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Cinq idées vraies et fausses sur la crise grecque

 

Frantz DURUPT- Libération

 

DÉCRYPTAGE

Des Grecs «fainéants», un gouvernement de coalition avec l'extrême droite, une dette qui pèse 650 euros par Français... Ces dernières semaines, dans les débats sur la Grèce, les idées reçues ont beaucoup circulé.

 

Athènes a accepté vendredi la quasi-totalité des mesures proposées par ses créanciers et promis d’honorer ses dettes. Le parlement grec doit voter dans la journée ce qui, en cas de oui, ouvrirait la voie à de nouvelles négociations. A cette occasion, retour sur les nombreuses idées reçues ayant émaillé les débats sur la crise de la dette grecque.

Les Grecs ne travaillent pas assez

Celle-ci, on l’a entendue, jusque dans la bouche d’un ancien président de la République : «Le problème c’est qu’on ne travaille pas assez en Grèce», a ainsi expliqué Nicolas Sarkozy au JT de 20 heures de TF1, le 8 juillet.

C’est faux, répond le site alterecoplus (affilié au magazine Alternatives économiques) : selon l’enquête trimestrielle menée par Eurostat, en 2014, les travailleurs Grecs faisaient 40,6 heures par semaine en moyenne, soit plus que tous les autres pays de l’Union européenne. A titre de comparaison, les Français étaient à 35,7 heures en moyenne, et les Allemands à 35,3 heures.

Les Grecs n’ont pas fait assez d’efforts

Que cela ait été dit franchement ou simplement sous-entendu, elle s’est très bien installée, l’idée que les Grecs n’auraient pas «fait assez d’efforts» et que donc, un petit coup d’austérité en plus ne serait que justice. Exemple avec Nathalie Kosciusko-Morizet.

Plusieurs médias ont également joué le jeu du «pourquoi les Grecs ne feraient pas ce que d’autres ont fait ?». Par exemple France 2, qui a réalisé un reportage en Slovaquie pour montrer à la Grèce le bon exemple des pays (pauvres) qui font des réformes «difficiles» et s’en sortent.

C’est très injuste. «Mon pays a été le laboratoire de l’austérité», a dit Aléxis Tsípras mercredi devant le Parlement européen. Et pour cause : les programmes d’austérité en Grèce ont commencé il y a déjà sept ans, en 2009. Et ils ont été sacrément sévères. Comme le relevait cette semaine un article du Monde, sur la période 2009-2014, la Grèce a fait passer son déficit public de 15,2% du PIB à 2,7%. Sur la même période, elle a réduit ses dépenses publiques de 9,7 points, passant de 53,9% à 44,2% du PIB. En variation, c’est moins que l’Irlande (dont les dépenses publiques sont passées de 47,6% à 36,1%, soit 11,5 points), mais numériquement, c’est beaucoup plus : 47 milliards d’euros d’économies annuelles, contre 10 milliards pour l’Irlande.

La contrepartie de ces efforts, c’est un PIB qui s’est rétracté de 25%, et surtout un peuple qui s’est considérablement appauvri : le salaire minimum a baissé de 100 euros, à 580 euros. Le taux de chômage est monté à 25% de la population active. Le financement du système de santé, lui, a été radicalement réduit. Conséquence logique : certaines maladies disparues, comme le paludisme, ont fait leur retour, et les contaminations au VIH ont explosé.

Un défaut de la Grèce coûterait 40 milliards d’euros à l’Etat soit 650 euros par Français

Oui… la France a bien prêté l’équivalent de 42,4 milliards d’euros à la Grèce (11 milliards directement, dans le cadre de prêts bilatéraux, et 31 milliards en garantissant des prêts du Fonds Européen de Solidarité – FESF), mais il est un peu rapide et facile de dire, comme certains journalistes à la télévision, qu’un défaut de paiement de la Grèce coûterait 650€ par Français. Résultat : même des responsables politiques croient que les Français «payent des impôts pour les Grecs».

Ce n’est pas le cas. D’abord car pour perdre ces 42 milliards d’euros, il faudrait que la Grèce fasse défaut sur l’intégralité des sommes dues. Ensuite, et surtout, parce que les sommes prêtées par la France à la Grèce ne l’ont pas été grâce à un prélèvement sur l’impôt, mais dans le cadre du circuit habituel de l’endettement des Etats : en empruntant sur les marchés. Bref, les contribuables français n’ont jamais payé d’impôts pour la Grèce, et personne ne touchera 650€ si le pays rembourse ce qu’il doit. Nous sommes désolés pour votre nouvel iPhone.

L’Allemagne ne peut pas donner de leçons sur le remboursement des dettes

L’idée n’est pas neuve – en campagne, Syriza se servait déjà de cet exemple – mais elle a eu un regain de popularité aux alentours du référendum du 5 juillet : l’Allemagne, qui refuse bec et ongles le moindre début de discussion sur une restructuration de la dette grecque, ne serait pas en mesure de donner des leçons. C’est l’économiste Thomas Piketty, auteur du best-seller Le Capital au XXIe siècle, qui a livré la version définitive de cette idée dans une interview à un quotidien allemandDie Zeit : «Ce qui m’a frappé pendant que j’écrivais, c’est que l’Allemagne est vraiment le meilleur exemple d’un pays qui, au cours de l’histoire, n’a jamais remboursé sa dette extérieure, ni après la Première, ni après la Seconde Guerre mondiale. […] L’Allemagne est LE pays qui n’a jamais remboursé ses dettes. Elle n’est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations.»

Oui, mais… En 1953 notamment, l’Allemagne a bénéficié de la solidarité européenne : pour se reconstruire, elle a vu 60% de sa dette effacée. Et ça a marché : elle est aujourd’hui la première puissance économique du continent (ce qui tient, aussi, à de nombreux autres éléments). Mais les deux situations sont-elles vraiment comparables ? Non, selon un politologue américain, William Kindred Winecoff, qui explique, cité et traduit par Slate.fr : «La dette allemande avait été effacée en 1953 à condition que l’Allemagne maintienne une balance commerciale positive et un excédent budgétaire, ce qui garantissait des exportations subventionnées vers les pays européens, qui manquaient de capacités industrielles juste après la guerre. C’est ce qu’on demande maintenant à la Grèce mais le gouvernement refuse.»

Syriza gouverne avec l’extrême droite (et est comparable au FN en France)

C’est un argument récurrent, notamment à droite, car il permet de réactiver le vieux cliché des «extrêmes qui se rejoignent». Syriza, mouvement d'«extrême gauche», gouvernerait la Grèce avec un «parti d’extrême droite», en l’occurrence Anel, le parti des Grecs indépendants. Et, en France, le mouvement d’Aléxis Tsípras serait comparable au Front national.

Oui, mais non. Le parti Anel, qui figure bien au gouvernement dirigé par Aléxis Tsípras, est indubitablement un parti très à droite. Son président, Panos Kammenos, est capable de saillies racistes (comme lorsqu’il a affirmé que les Juifs et les bouddhistes étaient exemptés d’impôts, contrairement à l’Eglise orthodoxe) ou complotistes (il a dit que la Grèce était victime d’une attaque chimique par les traces que laissent les avions dans le ciel, les «chemtrails» dénoncés par les adeptes de cette théorie). Mais il s’agit aussi du seul autre parti grec à rejeter l’austérité. Le Premier ministre a reconnu qu’il s’agissait d’une alliance contre-nature, mais à l’issue d’élections législatives où ne lui manquaient que deux sièges au Parlement pour avoir la majorité absolue, il a choisi de ne pas se priver de cet allié. Lequel n’a récolté qu’un ministère.

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On pourra souligner aussi que certaines des personnes poussant des cris d’orfraie aujourd’hui devant cette alliance étaient moins gênées, les dernières années, lorsque des partis équivalents au PS ou à l’UMP gouvernaient eux aussi le pays avec l’extrême droite.

Concernant, enfin la proximité idéologique entre Syriza et le FN, suggérée au plus haut sommet de l’Etat par le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron (qui a ensuite tenté de se justifier), elle est inexistante. Contrairement au FN, Syriza défend entre autres la naturalisation facilitée et le droit de vote des immigrés et le regroupement familial. Quant à la récupération que tente de faire le Front national des victoires de Syriza, le mouvement a réaffirmé, il y a quelques mois, que ses «partenaires et soutiens français […] sont de gauche».

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