UN REGARD SUR LA FRANCE INSOUMISE
Pour un avenir commun, la France insoumise s’est retrouvée à Lille les 15 et 16 octobre pour débattre du programme qui sera porté par Jean-Luc Mélenchon aux prochaines élections de 2017. Soutenant cette démarche, je me suis retrouvé faire partie des 650 personnes tirées au sort (non désignées, non élues, non optées, non cooptées) pour participer, à parité égale, aux deux jours de la Convention JLM2017. Sur le parking proche des Halls de la Filature, les participants dont certains avaient passé la nuit assis dans les cars affrétés pour l’occasion, convergeaient de toutes les régions de France. L’entrée était filtrée, état d’urgence oblige, pour le contrôle des sacs et des personnes ; le coût financier de cette obligation ne fut certainement pas anodin pour les organisateurs. Après avoir franchi le goulot d‘étranglement, chacun accédait au site cherchant à prendre ses marques et repérer les lieux : tables d’inscription, ordinateurs à disposition, buvette, toilettes, village militant, stand librairie et salle de la convention. L’accueil se révélait facile grâce à une organisation présente, efficace, chaleureuse, hors du cadre habituellement codé des partis et des syndicats, porté par des camarades dont certains semblaient inaugurer avec une joie non dissimulée un premier engagement militant.
Le programme « L’Avenir en commun » est symbolisé par la lettre grecque phi (φ) aux multiples significations : hommage à la démocratie née de la Grèce antique, soutien politique à la Grèce actuelle subissant le joug inhumain de l’ordre financier néolibéral de l’Union européenne, symbole de la philosophie accès à la sagesse dans un monde devenu si violemment fou et bouleversé. C’est enfin la prononciation phonétique des deux premières lettres de la France insoumise ! Le programme se décline en quatre urgences : l’urgence démocratique, l’urgence sociale, l’urgence écologique et l’urgence pour la paix. Aucune d’entre elles ne se situe dans un ordre hiérarchique, elles se combinent les unes aux autres et ne peuvent se traiter séparément. La Convention était là pour poser cet acte programmatique fondateur.
Il est toujours de bon ton d’inviter des personnalités extérieures qui apportent leur soutien à un tel rassemblement. Nulle dérogation donc à la règle et des témoignages furent apportés en direct ou en vidéo par des représentants d’Amérique latine, du Moyen-Orient, d‘Afrique et d’Europe. Je ne citerai que les deux personnalités qui firent l’objet d‘une véritable ovation, deux femmes, Aminata Traoré ancienne ministre de la culture du Mali et Zoé Konstantopoulos ancienne présidente du Parlement grec qui n’hésita pas à qualifier le gouvernement actuel d’Alexis Tsipras de gouvernement ni de droite, ni de gauche, mais de gouvernement de traitres !
Le point d’orgue fut évidemment l’intervention de Jean-Luc Mélenchon dont les qualités de tribun politique sont reconnues par amis et adversaires. Mais que retenir de cette longue intervention visant à donner une impulsion à cet « Avenir en commun » ? L’urgence démocratique est de sortir de cette monarchie présidentielle qui finit par miner les institutions de la République. Il s’agit bien, par l'élection d’une assemblée constituante, d’instaurer un nouveau cadre institutionnel, une 6e République, pour rendre la parole au peuple, lui permettre de contrôler celles et ceux qui ont reçu délégation de pouvoir. Le vote obligatoire, le vote à partir de 16 ans, le processus révocatoire en sont les aspects les plus visibles.
Le second point, cœur central de cet avenir en commun est la question écologique, l’instauration de la règle verte, la mise en place d’un outil, la planification écologique qui inscrit les décisions politiques dans l’action immédiate et le long terme. La question écologique n’est plus seulement une question de gestion et de protection de l’environnement, c’est avant tout une urgence qui touche tous les aspects de la vie du pays, depuis l’éducation, la formation professionnelle, l’investissement, l’industrialisation, l’agriculture, la santé, la consommation. Ce fut une véritable leçon de pensée politique autour de cette urgence, situant bien l’enjeu d’une obligation d‘un changement fondamental de notre société, dans la recherche cohérente de l’intérêt général et de la protection des biens communs. Ceci est bien loin des discours convenus des partis dits de gouvernement qui prônent une écologie participative, une écologie non punitive, une écologie basée sur le volontariat, soucieuse avant tout de ne rien changer sur le fond. L’approbation de cette démarche fondatrice n’exclut pas la critique ; elle est d’ordre sémantique lorsque Jean-Luc Mélenchon évoque « l’Anthropocène » pour évoquer le bouleversement actuel de la planète (« l’homme déménage plus de gravats que les forces de la nature »). Mais peut-on parler d‘une Humanité indifférenciée pour rendre compte d’un tel bouleversement inédit dans l’histoire humaine ? Ne serait-il pas plus approprié de parler de « Capitalocène » pour mieux appréhender la dynamique mortifère d’un système productiviste mondialisé ? Le capital s’est accru d’un facteur 130 en trois siècles, engendrant une technostructure orientée uniquement vers le profit, excluant une large part de l’humanité du partage des richesses produites et façonnant une nouvelle nature. Deux références à ce propos, la Déclaration de Cocoyoc dont le MS21 s’est déjà fait l’écho (16 septembre 2015) et le récent ouvrage de Jason W. Moore « Capitalism in the web of life » contribuent à cette remarque.
La souffrance au travail est partout et l’urgence sociale n’en est que plus grande : explosion des inégalités, angoisse du chômage, suicides sur les lieux de travail. Il faut cesser de vivre avec cette peur sociale, ce qui signifie revaloriser le salaire minimum, limiter le nombre de CDD dans les entreprises, rétablir un code du travail protecteur, limiter les revenus dans une échelle de 1 à 20 (l’économie sociale et solidaire propose une échelle de 1 à 7 et Gaël Giraud, auteur de « L’Illusion financière » de 1 à 12). Un tel cadre social et environnemental devient totalement incompatible avec les objectifs du libre-échange qui conduisent mécaniquement et inexorablement au moins disant social et environnemental. L’opposition aux traités de libre-échange ne concernent pas que ceux conclus ou en voie de l’être avec l’Amérique du Nord (CETA, TAFTA), mais également ceux signés entre l’UE et les pays africains qui ravagent ces pays et engendrent les flux de migrants que nous connaissons. La logique de ces traités laisse de plus les États à la merci de structures privées d’arbitrages pour régler des différends commerciaux et d’investissements des multinationales et signe la fin de la démocratie.
La dernière urgence, celle de la paix, est pressante devant les conflits qui explosent au Moyen-Orient depuis l’invasion des États-Unis en Irak et les bruits de bottes dans les pays de l’Europe de l’Est, désignant Vladimir Poutine comme le seul responsable de cette situation alors que les Russes se sentent physiquement menacés par le déploiement des forces de l’OTAN à leurs frontières. Il faut faire la paix et contrer ce que le chef d’état-major américain déclare : « un conflit est inévitable et certain avec la Russie ». La sortie de l’OTAN est un préalable indispensable pour sortir de cette logique guerrière.
Tout le discours de Jean-Luc Mélenchon montre que le programme de « L’Avenir en commun » est totalement incompatible avec le cadre institutionnel de l’Union européenne (UE). Et pourtant au cours de son intervention pas un mot sur l’UE. Pourquoi ? La question doit être posée car elle soulève des interrogations qui demandent à être levées sur la position de la France insoumise vis-à-vis de l’UE. Plusieurs signaux de cette ambiguïté sont apparus. Des témoignages extérieurs sont venus de plusieurs pays de l’UE : Portugal, Espagne, Grèce, Allemagne ; on aurait pu espérer avoir la présence d‘un Britannique pour témoigner de la signification politique du BREXIT, première décision démocratique d‘un pays européen à quitter l’Union européenne. La souveraineté de la France nécessite par ailleurs de sortir le traité de Lisbonne de la Constitution afin que le droit européen cesse de prévaloir sur le droit national. Rappelons la phrase de Jean-Claude Juncker au lendemain des élections en Grèce en janvier 2015 « les choix démocratiques ne peuvent modifier les traités européens ». Pourquoi ce silence alors qu’une intervention forte avait eu lieu la veille pour rappeler que le programme de la France insoumise est l’antithèse absolue des traités européens, que l’UE et l’euro sont antidémocratiques et qu’il faut en sortir, condition sine qua non pour que le programme JLM2017 puisse fonctionner. La question de l’UE est fondamentale, elle surplombe toutes les urgences évoquées dans le programme de « L’Avenir en commun » : l’urgence démocratique (l’affirmation de la souveraineté des peuples), l’urgence sociale (l’abrogation de la loi El Khomri sur le code du travail), l’urgence écologique (la fin d’un productivisme tourné uniquement sur le profit et le libre-échange), l’urgence pour la paix (la sortie de l’OTAN outil de la défense inféodé aux États-Unis). Faut-il aborder la question de l’UE par la combinaison d‘un plan A et d’un plan B, ou par par l’exigence d’un FREXIT posant la question fondamentale du maintien ou non de la France dans l’Union européenne ? Est-ce affaire de stratégie politique ou une position de fond conduisant à un renoncement à terme comme cela fut le cas en Grèce ? Ces questions demandent à être clarifiées, l’ambiguïté est toujours source de confusion et souvent de grande déception pour le peuple.
Quittons ces interrogations et retournons vers les militants de la Convention. A côté de celles et ceux qui s’engageaient politiquement pour la première fois, se retrouvaient des militants insoumis en rupture souvent douloureuse de leur parti, plus précisément de la direction de leur parti. Souvent au gré de la discussion, s’exprimait l’affirmation de ne plus jamais voter pour le PS pour toutes sortes de raisons que l’on peut aisément imaginer. La parole fut donnée à la France Insoumise pour faire figurer parmi 60 mesures à mettre en œuvre les dix qui paraissaient prioritaires. On peut les énumérer car elles donnent un sens à l’esprit de la Convention : (1) sortir des traités de libre-échange TAFTA, CETA, (2) abroger la loi El Khomri sur le travail, (3) adopter la règle verte, (4) sortir des traités européens, (5) mettre en œuvre la transition énergétique, (6) adopter le principe du droit révocatoire, (7) mettre en place une assemblée constituante pour une nouvelle République, (8) protéger les biens communs, (9) séparer les banques d’affaires et les banques de dépôt, (10) revaloriser immédiatement le smic.
La Convention de Lille a été un acte fondateur du programme « L’Avenir en commun », avec les ambiguïtés relevées. Mais elle est plus que cela ; elle voit émerger un élan citoyen neuf, identique à celui que l’on a vu apparaître lors du referendum pour le Traité constitutionnel européen (TCE) en 2005. On peut espérer qu’un même élan démocratique, une vague populaire soit au rendez-vous de 2017. C’est très probablement le sens de l’engagement militant des citoyens se reconnaissant dans « L’Avenir en commun » et pour lequel l’enjeu fondamental pour atteindre la réussite électorale ne pourra se concrétiser que par un retour aux urnes des abstentionnistes du sinistre quinquennat de François Hollande. En même temps, peut-on déléguer sans réflexion critique sa voix à Jean-Luc Mélenchon ? Certainement pas, mais le programme qu’il porte fait sens. Il ouvre une voie d’espoir et à ce titre je fais donc le pari pascalien et me détourne de ceux qui veulent incarner la division en affichant comme le martèle par exemple un candidat à l’élection présidentielle la volonté d’une stratégie tout autant anti-Mélenchon qu’anti-Lepen. Refuser cette voie sans issue, c’est une manière d’exprimer un soutien critique au programme de la France Insoumise.