« L’état colombien doit démanteler les structures paramilitaires qui mettent en danger la démocratie »
Jorge Freytter est le fils aîné du professeur colombien Jorge Freytter Romero, assassiné en 2001 à l’université de l’Atlantique dans le cadre de l’échec du processus de paix initié par le président Andrés Pastrana. Après l’assassinat de son père et dans le climat d’insécurité et de menace croissantes dans le pays, il a été contraint de s’exiler au Canada, a l’instar de millions de Colombiens depuis le début du conflit. Dans cet entretien accordé en exclusivité au Journal de Notre Amérique, Freytter nous livre pour la première fois ses impressions sur son pays et sur le processus de paix actuellement en cours. Il nous éclaire également sur le profond ancrage du para-militarisme dans certaines régions et nous alerte sur son rôle structurel dans le maintien d’un système économique basé sur l’inégalité et l’injustice sociale.
Quitter son pays n’a jamais été simple pour personne…Comment s’est déroulé votre exil au Canada et que peut-on dire des conditions de vie des réfugiés politiques ?
Je suis arrivé le 25 mars 2002, après 8 mois d’attente et de démarches pour obtenir le statut de réfugié. Même si la province du Québec m’avait déjà accepté comme réfugié auparavant, le gouvernement canadien insistait quand même pour que je présente des preuves que j’étais menacé par des individus, les para-militaires en l’occurrence. Comme si j’allais aller demander un certificat à Carlos Castaño ou au Bloc Nord des paramilitaires prouvant que les menaces venaient bien d’eux.
Ils ont maintenu leur refus après l’assassinat de mon père, et sept mois plus tard ils m’ont accordé le permis de séjour et j’ai fait le voyage accompagné de ma mère, de ma fille et de ma sœur. Nous ne parlions pas la langue et n’avions ni argent, ni aide. Nous pensions qu’on nous aurait aidés en tant que réfugiés. Mais pour des motifs que j’ignore, aucune aide ne nous a été octroyée.
Je me suis rendu compte avec le temps qu’être réfugié au Canada n’était vraiment rien de plus qu’une formalité internationale, mais moi je vois cela comme une méthode facile et rapide pour obtenir de la main d’œuvre bon marché et qualifiée dans la majorité des cas…
Que diriez-vous des conditions de vie des réfugiés dans ce pays ?
On peut voir parfois qu’ils aident les Syriens ou bien qu’ils apportent leur aide dans le conflit libanais, l’aide est débloquée pour de nombreuses choses, mais ce sont des conflits dont la portée est très importante, et donc la participation et l’intérêt du Canada sont d’autant plus importants. Même si au final, c’est toujours la même histoire : une main d’œuvre bon marché, des difficultés d’intégration, de la discrimination et du racisme entre les gens.
Il est certain qu’il faut souligner les nouvelles possibilités qu’offre le pays d’accueil mais je reste convaincu qu’elles se résument à des questions économiques. De fait, lorsqu’on est réfugié ou résident permanent, il ressort que le bouche à oreille arrive à la conclusion que le mieux est de ne pas se mêler de questions politiques car cela peut devenir un problème à l’heure de vouloir devenir citoyen.
Et selon vous, est-ce une réalité ou pas ?
Dans beaucoup de situations, l’adaptation ainsi que les autres problèmes que chacun peut avoir, prennent beaucoup de temps et beaucoup de personnes finissent par oublier ou par mettre de côté la lutte militante. Et en plus, cela aboutit dans la majorité des cas à ce que l’espace soit occupé par des groupes ou des organisations de Canadiens déjà établis dans le pays.
Pendant son mandat, Alvaro Uribe a fait parvenir au gouvernement canadien un communiqué dans lequel il affirmait que la Colombie n’était pas un pays en conflit. Et donc qu’il n’était pas nécessaire d’établir un programme pour les réfugiés. C’est aussi ça qui renforcé le programme d’immigration économique de travailleurs qualifiés et de parrainage familial.
Jorge Freytter Franco (sur la droite), avec le professeur François Houtart lors d’une conférence
Vous avez occupé des postes à responsabilité au sein du mouvement estudiantin de l’université de l’Atlantique. Pouvez-vous nous parler de l’environnement de cette université et des revendications que vous aviez ?
J’ai été étudiant en biologie à la faculté des sciences. C’était un programme et une faculté dans lesquels il n’y avait pas de promotion pour les diplômés à l’époque. C’est-à-dire pour les anciens élèves. Et c’est grâce à la curiosité de mes camarades et amis que nous avons commencé à être à la tête de processus académiques et d’investigation des écosystèmes sur le département de l’Atlantique et da la région caribéenne de la Colombie.
Mais ces propositions n’intéressaient pas la direction de l’université. Ils étaient bien plus. La construction de nouvelles installations leur parlait beaucoup plus. Alors pour que la faculté ainsi que nos projets universitaires soient visibles, nous avons émis la proposition que nous puissions participer aux processus de co-gouvernement de l’université en tant que représentants estudiantins de la faculté de sciences fondamentales.
Mais à cause de la crise administrative, de la corruption et de la malhonnêteté des débats entre les différentes forces, soit les élections ont été interrompues, soit elles ne sont pas allées jusqu’au bout dans de nombreux cas.
Si l’on ajoute à ces actions l’augmentation de la présence para-militaire, les actions du DAS [Département Administratif de Sécurité, NdT], ainsi que les doctrines de privatisation de l’éducation publique, on obtient l’une des périodes les plus néfastes pour l’éducation publique en Colombie. On obtient aussi l’assassinat de plus de 20 personnes, parmi lesquelles des professeurs, des étudiants ou des employés de l’université de l’Atlantique, ainsi que des dizaines d’exilés ou de déplacés supplémentaires dont beaucoup étaient des amis ou des connaissances.
Quel était le contexte de cette incursion para-militaire ?
L’incursion para-militaire a connu une recrudescence pendant les gouvernements Samper et Pastrana, et par la suite elle s’est consolidée et s’est même renforcée publiquement pendant le gouvernement d’Alvaro Uribe. C’est à cette dernière période que les para-militaires ont eu carte blanche pour pénétrer et piller les hôpitaux, les entités territoriales et en particulier les universités publiques de la région caribéenne colombienne.
C’était une région assez négligée par le gouvernement central et aux mains de mafias clientélistes de la politique locale. Ces gouvernements étaient au courant. Mais il l’ont toujours nié ou occulté.
Affiche sur le devoir de mémoire et la dénonciation d’une décennie d’impunité,
concernant l’affaire de l’assassinat du professeur Jorge Freytter Romero en 2001.
Selon vous, qui est derrière cette para-militarisation de l’université de l’Atlantique, et des autres universités de la région caribéenne de la Colombie ?
La para-militarisation des universités publiques fait l’objet d’un chapitre dans le projet de privatisation des entités publiques et des services publics. Les universités publiques, et en particulier celle de la région caribéenne colombienne, ont été affectées par le clientélisme politique.
Ce système a permis aux universités d’être infiltrées à travers les organismes de co-gouvernement des universités publiques comme dans le cas du Conseil supérieur. C’est un organisme au sein duquel se décident les politiques ainsi que les investissements et où les décisions sont prises, affectant en dernière instance l’université elle-même. Si bien que le Conseil supérieur est dirigé par le gouverneur du département, le représentant des syndicats, le représentant des étudiants diplômés, le représentant des professeurs, le recteur, même, par le représentant du ministère de l’Éducation et du président.
Tout cela représente un organigramme corrompu et clientéliste, étant donné que de nombreux postes, contrats et investissements sont conclus après approbation ou non de ces représentants, qui sont souvent cooptés par des caciques de la politique locale.
Mais alors derrière le para-militarisme, existe-t-il des intérêts économiques importants ?
Oui. D’après ce que j’ai compris, les universités gèrent un budget très important et c’est surtout vrai pour l’université de l’Atlantique qui possède un budget supérieur à la ville de Soledad, dans le département de l’Atlantico alors qu’elle est la deuxième ville du département.
Autre exemple: les paramilitaires avaient déjà effectué des incursions dans les hôpitaux afin de piller leur budget, par le biais de l’action du Bloc Nord des Autodéfenses unies de Colombie – Front José Pablo Diaz.
Freytter Franco pose avec le livre “Presente y futuro de Colombia en tiempos de Esperanza“,
avec des témoignages et contributions d’une dizaine de personnalités et intellectuels,
sur les travaux de son père, le professeur Jorge Freytter Romero
Suite à cela, quelques fonctionnaires de l’université de l’Atlantique ont accepté, en échange d’argent, de participer à la dénonciation de professeurs, d’étudiants et d’employés…qui ont été retrouvés assassinés par la suite.
On raconte même que l’administration est impliquée dans des cas de corruption qui ont facilité l’incursion des para-militaires et de la police, la polie secrète (DAS), ainsi que d’autres organismes de sécurité de l’État.
L’incursion du Bloc Nord et des chefs para-militaires qui opéraient dans la région caribéenne a été favorisée par la négligence du gouvernement central, par le clientélisme et la corruption politique locale. De fait, la grande majorité des hommes politiques qui se sont immiscés dans la « para-politique » venaient de la région caribéenne.
Au cours des dernières semaines, vous vous êtes rendu dans la ville de Barranquilla. Pouvez-vous nous décrire la situation sociale dans cette ville ?
Barranquilla est la ville la plus importante économiquement parlant de la région caribéenne. De plus, elle est à la confluence de la mer et de l’embouchure du fleuve Magdalena, le fleuve navigable le plus important de Colombie. En plus de renforcer les mafias politiques locales, ce point géostratégique a permis aux entreprises étrangères de venir s’implanter. Si bien qu’aujourd’hui Barranquilla est surnommée « la capitale du TLC » [Traité de libre échange, NdT].
Les entreprises Electricaribe et Aguas de Barcelona, plus connue sous le nom de la Triple A : AAA – Empresa de Acueducto, Alcantarillado y Aseo de Barranquilla [entreprise d’aqueduc, d’égout et de sanitaires de Barranquilla, NdT], sont parmi les plus controversées. La triple A à cause de ses interruptions de service à répétition, auxquelles s’ajoute la fragilité de ses services en matière de collecte et de traitement des déchets.
Electricaribe est la plus controversée à cause de ses défaillances de service. Mais surtout à cause des prix pratiqués qui sont très élevés et à cause de tromperies envers les usagers, en plus du manque de solutions véritables aux insuffisances électriques.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets ?
Oui, il y a eu des cas d’électrocution, des incendies, des coupures de réseau, les dommages électrodomestiques se comptent par centaines chaque année, mais les gouvernements national et local ne se rendent pas compte de la situation. Il n’y a eu qu’un semblant de d’intervention étatique en 2016, mais aucune solution n’a été fournie à la population. Il est évident que des intérêts politico-économiques sont en jeu, et ceux-ci ont bien été aidés par le système médiatique qui dissimule l’information.
Est-ce que la population s’organise pour défendre ses droits ?
Oui, face à cette situation les communautés se sont exprimées au moyen de manifestations de rue, de blocages de la circulation, des incendies de pneus, ou d’attaques contre les services de transport. Dans certains cas, cela a même abouti à des actions contre le service électrique afin de pouvoir réduire le montant des factures. Car même si Electricaribe manque souvent à ses obligations de service…elle facture quand même.
Je peux même vous donner un exemple personnel. Je suis arrivé à Barranquilla, dans la maison d’un ami, et suite à un arrangement celle-ci avait été abandonnée par les services d’évacuation et d’eau. Mais personne n’y vivait, personne ne consommait ne serait-ce qu’un watt pour la lumière. Mais Electricaribe facturait quand même environ 50 euros pour un service qu’elle ne fournissait pas.
J’ai rédigé une pétition à ce sujet et après deux mois d’appels et de requêtes, Electricaribe a fini par rectifier le tir. Tout cela n’est que le résultat de la privatisation du service public de l’énergie.
Rassemblement pour une réduction des coûts du service d’électricité, qualifié de « vol »
Nous sommes en plein processus de mise en place des accords de paix en Colombie. À partir de votre expérience personnelle, quelles sont vos propositions pour la construction d’une culture de la paix en Colombie ?
En tant qu’ancien exilé, j’ai formulé quelques propositions dans les groupes auxquels j’ai pu participer. Comme, par exemple, le démantèlement de l’escadron mobile anti-émeutes de la police (ESMAD). Il s’agit d’un groupe répressif qui, à chacune de ses interventions, viole les droits de l’homme inhérents à la liberté de manifester, à la liberté d’expression, à la liberté de se mobiliser et qui attente même à la vie et à l’intégrité physique des citoyens.
Ces faits sont rapportés dans les médias et par les leaders sociaux paysans et les groupes indigènes. De la même manière, j’exige que l’État lutte pour que les structures paramilitaires soient démantelées, elles qui mettent en danger la normalisation politique ainsi que la justice sociale, et en dernière instance la démocratie.
Je propose également d’augmenter le salaire minimum de 700 000 pesos à 1 000 000 pesos. Tout le monde est au courant des scandales de corruption qui ont été révélés au cours des derniers mois. Stan Reficar, Nule et les autoroutes de Bogota, de même que les scandales impliquant Odebrecht et la Ruta del Sol, ont révélé au Colombiens comment les mafias politiques dilapident l’argent public et par conséquent les investissement sociaux et économiques.
De la même manière, la classe ouvrière assiste à la dispute entre le gouvernement et les entreprises sur l’augmentation de quelques points de pourcentage du salaire minimum. Cependant, cette augmentation de 20 ou 30 euros par mois n’a pas eu lieu, l’excuse avancée étant qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses ou qu’une augmentation significative du salaire aurait un impact négatif sur l’économie. Tout ça pendant que des millions d’euros ont été dérobés jusqu’à maintenant, en totale impunité.
L’une des autres propositions consistait à inclure les leaders sociaux, les réfugiés et les exilés dans la mise en place des accords. Il est important de pouvoir toucher les régions, mais les candidats qui ont déjà mis en route leur mécanique politique en vue des prochaines élections ne devraient pas accaparer le devant de la scène. Au lieu de cela, ce sont les communautés qui devraient être mises en avant et en particulier les plus fragiles. Les accords semblaient être esquissés, négociés, et débattus à Bogota…pour ensuite être exportés et imposés aux régions.
Affiche dénonçant les assassinats de paysans par les para-militaires
dans la région du Catatumbo
La répression des leaders sociaux et des communautés continue à faire de nombreuses victimes…Si bien qu’il existe un fossé entre l’idée de bâtir un processus de réconciliation, comme cela a été proposé dans les discours officiels, et cette réalité terrible qui se perpétue. Qu’en pensez-vous ?
En ce qui concerne la réconciliation, en tant que victime et exilé, je ne voulais pas particulièrement me réconcilier avec les paramilitaires, ni avec les « uribistes » et encore moins avec cette classe politico-économique dominante qui a pillé et appauvri les Colombiens pendant les plus de 50 ans de guerre que nous avons vécus.
Il faut reconnaître qu’il existe deux Colombie et que l’une souhaite opprimer l’autre, mais pas la faire disparaître car qui travaillerait sinon ? Alors ce qui nous reste à nous, le peuple, c’est voter et lutter contre l’abstention et pour le pouvoir populaire.
Cependant , la réconciliation est une idée qui est en train de s’imposer comme une évidence…Vous pensez qu’il y a des aspects qui sont relégués au second plan dans l’opinion publique ?
Oui. En Colombie, on parle de réconciliation comme si la guerre avait été un conflit ethnique entre deux ou plusieurs nations comme en Afrique du Sud. Mais le problème colombien n’était pas ethnique, il a toujours été politique et social. C’était une lutte contre l’inégalité, contre le pillage et l’exploitation des ressources naturelles.
En gros, c’est un problème de justice sociale, et face à cette situation la seule réconciliation possible passe par l’augmentation des salaires de la classe ouvrière, l’assurance d’une éducation publique et gratuite et par des services de santé optimaux et universels.
Les accords de paix entre le gouvernement colombien et les FARC-EP ont permis, grâce à l’abandon de l’insurrection, l’émergence d’un nouveau parti politique. Cependant, le non au référendum a soulevé des incertitudes quant à l’évolution du processus de paix. Quelles sont les influences des secteurs économiques en opposition avec le processus sur le débat politique ?
Les secteurs économiques n’ont ni Dieu ni patrie. C’est le capitalisme, et ils ne sont affiliés ni à un parti ni à une doctrine. Pour eux, seuls les profits comptent. Peu d’investissements et beaucoup de profits, l’un des représentants des entreprises espagnoles l’a d’ailleurs bien expliqué : « nous n’investissons pas mais nous dégageons beaucoup de profits ».
Même s’il est certain que les secteurs économiques influents investiront dans des campagnes contraires au processus de paix, je pense que si le parti des FARC arrive au pouvoir, ces mêmes secteurs économiques commenceront sûrement à tenter de se rapprocher de cette nouvelle force politique.
Si l’on tient compte de la position défendue par Uribe au sujet du référendum, pensez-vous que Santos soit arrivé à ouvrir définitivement une nouveau chapitre pour sa famille politique par rapport aux précédents gouvernements ? Ou bien pensez-vous au contraire qu’il se verra obligé de faire des nouvelles concessions ?
Non, Juan Manuel Santos ne s’est pas détaché de sa famille politique et il a réussi à se maintenir dans ses programmes de gouvernement grâce aux innombrables concessions et à la petite tambouille qu’il a réussi à mettre en place. La dispute avec Alvaro Uribe n’a jamais été qu’une divergence idéologique, d’un secteur auquel Santos n’a jamais appartenu, et il n’en a fait usage qu’à des fins purement politiques. Il faut dire aussi qu’Alvaro Uribe fait partie d’une bourgeoisie marginale qui s’est relevée et qui a réussi à s’immiscer dans l’imaginaire collectif depuis Pablo Escobar jusqu’aux paramilitaires.
Mais Juan Manuel Santos fait partie de la famille Santos qui a vécu de la politique et des ressources de l’État colombien pendant des décennies. Pour Santos, il est difficile de ne pas faire de concessions si l’on prend en compte que la majorité de ses alliés politiques qui représentent les Colombiens sont impliqués (eux ou leurs familles politiques directes ou indirectes) dans des agissements illégaux de toutes sortes. Si bien que pour pouvoir mener à bien ses projets de paix, de logement, d’éducation, etc. il faut qu’il fasse des concessions.
Manifestation organisée par Marcha Patriotica,
un mouvement social qui prend de l’ampleur
La création d’une nouvelle formation politique avec un programme de transformations sociales, est conditionnée à une normalisation du débat politique, ainsi qu’à un accès aux médias. Quelles perspectives envisagez-vous pour le développement d’un changement de relations entre les forces politiques et d’une hégémonie en faveur de la gauche ?
La création et le renforcement des médias communautaires sont importants pour la démocratisation des médias et pour que des nouveaux acteurs et formes de communications sociales voient le jour.Mais au-delà de la création de nouvelles chaînes de télévision et de nouvelles stations de radio, il faut viser la régulation du mode de prise en compte des informations, et comment celles-ci sont transmises au public. Car les médias traditionnels et hégémoniques ne semblent pas faire usage de la liberté d’expression.
Pour moi, ce qu’ils ont fait impunément pendant des décennies c’est inciter de manière quotidienne à la violence politique, à la haine. Ils incitent pratiquement au génocide, et ils ont peut-être fait partie, dans ce conflit, des principaux responsables du renforcement du conflit.
La démobilisation de l’insurrection arrive alors que la présence du paramilitarisme n’a pas diminué de manière significative, de même que les assassinats de leaders sociaux et le harcèlement de communautés comme celle de Catatumbo. Quelles seraient vos recommandations pour prévenir la violence dans les différentes régions exposées au paramilitarisme ?
La visibilité internationale est importante. De plus, le développement et la mise en place des accords doit s’effectuer dans les régions et renforcer les programmes sociaux. Et en particulier dans les zones proches des frontières, là où le problème du para-militarisme est profondément lié à la question du trafic de drogue illicites et à la situation frontalière informelle sur des zones tertiaires en mauvais état. Une présence rapide et authentique de l’État est nécessaire.
Le gouvernement Santos et les gouvernements locaux doivent s’engager pour un plan d’investissement commun et pour un renforcement de la présence étatique et de l’accompagnement des organisations nationales et internationales dans la mise en place des accords au cours des deux premières années.
Il faut de plus définir des mesures face au renforcement de l’EPL [Armée populaire de libération, NdT] et à la mort de Megateo. Il faut voir si le gouvernement va les inclure dans un processus de dialogue vers la paix ou si au contraire il va les attaquer et les poursuivre comme un groupe criminel.
Existe-t-il une forme de coordination entre les différents comités de victimes ?
D’après ce que j’ai pu observer, les différents groupes de victimes travaillent déjà ensemble depuis des années, et ils sont même parfois coordonnés et possèdent leurs propres réseaux de mobilisation, d’information, etc. Et c’est normal si l’on considère que beaucoup d’entre eux ont plus de dix ans d’existence derrière eux.
Dans certains cas, le travail et les intérêts politiques marchent main dans la main. Moi je vois un peu d’éloignement chez certains groupes. En plus de l’éloignement géographique, moi je crois que les groupes les plus forts, grâce à la proximité des ressources et au débat politique national, sont ceux qui sont implantés à Bogota. Alors que pour ceux qui se trouvent en périphérie, le travail est davantage affecté et politisé.
Enfin, quel appel voudriez-vous lancer aux mouvements sociaux et politiques en ce qui concerne la campagne électorale de 2018 ?
L’un des problèmes a été la désunion ou la concertation face à un candidat. Jusqu’à présent, Gustavo Petro et sa campagne « Humaine » est l’un des grands concurrents mais il semble être un candidat plutôt indépendant qui souhaite imposer un nom attractif et orienté « marketing » à ce qu’il définit comme étant le « progressisme », face à une population colombienne qui a assimilé et avalé le mensonge du « castrochavisme » de la gauche.
Petro pourrait faire un bon candidat mais pas un bon président. Son rôle en tant que conseiller à la mairie est un peu trop récent pour être candidat. Sa gestion a plutôt été bonne. Mais les médias n’ont cessé de la diaboliser. Et cela, en plus de lui coûter des points dans les sondages, pourrait le ranger dans la catégorie des groupes comme celui de Vargas Lleras, assez proches de l’uribisme.
Un autre acteur notable est Jorge Robledo, qui semble être enclin à s’allier aux Verts. Mais il ne s’alliera pas à Petro ou à un autre groupe de gauche, à moins d’un second tour. Dans tous les cas, s’il n’y a pas d’alliance ni de prise de conscience de la part des groupes sociaux et de gauche qu’il faut construire une nouvelle Colombie, le candidat du changement radical s’imposera comme le vainqueur. Ce qui est certain, c’est que ce parti est celui qui se présente avec le plus d’individus sous le coup d’une enquête judiciaire et emprisonnés pour corruption.
Traduit de l’espagnol par Rémi Gromelle pour le Journal de Notre Amérique
Source : Le Journal de Notre Amérique n°24, avril 2017.
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