« Trumpisme », une lucidité pervertie
Trump ne s’oppose pas plus que Clinton à Wall Street qui a les moyens de « calmer » ses quelques velléités verbales de coloration anticapitaliste : l’Amérique « d’en-bas » va vite s’en apercevoir…
Dans la période grise que le monde occidental traverse, quelques lueurs de lucidité dont certaines tendent à faire des « clairs de lune », comme dit le poète, tandis que d’autres menacent de déclencher des orages. Sanders aux États-Unis, la nouvelle direction du Parti Travailliste britannique, Podemos en Espagne (malgré l’échec de Syrisa), les courants communistes qui se refusent aux compromis électoralistes sans issue avec les partis « socialistes » eux-mêmes en pleine décadence, ne sont qu’au début de leur recherche de voies nouvelles auxquelles les masses populaires ne sont que modérément sensibilisées.
Par contre, les néoconservateurs et néofascistes, prudemment qualifiés de « populistes » de droite, réussissent partout, aux États-Unis et en Europe, à attirer dans leur mouvance les démunis et plus largement les victimes du capitalisme (auquel les médias préfèrent le terme de « mondialisation » plus « neutre »).
La victoire de Trump et des ultras du Parti Républicain aux États-Unis est spectaculaire, bien qu’il soit nécessaire de la relativiser : 47% d’abstentions, Clinton détient 200.000 voix de plus sans effet sur le résultat, le corps électoral des Républicains n’est pas homogène mêlant les voix de catégories très privilégiées avec celles des plus défavorisés.
Le système américain et sa logique affairiste étant fortement « cadenassés » (système fédéral, rôle de la Cour Suprême, poids de lobbies et des réseaux, notamment religieux, etc.), Trump ne pourra pas aller au-delà de certaines limites, tout comme Obama n’a pu aller très loin dans les réformes.
L’essentiel est ce que révèle clairement le succès de Trump : la société américaine, fondée à l’origine sur l’esclavagisme et le racisme, sur des aventuriers de l’argent et la violence armée a des séquelles lourdes après des siècles de capitalisme débridé. Des millions de pauvres sans conscience de classe claire désignent un milliardaire opportuniste pour les représenter. Une inculture politique de masse ignorant le monde laisse les oligarques décider du sort de la planète et de la vie de nombreux peuples.
Aussi, le plus significatif pour l’avenir n’est pas Trump, c’est Sanders qui a réussi, avec la jeunesse américaine à initier des valeurs socialistes dans la cité du dollar !
Ce qui « dérange » la bien-pensance européenne c’est que les castes dominantes (qualifiées « d’élites ») soient de plus en plus souvent bousculées, non plus seulement en Pologne, en Hongrie, dans les Pays Baltes, en Autriche, etc. mais dans la Mecque du néolibéralisme et de l’affairisme triomphant. Les explications médiatiques et politiciennes fleurissent : elles sont psychologiques et éthologiques. L’ « élite », comme elles le répètent malgré tout, était malencontreusement aveuglée par le « vivre entre soi » et n’a pas « perçu » les changements dans la société civile !
Les réponses sont sans doute ailleurs.
Le système capitaliste a une logique imparable : il fabrique la concentration et le gigantisme de quelques pouvoirs privés économiques et financiers qui se croient tout permis ; il creuse des inégalités abyssales ; il fabrique le chômage de masse, la précarité et l’insécurité sociale généralisée, lorsqu’il ne lance pas ses armées dans des aventures militaires productrices de chaos. Il s’avère incapable (parce qu’il n’y trouve aucun intérêt) de résoudre les grands problèmes sociaux et fait évoluer les peuples vers une « tiermondisation » insupportable pour le plus grand nombre (dégradation des services publics, fiscalité discriminatoire, déclin des couvertures sociales, etc.). Le résultat est un mécontentement et une peur grandissante, source de rejet des formes traditionnelles de domination, ce qui est un début …
Les « recettes » de la social-démocratie européenne, de moins en moins sociale et de moins en moins démocratique, ne fonctionnent plus, comme en attestent les dérives des partis socialistes français ou espagnols, notamment, dont les actions sont axées sur quelques mesures sociétales, tout en étant complices des pouvoirs économiques et financiers. Elles écœurent les couches populaires dont la confusion est croissante, mais qui ont enfin découvert un ennemi qui se présentait comme un allié…
Quant à la mouvance communiste, elle est gravement atteinte par l’accumulation de défaites, par une image détériorée non seulement par une propagande hostile incessante mais par ses insuffisances (par exemple, dans le domaine de l’écologie), ses ambiguïtés maladroites liées à un électoralisme de survie : elle n’est plus perçue comme une alternative crédible.
Les propositions communistes ne sont plus entendues, y compris lorsqu’elles sont de qualité ou inédites, la plupart des batailles idéologiques ces dernières décennies ayant été perdues. L’astuce des néo-cons est de ne plus braquer les projecteurs sur elles en usant d’un « silence anticommuniste ». Mais au sein du mouvement communiste, naît une nouvelle radicalité, qui se manifeste par exemple, dans le premier syndicat français la CGT. C’est peut-être le début d’une renaissance.
En Occident, le premier « parti » est celui de l’abstention qui, pour l’heure, ne perturbe pas les intérêts dominants. Le capitalisme n’a besoin ni de citoyens actifs ni de démocratie. Il est en train de s’accommoder, bien que sans enthousiasme, du néo-conservatisme (aux États-Unis, le Teaparty, le trumpisme) et même en Europe d’un néofascisme qui a « ravalé sa façade », les années 1930-1940 étant lointaines et oubliées. Leurs pseudo remèdes sont pourtant les plus vieux du monde : recherche de boucs-émissaires et de chefs charismatiques, éloge de la virilité et de l’État « fort », etc., mais simple aménagement du mode de production. C’est l’inculture des masses et leur infantilisation, soigneusement cultivées, le nombrilisme des milieux intellectuels, les manipulations des grands médias qui donnent à ces vieilleries un aspect attractif et « non politiquement correct » !
Dans ce paysage dévasté, une certaine lucidité émerge : on commence à percevoir que le système qui offre tout à 10% de la population et pratiquement plus rien aux autres est devenu insupportable.
Nombre de citoyens maltraités, en rejetant vivement les médias, comprennent qu’ils sont l’objet de toutes les manœuvres électorales, et qu’il est nécessaire, pour vivre décemment, de ne plus se laisser faire.
Après l’apathie plus ou moins « apolitique », la démocratie du bavardage et de la fausse concertation, naît le besoin d’adopter un autre système où le quotidien serait moins difficile à vivre.
Ce début de lucidité est cependant perverti. Il ne conduit pas à une volonté d’appropriation de l’appareil économique et social, à l’invention d’une nouvelle citoyenneté active. Il oriente vers de nouveaux maîtres, pires que ceux d’aujourd’hui, tout comme les Allemands ont adhéré, pour en sortir, au nazisme. La conscience de classe est présente face à ce qu’on appelle « l’élite », formule anonyme et sans contenu réel, mais on en tire qu’une leçon pathologique. Il n’y a pas d’affrontement avec les exploiteurs (il est vrai peu visibles dans le brouillard médiatique). Il reste en effet en faveur du capitalisme, le culte de la soi-disant « réussite », de l’argent, la séduction d’une consommation superflue, la personnalisation du politique longuement forgée.
Peut-être, les peuples se condamnent-ils, pour atteindre à un niveau supérieur de clairvoyance, à expérimenter à nouveau l’autoritarisme d’un capitalisme fascisant, mettant en œuvre à dose massive des contre-réformes : l’Histoire du progrès est faite de brèves avancées et de longues régressions. C’est que le néofascisme en développement est « facile ». C’est sa grande force. Il ne vise pas à la transformation socio-économique de la société et se contente de discours « radicaux ». Il cultive les instincts les plus basiques des hommes. Il se fait complice des milieux d’affaires et ne les met en cause que formellement aussi longtemps que ces pouvoirs privés dominants espèrent encore que les droites et les gauches « classiques » aient la capacité d’empêcher les « perturbations » sociales.
Trump ne s’oppose pas plus que Clinton à Wall Street qui a les moyens de « calmer » ses quelques velléités verbales de coloration anticapitaliste : l’Amérique « d’en-bas » va vite s’en apercevoir : la comédie de la fausse démocratie américaine devra alors redoubler d’intensité pour éviter une crise globale de la première puissance mondiale en déclin.
En attendant, la lucidité pervertie de masses humaines importantes prépare des lendemains qui ne chantent pas. Il est donc toujours plus urgent de rendre sain et transformateur ce qui n’est qu’un balbutiement frappé de multiples pathologies. Le Trumpisme est un nouveau signal d’alarme de ce vieux monde euraméricain usé et décadent.
Novembre 2016
Robert CHARVIN
Source: Investig’Action