsace pour éliminer toute source de conflit entre nos deux peuples et éviter une nouvelle effusion de sang" .

    Alors malgré toutes ces bonnes intentions – annoncées- de préserver la paix pourquoi ces dirigeants engagent-ils leur pays dans une guerre ? Comment assument-ils ce revirement face à leur peuple ?

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  • « Terrorisme », une notion piégée


     

    Dans la foulée de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, le député Éric Ciotti (Les Républicains) regrettait : « Certains n’ont pas compris qu’on avait changé de monde et ne mesurent pas l’ampleur de la menace. Face à cette guerre, nous n’utilisons pas les armes de la guerre. » Ses recommandations : autorisation des procédures de rétention administrative, contrôles d’identité biométriques systématiques aux frontières… Bref, « changer de logiciel », « changer de paradigme » : « On est en guerre, utilisons les armes de la guerre. » Or, comment ne pas comprendre qu’en érigeant en combat politique, voire en guerre de civilisations, la répression d’organisations délictueuses dont les ressorts idéologiques ne sont ni uniques, ni même hégémoniques, on renforce leur pouvoir d’influence politique ?

     

    Depuis 1986 et l’adoption de la première loi dite « antiterroriste », l’arsenal répressif destiné à répondre au phénomène n’a pourtant cessé de s’étoffer. Au rythme d’une réforme tous les dix ans, puis tous les cinq ans et, désormais, tous les vingt-quatre mois (1). Chaque fois, il est question de défendre la démocratie contre le terrorisme, dont la plus grande victoire serait de nous voir renoncer à nos libertés publiques. Et, chaque fois, on assiste à leur érosion.

    À partir de la fin du XIXe siècle, le terme « terroriste » tend le plus souvent à disqualifier certaines formes d’opposition, plus ou moins violentes, aux pouvoirs en place. Il vise moins un comportement donné — et susceptible à ce titre d’une définition juridique rigoureuse — qu’une motivation spécifique, réelle ou supposée, dans la perpétration d’actes pouvant recevoir une qualification pénale. La qualification de terrorisme relève donc davantage du rapport de forces politique que de l’herméneutique juridique.

    Aucune convention internationale ne parvient à en proposer une véritable définition. Un flou d’autant plus regrettable que la répression des infractions considérées comme terroristes se traduit par un emballement coercitif à tous les stades du procès pénal. Pourquoi conserver une catégorie juridique aussi peu satisfaisante alors que la réponse pénale doit présenter un caractère exceptionnel et pondéré ?

     

    Risque d’arbitraire

     

    Dans une société démocratique, le législateur ne peut incriminer que les actes « nuisibles à la société (2)  ». Ce principe signifie que la pénalisation ne peut être envisagée qu’à une double condition : le comportement visé porte atteinte à la cohésion sociale ; les autres formes de régulation s’avèrent insuffisantes pour le sanctionner. De ce point de vue, les faits généralement poursuivis sous la qualification de terrorisme portent une atteinte à la cohésion sociale telle que la légitimité de leur incrimination ne souffre aucun doute.

    Mais ce principe de nécessité signifie également que l’on ne peut créer d’infraction si les faits visés font déjà l’objet d’une incrimination adéquate. Or la spécificité du terrorisme, tel qu’il est apparu dans notre droit il y a trente ans, est d’être en quelque sorte une infraction dérivée, se greffant sur des crimes et délits de droit commun dès lors qu’ils sont commis « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur (3)  ». Ainsi, c’est d’abord l’existence de faits, entre autres, d’assassinat, de destruction ou encore de séquestration qui doit être démontrée pour déterminer si l’infraction terroriste a été commise.

    Lors de l’adoption de la loi du 9 septembre 1986, le législateur a souligné que ces crimes et délits relevaient d’une catégorie particulière : ils impliquaient une organisation criminelle d’ampleur, appelant une réponse pénale adaptée, notamment d’un point de vue procédural. Il fallait en particulier permettre le regroupement des affaires au siège d’une juridiction unique — en l’occurrence, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris — et autoriser la prolongation de la garde à vue au-delà de la quarante-huitième heure dans des dossiers pouvant nécessiter un grand nombre d’investigations urgentes. Mais cette spécificité a disparu depuis que notre droit s’est doté, au terme d’un processus entamé dans les années 1980 et achevé avec la loi du 9 mars 2014, d’un régime d’enquête et d’instruction propre à la délinquance organisée.

    Si elles sont loin d’être au-dessus des critiques, ces dispositions permettent de répondre aux particularités des infractions dites terroristes, qu’il s’agisse de la spécialisation des juridictions ou du recours à des modes d’enquête dérogatoires au droit commun (4). Au demeurant, qu’est-ce en pratique qu’un acte de terrorisme — attentat, enlèvement ou atteinte aux biens — sinon un crime ou un délit commis en bande organisée (excluant, a priori, ceux que les médias qualifient de « loups solitaires ») ?

    Peut-être nous objectera-t-on que ce qui fonde la singularité du terrorisme réside dans la particulière gravité des faits incriminés. Pourtant, si l’on veut bien prendre quelque distance avec l’effet d’intimidation et de sidération propre à leur mise en scène, cet argument ne résiste guère à l’analyse. Qu’est-ce qui permet de considérer qu’un crime qualifié de terroriste porte davantage atteinte à la cohésion sociale qu’un crime mafieux, qui témoigne d’une hostilité aux fondements de l’État de droit au moins équivalente ? Pour prendre un exemple, peut-on sérieusement affirmer qu’un assassinat commis par fanatisme politique ou religieux est plus « nuisible à la société » qu’un assassinat commis par intérêt, par esprit de clan ou même par pur sadisme ?

    On nous opposera alors le caractère massif de certains actes terroristes, tels les attentats de New York en 2001, de Madrid en 2004 ou, plus récemment, de Tunis et de Paris en 2015, de Bruxelles, Istanbul, Bagdad et Nice rien qu’en 2016. C’est oublier qu’il existe pour de tels faits une qualification pénale infiniment plus précise et pertinente : celle de crime contre l’humanité. Le meurtre de dizaines, voire de centaines, de personnes au seul motif de leur appartenance à un État ou à un groupe « ennemi » peut aisément être qualifié d’atteinte volontaire à la vie commise « en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique (5)  ».

    En définitive, la seule raison d’être de l’infraction de terrorisme réside dans la prise en compte du mobile réel ou supposé de son auteur — à savoir la volonté de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Une incongruité juridique, dans la mesure où le mobile (6) est traditionnellement indifférent à la constitution de l’infraction : il n’apporte qu’un élément permettant d’apprécier sa gravité relative et, ainsi, de déterminer le choix de la sanction. Intégrer le mobile dans la définition d’une infraction, c’est abandonner sa détermination à une appréciation nécessairement subjective des autorités. Sauf à ce que l’auteur acquiesce sans difficultés aux motivations qu’on lui prête — des revendications officielles peuvent les exposer clairement —, leur caractérisation relève bien davantage de la conjecture que de la démonstration factuelle. En outre, définir la volonté profonde de l’individu suppose de prendre en compte des notions générales et, partant, malléables. Cela est particulièrement vrai s’agissant du terrorisme, dont la qualification suppose de démontrer chez la personne l’intention spécifique de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur — notion subjective s’il en est.

    Déterminer à partir de quand des infractions de droit commun usuelles comme les atteintes aux personnes ou, plus encore, les dégradations ou détériorations peuvent être considérées comme de nature à troubler gravement l’ordre public au point d’intimider ou de terroriser relève en dernière analyse du fait du prince. La marge d’appréciation est d’autant plus forte qu’il ne s’agit pas seulement de jauger la gravité relative du trouble à l’ordre public, mais aussi de déterminer si l’auteur des faits manifeste en outre une volonté d’intimidation. Elle peut devenir totalement démesurée dans l’hypothèse où les personnes sont poursuivies du chef d’« association de malfaiteurs terroriste (7) » pour avoir préparé un attentat sans parvenir à le commettre.

    En somme, la qualification de terrorisme résulte nécessairement d’un rapport de forces et d’une appréciation politiques, au terme desquels les pouvoirs en place l’appliquent de façon plus ou moins discrétionnaire à tel phénomène délictueux plutôt qu’à tel autre. D’un point de vue strictement juridique, rien ne justifie ainsi que l’appellation soit réservée à des attentats à l’explosif par un mouvement régionaliste plutôt qu’à la destruction méthodique de portiques de contrôle par des chauffeurs routiers, les deux actes pouvant être analysés comme destinés à intimider les pouvoirs publics en troublant l’ordre public. De la même façon, rien n’interdit, en l’état des textes répressifs, de voir l’infraction d’« association de malfaiteurs terroriste » utilisée pour poursuivre tel ou tel mouvement syndical ou politique par un gouvernement qui se révélerait peu soucieux de sa légitimité démocratique.

     

    Légitimer la répression en Égypte

     

    Même dans l’hypothèse où les personnes revendiquent sans ambiguïté une volonté de déstabilisation violente de l’ordre établi, l’arbitraire demeure. Car l’étiquette du terrorisme reste aussi un outil visant à disqualifier comme criminel un mouvement d’opposition politique, que sa violence soit réelle ou non. Les sabotages, destructions et autres exécutions de militaires allemands ou de miliciens commis par les résistants visaient à troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, afin de mettre un terme à l’Occupation. Ils furent, à ce titre, poursuivis comme faits de terrorisme par le régime de Vichy (8). Que cette qualification ne soit aujourd’hui plus retenue — ni même d’ailleurs envisageable — ne tient qu’à la légitimité donnée à ces actions dans une perspective historique.

    Il ne s’agit en aucun cas d’établir un lien quelconque entre les actions criminelles perpétrées par l’Organisation de l’État islamique (OEI) et les opérations de la Résistance, mais de souligner à quel point il est problématique d’utiliser, aujourd’hui encore, le même terme pour désigner les activités de groupuscules fanatiques et obscurantistes et l’action d’opposants politiques à des régimes autoritaires — comme cela est pratiqué notamment en Russie ou en Turquie. D’une certaine façon, l’inscription sur les listes des organisations terroristes recensées par les États-Unis ou l’Union européenne dépend du lien entretenu par ces puissances avec le régime combattu. Pour ne prendre qu’un exemple, aucune analyse juridique ne peut expliquer que la répression de ses opposants par le gouvernement égyptien soit tolérée au nom de la lutte antiterroriste quand celle menée en Syrie est condamnée comme criminelle.

    Bien sûr, l’accusation de terrorisme n’a plus, en France, pour fonction de criminaliser un mouvement d’opposition politique. Sa caractérisation suppose de démontrer l’existence de véritables infractions auxquelles on confère arbitrairement une gravité particulière et non, comme dans certains États, de simples activités perçues comme séditieuses (9). Ses ressorts relèvent en revanche de cette vieille forme de résistance à la mise en place effective du modèle pénal républicain qui s’observe depuis la réaction bonapartiste : l’excuse de « gravité ».

    En d’autres termes, l’importance du trouble à l’ordre social causé par l’infraction et l’émotion qu’il suscite sont mises, sinon en scène, du moins en avant pour justifier l’affaissement plus ou moins important de l’exigence de proportionnalité de la répression et, partant, des garanties du justiciable. En ce sens, la succession de modifications législatives de plus en plus rapide que nous connaissons depuis trente ans relève moins de la volonté d’affiner l’appréhension pénale du phénomène que de monter en épingle le péril terroriste pour justifier un accroissement démesuré des prérogatives des autorités répressives. Cette tendance se traduit par des mesures d’enquêtes particulièrement attentatoires aux libertés sans nécessité de démontrer l’existence d’une organisation criminelle, puisqu’il suffit de relever l’intention supposée de l’individu de « terroriser ». Elle se traduit également par un régime procédural plus coercitif encore, d’un point de vue tant judiciaire (10) qu’administratif (11).

     

    De vulgaires organisations criminelles

     

    Non que la réponse pénale aujourd’hui apportée aux infractions dites terroristes serait foncièrement inefficace, mais que son efficacité relative se construit en dépit des embûches de plus en plus sérieuses dressées sur son chemin par la notion même de terrorisme. D’abord, parce qu’on étend indéfiniment le champ du phénomène terroriste, notamment à des faits ne relevant en rien du crime organisé, tout en prétendant y apporter une même réponse. Ensuite parce que, paradoxalement, cette réponse contribue à un renforcement symbolique de ce qu’elle prétend combattre.

    À partir du moment où ce qui permet de retenir la qualification de terrorisme réside dans la volonté réelle ou supposée de l’auteur d’une infraction de droit commun de déstabiliser violemment l’ordre public, elle peut être potentiellement appliquée à un grand nombre de situations. Dans un domaine où l’autorité judiciaire se trouve particulièrement exposée aux pressions politiques ou médiatiques, le glissement d’une procédure de droit commun à une procédure terroriste peut se fonder sur des éléments ténus. Le simple fait pour une personne commettant une infraction comprise dans la liste de l’article 421-1 du code pénal — c’est-à-dire, par exemple, un vol ou encore des violences volontaires — de se revendiquer d’une idéologie considérée comme terroriste, voire même de la philosophie ou de la religion dont est issue cette idéologie, peut suffire à la faire basculer dans le régime d’exception.

    Les dernières réformes ont encore aggravé cette tendance. Ainsi, la loi du 13 novembre 2014 a introduit dans notre droit la singulière infraction d’« entreprise terroriste individuelle ». Supposée répondre à l’acte isolé de l’individu préparant seul un attentat, cette incrimination permet en réalité d’embrasser de très nombreux comportements, depuis le simple intérêt pour un fanatisme idéologique jusqu’à la préparation effective d’un assassinat. Là encore, l’extensivité du délit découle moins de la matérialité des actes préparatoires que de l’intention supposée de leur auteur. Il eût en effet été possible de n’incriminer que la préparation d’un attentat à l’explosif pour donner un fondement légal aux poursuites intentées — et ainsi aux mesures de contrainte prises au cours de l’enquête ou de l’information. Mais le législateur a préféré considérer comme terroriste, au même titre qu’un groupe criminel organisé, toute personne qui aura, en plus de rechercher des explosifs, consulté « habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne (…) provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie », ou encore « séjourné à l’étranger sur un théâtre d’opérations de groupements terroristes » (12).

    Au-delà de son arbitraire, une telle extension risque d’affaiblir l’efficacité de la réponse pénale, dans un contexte où la politique pénale vise prioritairement à poursuivre et à sanctionner les actes au stade de leur préparation. Elle conduit en effet à mobiliser l’attention des magistrats et des services d’enquête sur un nombre toujours plus grand de faits, depuis le projet abouti d’attentat jusqu’à la plus petite déclaration d’intention. Une dynamique qui épuise les moyens humains et logistiques disponibles. Sans compter que, si toute infraction est potentiellement terroriste, rien ne permet plus de distinguer ce qui mérite une attention particulière.

    On mesure dès lors tout l’intérêt d’un recentrage de la réponse pénale sur les faits susceptibles d’une qualification juridique plus rigoureuse. En poursuivant les actes aujourd’hui qualifiés de terroristes en tant que crimes ou délits commis en bande organisée, on éviterait tout risque d’extension abusive d’un régime procédural dérogatoire particulièrement répressif à des faits dont la constatation ou l’instruction ne le nécessitent nullement. Les qualifications d’assassinat, de destruction, de trafic d’armes ou encore de séquestration en bande organisée, ainsi que celle d’association de malfaiteurs en vue de leur préparation, permettraient aisément d’appréhender pénalement l’ensemble des actions « terroristes » en mettant en œuvre les mêmes modes d’investigation qu’aujourd’hui. En définitive, seule disparaîtrait la possibilité de prolonger la garde à vue de quarante-huit heures supplémentaires, mesure adoptée en 2006 sans aucune nécessité opérationnelle avérée et presque jamais utilisée depuis.

    En ce qui concerne la problématique de la compétence territoriale, rien n’interdirait de maintenir un pôle judiciaire unique pour les infractions dont la complexité ou l’ampleur nationale le justifieraient — si tant est que l’échelon interrégional soit jugé inadapté. S’agissant, enfin, des actes commis par des individus isolés, il serait loisible de conserver l’incrimination de préparation d’un attentat tout en renforçant le contrôle de la circulation des armes. Redéployer ainsi la réponse pénale permettrait non seulement d’éviter la dispersion des forces, mais également de ne plus contribuer au renforcement symbolique du phénomène.

    En matière de « terrorisme » peut-être plus qu’en toute autre, il se trouve toujours des voix pour justifier la démesure répressive au nom de son effet supposément dissuasif. Vieille rengaine directement héritée de la philosophie pénale de l’Ancien Régime qui ne résiste pas à l’analyse. Dans certains cas, la « terreur » au nom de laquelle on voudrait légitimer le surcroît de répression découle autant, sinon davantage, de la réaction aux actes incriminés que des actes en eux-mêmes. Souvent, c’est avant tout parce qu’une infraction est qualifiée de terroriste que, par le truchement de la caisse de résonance politico-médiatique qui accompagne généralement cet estampillage, elle en devient source d’intimidation, voire de terreur. Cela est particulièrement vrai, par exemple, dans le cas où l’auteur de l’acte est poursuivi du chef d’association de malfaiteurs. À partir du moment où le projet d’attentat n’a, par hypothèse, pu avoir lieu, la dramatisation plus ou moins orchestrée de ses conséquences putatives crée l’effet terroriste.

    Des actes aussi effroyables que le massacre de Nice ne peuvent que nous bouleverser profondément et durablement. Mais, même dans l’hypothèse où l’acte recèle en lui-même un potentiel d’intimidation des pouvoirs publics, le qualifier de « terroriste » ne contribue qu’à renforcer son pouvoir symbolique. D’abord, cela a mécaniquement pour effet de mettre sur le même plan la répression en France d’actes qui, même d’une gravité exceptionnelle, n’en demeurent pas moins délictueux et la répression d’opposants politiques pratiquée dans d’autres États sous couvert de la même qualification.

    Cette convergence pose d’autant plus problème qu’elle n’intervient pas seulement sur un plan sémantique, mais également sur le plan opérationnel. Le développement d’une coopération pénale menée au nom de la lutte antiterroriste s’accompagne d’un relâchement des exigences ordinairement manifestées à l’égard des autres États en termes de préservation des libertés publiques.

    Les arrêts rendus en la matière par la Cour européenne des droits de l’homme en témoignent. Ils mettent en évidence la propension des autorités, dès lors qu’il est question de « terrorisme », à ne plus prendre en considération le risque de traitements inhumains, voire de torture, que courent les personnes mises en cause dans certains États « partenaires » (13). Cela alimente la rhétorique des groupes criminels qui dénoncent la complicité des puissances occidentales avec des gouvernements corrompus et autoritaires pour appeler, en Europe comme dans les pays concernés, à rejoindre leurs rangs.

    Enfin, il faut souligner que la seule qualification de « terrorisme » s’avère, en tant que telle, de nature à renforcer le prestige symbolique de ces groupes et… leur capacité de recrutement. En d’autres termes, qualifier un acte de terroriste contribue, au moins autant que les revendications de ses auteurs, à transformer ces derniers en hérauts d’une philosophie, d’une religion, d’une doctrine politique ou, pis encore, d’une civilisation.

    Or comment ne pas comprendre qu’en érigeant en combat politique, voire en guerre de civilisations, la répression d’organisations délictueuses dont les ressorts idéologiques ne sont ni uniques, ni même hégémoniques, on renforce leur pouvoir d’influence politique ? C’est le cas pour l’OEI, dont la logique d’action relève tout autant du fanatisme religieux que de l’emprise mafieuse. Du même coup, on contribue à rehausser la cause dont ces groupes se réclament. Une telle légitimation nourrit leur pouvoir de séduction vis-à-vis d’une jeunesse en déshérence. Pour espérer le désamorcer, le plus simple est encore de leur refuser l’onction terroriste pour ne les regarder que comme de vulgaires organisations criminelles — autrement dit, de cesser de leur donner, fût-ce indirectement, crédit de leur prétention à représenter autre chose que leur appétit de pouvoir ou leur pulsion de mort.

    Loin d’être un mal nécessaire, l’arbitraire inhérent à l’incrimination de terrorisme constitue ainsi un obstacle à l’efficacité de la répression. Son abandon ne chagrinerait que ceux qui en usent (et en abusent) à d’autres fins que la défense du droit à la sûreté du citoyen.

     

    Magistrat, maître de conférences associé à l’université Paris-Ouest-Nanterre-la Défense, Vincent Sizaire est l’auteur de Sortir de l’imposture sécuritaire, La Dispute, Paris, 2016

     

    Source : Le Monde Diplomatique

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  • « L’Occident terroriste » – Interview avec André Vltchek

     

    En tant que journaliste, réalisateur de documentaire et romancier étatsunien, André Vltchek a couvert d’innombrables conflits armés à travers le monde. Parmi ses travaux les plus récents, on retrouve “L’Occident terroriste”, une discussion avec Noam Chomsky, un expert de la propagande renommé. Ensemble, ils explorent l’héritage du colonialisme qui dure jusqu’à aujourd’hui et dénoncent l’hypocrisie de l’Occident face au terrorisme, alors qu’il est responsable de son développement. Nous avons interrogé André Vltchek sur son livre et sur bien d’autres choses.

     

    Tout au long de votre discussion passionnée avec Noam Chomsky, vous faites un inventaire des faits relatifs au récent interventionnisme impérialiste en Asie, en Amérique latine et au Moyen-Orient. Pourquoi l’idée de mettre en lumière les actions de l’Occident au lieu de celles des supposés ennemis de l’Occident ?

     

    Depuis plusieurs siècles, l’Occident pille le monde militairement et économiquement. Pour pouvoir “légitimer” ses crimes, il a également conçu un système de propagande extrêmement complexe et efficace, imposant sa “logique” et ses dogmes culturels au reste du monde. Cela a été fait avec tant de persistance et de talent que pratiquement tous les autres récits ont disparu.

    C’est en réalité une immense tragédie car plusieurs cultures conquises étaient clairement supérieures et beaucoup plus humanistes que la culture de l’Occident. Le résultat est le suivant : le développement logique et naturel du monde s’est enrayé, et a même été écrasé. Seuls les dogmes occidentaux ont prévalu, entraînant du déséquilibre, de la confusion, de la colère, et de la frustration à travers le monde.

     

    Comme Noam Chomsky, vous êtes également un auteur très prolifique. Comment décririez-vous votre travail et celui de Chomsky ? Que retenez-vous de votre expérience passée à travailler sur ce livre ?

     

    Noam et moi possédons différentes approches pour lutter contre cette situation détestable. Noam est un linguiste, un grand penseur théorique et un activiste. Il analyse la situation dans ses écrits non-romanesques qui sont en réalité ses grands travaux philosophiques. Il s’exprime en public également, potentiellement sur tous les continents.

    Je vais directement aux sources puisque, pour l’essentiel, je ne crois plus que ce que je vois ou touche. J’essaie de recycler le moins possible. Je me rends sur des zones de guerre et dans les bidonvilles les plus dangereux ; je rencontre la crème des intellectuels mais aussi des gens plus pauvres que pauvres.

    Je m’appuie sur un réseau extrêmement complexe de sources dans beaucoup de pays. Puis, je rédige des essais qui se transforment ensuite en des chapitres de mes ouvrages non-romanesques. Ou alors, j’écris des romans, qui sont toujours soit un minimum politiques soit essentiellement politiques. Ou bien je réalise des documentaires, pour des chaînes de télévision comme Telesur ou Al-Mayadeen.

    Mon dernier livre, qui dévoile la propagande occidentale à travers le monde, fait plus de 800 pages et porte un titre qui parle de lui-même : “Exposing Lies of The Empire” [“Les mensonges de l’Empire révélés”, inédit en français, NdT]. Mon dernier roman sur l’impérialisme culturel occidental est intitulé “Aurora”.

    Avec Noam, on se complimente. Et on aime être ensemble. Lorsque nous travaillons ensemble, on ne se force à rien. On n’est pas toujours d’accord à 100% sur tout, mais il est très rare que nous soyons en total désaccord sur des sujets politiques importants.

     

    Noam Chomsky & André Vltchek. Caricature réalisée par Marina Wiedemann

     

    Que pensez-vous de l’évolution du contexte terroriste ainsi que du retour des discours relatifs à la “guerre contre le terrorisme” portés par les dirigeants européens et leurs alliés ?

     

    Le terrorisme est essentiellement ce que les empires occidentaux autrefois et ce que l’empire étatsunien aujourd’hui utilisent contre le reste du monde.

    Regardez le monde musulman : historiquement, l’islam est très progressiste et tourné vers la société, c’est même une religion “socialiste”. La première université publique, les premiers hôpitaux publics, tout cela était dans le monde musulman.

    Même après la Seconde Guerre mondiale, les pays musulmans penchaient vers le socialisme. En conséquence, il fallait que l’Occident enraye, ruine et “radicalise” ces pays !

    L’Occident a quasiment ruiné trois des plus importants pays socialistes musulmans : l’Iran, l’Égypte et l’Indonésie. Ensuite, il a utilisé l’Afghanistan et le Pakistan comme des armées de substitution dans sa guerre contre l’Union soviétique, massacrant quasiment ces deux pays également.

     

    Donc vous souhaitez vraiment que vos lecteurs s’intéressent au passé colonial afin de pouvoir comprendre le néocolonialisme de nos jours…

     

    Absolument. J’avance dans plusieurs de mes essais, ainsi que dans “Exposing Lies Of the Empire”, que l’Occident, pour des raisons compréhensibles, fabrique directement le “terrorisme musulman”. En conséquence, on ne devrait même pas utiliser le terme “terrorisme musulman”.

    J’ai assisté à ce processus en Turquie, en Syrie, au Liban, en Indonésie, et ailleurs. Ce qui se passe est honteux mais c’est logique étant donné l’essence machiavélique de l’impérialisme occidental : l’Occident a réussi à détruire l’Union soviétique, il a affaibli le combat/processus anticolonialiste -en tuant ou en renversant des personnes comme Lumumba, Mossadegh, Sukarno ou Allende- et s’est retrouvé sans “ennemi majeur”.

    Comme nous le savons tous, l’Occident ne peut pas exister sans “ennemi majeur”. Et il en a donc créé un, puissant, sorti de nulle part, et ce processus a royalement dupé tous les pays musulmans. Récemment à Téhéran, deux philosophes iraniens de renom m’ont déclaré que c’est en fait l’Occident qui a créé, à de nombreux endroits du monde, une religion totalement nouvelle, qui n’a rien de commun avec l’islam.

     

    Les visions du tiers-monde sur les relations Nord-Sud sont attaquées et délégitimées régulièrement par des penseurs néo-conservateurs qui considèrent que l’analyse politique centrée sur l’économie est “obsolète et démodée”. Pourrait-on dire que les tenants du soi-disant “choc des civilisations” ont atteint leur but ? Quels sont les réels intérêts derrière leurs prises de positions?

     

    Oui, c’est en train d’arriver. Mais les coupables ne sont pas seulement les néo-conservateurs. Je viens juste de quitter Bandung en Indonésie, qui avait accueilli en 1955 la fameuse “Conférence Asie-Afrique” (berceau du mouvement des non-alignés). Quand vous regardez les photos de cette conférence, vous avez envie de pleurer…ou de crier !

    L’attrait du monde non-occidental pour l’indépendance et pour la vraie liberté était si fort à l’époque, mais la brutalité de l’Occident a brisé le courage et la détermination de tous ces pays, exceptés une poignée d’entre eux. La volonté de résistance contre l’impérialisme occidental a été annihilée pendant des décennies. C’est aujourd’hui seulement que l’on voit ressurgir ces idéologies, ces buts et ces rêves.

    Bien-sûr, il y a et il y aura un énorme choc des civilisations, mais cela se passera sous des bannières et selon des logiques différentes de celles promues par les idéologues occidentaux.

    Un “choc des civilisations” plus réel sera très simple et positif : il prendra la forme d’un combat de résistance du monde oppressé contre la terreur occidentale qui brutalise notre planète depuis des siècles.

     

    Vous avez fréquemment visité et vécu dans des pays latino-américains, arabes, et asiatiques pendant de nombreuses années. À votre avis, comment les forces progressistes devraient-elles relever les défis posés par les conflits liés à l’identité culturelle et à l’ethnicité au XXIe siècle ? La vision eurocentrée est-elle un grand piège pour ceux qui essaient de comprendre et de changer le monde ?

     

    Oui tout à fait, et il est essentiel de comprendre cela ! Les forces progressistes de l’Occident devraient, je crois, prendre du recul et faire preuve de plus d’humilité. Au lieu de constamment faire la morale à tous les gouvernements de gauche d’Amérique latine ou d’Asie et de montrer de la haine envers eux, ils devraient apprendre un peu le respect ainsi que se renseigner sur la culture chinoise ou latino-américaine. Ils devraient essayer de comprendre comment les choses ont historiquement été réalisées dans ces pays.

    La gauche occidentale a franchement et clairement perdu. L’espoir se trouve désormais en Amérique latine et en Asie ainsi que dans quelques rares pays africains. La gauche occidentale devrait, je pense, cesser d’être “puriste” et soutenir ce qui nous reste dans ce monde, au lieu de définir “qui est un vrai Marxiste et qui ne l’est pas”, etc.

    Le principale combat maintenant devrait être le combat contre l’impérialisme occidental. Je connais le monde, et je suis convaincu que si l’impérialisme occidental était défait, le reste du monde trouverait un moyen de coexister pacifiquement et de bâtir un monde humain, plus doux et plus compatissant. Ensuite, et ensuite seulement, on pourra s’occuper des détails. En attendant, sauver notre planète de ce qui la ruine depuis des siècles devrait être notre unique objectif.

     

    Andre Vltchek est philosophe, romancier, cinéaste, et journaliste d’investigation. Il a couvert des guerres et des conflits dans des dizaines de pays. Trois de ses récents ouvrages sont un roman révolutionnaire intitulé “Aurora”, et deux travaux à succès de politique non-romanesque appelé “Exposing Lies of The Empire” pour l’un et, “Fighting Against Western Imperialism” [Lutter contre l’impérialisme occidental, inédit en français, NdT] pour l’autre. Ses autres livres sont disponibles ici. Andre produit également des documentaires pour teleSUR et Al-Mayadeen. Visionner Rwanda Gambit, sont documentaire avant-gardiste sur le Rwanda et la République Démocratique du Congo. Après avoir vécu en Amérique latine, en Afrique et en Océanie, Vltchek réside habite désormais en Asie de l’est et au Moyen-Orient et continue de travailler partout dans le monde. On peut le contacter sur son site internet ou sur Twitter.

     

    Traduit de l’anglais par Rémi Gromelle pour Investig’Action

    Source: Investig’Action

    Cet article est également disponible en : Espagnol Anglais

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  • La France, sponsor des terroristes? L’inépuisable terreau (10/10)

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    Abandon des pouvoirs publics, inégalités, injustices, ghettoïsation, stigmatisation et islamophobie : l’inépuisable terreau du terrorisme en France.


    « Dans une société où la concurrence entre individus est promue comme valeur suprême, où la compétitivité devient l’objectif majeur de la vie sociale et où la devise louis-philipparde « enrichissez-vous » semble le seul horizon, c’est en promouvant pratiquement dans la réalité sociale les valeurs de solidarité, d’égalité et de justice sociale, c’est par l’éducation quotidienne à l’égalité entre les femmes et les hommes que sera asséché le terreau de l’intégrisme et que ses adeptes seront marginalisés. »[1]

    Pierre Khalfa

     

                Pour Bakary Samb, coordonnateur de l’Observatoire des radicalismes et conflits en Afrique à l’Université de Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, « le terrorisme et le radicalisme sont les enfants naturels des liaisons dangereuses entre l’arrogance des injustices et l’ignorance de ceux qui se sentent des victimes[2] ». Pour le chercheur, « la lutte contre le terrorisme en amont avec une politique de prévention par l’éducation, le renforcement des capacités, la résorption des inégalités et la promotion d’espaces de socialisation alternatives au tout religieux, aux surenchères ethnico-confessionnelles paraîtraient plus efficaces que les formes de guerres asymétriques. […] Tant qu’on va continuer à privilégier l’intervention en lieu et place de la prévention par l’éducation et la justice sociale dans des régions où l’achat d’un vieux char coûte souvent plus cher que la construction d’une école, on ne s’en sortira pas[3] ».

    L’ancien diplomate éthiopien Mohamed Hassan va encore plus loin. Pour lui, « les dirigeants européens n’avaient pas de problème à voir s’exiler ces jeunes [partant faire le jihad armé en Syrie] dont ils ne savaient que faire. Ce devait même être un soulagement pour eux de voir partir sous les bombes ces « fous d’Allah » plutôt que de s’interroger sur la radicalisation de leurs jeunes citoyens. Une grande partie de ces euro-jihadistes sont des marginaux qu’on a parqués dans des ghettos. On ne leur a laissé aucune perspective d’avenir. Finalement, on les a juste autorisés à sombrer dans la drogue ou à se faire tuer loin de chez nous au nom de Dieu et contre un pays qu’on a voulu détruire. […] On ne leur donne pas beaucoup de chances pour suivre des études correctement, trouver du travail, fonder une famille et s’épanouir. Ceux qui s’accrochent malgré tout et parviennent à faire une bonne scolarité peinent ensuite à trouver un travail parce que leur nom de famille finit par une voyelle. Quel modèle peuvent-ils ensuite offrir à leurs petits frères ? […] Et maintenant, les gouvernements européens craignent que ces jeunes reviennent de Syrie. La menace terroriste va monter d’un cran, les mesures sécuritaires vont être renforcées, la défiance à l’égard des musulmans va s’accroître et, au final, la radicalisation gagnera encore du terrain. […] Les gouvernements européens devraient s’activer à offrir de réelles perspectives aux jeunes issus de l’immigration. Ils feraient bien aussi de revoir leur politique étrangère qui contribue depuis de nombreuses années à l’émergence de l’islamisme radical au Moyen-Orient. Le problème, c’est qu’il faudrait pour cela donner aux pays arabes de réelles chances de développement, ce qui est contraire aux intérêts des multinationales occidentales[4] ».

    C’est aussi l’avis du chercheur Olivier Roy : « Daech n’envoie pas des Syriens commettre des attentats en France pour dissuader le gouvernement français de le bombarder. Daech puise dans un réservoir de jeunes Français radicalisés qui, quoi qu’il arrive au Moyen-Orient, sont déjà entrés en dissidence et cherchent une cause, un label, un grand récit pour y apposer la signature sanglante de leur révolte personnelle[5] ». Ce qui explique qu’à la fin 2015, plus de 600 jeunes français (380 hommes et 220 femmes) étaient engagés dans les rangs de l’État Islamique, tant en Irak qu’en Syrie[6]. Un tiers des femmes et un sixième des hommes jihadistes français sont des convertis à l’islam[7]. Olivier Roy avertit : « l’écrasement de Daech ne changera rien à cette révolte. Le ralliement de ces jeunes à Daech est opportuniste : hier, ils étaient avec Al-Qaida, avant-hier (1995), ils se faisaient sous-traitants du GIA algérien ou pratiquaient, de la Bosnie à l’Afghanistan en passant par la Tchétchénie, leur petit nomadisme du djihad individuel (comme le « gang de Roubaix »). Et demain, ils se battront sous une autre bannière, à moins que la mort en action, l’âge ou la désillusion ne vident leurs rangs comme ce fut le cas de l’ultragauche des années 1970. […] Le problème essentiel pour la France n’est donc pas le califat du désert syrien, qui s’évaporera tôt ou tard comme un vieux mirage devenu cauchemar, le problème, c’est la révolte de ces jeunes. Et la vraie question est de savoir ce que représentent ces jeunes, s’ils sont l’avant-garde d’une guerre à venir ou au contraire les ratés d’un borborygme de l’Histoire.[8] » Pour Olivier Roy, on n’assiste donc pas à une radicalisation de l’Islam, mais à une islamisation de la radicalité.

    Le sociologue Saïd Bouamama rejoint l’analyse d’Olivier Roy sur les causes socio-économiques de la « radicalisation » – autrement dit sur le penchant nihiliste – d’une partie de la jeunesse européenne. L’islamisation de la radicalité vient du fait que c’est aujourd’hui le marché le plus florissant en matière de ce que Saïd Bouamama appelle « l’offre nihiliste »[9]. Saïd Bouamama rappelle que tout marché implique une offre et une demande, et le marché du radicalisme n’échappe pas à cette règle. Pour le chercheur, l’offre nihiliste n’est pas nouvelle, même si elle est plus visible depuis une quinzaine d’années en France. Cette offre nihiliste se caractérise par la prolifération de prédicateurs charlatanesques, en recherche constante de candidats révoltés ou désespérés prêts à se sacrifier pour une cause présentée comme noble ou révolutionnaire.

    Un « public nihiliste musulman » (ou supposé tel) ira spontanément vers les offres radicales de l’intégrisme musulman (le salafisme djihadiste) ; un « public nihiliste chrétien » (ou supposé tel) vers les offres radicales de l’intégrisme chrétien (de type Anders Behring Breivik) ; un « public nihiliste laïc ou athée » vers les offres radicales de l’intégrisme néo-païen (comme la secte de l’Ordre du Temple Solaire qui pratique des suicides collectifs). Mais il faut rappeler que seuls les individus nihilistes les plus fragiles « passent à l’acte », et ils sont une infime minorité. D’autres se réfugieront dans l’hyper-consumérisme à la poursuite d’un bonheur illusoire vendu par le mythe capitaliste. Ou encore dans la dépression, la résignation, la mortification et l’apathie sociale.

    L’attitude nihiliste est aujourd’hui alimentée chez les jeunes (15-30 ans) par l’absence de perspective professionnelle, un marché du travail bouché, un ascenseur social bloqué au rez-de-chaussée, une violence sociale omniprésente, des discriminations croissantes, une situation écologique catastrophique, un hyper-militarisme angoissant, une surveillance oppressante, un individualisme libéral castrateur, une répression policière de type totalitaire, le tout agrémenté d’une classe politique affligeante, soumise aux desiderata des lobbies et d’une oligarchie industrielle toute-puissante qui exploite tant les humains que les ressources de la planète. Et on pourrait continuer la liste à l’envi, tant les raisons de l’indignation et de la révolte sont légions. Ce désespoir, cette frustration collective, ce « désenchantement du monde » post 30 glorieuses, cette rage trop longtemps contenue et souvent intériorisée, débouchent inévitablement une « demande nihiliste ». Or, lorsque la demande nihiliste rencontre l’offre nihiliste, la transaction devient possible, comme la résultante logique issue de deux tensions complémentaires.

    Mais alors, pourquoi une sur-représentation de l’offre nihiliste de type islamique ? Pour Saïd Bouamama, la précarisation et la paupérisation à l’œuvre ces dernières années  touchent toutes les catégories de la jeunesse européenne. Mais trois autres facteurs cristallisant la demande nihiliste de type islamique sont propres aux milieux populaires, aux personnes issues de l’immigration et plus particulièrement aux musulmans. Il s’agit de :

    1. la discrimination de type « raciale » (racisme biologique, au service de l’esclavage et de la hiérarchisation sociale)
    2. l’éthnicisation des comportements (racisme culturaliste, justifiant le néocolonialisme et les inégalités sociales)
    3. l’islamophobie (discrimination religieuse). Une discrimination savamment entretenue par des polémiques qui alimentent périodiquement les médias dominants à l’instigation des sphères politiques : sur le port du voile à l’école ou dans l’espace public, sur la construction de minarets, sur la viande halal dans les écoles, etc.

    Ces trois derniers facteurs sont la résultante d’une idéologie du rejet et de la stigmatisation, qui s’est distillé à dose homéopathique mais constante dans les discours politiques et médiatiques ces dernières années. Et si un sérum homéopathique prouve son efficacité sur le long terme, il en est de même avec un poison homéopathique.

    Ces trois facteurs participent à un processus de négation culturelle, qui est intériorisé par les jeunes issus de l’immigration musulmane comme un rejet de leur identité profonde, entraînant un ébranlement des repères identitaires. Bref, un déracinement et une déstabilisation de l’assise psychologique de l’individu, qui le pousse à exprimer des comportements violents d’abord contre lui-même, puis contre ses proches et contre les autres.

    Comprendre les causes structurelles de la maladie est le premier pas vers la guérison. Ainsi, comprendre les mécanismes d’exclusion sociale est un processus thérapeutique en soi, et le premier pas vers l’émancipation de ces stratégies de domination. L’école de la sociologie de la souffrance[10] nous enseigne les bienfaits de cette psychothérapie collective, qui est aussi une voie d’émancipation politique :

    1. Comprendre les causes de la souffrance permet d’en atténuer les effets. Effet immédiat.
    2. L’analyse collective dilue la souffrance en ce que nous sommes conscients de partager le même sort.
    3. La réflexion collective mène à l’action collective, et au besoin de s’organiser pour éradiquer les causes de cette souffrance.

    Le diagnostic est posé, reste à appliquer le traitement.

     

     

    Les paroles de la chanson « Lettre à la République » du rappeur français Kery James illustrent bien l’exaspération couplée à la lucidité d’une partie de cette jeunesse française :

    « A tous ces racistes à la tolérance hypocrite

    Qui ont bâti leur nation sur le sang

    Maintenant s’érigent en donneurs de leçons

    Pilleurs de richesses, tueurs d’africains

    Colonisateurs, tortionnaires d’algériens

    Ce passé colonial c’est le vôtre

    C’est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre

    Maintenant vous devez assumer

    L’odeur du sang vous poursuit même si vous vous parfumez. […]

    Vous avez souhaité l’immigration

    Grâce à elle vous vous êtes gavés, jusqu’à l’indigestion.

    Je crois que la France n’a jamais fait la charité

    Les immigrés ce n’est que la main d’œuvre bon marché

    Gardez pour vous votre illusion républicaine

    De la douce France bafouée par l’immigration africaine

    Demandez aux tirailleurs sénégalais et aux harkis

    Qui a profité de qui ? […]

    Mais la nature humaine a balayé vos projets

    On ne s’intègre pas dans le rejet

    On ne s’intègre pas dans les ghettos français, parqués

    Entre immigrés, faut être censés

    Comment pointer du doigt le repli communautaire

    Que vous avez initié depuis les bidonvilles de Nanterre

    Pyromane et pompier, votre mémoire est sélective. […]

    Parce que décoloniser pour vous c’est déstabiliser.

    Et plus j’observe l’histoire moins je me sens redevable

    Je sais ce que c’est d’être Noir depuis l’époque du cartable. […]

    J’ai grandi à Orly dans les favelas de France

    J’ai « fleury » dans les maquis je suis en guerre depuis mon enfance. […]

    Au cœur de débats, des débats sans cœur

    Toujours les mêmes qu’on pointe du doigt dans votre France de rancœur

    En pleine crise économique, il faut un coupable

    Et c’est en direction des musulmans que tous vos coups partent

    Je n’ai pas peur de l’écrire : La France est islamophobe

    D’ailleurs plus personne ne se cache dans la France des xénophobes

    Vous nous traitez comme des moins que rien sur vos chaînes publiques

    Et vous attendez de nous qu’on s’écrie « Vive la République ! »

    Mon respect se fait violer au pays dit des Droits de l’Homme

    Difficile de se sentir Français sans le syndrome de Stockholm

    Parce que moi je suis Noir, musulman, banlieusard et fier de l’être

    Quand tu me vois tu mets un visage sur ce que l’autre France déteste

    Ce sont les mêmes hypocrites qui nous parlent de diversité

    Qui expriment le racisme sous couvert de laïcité

    Rêvent d’un français unique, avec une seule identité

    S’acharnent à discriminer, les mêmes minorités

    Face aux mêmes électeurs, les mêmes peurs sont agitées

    On oppose les communautés, pour cacher la précarité

    Que personne ne s’étonne si demain ça finit par péter

    Comment aimer un pays, qui refuse de nous respecter

    Loin des artistes transparents, j’écris ce texte comme un miroir

    Que la France s’y regarde si elle veut s’y voir

    Elle verra s’envoler l’illusion qu’elle se fait d’elle-même

    Je ne suis pas en manque d’affection

    Comprends que je n’attends plus qu’elle m’aime ! »

     

     

    Source: Investig’Action

     

    Bibliographie :

     

    • BEAU Nicolas, BOURGET Jean-Marie, Le vilain petit Qatar: cet ami qui nous veut du mal, Fayard, 2013.
    • BENOT Yves, Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, éd. La Découverte, 2001.
    • BENSAADA Ahmed, Arabesque$. Enquête sur le rôle des États-Unis dans les révoltes arabes, Investig’Action, 2015.
    • BOUAMAMA Saïd, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, La Découverte, 2014.
    • BURKE Jason, Al-Qaïda, la véritable histoire de l’islam radical, La Découverte.
    • CHOMSKY Noam, Israël, Palestine, États-Unis : Le triangle fatidique, Édition remise à jour en mars 1999.
    • CHOUET Alain, Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers. Éditions La Découverte, 2011.
    • CHOUET Alain (ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE), blog présentant ses analyses : http://alain.chouet.free.fr/
    • COLLON Michel, Libye, OTAN et médiamensonges : Manuel de contre-propagande, Investig’Action, 2011.
    • FAURE Claude, Aux Services de la République, du BCRA à la DGSE, Fayard, 2004.
    • FOULQUIER Jean-Michel, Arabie séoudite, la dictature protégée, Éditions Albin Michel, 1995.
    • GUISNEL Jean, KAUFFER Rémi, FALIGOT Roger, Histoire politique des services secrets français, La Découverte (2012)
    • GUISNEL Jean, FALIGOT Roger, Histoire secrète de la Vè République, La Découverte, 2006.
    • HASSAN Mohamed et LALIEU Grégoire, Jihad Made in USA, Investig’Action, 2014.
    • HASSAN Mohamed, COLLON Michel et LALIEU Grégoire, La Stratégie du chaos, impérialisme et Islam, Investig’Action, 2011.
    • HAYEZ Philippe, COUSSERAN Jean-Claude, Renseigner les démocraties, renseigner en démocratie, Odile Jacob, 2015.
    • JOHNSON Ian, Une mosquée à Munich. Les nazis, la CIA et la montée des Frères musulmans en Occident, JC Lattès, 2011.
    • KROPP Pascal, Les Secrets de l’espionnage français, Lattes, 1993.
    • KIMYONGÜR Bahar, Syriana, la conquête continue, Investig’Action, 2011
    • LABEVIERE Richard, Les dollars de la terreur – Les États-Unis et les islamistes, Editions Grasset, 1998.
    • LABEVIERE Richard, Les Coulisses de la terreur, Éditions Grasset, 2003.
    • LABEVIERE Richard, Vérités et mythologies du 11 septembre 2001, Nouveau-Monde Editions, 2011.
    • MANIQUET Xavier, French bomber : Enfin la vérité sur le Rainbow Warrior, Michalon,‎ 2007.
    • MARTINET Pierre, Cellule delta : Au sein des services secrets, certains ont le permis de tuer, Flammarion,‎ , 263 p.
    • MELNIK Constantin, La mort était leur mission : Le service Action pendant la guerre d’Algérie, Plon, 223 p.
    • MERVEILLEUX DU VIGNAUX Sophie, Désinformation et services spéciaux, Rocher, 2007.
    • MILLET Damien, L’Afrique sans dette, Syllepse, 2006.
    • MOYO Dambisa, L’aide fatale : Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique, Jean-Claude Lattès,‎ 2009.
    • NOUZILLE Vincent, Les Tueurs de la République, Fayard, 2015.
    • SASSI Jean et TREMBLAIS Jean-Louis, Opérations spéciales, 20 ans de guerres secrètes : Résistance, Indochine, Algérie, Paris, Nimrod, 335 p.
    • STORA Benjamin, Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), Paris, éd. La Découverte, 1991.
    • STORA Benjamin, La Gangrène de l’oubli – La mémoire de la guerre d’Algérie, Paris, éd. La Découverte, 1998 et 2005.
    • STORA Benjamin, Le Transfert d’une mémoire – De l’« Algérie française » au racisme anti-arabe, Paris, éd. La Découverte, 1999.
    • VERSCHAVE François-Xavier, La Françafrique : Le plus long scandale de la République, 1998, Stock, 380 p.
    • VERSCHAVE François-Xavier, De la Françafrique à la Mafiafrique, 2004, Tribord, 72 p.
    • VERSCHAVE François-Xavier, Au mépris des peuples : Le néolonialisme franco-africain, entretien avec Philippe Hauser, 2004, La Fabrique, 120 p.
    • VERSCHAVE François-Xavier, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, 1994, La Découverte, 178 p.
    • VERSCHAVE François-Xavier, L’horreur qui nous prend au visage : L’État français et le génocide, Rapport de la Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, avec Laure Coret, 2005, Karthala, 586

     

    NOTES:

    [1]              . Pierre KHALFA, « La laïcité à l’épreuve », France.attac.org, 29 mars 2016.

    [2]              . Jean-Jacques LOUARN, « Attentats: compassion sélective des Africains? », Rfi.fr, 19 novembre 2015.

    [3]              . Elhadji Ibrahima THIAM, « Expansion de l’extrémisme religieux en Afrique : Pr Bakary Samb appelle les gouvernants à revoir les orientations éducatives », Bakarysambe.unblog.fr, 10 décembre 2015.

    [4]              . HASSAN Mohamed et LALIEU Grégoire, Jihad Made in USA, Investig’Action, 2014, p. 106-107.

    [5]              . Olivier ROY, « Olivier Roy : « Le djihadisme est une révolte générationnelle et nihiliste », Lemonde.fr, 24 novembre 2015.

    [6]              . Élodie GUEGUEN, « 220 Françaises parties faire le djihad, un chiffre en hausse constante », Franceinfo.fr, 7 janvier 2016.

    [7]              . Idem.

    [8]              . Olivier ROY, Idem.

    [9]              . Saïd BOUAMAMA, lors de la conférence « Terrorisme et conflits au Moyen-Orient : la solution est-elle militaire ? », le jeudi 21 avril 2016 à la faculté de Médecine de l’ULB à Bruxelles.

    [10]            . Analyse apportée par le sociologue de l’immigration et des quartiers populaires Saïd BOUAMAMA, lors de la même conférence.

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  • La France sponsor du terrorisme : dernier épisode lundi

     

     

     

    10ème et dernier reportage de la série d'investig'Action

    "La France sponsor du terrorisme" 

    Lundi dès 6h

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  • La France, sponsor des terroristes? De l’esclavage au néocolonialisme, « Y’a bon la françafrique ! » (9/10)


    françafrique
     

    La France en guerre contre le terrorisme? Un coup d’oeil dans le rétroviseur nous rappelle qu’elle n’a rien à envier aux méthodes de ceux qu’elle prétend combattre. Plus inquiétant, le présent n’apparaît pas vraiment plus réjouissant…


    Il n’est lieu pas de revenir ici sur l’histoire de l’esclavage et de la colonisation, dont l’Europe capitaliste a largement profité pour enrichir sa classe bourgeoise de manière éhontée au fil des siècles. Ces périodes sont largement documentées, et les crimes commis par « les grandes puissances » colonisatrices font l’objet de maints rapports, livres, articles, études et  documentaires, auxquels le lecteur intéressé pourra se référer le cas échéant.

    De l’époque la plus récente, on rappellera à titre illustratif le massacre de Thiaroye le 1er décembre 1944, qui fit 70 morts[1]. Cette répression sanglante a été menée par l’armée française pour mater des tirailleurs sénégalais dont le seul crime était de réclamer leur solde. On rappellera encore les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata en mai 1945, contre des militants nationalistes qui manifestaient pacifiquement contre le colonialisme français. Ces massacres firent entre 3000 et 8000 morts. Ces crimes d’État sont d’autant plus abjects qu’ils ont servi à mater des militants de l’indépendance au moment même où la France, elle, célébrait sa « libération » de l’occupation nazie.

    Dans son livre Massacres coloniaux 1944-1950 : la IV République et la mise au pas des colonies françaises[2], Yves Bonot expose les crimes et les massacres de civils opérés par l’armée française contre des militants indépendantistes, depuis le massacre de Rabat-Fès en 1944, à ceux de Côte-d’Ivoire en 1949-1950, en passant par les massacres de Sétif (1945), Haiphong (1946), Casablanca (1947) et Madagascar (1947). En tout, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont morts sur l’autel de l’Empire colonial français. Des dizaines de milliers de civils assassinés pour avoir eu le courage et l’audace de revendiquer leur liberté et de lutter pour leur indépendance.

    Il faut y ajouter les 44.282 Algériens qui ont été arrêtés en France pendant la durée du conflit[3], et les milliers de prisonniers algériens immigrés en France qui ont été enfermés dans des camps d’internement. Selon l’historien Benjamin Stora, « entre 1957 et 1962, on peut estimer à environ 10.000 le nombre d’Algériens qui, après avoir été jugés, ont passé entre un et deux ans dans les camps en France[4] ».

    N’oublions pas non plus le dernier massacre colonial commis sur le sol hexagonal : le 17 octobre 1961 à Paris, à quelques mois de l’indépendance de l’Algérie, la police française a réprimé dans le sang une manifestation pacifique d’algériens qui protestaient contre le couvre-feu imposé aux seuls Nord-africains. La répression française fit alors plusieurs dizaines de morts, plusieurs centaines de blessés et une centaine de disparus. La répression fut dirigée par le préfet de police Maurice Papon, qui avait collaboré avec le régime nazi et participé au génocide des juifs lorsqu’il était secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944.

    A nouveau le 8 février 1962, une manifestation contre l’OAS est réprimée par la police (toujours dirigée par Papon) et fait neuf morts (événement connu sous le nom de « l’affaire de la station de métro Charonne »). Pour couvrir les violences policières, une loi est votée en 1966 amnistiant les infractions contre la sûreté de l’État ou commises en relation avec les événements d’Algérie, notamment « les infractions commises entre le 1er novembre 1954 et le 3 juillet 1962 dans le cadre d’opérations de police administrative ou judiciaire »[5].

    Il semble utile de rappeler que la colonisation et les exactions qui l’accompagnent n’ont pas pris fin lors de la « vague » des indépendances des années 1960. En effet, à peine la décolonisation entamée que naissait sur les ruines encore fumantes de l’édifice colonial son fils légitime, monstrueux et vorace : le néocolonialisme.

    Là aussi, nous nous abstiendrons de dresser une liste exhaustive des nombreux crimes commis dans le cadre de la « Françafrique[6] ». Nous orientons le lecteur assidu vers les ouvrages de François-Xavier Verschave et les publications de l’association Survie, qui œuvre depuis plus de trente ans à dévoiler les intérêts de la France en Afrique : affaire Elf, génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, interventions militaires en Côte d’Ivoire, au Mali et en Centrafrique, activités des multinationales françaises, etc. Cette politique néo-coloniale est  fondée sur des réseaux d’influence de type mafieux composés d’industriels, de politiques et de militaires. Les intérêts de l’État français se mêlent dangereusement aux intérêts des entreprises françaises privées (Total, Aréva, Vinci, Bolloré, Castel…), au service d’une politique économique qui ne fait aucun cadeau. Jean-Louis Castelnau, le Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique, ne s’en cache aucunement : « Faut-il encore investir en Afrique ? Bien sûr ! Nous ne sommes pas des sociétés de bienfaisance. Si nous ne trouvions pas notre compte en Afrique, nous n’y serions plus. D’ailleurs, les grands groupes sont toujours présents sur ce continent[7]. »

    L’association Survie rappelle d’ailleurs que « le pillage des matières premières africaines et la commercialisation de produits transformés étaient au cœur du processus colonial[8] ». La prédation des ressources africaines (pétrole, gaz, or, argent, diamant, cuivre, coltan, uranium, platine, manganèse, cacao, café, caoutchouc, coton, huile de palme…) n’est rien d’autre que la continuité de la politique étrangère de la France à la fin du XIXè siècle qui visait à exporter ses capitaux dans ses nouvelles colonies. C’est ce qu’expliquait Jules Ferry, président du Conseil, en 1885 (année de la Conférence de Berlin) : « Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux (…). La politique coloniale est fille de la politique industrielle. L’Europe peut être considérée comme une maison de commerce qui voit décroître son chiffre d’affaires, car la consommation européenne est saturée.[9] »

    Or, cette ponction continue du sous-sol africain, couplée à la corruption des dirigeants  et à la main-mise de la France sur la monnaie commune (franc CFA), n’engendre que des désastres pour ces pays africains : paupérisation chronique, accroissement des inégalités, absence d’autonomie, perte de souveraineté alimentaire et énergétique, chômage des jeunes, tensions sociales et communautaires… Bref, le terreau parfait pour que se développe le terrorisme, qui plonge ses racines dans le désespoir d’une jeunesse sans avenir.

    Mais la Terreur n’est pas seulement derrière nous, elle est à l’œuvre aujourd’hui même en France, et ce que certains nomment « terrorisme d’État » pourrait bien s’accentuer dans les années à venir. En février 2016, Amnesty International a publié un rapport sur la situation des droits humains dans le monde, et a épinglé la France pour sa politique liberticide menée au nom de la lutte contre le terrorisme. Les mesures concernant le « renforcement de la surveillance, blocages de sites internet, poursuites pour apologie du terrorisme, recours à des perquisitions et assignations à résidence sans contrôle du juge, interdictions de manifestations » sont des lois d’exception qui « ont porté atteinte de façon disproportionnée aux droits et libertés individuelles et ont parfois été mises en œuvre de façon discriminatoire[10] ». La gestion déplorable de la « crise des réfugiés », les conditions inhumaines de la « jungle » de Calais, les expulsions forcées, la répression policière, les arrestations arbitraires sous l’état d’urgence, et les accords de coopération avec des pays pratiquant la torture, ont définitivement fait entrer la France dans la liste des pays pratiquant le terrorisme d’État.

    Source: Investig’Action

    Notes:

    [1]              . Armelle MABON, « Sénégal : le camp de Thiaroye, part d’ombre de notre histoire. », Liberation.fr, 25 décembre 2012.

    [2]              . Yves BENOT, Massacres coloniaux : 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, éd. La Découverte, 2001.

    [3]      . Benjamin STORA, « Camps d’internement en métropole pour “suspects” algériens de La guerre d’Algérie in L’Histoire N° 140, janvier 1991 », Univ-paris13.fr, janvier 1991.

    [4]      . Idem.

    [5]      . « L’affaire du métro Charonne », Grand Larousse encyclopédique.

    [6]      . Néologisme popularisé par le livre de François-Xavier Verschave : La Françafrique, le plus long scandale de la République (1998). Le terme « Françafrique » désigne les relations qu’entretient la France avec ses anciennes colonies africaines, à travers des réseaux d’influence politiques, diplomatiques, économiques, militaires, et culturels.

    [7]      . « Les entreprises françaises en Afrique », Survie.org, 16 février 2010.

    [8]              . Idem.

    [9]      . Cité par Damien MILLET, L’Afrique sans dette, Syllepse, 2006, p. 29.

    [10]     . « 5 choses à savoir sur les droits humains en France », Amnesty.fr, 23 février 2016

     

     

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  • La France, sponsor des terroristes ? La terreur, une longue tradition française (8/10)

    DGSE-3

    En matière de sabotages et d’homicides, les services secrets français ont déjà fait toute la démonstration de leur savoir-faire. Petit tour d’horizon…


    Depuis les années 1950, la France a utilisé ses services de renseignement pour assassiner des cibles politiques et faire régner la « guerre psychologique » (autrement dit la terreur) en Indochine et en Algérie notamment. Le Service Action (SA) du SDECE[1], puis de la DGSE[2], a été créé pendant la Guerre d’Indochine, et fortement utilisé en Algérie pour éliminer la résistance à coup de sabotages (« opérations arma ») et d’enlèvements ou d’assassinats ciblés (« opération Homo »), y compris de civils pour « faire craquer » la population.

    L’organisation armée La Main rouge, qui assassina des militants de l’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie, était vraisemblablement liée au SDECE et agissait pour le compte de la France qui rechignait à voir ses colonies obtenir leur indépendance. La Main rouge a notamment assassiné le syndicaliste tunisien Farhat Hached le 5 décembre 1952, ainsi que les militants du mouvement national tunisien Hédi Chaker le 13 septembre 1953, Abderrahmen Mami le 13 juillet 1954, puis les frères Taher et Ali Haffouz. L’assassinat à Casablanca du militant pour l’autonomie du Maroc Jacques Lemaigre Dubreuil le 11 juin 1955, a lui aussi été attribué à la Main rouge. De nombreux autres militants pour les indépendances ont été assassinés entre 1950 et 1962. Au cours de la seule année 1960, 135 personnes ont été tuées par le Service Action du SDECE selon Constantin Melnik, qui supervisait à l’époque l’action des services secrets pour le Premier ministre français Michel Debré.

    Mais ces actions hautement confidentielles ne se font pas sans bavures, et il arrive que des opérations secrètes tombent ainsi dans le domaine public. C’est le cas de l’attentat raté contre le militant indépendantiste algérien Tayeb Boulahrouf à Rome, qui tua accidentellement un enfant de 10 ans[3].

    Un autre exemple : l’assassinat en 1960 à Genève du leader pour l’indépendance du Cameroun, Félix-Roland Moumié. L’agent français chargé d’assassiner Félix Moumié en se faisant passer pour un journaliste lui administra une double dose de poison, et Félix Moumié mourut à Genève le 3 novembre 1960 au lieu de mourir plus tard au Cameroun comme cela était prévu. L’enquête effectuée par la police suisse permit de révéler l’identité de l’assassin : William Bechtel, un réserviste du SDECE, dont le procès déboucha sur un non-lieu le 27 octobre 1980[4].

    Un dernier exemple, « l’Affaire du Rainbow Warrior » : le 10 juillet 1985, des agents secrets français de la DGSE sabordent le navire de Greenpeace Rainbow Warrior qui visait à protester contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, sur les îles polynésiennes de Moruroa et Fangataufa[5]. Cette opération fit un mort, le photographe néerlandais d’origine portugaise Fernando Pereira. N’ayant pas pu évacuer le navire à temps, il était encore à bord lorsqu’a explosé la deuxième mine magnétique placée sur la coque du bateau par les services français. C’est d’ailleurs après la bavure du Rainbow Warrior qu’un groupe spécial sera créé au sein du Service Action de la DGSE : les « Cellules alpha[6] ».

    Aujourd’hui encore, le Service Action de la DGSE agit hors de nos frontières et hors de tout contrôle démocratique. Ainsi, les services secrets participant à l’intervention militaire de 2011 en Libye ont préparé et encadré le débarquement sur une plage de Tripoli des commandos insurgés venus de Misrata, en coopération avec le Special Air Service (SAS) britannique, avec des Qatariens et probablement des Emiriens[7]. Des opérations clandestines opérées par les forces spéciales françaises sont encore en cours en Libye[8] aujourd’hui[9], au plus grand mépris de la transparence à laquelle on pourrait s’attendre dans un pays qui se dit démocratique.

     

    Source: Investig’Action

    Notes:

    [1]              . SDECE : Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage, créé en 1945. Il est remplacé en 1982 par la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE).

    [2]              . Direction Générale de la Sécurité Extérieure .

    [3]           . « Tayeb BOULAHROUF : Le gentleman de la diplomatie de guerre », Lequotidienalgerie.org, 26 juin 2012.

    [4]           . « William Bechtel, l’agent français qui a tué Félix Moumié », Journalducameroun.com, 24 novembre 2014. & Georges DOUGUELI, « Comment Félix Moumié a été empoisonné », Jeuneafrique.com, 9 juin 2008.

    [5]           . Hervé GATTEGNO, « Greenpeace, vingt ans après : le rapport secret de l’amiral Lacoste », Lemonde.fr,‎ 9 juillet 2005.

    [6]              . Patrick PESNOT, « Rendez-vous avec X : Les cellules Alpha », France Inter, 9 mai 2015. & Vincent NOUZILLE, Les tueurs de la République, Fayard,‎ 2015, 73.

    [7]              . « Premier bilan des actions clandestines », Intelligenceonline.fr, 1er septembre 2011.

    [8]              . Nathalie GUIBERT, « La France mène des opérations secrètes en Libye », Lemonde.fr, 24 février 2016.

    [9]              . En février 2016.

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