L’article de Pierre Lévy « Bravo Donald, et maintenant, c’est le moment de sortir de l’OTAN », paru le 30 mai 2017 (n°66) dans la revue en ligne RUPTURES (https://ruptures-presse.fr/actu/trump-climat-mansholt-juncker-tusk/), le site (auto proclamé) progressiste radicalement euro-critique suscite de sérieuses interrogations au vu des affirmations avancées par l’auteur que l’on pourrait résumer ainsi :
- le réchauffement climatique fait l'objet d'un "consensus" délibérément exagéré,
- il convient de ne pas taire les aspects positifs d'un tel réchauffement qui crée de nouvelles terres cultivables en Sibérie par exemple,
- la sobriété écologique n'est que le faux-nez de l'austérité,
- la pensée écologique traduit la haine refoulée de l'industrie et de la classe ouvrière,
- elle consolide le concept de mondialisation pour mieux limiter toute revendication de souveraineté,
- et au final elle ne représente qu'une pensée profondément réactionnaire conduisant à une régression anthropologique potentielle qui appliquée ne nous aurait jamais permis de sortir des grottes de Lascaux.
Devant une telle charge polémique et outrancière, il semble souhaitable d'apporter un démenti aux affirmations péremptoires de l'auteur. Pierre Lévy indique qu'il n'a « aucune légitimité pour trancher le débat sur la réalité du réchauffement, ni sur son origine anthropique. Une majorité de scientifiques penche pour une réponse positive, même si le terme « consensus » est délibérément exagéré ». Il ne va pas jusqu'à décréter comme le fit Donald Trump que le réchauffement climatique est un « canular » ou à s'aligner sur Marine Le Pen qui déclarait il y a peu « je ne suis pas sûre que l'activité humaine soit l'origine principale du phénomène ». Mais le doute insinué par l'auteur sur l'idée d'un consensus scientifique délibérément exagéré pose indirectement la question du fonctionnement de nos institutions et au final celui de la démocratie. La France dispose de corps et d'institutions intermédiaires (Académie des sciences, CNRS, IFREMER, INRA, …..) dont la mission est d'éclairer le citoyen sur la science, de faire progresser la connaissance et de prendre position sur certains débats. Ce débat a eu lieu (à défaut d'y adhérer, faut-il au moins le signaler) légitimant à la fois les travaux du GIEC et concluant à la responsabilité des activités humaines non seulement sur le réchauffement climatique mais également sur la destruction de la biodiversité. Folie serait de nier tout autant les conclusions de ces institutions intermédiaires publiques et le constat sur la dégradation écologique de la planète.
La « sobriété » prônée pour « la lutte pour le climat » peut être effectivement une justification de l'austérité imposée par l'oligarchie financière, mais elle est aussi une réponse aux politiques productivistes et au libre échange qui conduisent à la situation que l'on connaît. Mais cela ne suffit pas, la crise écologique et la crise sociale qui traversent nos sociétés sont indissociables l'une de l'autre, et la seconde réponse à apporter est la réduction des inégalités. Nous sommes bien loin de cette qualification méprisante d'avoir affaire à des « idiots utiles » selon les termes de Pierre Lévy pour qualifier celles et ceux engagés dans une telle réflexion. Par ailleurs, qui aurait la naïveté d'ignorer dans ce débat les enjeux géostratégiques des firmes et des grandes puissances capitalistes ? Cette réflexion écologique ne saurait être assimilée en aucune manière aux déclarations contradictoires des partis européistes comme le PS ou EELV qui posent la question de l'urgence écologique tout en adhérant aux politiques néolibérales de l'Union européenne dont les marques fondamentales sont le productivisme, le libre-échange, le développement des inégalités et l'austérité pour les classes populaires.
Mettre ensemble dans le même sac le fait que le climat de connaît pas de frontières et la limitation des souverainetés des États reviendrait à mettre en parallèle de la même manière l'aviation civile internationale et la souveraineté des pays. Ceci n'a guère de sens et relève d'une « brève » de comptoir. L'enjeu est autre et mérite que l'on y accorde un peu de réflexion. La Conférence de Copenhague en 2009 fut un échec international enterrant par là même le Protocole de Kyoto. La Conférence de Paris (COP21) en décembre 2015 ayant permis de clarifier la situation sur le climat, le MS21 écrivait : « le mérite de la COP21 est d'avoir entériné au niveau international les enjeux liés aux changements climatiques et d'en préciser les objectifs pour en limiter les conséquences. Il est à nos pays de définir à présent quelles sont les trajectoires énergétiques, économiques et sociales pour y parvenir ».
L'objectif reconnu est de ne pas dépasser une hausse de la température de la planète de plus de 2°C, voire 1,5°C. Il est reconnu comme illusoire actuellement de trouver un accord international sur la limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES). Face à un tel constat, c'est à chaque pays de s'engager volontairement pour une réduction des GES. Les engagements des États ne permettent pas d'atteindre l'objectif de 2°C et la trajectoire annoncée se situe sur une hausse de la température entre 3,5 et 4,0°C, avec toutes les conséquences environnementales, sanitaires, humaines et économiques à prévoir. Chaque pays est mis ainsi devant ses responsabilités. Donald Trump l'a fait à sa manière et ne veut même pas entendre parler d'engagement international, ce qui est une constante dans la politique des États-Unis. Pour la France, le MS21 ignore l'engagement du Président Emmanuel Macron. Le candidat de la France Insoumise mettait l'enjeu écologique au premier rang des préoccupations politiques en adoptant et en constitutionnalisant la règle verte, conduisant à la planification écologique. Faut-il pour cette raison affubler à Jean-Luc Mélenchon le qualificatif « d'idiot utile » ?
Au final laisser croire que la préservation de l'environnement (terme bien mal choisi par Pierre Lévy car le réchauffement climatique est déjà en cours ainsi que la destruction de la biodiversité), reviendrait à se laisser guider par une pensée profondément réactionnaire amène à penser que l'auteur de l'article se range dans la catégorie des « climato-sceptiques » ou qu'il soit un journaliste bien mal informé. Dans ce dernier cas, le MS21 suggère la lecture de trois ouvrages particulièrement éclairants : John R. McNeill (2010) Du nouveau sous le soleil. Une histoire de l'environnement mondial au XXe siècle, ed. Champ Vallon, A. Bernier (2012) Comment la mondialisation a tué l'écologie. Les politiques environnementales piégées par le libre échange, ed Mille et Une Nuits, et A. Pottier (2016) Comment les économistes réchauffent la planète, ed. Seuil. Le climato-scepticisme ne vient pas de nulle part mais fait partie d'une stratégie délibérée qui trouve ses racines notamment aux États-Unis dans une interprétation littérale de la Bible et dans le fondamentalisme du marché car pour eux le marché est une institution parfaite et cette règle ne souffre d'aucune exception. Or, le changement climatique signale une défaillance des mécanismes du marché et pour les tenants d'un tel fondamentalisme, c'est là une situation impossible : par conséquent le changement climatique ne peut exister.
Enfin, au registre des "avantages", si Pierre Lévy souligne les effets positifs du réchauffement climatique , « comme par exemple les millions d’hectares que le dégel sibérien rendrait cultivables », auxquels il aurait pu ajouter l'ouverture à la prospection pétrolière en zone polaire arctique, il faudrait mettre dans le second plateau de la balance les estimations de l'ONU qui prévoient l'exil forcé de 250 millions de personnes en lien avec les bouleversements du climat. Faudra-t-il construire des murs, à l'instar de ceux existants et en projet comme celui envisagé par Donald Trump entre son pays et le Mexique, pour protéger les souverainetés des pays ? Pierre Lévy se garde bien de s'engager dans cette réflexion qui nous sera imposée bon gré mal gré.
Le radicalisme progressiste eurocritique n'a pas besoin de disposer d'un tel avocat
ARTICLE DE PIERRE LEVY
La décision annoncée par Donald Trump de sortir de l’accord de Paris sur le climat suscite un tollé sans précédent. Chacun sait que dans ces colonnes, on ne donne pas dans le soutien inconditionnel au maître de la Maison Blanche. Mais cette fois…
Il l’a fait ! Donald Trump avait jusqu’à présent si fréquemment tourné le dos à ses promesses électorales qu’on désespérait qu’il tînt cet engagement-là. Finalement, il a eu le courage d’aller contre les objurgations des élites mondialisées (lire le compte-rendu du G7 du 26 mai dans l’édition papier de Ruptures), des partis installés, des médias les plus divers – bref, de l’idéologie dominante qui, sur le dossier « environnement », flirte carrément avec le terrorisme intellectuel.
Le président américain a donc, le 1er juin, annoncé la sortie de son pays de l’accord « climat » signé à Paris. Ce faisant, il désespère tout ce que l’Union européenne compte de sommités, du président du Conseil, Donald Tusk, à celui de la Commission, Jean-Claude Juncker, de la chancelière allemande au président français. S’il ne s’était pas agi des États-Unis mais des îles Fidji, gageons qu’un corps expéditionnaire européen, alimenté en carburant bio, serait déjà En Marche pour rétablir la sacro-sainte défense de la planète.
Il désespère également ces autres progressistes bien connus que sont Apple, Facebook, Google, Microdsoft, mais aussi Unilever, ConocoPhilipps et Exxon Mobil : toutes ces firmes avaient, au dernier moment, tenté de dissuader la Maison Blanche de commettre l’ « irréparable »…
On n’a ici aucune légitimité pour trancher le débat sur la réalité du réchauffement, ni sur son origine anthropique. Une majorité de scientifiques penche pour une réponse positive, même si le terme « consensus » est délibérément exagéré. Mais là n’est nullement la question. (Au passage, notons que le dossier est toujours exclusivement instruit « à charge » : aucun des procureurs énumérant les effets négatifs dudit réchauffement n’imagine un seul instant se pencher sur des effets positifs – comme par exemple les millions d’hectares que le dégel sibérien rendrait cultivables).
En revanche, il est permis d’analyser le contexte idéologique qui assène comme vérité obligatoire qu’il faut « prendre soin de la nature ». Les quatre éléments suivants mériteraient d’être largement développés. Résumons les ici drastiquement.
Quatre éléments
Un : la « sobriété » que sous-tend (explicitement pour certains, implicitement pour d’autres) « la lutte pour le climat » n’est que le faux-nez de l’austérité que tentent d’imposer les maîtres du pouvoir et propriétaires des capitaux (ce sont les mêmes). Et pour cause : leur système est arrivé à bout de course, et s’avère incapable de promouvoir un développement impétueux des forces productives. Du reste, l’amour de la nature est bien souvent la trace de la haine refoulée de l’industrie… et de la classe ouvrière. Dès lors, il faut aux dirigeants capitalistes un habillage idéologique présentable pour dissimuler leur impuissance.
Deux : n’en déplaise aux innombrables « idiots utiles » qui psalmodient leur amour de la nature, la substitution des énergies renouvelables aux énergies fossiles (et au nucléaire) recouvre en réalité des rivalités et des ambitions géostratégiques, entre firmes mais aussi entre puissances. Car, pas de chance, une large part du pétrole et du gaz a été installée par Dieu – décidément distrait sur ce coup-là – dans des pays arabes et en Russie, ce qui n’est évidemment pas acceptable… Dépendre de Moscou, de Téhéran, voire de Riyad, voilà qui ne doit pas durer !
Trois : le climat a ceci de particulier qu’il ne connaît guère de frontières. Ça tombe décidément à pic pour les adeptes de Bruxelles, Bilderberg et consorts qui rêvent de voir celles-ci effacées au plus tôt, afin de laisser place à une gouvernance globalisée. La lutte « contre le réchauffement » justifie en substance l’abolition, ou à tout le moins la limitation, des souverainetés.
Quatre : l’impératif comminatoire enjoignant de « préserver l’environnement » s’apparente à la jadis célèbre formule des toilettes ferroviaires : veuillez laisser la planète dans l’état où vous l’avez trouvée. Une pensée profondément réactionnaire qui, si elle avait été appliquée dès l’origine par les sociétés humaines, nous cantonnerait encore aujourd’hui dans la grotte de Lascaux. Une régression anthropologique potentielle qui pose implicitement qu’on est allé « trop loin » alors même que les ressources de la planète seraient « limitées ». Ce qui fait l’impasse sur l’intelligence humaine : le même hectare cultivé en blé nourrit aujourd’hui infiniment plus de personnes que dans l’antiquité. Or nous ne sommes encore qu’au début de la préhistoire de l’humanité.
Pour l’heure, on s’en tiendra là : c’est déjà mille fois plus que les oreilles sensibles – et alignées – n’en peuvent supporter.
Et l’on se réjouira que les adeptes de la décroissance (et autres « croissances soutenables ») enragent ; et que leurs ancêtres se retournent probablement dans leur tombe, à moins que leurs bio-restes ne nourrissent déjà amoureusement les pissenlits.
On a ainsi une pensée particulière pour Sicco Mansholt, l’un des premiers à populariser (en 1972) le rapport du Club de Rome prônant la décroissance. A ses moments perdus, le Néerlandais fut également vice-président puis président de la Commission européenne.
En réfléchissant bien, l’OTAN pourrait bien redevenir « obsolète »
Certes, Donald Trump a pris sa décision pour des raisons qui n’ont rien de philosophique, mais reflètent certains intérêts. Ces derniers intègrent la probable prochaine suffisance énergétique du pays, de même que la volonté affichée de préserver l’emploi des mineurs.
En matière de justification, on en a connu de pires.
Bravo Donald, et encore un effort : en réfléchissant bien, l’OTAN pourrait bien redevenir « obsolète ». Au vu de la réaction des dirigeants européens, tout espoir en ce sens n’est pas perdu…
Pierre Lévy