Impression de retour d'un voyage militant à Cuba
Cuba enfer totalitaire ou paradis socialiste ? La réalité, est, comme toujours, plus nuancée et plus riche que les caricatures médiatiques et idéologiques.
J'ai effectué, du 27 avril au 13 mai 2015, un circuit assez complet dans ce pays avec l'association "Cuba Linda" . En complément à l'article "Cuba devient la coqueluche des puissances occidentales" je voudrais donc vous livrer quelques réflexions sur "l'état d'âme", (au sens propre) de ce pays, sans la prétention déplacée d'être un "donneur de leçons", mais pas sans l'esprit critique exigé de la vigilance active d'un "témoin engagé".
* Quelques points d'attention importants pour un militant du MS21 :
-Sur le patriotisme : Les manifestations du 1er mai, place de la Révolution, à La Havane, revêtent une ampleur inconnue sur nos terres. Il est vrai que les slogans décoiffent pour quelqu'un d'habitué à la rhétorique tiédasse du Front de Gauche : "La patrie le socialisme ou la mort", "la défense de la patrie, mission des CDR"...Les contextes politiques ne sont évidemment pas comparables, mais j'ai le sentiment que nos débats laborieux avec les autres forces de gauche sur la nécessité de la défense de la souveraineté nationale paraîtraient presque surréalistes aux Cubains...
Une anecdote peut-être significative : lors de la rencontre avec un CDR ( Comité de Défense de la Révolution qui supervise la vie matérielle et citoyenne d'un quartier) à Trinidad, un des membres du CDR nous a posé une question inattendue : pourquoi un parti d'extrême-droite fait-il d'aussi bons scores électoraux en France ? Et là, il y eut un certain flottement...Un ange est passé...Prenant mon courage à deux mains, j'ai commencé prudemment à expliquer que cette montée de l'extrême-droite provenait certainement de la crise économique et du renoncement des partis de gauche à faire de vraies politiques de gauche pour répondre à ces problèmes...J'avais presque envie de dire : " c'est parce que notre gauche n'est pas patriotique contrairement à la vôtre, la France laisse piétiner sa souveraineté par l'Union européenne sans rechigner..." `
-Sur l'économie : Il est important de noter que les terres appartiennent encore toutes à l'Etat et ne peuvent être vendues à des sociétés ou personnes physiques étrangères, ce qui évite le pillage des terres par les multinationales et des Etats étrangers constaté dans beaucoup de pays pauvres. Malgré ce type de mesures et les incontestables succès enregistrés dans le domaine de la santé et de l'éducation, les difficultés économiques restent aigües ( n'oublions pas que l'embargo est toujours en vigueur ). D'après l'article du Monde Diplomatique de ce mois-ci, "Quand Cuba débat", la situation économique impose de poursuivre la libéralisation partielle de l'économie amorcée en 2004, notamment à cause des difficultés économiques du partenaire venezuelien. La pauvreté a augmenté (20% de la population urbaine) du fait du système de double monnaie notamment, qui creuse les inégalités. Le gouvernement en a conscience et tente de trouver des solutions : par exemple ouverture de secteurs aux investissements étrangers (sauf la santé, l'éducation, la défense) avec exonérations d'impôts pendant 8 ans, mais avec l'aval de l'Etat.
Cela montre toute la difficulté pour un pays ( mais pas l'impossibilité) de bâtir une économie d'essence socialiste dans un monde largement acquis au libéralisme. Espérons que les Cubains continueront de défendre leur modèle et ne se laisseront pas mener vers une évolution "à la chinoise".
-Sur l'organisation politique : J'ai bien compris l'originalité du système politique cubain qui interdit de traiter ce pays de "dictature" sans autre forme de procès. Néanmoins, j'émettrais des réserves sur la faiblesses des contre-pouvoirs, les organisations de masse sont toutes bien proches du PCC. La CTC ( Centrale des Travailleurs de Cuba) est quasiment le syndicat unique, très proche aussi du PCC. L'accompagnatrice du voyage m'a expliqué que les patrons en faisait aussi souvent partie, et qu'il n'y avait pas de conflits majeurs entre salariés et direction. Pour moi, qui suis élevé à la culture syndicale "Charte d'Amiens", cela me laisse sceptique, d'autant que le droit de grève est interdit.
Cela ne doit pas nous empêcher de continuer d'apporter un soutien critique mais réel au processus politique original de ce pays, et plus que jamais, d'exiger la levée de l'embargo.
Breysacher Christophe.