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  • Vérités et mensonges sur le Venezuela

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    Depuis quelques semaines, le Venezuela fait régulièrement la une de l’actualité internationale. Comme au temps d’Hugo Chavez, une importante campagne médiatique de dénigrement et de mensonge est menée contre la Révolution Bolivarienne. Même si en effet le Venezuela traverse une période difficile notamment sur le plan économique, la réalité de la situation décrite par les médias s’avère très souvent partiale et caricaturale. Journaliste installé depuis quarante au Venezuela, Jean Araud suit de très près l’actualité dans le pays. Son analyse de la situation diffère radicalement de ce qu’on entend généralement dans les médias dominants.

    Le 6 décembre dernier, l’opposition vénézuélienne remportait pour la première fois en quinze ans les élections législatives. Quatre mois plus tard, quel bilan pouvons-nous tirer des premières actions de l’opposition à l’Assemblée Nationale?

    En réalité aucun bilan ne surprend véritablement. Le nouveau président de l’Assemblée Nationale, Ramos Allup, est un politicien de la vieille école bien connu des Vénézuéliens pour son style provocateur. Le bilan est marqué par des provocations suivies d’autres provocations. La nouvelle Assemblée Nationale a tenté d’ignorer les autres niveaux de pouvoirs, en essayant par exemple d’imposer trois de ses députés qui avaient été élus de manière frauduleuse, ou en essayant de faire passer certaines lois des plus extravagantes. Parmi ces lois, une « loi d’amnistie » a pour objectif de pardonner des personnes condamnées et qui purgent leur peine, ou des hors-la-loi, pour des actes de corruption. Le véritable bilan est un véritable show médiatique, prudemment diffusé par certains grands médias internationaux, et plusieurs protestations populaires contre les prétentions de l’Assemblée Nationale, celles-là avec peu de couverture médiatique. Mais jusqu’à présent, cette Assemblée Nationale n’a pas réussi à imposer ses trois députés, ni aucune de ses lois extravagantes.

     

    Côté économique, le Venezuela a été frappé de plein fouet par la baisse du prix du pétrole. Puis, depuis quelques semaines, le pays fait face à une terrible sécheresse qui affecte sérieusement l’approvisionnement en énergie. Enfin, l’oligarchie économique mène depuis des années une redoutable guerre économique en créant désapprovisionnement, pénuries… Face à ce contexte difficile, quelles sont les principales mesures qu’a prises le gouvernement pour d’un côté affronter ces problèmes et de l’autre conserver les nombreuses conquêtes sociales acquises ces quinze dernières années?

    Cette question et une synthèse parfaite du panorama général actuel au Venezuela. Face aux difficultés d’approvisionnement en électricité, le gouvernement a pris les mêmes mesures que prendrait n’importe quel autre gouvernement face à une telle situation. D’un côté une campagne d’information auprès de la population a été mise en place avec des messages tels que « je suis prudent, je consomme efficacement », et d’un autre côté, il y a eu une réduction des heures de travail dans les organismes publics afin de minimiser la consommation en énergie.
    Face au désapprovisionnement, créé par l’opposition afin des déstabiliser ou pour tenter de provoquer une explosion social, des programmes baptisés « motores » ont été développés afin de développer d’autres moteurs économiques que le pétrole. Ces programmes concernent principalement les manufactures, l’agriculture et le tourisme. On a également développé des activités de cultures urbaines afin de pallier au désapprovisionnement et à la distribution d’aliments sur le marché noir. En réalité, ce désapprovisionnement est le résultat de l’accaparement des produits.
    Par exemple, le peuple n’a pas les moyens de s’approvisionner en sucre, ni en pain, sous le prétexte qu’il n’y a pas de farine. Mais curieusement, si on fait le tour des boulangeries de Caracas, on peut voir dans les vitrines toute sorte d’articles de boulangerie et de pâtisserie, mais bien entendu à des prix astronomiques. Cela est juste un exemple qui en illustre des centaines d’autres.
    Les conquêtes sociales continuent cependant de se développer et ce malgré la crise économique. Le gouvernement maintient fermement certains programmes d’éducation, de logements et le système de pensions. Le gouvernement a également multiplié les augmentations de salaires afin que la population puisse faire face à l’augmentation démesurée du prix des denrées.

     

    De nombreux historiens, analystes, voient dans cette guerre économique menée contre la Révolution bolivarienne un remake de la guerre menée par les secteurs oligarchiques chiliens contre le président Salvador Allende dans les années 1970. Selon vous, cette comparaison est-elle justifiée ?

    L’époque n’est pas la même, mais oui, il existe des similitudes, et la principale est que ces deux cas sont des guerres économiques menées depuis Washington. Au Chili, se fut de manière couverte, mais aujourd’hui au Venezuela cela est fait à la lumière du jour. La grande différence est qu’au Chili, les militaires ont utilisé la manière forte, et qu’ici au Venezuela, les militaires se présentent comme des citoyens armés.
    Nous assistons depuis quelques semaines à une croisade médiatique contre le président Maduro, accusé de tous les maux dont souffre le pays. Cela rappelle étrangement les campagnes de manipulation et de diffamation dont était victime le président Chavez. Comment expliquez-vous cet acharnement médiatique à l’heure ou le Venezuela fait face à d’importants problèmes économiques ?

    La croisade médiatique est exactement la même car elle est réalisée par de grands médias internationaux qui dépendent du « grand capital », des corporations et qui sont transnationaux. Chavez ou Maduro ne sont attaqués que pour ce qu’ils représentent. Il s’agit en fait d’une croisade du capitalisme contre un nouveau modèle de socialisme qui, dans le cas du Venezuela, a été adopté par une grande majorité du peuple dans l’espoir d’un nouveau monde possible, plus juste et plus humain. Pour les grandes puissances occidentales, cela est un exemple dangereux qu’il ne faudrait pas que ses propres peuples suivent, d’où une grande motivation pour neutraliser, par tous les moyens possibles, les leaders de ce modèle. Plus le temps passe, plus des informations laissent à penser, à travers des indices mais également certaines preuves, que le président Chavez a été assassiné, victime, en un mot d’un assassinat.

     

    L’opposition vénézuélienne rassemblée autour de la « Mesa de la Unidad Democratica » (MUD) vient de lancer une stratégie globale dans le but de renverser le plus rapidement le président Maduro. Face à cette offensive, quel rôle peuvent jouer les bases chavistes que l’on sait puissantes et bien ancrées au sein de la population ?

    Avant de répondre à votre question, je me permets une parenthèse. L’appellation « Mesa de la Unidad Democrática » n’est qu’une appellation. N’allez pas imaginer que l’opposition vénézuélienne est unie autour d’une supposée table. L’opposition est menée par des personnalités politiques de la vieille école du bipartisme pratiqué lors de l’ancienne république, c’est-à-dire AD (pour « Acción Democrática ») et COPEI pour les socialistes chrétiens. De fait, l’actuel président de l’Assemblée Nationale est un membre historique d’AD et nombreux sont les incidents qui démontrent qu’entre les partis d’opposition, l’harmonie n’est tout simplement pas à l’ordre du jour.
    Cette situation est diamétralement opposée à celle des dirigeants chavistes dont l’immense majorité est fidèle à l’héritage de Chávez, c’est-à-dire fidèle au président Maduro. En réalité, l’opposition n’a aucune stratégie globale pour sortir Maduro dans le sens d’actions stratégiques planifiées et coordonnées. Ce qu’a l’opposition c’est l’obsession de sortir Maduro, la même obsession que contre Chávez. De fait, l’opposition ne fait aucune proposition, ne présente aucun programme concret pour solutionner les problèmes du pays, mais oriente ouvertement ses actions sur une prise de pouvoir coûte que coûte, par la voie démocratique ou non, dans le respect des lois ou non. Actuellement, l’opposition tente de recourir à une révocation afin de destituer Maduro. Ce processus demande une mise en contexte et une observation attentive, et ce pour plusieurs motifs.
    C’est Chávez, que certains médias présentaient comme un dictateur, qui a introduit dans la nouvelle constitution vénézuélienne le principe de révocation, symbole démocratique par excellence dont peut de prétendues démocraties peuvent se vanter. La révocation permet au peuple, en ne réunissant qu’un pour-cent de signatures parmi les électeurs, de solliciter un référendum visant à révoquer à mi-mandat les autorités élues, et ce inclut le président de la république.
    L’opposition qui, bien entendu, s’est opposée à la nouvelle constitution, y fait pourtant appel afin de provoquer un référendum pour révocation et n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai. En 2014 déjà, l’opposition a tenté la même action contre Chávez. Malgré des preuves que la liste des signatures présentées par l’opposition à l’époque était plus que douteuse, le président Chávez accepta d’organiser le référendum et d’en accepter le résultat. Et le résultat fut que Chávez remporta le référendum et la prétendue révocation de l’opposition se transforma en réalité en ratification de la présidence de Chávez.
    Actuellement, dans le cas de Maduro, les chavistes ne sont pas disposés à accepter que l’opposition fraude afin de réunir les signatures nécessaires. Pour cela, un référendum révocatoire à l’encontre de Maduro n’est pour le moment qu’une prétention de l’opposition. Mais, si ce référendum devait avoir lieu, il n’est pas dit que l’opposition puisse gagner cette révocation et ce pour différentes raisons. Primo, les manifestations observées dernièrement indiquent le pouvoir de rassemblement du peuple en faveur de Maduro et la faible capacité de convocation de l’opposition. Secundo, comme mentionné dans votre première question, l’opposition a remporté des élections législatives pour la première fois en quinze ans, mais il faut se rappeler le contexte. L’opposition a gagné en grande partie grâce à une stratégie peu démocratique et grâce à l’abstention de nombreux électeurs chavistes, ou encore d’électeurs qui ont voté dans une situation de mécontentement, des multiples déstabilisations. Enfin, aujourd’hui ces mêmes électeurs observent le comportement de l’opposition face à son Assemblée Nationale et observent également avec attention ce qu’il se passe en Argentine avec un nouveau président néo-libéral.
    Dans ce contexte, le rôle des bases chavistes est tout simplement de diffuser la réalité et de continuer le chemin tracé par Chávez avec son « Plan pour la Patrie » et les programmes sociaux qui ont permis au peuple de voter en son âme et conscience, sans se laisser manipuler par les punitions que l’opposition continue de lui infliger afin de le déstabiliser.

     
    Le président Maduro a accusé à de nombreuses reprises le gouvernement des Etats-Unis de vouloir en finir avec la Révolution Bolivarienne. Il a notamment accusé le président Obama d’avoir renouvelé le décret faisant du Venezuela une « menace inhabituelle et rare pour la sécurité des Etats-Unis ». Face à ces accusations de la part du gouvernement vénézuélien, les médias internationaux accusent Maduro de vouloir détourner l’attention de son peuple. Alors ces menaces du gouvernement US, fantasme ou réalité ?

    Le décret d’Obama ressemble à une blague. Quant aux accusations, qui a accusé qui ? C’est en réalité les Etats-Unis qui ont été les premiers à accuser le Venezuela avec ce décret. On se demande qui peut vraiment croire qu’un si petit pays comme le Venezuela puisse représenter une menace pour la grande puissance que sont les Etats-Unis. Les menaces du gouvernement américain ne sont pas des simples menaces mais se traduisent dans les faits. L’opposition vénézuélienne est en grande partie financée par les Etats-Unis et la campagne médiatique contre la révolution bolivarienne se prépare dans des laboratoires basés aux Etats-Unis. Dernièrement, ce même Obama a déclaré publiquement que le Venezuela devrait changer de président.

     

    Il est impossible de comprendre la contre-offensive nationale et internationale contre le gouvernement vénézuélien sans prendre en compte le contexte régional : retour de la droite en Argentine, coup d’Etat parlementaire au Brésil… Selon vous, comment expliquer et interpréter ce retour en grâce du néolibéralisme dans la région et quel rôle le Venezuela peut-il jouer pour freiner ce processus ?

    C’est là un point crucial. Le néolibéralisme n’attaque pas seulement le Venezuela mais coordonne une attaque globale contre les peuples progressistes d’Amérique Latine comme l’Argentine, la Bolivie, l’Equateur et le Venezuela. Pour assurer le retour du néolibéralisme, tous les moyens sont possibles: la voie médiatique, d’une part; mais également les déstabilisations à travers comme au Venezuela le désapprovisionnement provoquée des produits de première nécessité, et jusqu’à l’infiltration de paramilitaires avec des assassinats bien ciblés. La stratégie est de déstabiliser ces peuples et de provoquer des troubles afin de justifier l’intervention classique au nom de la liberté et de la démocratie.

    C’est le même scénario que pour toutes les interventions réalisées par les Etats-Unis tout au long de leur histoire, dans le but d’occuper des territoires. Mais dans ce cas précis, il existe différents paramètres additionnels et tout aussi importants. Il s’agit ici d’un continent qui depuis des décennies est vu par les Etats-Unis comme sa « basse-cour ». Après Fidel Castro a Cuba, des leaders emblématiques tels que Chávez, Morales, Lula, Correa et Kirchner sont apparus et ont insufflé un progressisme pour lequel les peuples les ont suivis en masse. Les Russes et les Chinois sont également présents en Amérique Latine. Par ailleurs, les peuples des Etats-Unis et d’autres puissances occidentales, font actuellement face à des conjonctures sociales qui peuvent devenir dangereuses pour leurs gouvernements.

    Le Venezuela peut continuer à jouer un rôle pour freiner la tentative actuelle de retour du néolibéralisme, mais seule l’union des peuples progressistes sud-américains pourra résister à cette attaque globale. C’est le chemin tracé par les libérateurs sud-américains lorsqu’ils ont obtenu l’indépendance de leur pays qui s’est transformé par après en un autre type de colonisation par le capitalisme. D’une certaine façon il s’agit pour ces pays de s’émanciper et de gagner une seconde indépendance.

     

    Journalistes et respectivement correspondants en Argentine et au Venezuela pour Le Journal de Notre Amérique – Investig’Action

    Source: Le Journal de Notre Amérique, mai 2016

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  • “Clinton est vraiment dangereuse”


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    Jusqu’où ira Hillary Clinton pour accéder à la Maison-Blanche et que pourrait-on attendre de son éventuelle présidence? Nous avons posé la question à Diana Johnstone. Dans son récent ouvrage Hillary Clinton, la reine du chaos, elle analyse le lien entre les ambitions de la candidate sans scrupule et la machine qui sous-tend l’empire américain. Du coup d’Etat au Honduras à la guerre en Libye en passant par l’instrumentalisation de la cause féministe, Diana Johnstone nous dévoile la face cachée de la candidate démocrate et nous met en garde sur le “Smart Power” cher à Clinton. Enfin, elle analyse pour nous le succès de Donald Trump et ce que son alternative représente vraiment.


    La course à la Maison-Blanche se fait au coude-à-coude. Hillary Clinton a-t-elle une chance de l’emporter ? Comment analysez-vous sa campagne jusqu’ici ?

    Elle a commencé sa campagne en grande favorite, mais ne cesse de baisser dans les sondages. Avec toute la machine du Parti démocrate à son service, un énorme trésor de guerre, et la certitude de gagner les premières primaires dans les Etats du Sud, Hillary Clinton avait une longueur d’avance qui rendait le rattrapage de son challenger imprévu Bernie Sanders quasi impossible. Pourtant, ce vieux sénateur peu connu, se qualifiant de « socialiste démocratique » dans un pays où le socialisme est largement considéré comme l’œuvre du diable, a suscité un enthousiasme extraordinaire, notamment parmi les jeunes. Quoi qu’il arrive, la campagne inattendue de Bernie a réussi à attirer l’attention sur les liens quasi organiques entre les Clinton et Wall Street, liens occultés par les grands médias. Pour la première fois, ceux-ci ont été efficacement contrecarrés par Internet qui fourmille de vidéos dénonçant la cupidité, les mensonges, la bellicosité de Mme Clinton.

    Par ailleurs, Hillary Clinton court le risque d’ennuis graves à cause de son utilisation illicite de son propre serveur email en tant que secrétaire d’Etat.

    Au cours des primaires, sa popularité a baissé tellement que le Parti démocrate doit commencer à être effrayé de nommer une candidate trainant tant de casseroles. Les derniers sondages montrent que l’impopularité de Hillary Clinton commence à dépasser l’impopularité de Trump. Pour beaucoup d’électeurs, il sera difficile de choisir « le moindre mal ».

     

    La campagne de Hillary Clinton aurait déjà coûté 89,6 millions de dollars. De quels personnages influents a-t-elle le soutien ? Peut-on deviner, à partir de là, quels intérêts Clinton pourrait défendre si elle devient présidente ?

     Celui qui se met le plus en avant est un milliardaire israélo-américain, Haim Saban, qui s’est vanté de donner « autant d’argent qu’il faut » pour assurer l’élection de Hillary. En retour, elle promet de renforcer le soutien à Israël dans tous les domaines, de combattre le mouvement BDS et de poursuivre une politique vigoureuse contre les ennemis d’Israël au Moyen-Orient, notamment le régime d’Assad et l’Iran. Le soutien financier considérable qu’elle reçoit de l’Arabie saoudite va dans le même sens. D’autre part, les honoraires faramineux reçus de la part de Goldman Sachs et d’autres géants de la finance laissent peu de doute sur l’orientation de sa politique intérieure.

     

    En devenant la première femme présidente des Etats-Unis, pensez-vous que Hillary Clinton ferait avancer la cause féministe ?

    Le fait d’être femme est le seul élément concret qui permet à Hillary de prétendre que sa candidature soit progressiste. L’idée est que si elle « brise le plafond de verre » en accédant à ce poste suprême, son exemple aidera d’autres femmes dans leur ambition d’avancer dans leurs carrières. Mais pour la masse des femmes qui travaillent pour de bas salaires, cela ne promet rien.

    Il faut placer cette prétention dans le contexte de la tactique de la gauche néolibéralisée de faire oublier son abandon des travailleurs, c’est-à-dire de la majorité, en faveur de l’avancement personnel des membres des minorités ou des femmes.   Il s’agit de la « politique identitaire » qui fait oublier la lutte des classes en se focalisant sur d’autres divisions sociétales. En d’autres termes, la politique identitaire signifie le déplacement du concept de l’égalité du domaine économique à celui de la subjectivité et des attitudes psychologiques.

     

    Dans votre livre, Hillary Clinton, la reine du Chaos, vous revenez sur la guerre du Kosovo. Hillary Clinton était la première Dame des Etats-Unis à l’époque. En quoi le bombardement de la Yougoslavie en 1999 a-t-il été un épisode marquant de son parcours politique ?

    Avec son amie Madeleine Albright, l’agressive ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hillary poussait son mari Bill Clinton à bombarder la Yougoslavie en 1999. Cette guerre pour arracher le Kosovo à la Serbie fut le début des guerres supposées « humanitaires » visant à changer des régimes qui ne plaisent pas à Washington. Depuis, Hillary s’est fait la championne des « changements de régime », notamment en Libye et en Syrie.

    Dans mon livre, La Reine du Chaos, je souligne l’alliance perverse entre le complexe militaro-industriel américain et certaines femmes ambitieuses qui veulent montrer qu’elles peuvent faire tout ce que font les hommes, notamment la guerre. Un intérêt mutuel a réuni les militaristes qui veulent la guerre et des femmes qui veulent briser les plafonds de verre. Si les militaristes ont besoin de femmes pour rendre la guerre attrayante, certaines femmes très ambitieuses ont besoin de la guerre pour faire avancer leur carrière. Les personnalités les plus visiblement agressives et va-t’en guerre de l’administration Obama sont d’ailleurs des femmes : Hillary, Susan Rice, Samantha Power, Victoria Nuland…  C’est un signal au monde : pas de tendresse de ce côté-ci !

     

    On peut ajouter le Honduras au tableau de chasse de Hillary Clinton. Elle était fraîchement élue secrétaire d’Etat lorsqu’en 2009, l’armée a renversé le président Manuel Zelaya. Un avant-goût de la méthode Clinton ?

    Son rôle en facilitant le renversement par des militaires d’un président démocratiquement élu illustre à la fois ses méthodes et ses convictions. Ses méthodes sont hypocrites et rusées : elle feint une désapprobation du procédé tout en trouvant les moyens de l’imposer, contre l’ensemble de l’opinion internationale. Ses convictions, c’est clair, l’amènent à soutenir les éléments les plus réactionnaires dans un pays qui est le prototype de la république bananière : c’est le pays le plus dominé par le capital et par la présence militaire des Etats-Unis de toute l’Amérique latine, le plus pauvre après Haïti.   Zelaya aspirait à améliorer le sort des pauvres et des indigènes. Il osait même proposer de convertir une base militaire américaine en aéroport civil. A la trappe ! Et depuis, les opposants – par exemple la courageuse Bertha Caceres – sont régulièrement assassinés.

     

    Cette méthode porte un nom, le Smart Power. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?

    Dans le discours washingtonien, on distingue depuis longtemps le « hard power » (militaire) du « soft power » (économique, politique, idéologique, etc.). Hillary Clinton, qui se vante d’être très intelligente, a pris comme slogan le « Smart Power », le pouvoir malin, habile, qui ne signifie qu’une combinaison des deux. Bref, elle compte utiliser tous les moyens pour préserver et avancer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis.

     

    Si le Smart Power aspire à combiner la méthode douce et la manière forte, cette dernière semble avoir la préférence de Clinton malgré tout !

    Oui, en tant que chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton a souvent montré une préférence pour la force contre l’utilisation de la diplomatie. On voit les mêmes tendances chez ses consœurs Madeleine Albright, Susan Rice ou Samantha Power. Surtout dans le cas de la Libye, Clinton a saboté les efforts de médiation des pays africains et même d’officiers supérieurs américains et du membre du Congrès Kucinich qui avaient pris contact avec les représentants de Gaddafi en quête d’un compromis pacifique. Elle s’opposait aussi aux négociations avec l’Iran. Et elle est prête à risquer la guerre avec la Russie pour chasser Assad, ce qui s’accorde avec son hostilité affichée envers Poutine.

     

    Les années Bush et la brutalité des néoconservateurs ont frappé les esprits, mais le Smart Power de Clinton semble tout aussi dangereux, non ?

    Tout à fait, cette femme est très dangereuse. Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à renouveler leur arsenal nucléaire, alors qu’ils mènent une campagne de propagande haineuse antirusse qui dépasse celle de la guerre froide, alors qu’ils obligent leurs alliés européens à acheter une quantité énorme d’avions de guerre made in USA tout en poussant l’Otan à concentrer les forces militaires le long des frontières russes, la présidence de Mme Hillary Clinton représenterait un péril sans précédent pour le monde entier.

     

    Vous pointez dans votre ouvrage tout le poids du complexe militaro-industriel dans la politique étrangère des Etats-Unis. Finalement, la personne qui occupe le bureau ovale a-t-elle une marge de manœuvre ?

    La base matérielle de la politique guerrière des Etats-Unis, c’est ce complexe militaro-industriel (MIC), né au début de la guerre froide, contre la dangerosité duquel le président Eisenhower lui-même a averti le public en 1961. Il a fini par dominer la vie économique et politique du pays. Les intellectuels organiques de ce complexe, logés dans les think tanks et les rédactions des grands journaux, ne cessent de découvrir, ou plutôt d’inventer, les « menaces » et les « missions humanitaires » pour justifier l’existence de ce monstre qui consomme les richesses du pays et menace le monde entier.   Les présidents passent, le MIC reste. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, le « Parti de la Guerre » se sent tout-puissant et devient plus agressif que jamais. Hillary Clinton a tout fait pour devenir leur candidate préférée.

     

    Comment construire dès lors une alternative à ce Parti de la Guerre ?

    C’est la grande question à laquelle je ne saurais répondre. Par ailleurs, il n’existe pas de formule pour de tels bouleversements, qui dépendent d’une diversité de facteurs, souvent imprévisibles. La candidature tellement décriée de Trump pourrait en être un, car le vieil isolationnisme de droite est certainement un des éléments qui pourrait contribuer à détourner Washington de son cours vers le désastre. Qu’on le veuille ou non, il faut reconnaître que « la gauche » est trop impliquée dans la farce des « guerres humanitaires » pour être la source du revirement. Il faut une prise de conscience qui dépasse les divisions de classes et d’étiquettes politiques. La situation est grave, et tout le monde est concerné.

     

    Trump se demande en effet pourquoi les Etats-Unis devraient jouer au gendarme dans le monde entier, plaide pour des relations plus constructives avec la Russie et interroge l’utilité de l’Otan. Il est même opposé au TTIP ! Mais son protectionnisme conservateur ne pourrait-il pas conduire à d’autres guerres de grande ampleur ? N’y a-t-il pas d’autre espoir ?

     Il est difficile de qualifier un personnage tel que Trump comme « espoir », mais il faut le situer dans le contexte politique américain. En Europe, et notamment en France, on persiste à prendre le spectacle des élections présidentielles américaines comme une évidence de la nature « démocratique » du pays. Mais tous ces spectacles, avec leurs conflits et leurs drames, tendent à obscurcir le fait central : la dictature de deux partis, tous les deux dominés par le complexe militaro-industriel et son idéologie d’hégémonie mondiale. Ces deux partis sont protégés de concurrence sérieuse par les règles particulières à chacun des cinquante Etats qui rendent quasiment impossible la présence d’un candidat tiers.   L’exploit de Trump est d’avoir réussi à envahir et d’accaparer l’un de ces deux partis, le Parti républicain, qui se trouvait dans un état de dégradation intellectuelle, politique et morale extrême. Il l’a accompli par une sorte de démagogie très américaine, perfectionnée pendant sa prestation en tant que vedette d’un programme de « télé-réalité ». C’est une démagogie empruntée au show-business plutôt qu’au fascisme. On ravit l’auditoire en étant choquant.

    L’invasion du jeu électoral par cet amuseur de foules est très significative de la dépolitisation du pays – tout comme la réussite plus modeste de Bernie Sanders montre le désir d’une minorité éclairée progressiste de réintroduire le politique dans le spectacle.

    Le Parti démocrate, tout corrompu qu’il soit, garde vraisemblablement assez de vigueur pour marginaliser l’intrus. Il a une ligne politique claire, représentée par Hillary Clinton : néolibéralisme et hégémonie mondiale sous couvert des droits de l’homme. Il fera tout pour bloquer Sanders.   Mais on peut toujours espérer que le mouvement inspiré par sa candidature contribuera à un renouveau durable de la gauche.

    A court terme, il reste Trump, ancien démocrate plus ou moins, malhonnête comme l’est forcément un homme d’affaires qui a réussi dans l’industrie de la construction, égoïste, comédien, dont on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Seulement, il peut difficilement être pire que Hillary, ne serait-ce que parce qu’il casse le jeu actuel qui mène directement à la confrontation avec la Russie.   En tant que présidente, Hillary se trouverait bien chez elle à Washington entourée de néocons et d’interventionnistes de tout poil prêts à s’embarquer ensemble dans des guerres sans fin. Lui par contre se trouverait dans un Washington hostile et consterné. Ce serait une version originale du « chaos créateur » cher aux interventionnistes.

    L’idée que « le protectionnisme mène à la guerre » fait partie de la doctrine du libéralisme. En réalité, nous sommes déjà en pleine guerre, et un peu de retrait chez soi de la part des Américains pourrait calmer les choses. Que ce soit Trump ou Sanders, un certain « protectionnisme » à l’égard des produits chinois serait nécessaire pour faire redémarrer l’industrie américaine et créer des postes de travail. Mais il est impossible aujourd’hui de pratiquer le « protectionnisme » des années 1930. La peur du « protectionnisme » mène à la politique néolibérale actuelle de l’Union européenne qui détruit toutes les protections des travailleurs.

    Au lieu de craindre Trump, l’Europe ferait mieux de le regarder comme un révélateur. Face à cette Amérique, les Européens doivent retrouver la vieille habitude de formuler leurs propres objectifs, au lieu de suivre aveuglément une direction politique américaine profondément hypocrite, belliqueuse et en pleine confusion. Le bon protectionnisme serait que les Européens apprennent à se protéger de leur grand frère transatlantique.

     

    Source: Investig’Action

     

    Voir Diana Johnstone, Hillary Clinton. La reine du chaos, Editions Delga, 2015

    couv-Hillary-Clinton1-567x850 Diana Johnstone analyse le lien entre les ambitions d’une politicienne sans scrupule, Hillary Clinton, et la machine qui sous-tend “l’empire américain” : le complexe militaro-industriel, les médias, le lobby pro-israélien, et les intellectuels qui orientent le discours sur les droits de l’homme, le multiculturalisme ou les droits de minorités en faveur de la guerre perpétuelle.

    Passant en revue les conflits au Honduras, au Rwanda, en Libye, Bosnie, Kosovo, Irak, Syrie et Ukraine, Diana Johnstone illustre une caractéristique de l’empire américain qui diffère des empires passés : une volonté de destruction d’ennemis potentiels plutôt que d’occupation et d’exploitation.

    En se faisant la porte-parole de “gauche” de l’offensive actuelle contre la Russie, avec le risque de guerre nucléaire qu’elle entraîne, Hillary Clinton renforce un des principaux dangers qui menacent l’humanité aujourd’hui.

    “Clinton est vraiment dangereuse”

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    Jusqu’où ira Hillary Clinton pour accéder à la Maison-Blanche et que pourrait-on attendre de son éventuelle présidence? Nous avons posé la question à Diana Johnstone. Dans son récent ouvrage Hillary Clinton, la reine du chaos, elle analyse le lien entre les ambitions de la candidate sans scrupule et la machine qui sous-tend l’empire américain. Du coup d’Etat au Honduras à la guerre en Libye en passant par l’instrumentalisation de la cause féministe, Diana Johnstone nous dévoile la face cachée de la candidate démocrate et nous met en garde sur le “Smart Power” cher à Clinton. Enfin, elle analyse pour nous le succès de Donald Trump et ce que son alternative représente vraiment.


    La course à la Maison-Blanche se fait au coude-à-coude. Hillary Clinton a-t-elle une chance de l’emporter ? Comment analysez-vous sa campagne jusqu’ici ?

    Elle a commencé sa campagne en grande favorite, mais ne cesse de baisser dans les sondages. Avec toute la machine du Parti démocrate à son service, un énorme trésor de guerre, et la certitude de gagner les premières primaires dans les Etats du Sud, Hillary Clinton avait une longueur d’avance qui rendait le rattrapage de son challenger imprévu Bernie Sanders quasi impossible. Pourtant, ce vieux sénateur peu connu, se qualifiant de « socialiste démocratique » dans un pays où le socialisme est largement considéré comme l’œuvre du diable, a suscité un enthousiasme extraordinaire, notamment parmi les jeunes. Quoi qu’il arrive, la campagne inattendue de Bernie a réussi à attirer l’attention sur les liens quasi organiques entre les Clinton et Wall Street, liens occultés par les grands médias. Pour la première fois, ceux-ci ont été efficacement contrecarrés par Internet qui fourmille de vidéos dénonçant la cupidité, les mensonges, la bellicosité de Mme Clinton.

    Par ailleurs, Hillary Clinton court le risque d’ennuis graves à cause de son utilisation illicite de son propre serveur email en tant que secrétaire d’Etat.

    Au cours des primaires, sa popularité a baissé tellement que le Parti démocrate doit commencer à être effrayé de nommer une candidate trainant tant de casseroles. Les derniers sondages montrent que l’impopularité de Hillary Clinton commence à dépasser l’impopularité de Trump. Pour beaucoup d’électeurs, il sera difficile de choisir « le moindre mal ».

     

    La campagne de Hillary Clinton aurait déjà coûté 89,6 millions de dollars. De quels personnages influents a-t-elle le soutien ? Peut-on deviner, à partir de là, quels intérêts Clinton pourrait défendre si elle devient présidente ?

     Celui qui se met le plus en avant est un milliardaire israélo-américain, Haim Saban, qui s’est vanté de donner « autant d’argent qu’il faut » pour assurer l’élection de Hillary. En retour, elle promet de renforcer le soutien à Israël dans tous les domaines, de combattre le mouvement BDS et de poursuivre une politique vigoureuse contre les ennemis d’Israël au Moyen-Orient, notamment le régime d’Assad et l’Iran. Le soutien financier considérable qu’elle reçoit de l’Arabie saoudite va dans le même sens. D’autre part, les honoraires faramineux reçus de la part de Goldman Sachs et d’autres géants de la finance laissent peu de doute sur l’orientation de sa politique intérieure.

     

    En devenant la première femme présidente des Etats-Unis, pensez-vous que Hillary Clinton ferait avancer la cause féministe ?

    Le fait d’être femme est le seul élément concret qui permet à Hillary de prétendre que sa candidature soit progressiste. L’idée est que si elle « brise le plafond de verre » en accédant à ce poste suprême, son exemple aidera d’autres femmes dans leur ambition d’avancer dans leurs carrières. Mais pour la masse des femmes qui travaillent pour de bas salaires, cela ne promet rien.

    Il faut placer cette prétention dans le contexte de la tactique de la gauche néolibéralisée de faire oublier son abandon des travailleurs, c’est-à-dire de la majorité, en faveur de l’avancement personnel des membres des minorités ou des femmes.   Il s’agit de la « politique identitaire » qui fait oublier la lutte des classes en se focalisant sur d’autres divisions sociétales. En d’autres termes, la politique identitaire signifie le déplacement du concept de l’égalité du domaine économique à celui de la subjectivité et des attitudes psychologiques.

     

    Dans votre livre, Hillary Clinton, la reine du Chaos, vous revenez sur la guerre du Kosovo. Hillary Clinton était la première Dame des Etats-Unis à l’époque. En quoi le bombardement de la Yougoslavie en 1999 a-t-il été un épisode marquant de son parcours politique ?

    Avec son amie Madeleine Albright, l’agressive ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hillary poussait son mari Bill Clinton à bombarder la Yougoslavie en 1999. Cette guerre pour arracher le Kosovo à la Serbie fut le début des guerres supposées « humanitaires » visant à changer des régimes qui ne plaisent pas à Washington. Depuis, Hillary s’est fait la championne des « changements de régime », notamment en Libye et en Syrie.

    Dans mon livre, La Reine du Chaos, je souligne l’alliance perverse entre le complexe militaro-industriel américain et certaines femmes ambitieuses qui veulent montrer qu’elles peuvent faire tout ce que font les hommes, notamment la guerre. Un intérêt mutuel a réuni les militaristes qui veulent la guerre et des femmes qui veulent briser les plafonds de verre. Si les militaristes ont besoin de femmes pour rendre la guerre attrayante, certaines femmes très ambitieuses ont besoin de la guerre pour faire avancer leur carrière. Les personnalités les plus visiblement agressives et va-t’en guerre de l’administration Obama sont d’ailleurs des femmes : Hillary, Susan Rice, Samantha Power, Victoria Nuland…  C’est un signal au monde : pas de tendresse de ce côté-ci !

     

    On peut ajouter le Honduras au tableau de chasse de Hillary Clinton. Elle était fraîchement élue secrétaire d’Etat lorsqu’en 2009, l’armée a renversé le président Manuel Zelaya. Un avant-goût de la méthode Clinton ?

    Son rôle en facilitant le renversement par des militaires d’un président démocratiquement élu illustre à la fois ses méthodes et ses convictions. Ses méthodes sont hypocrites et rusées : elle feint une désapprobation du procédé tout en trouvant les moyens de l’imposer, contre l’ensemble de l’opinion internationale. Ses convictions, c’est clair, l’amènent à soutenir les éléments les plus réactionnaires dans un pays qui est le prototype de la république bananière : c’est le pays le plus dominé par le capital et par la présence militaire des Etats-Unis de toute l’Amérique latine, le plus pauvre après Haïti.   Zelaya aspirait à améliorer le sort des pauvres et des indigènes. Il osait même proposer de convertir une base militaire américaine en aéroport civil. A la trappe ! Et depuis, les opposants – par exemple la courageuse Bertha Caceres – sont régulièrement assassinés.

     

    Cette méthode porte un nom, le Smart Power. Pouvez-vous nous expliquer ce que c’est ?

    Dans le discours washingtonien, on distingue depuis longtemps le « hard power » (militaire) du « soft power » (économique, politique, idéologique, etc.). Hillary Clinton, qui se vante d’être très intelligente, a pris comme slogan le « Smart Power », le pouvoir malin, habile, qui ne signifie qu’une combinaison des deux. Bref, elle compte utiliser tous les moyens pour préserver et avancer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis.

     

    Si le Smart Power aspire à combiner la méthode douce et la manière forte, cette dernière semble avoir la préférence de Clinton malgré tout !

    Oui, en tant que chef de la diplomatie américaine, Hillary Clinton a souvent montré une préférence pour la force contre l’utilisation de la diplomatie. On voit les mêmes tendances chez ses consœurs Madeleine Albright, Susan Rice ou Samantha Power. Surtout dans le cas de la Libye, Clinton a saboté les efforts de médiation des pays africains et même d’officiers supérieurs américains et du membre du Congrès Kucinich qui avaient pris contact avec les représentants de Gaddafi en quête d’un compromis pacifique. Elle s’opposait aussi aux négociations avec l’Iran. Et elle est prête à risquer la guerre avec la Russie pour chasser Assad, ce qui s’accorde avec son hostilité affichée envers Poutine.

     

    Les années Bush et la brutalité des néoconservateurs ont frappé les esprits, mais le Smart Power de Clinton semble tout aussi dangereux, non ?

    Tout à fait, cette femme est très dangereuse. Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à renouveler leur arsenal nucléaire, alors qu’ils mènent une campagne de propagande haineuse antirusse qui dépasse celle de la guerre froide, alors qu’ils obligent leurs alliés européens à acheter une quantité énorme d’avions de guerre made in USA tout en poussant l’Otan à concentrer les forces militaires le long des frontières russes, la présidence de Mme Hillary Clinton représenterait un péril sans précédent pour le monde entier.

     

    Vous pointez dans votre ouvrage tout le poids du complexe militaro-industriel dans la politique étrangère des Etats-Unis. Finalement, la personne qui occupe le bureau ovale a-t-elle une marge de manœuvre ?

    La base matérielle de la politique guerrière des Etats-Unis, c’est ce complexe militaro-industriel (MIC), né au début de la guerre froide, contre la dangerosité duquel le président Eisenhower lui-même a averti le public en 1961. Il a fini par dominer la vie économique et politique du pays. Les intellectuels organiques de ce complexe, logés dans les think tanks et les rédactions des grands journaux, ne cessent de découvrir, ou plutôt d’inventer, les « menaces » et les « missions humanitaires » pour justifier l’existence de ce monstre qui consomme les richesses du pays et menace le monde entier.   Les présidents passent, le MIC reste. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, le « Parti de la Guerre » se sent tout-puissant et devient plus agressif que jamais. Hillary Clinton a tout fait pour devenir leur candidate préférée.

     

    Comment construire dès lors une alternative à ce Parti de la Guerre ?

    C’est la grande question à laquelle je ne saurais répondre. Par ailleurs, il n’existe pas de formule pour de tels bouleversements, qui dépendent d’une diversité de facteurs, souvent imprévisibles. La candidature tellement décriée de Trump pourrait en être un, car le vieil isolationnisme de droite est certainement un des éléments qui pourrait contribuer à détourner Washington de son cours vers le désastre. Qu’on le veuille ou non, il faut reconnaître que « la gauche » est trop impliquée dans la farce des « guerres humanitaires » pour être la source du revirement. Il faut une prise de conscience qui dépasse les divisions de classes et d’étiquettes politiques. La situation est grave, et tout le monde est concerné.

     

    Trump se demande en effet pourquoi les Etats-Unis devraient jouer au gendarme dans le monde entier, plaide pour des relations plus constructives avec la Russie et interroge l’utilité de l’Otan. Il est même opposé au TTIP ! Mais son protectionnisme conservateur ne pourrait-il pas conduire à d’autres guerres de grande ampleur ? N’y a-t-il pas d’autre espoir ?

     Il est difficile de qualifier un personnage tel que Trump comme « espoir », mais il faut le situer dans le contexte politique américain. En Europe, et notamment en France, on persiste à prendre le spectacle des élections présidentielles américaines comme une évidence de la nature « démocratique » du pays. Mais tous ces spectacles, avec leurs conflits et leurs drames, tendent à obscurcir le fait central : la dictature de deux partis, tous les deux dominés par le complexe militaro-industriel et son idéologie d’hégémonie mondiale. Ces deux partis sont protégés de concurrence sérieuse par les règles particulières à chacun des cinquante Etats qui rendent quasiment impossible la présence d’un candidat tiers.   L’exploit de Trump est d’avoir réussi à envahir et d’accaparer l’un de ces deux partis, le Parti républicain, qui se trouvait dans un état de dégradation intellectuelle, politique et morale extrême. Il l’a accompli par une sorte de démagogie très américaine, perfectionnée pendant sa prestation en tant que vedette d’un programme de « télé-réalité ». C’est une démagogie empruntée au show-business plutôt qu’au fascisme. On ravit l’auditoire en étant choquant.

    L’invasion du jeu électoral par cet amuseur de foules est très significative de la dépolitisation du pays – tout comme la réussite plus modeste de Bernie Sanders montre le désir d’une minorité éclairée progressiste de réintroduire le politique dans le spectacle.

    Le Parti démocrate, tout corrompu qu’il soit, garde vraisemblablement assez de vigueur pour marginaliser l’intrus. Il a une ligne politique claire, représentée par Hillary Clinton : néolibéralisme et hégémonie mondiale sous couvert des droits de l’homme. Il fera tout pour bloquer Sanders.   Mais on peut toujours espérer que le mouvement inspiré par sa candidature contribuera à un renouveau durable de la gauche.

    A court terme, il reste Trump, ancien démocrate plus ou moins, malhonnête comme l’est forcément un homme d’affaires qui a réussi dans l’industrie de la construction, égoïste, comédien, dont on ne sait pas trop à quoi s’attendre. Seulement, il peut difficilement être pire que Hillary, ne serait-ce que parce qu’il casse le jeu actuel qui mène directement à la confrontation avec la Russie.   En tant que présidente, Hillary se trouverait bien chez elle à Washington entourée de néocons et d’interventionnistes de tout poil prêts à s’embarquer ensemble dans des guerres sans fin. Lui par contre se trouverait dans un Washington hostile et consterné. Ce serait une version originale du « chaos créateur » cher aux interventionnistes.

    L’idée que « le protectionnisme mène à la guerre » fait partie de la doctrine du libéralisme. En réalité, nous sommes déjà en pleine guerre, et un peu de retrait chez soi de la part des Américains pourrait calmer les choses. Que ce soit Trump ou Sanders, un certain « protectionnisme » à l’égard des produits chinois serait nécessaire pour faire redémarrer l’industrie américaine et créer des postes de travail. Mais il est impossible aujourd’hui de pratiquer le « protectionnisme » des années 1930. La peur du « protectionnisme » mène à la politique néolibérale actuelle de l’Union européenne qui détruit toutes les protections des travailleurs.

    Au lieu de craindre Trump, l’Europe ferait mieux de le regarder comme un révélateur. Face à cette Amérique, les Européens doivent retrouver la vieille habitude de formuler leurs propres objectifs, au lieu de suivre aveuglément une direction politique américaine profondément hypocrite, belliqueuse et en pleine confusion. Le bon protectionnisme serait que les Européens apprennent à se protéger de leur grand frère transatlantique.

     

    Source: Investig’Action

     

    Voir Diana Johnstone, Hillary Clinton. La reine du chaos, Editions Delga, 2015

    couv-Hillary-Clinton1-567x850 Diana Johnstone analyse le lien entre les ambitions d’une politicienne sans scrupule, Hillary Clinton, et la machine qui sous-tend “l’empire américain” : le complexe militaro-industriel, les médias, le lobby pro-israélien, et les intellectuels qui orientent le discours sur les droits de l’homme, le multiculturalisme ou les droits de minorités en faveur de la guerre perpétuelle.

    Passant en revue les conflits au Honduras, au Rwanda, en Libye, Bosnie, Kosovo, Irak, Syrie et Ukraine, Diana Johnstone illustre une caractéristique de l’empire américain qui diffère des empires passés : une volonté de destruction d’ennemis potentiels plutôt que d’occupation et d’exploitation.

    En se faisant la porte-parole de “gauche” de l’offensive actuelle contre la Russie, avec le risque de guerre nucléaire qu’elle entraîne, Hillary Clinton renforce un des principaux dangers qui menacent l’humanité aujourd’hui.

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  • Le 49.3 symptôme de la désintégration de l’État républicain

     

    par MS21

     

     

    «Le 49.3 est une brutalité, le 49.3 est un déni de démocratie, le 49.3 est une manière de freiner ou d'empêcher le débat parlementaire.»

    C'est donc en conscience que le gouvernement Valls a exercé ce déni de démocratie contre la souveraineté populaire. Certes pour le PS ce n'est pas une nouveauté puisque leurs députés avaient, par leur abstention, favorisé la forfaiture contre le vote des Français refusant en 2005 à plus de 54 % lors du référendum, le Traité établissant une constitution pour l'Europe (TCE).

    Certes l'usage du 49.3 est légal, institutionnel. Mais cela ne vaut pas légitimité, lorsque tous les sondages montrent que plus de 70 % des Français sont opposés à cette loi travail El Khomri. Et surtout le gouvernement Valls introduit par l'usage du 49.3 une grande première. Jusqu'au gouvernement Valls, le 49.3 était utilisé contre l'opposition, lorsque le gouvernement ne disposait que d'une majorité relative à l'Assemblée nationale. Ainsi le gouvernement de Michel Rocard, n’ayant pas la majorité absolue au parlement a utilisé le 49.3, 28 fois de mai 1988 à mai 1991. Mais ici, Manuel  Valls l'utilise contre sa propre majorité. Cette “nouveauté” et l'insistance avec laquelle Hollande affirme qu'il ne reviendra pas sur cette loi, quelle que soit la mobilisation est sans doute aussi liée au fait que le gouvernement français n'est plus souverain dans ce domaine, l’Union européenne imposant l'adoption de ce texte  sous la menace de lourdes pénalités.

    Alors, la messe est-elle dite ?

    Pas du tout, adopté à l'Assemblée nationale, le texte doit maintenant effectuer la navette avec le Sénat avant de revenir en 2° lecture à l'Assemblée nationale. Sauf modification majeure, il est fort possible qu'il se heurte à la même opposition. La motion de censure a recueilli 246 voix (dont les 10 voix des députés Front de gauche). Il faut 288 voix pour qu'elle  soit adoptée! Si tous les députés « frondeurs » engagés contre la loi travail El Khomri prennent leurs responsabilités en votant pour la censure, la loi sera bloquée. Et qu'on ne leur reproche pas le vote d'une motion déposée par la droite, ce chantage exercé par le gouvernent est indigne, lorsque lui-même porte la lourde responsabilité de l'usage du 49.3 et n’hésite pas à proposer une loi de droite inspirée par le MEDEF et l’UE.

    Et d'ici là ? les syndicats « n’écartent aucun type d’initiative pour les semaines à venir ». Après les manifestations des 17 et 19 mai, d'autres actions sont prévues les 26 mai et 14 juin. Dans certains secteurs sont lancés des appels à faire grève y compris avec blocage. Et puis de nouveaux secteurs sont entrés en action comme le routiers et les dockers. Partout, les nuits debout relaient les appels à la mobilisation.

    Ce 49.3  «  historique »  est un des symptômes du renoncement de notre démocratie républicaine qui accepte la soumission aux recommandations de la commission européenne et aux traités   réduisant le gouvernement et le parlement au simple rôle de gestionnaires des affaires.

    Le MS21 appelle toutes les forces du pays à se mobiliser massivement pour faire échec à la loi travail El Khomri.

    Non, décidément, le combat n'est pas terminé! La lutte continue !

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  • L'IMMIGRATION CONSEQUENCE ET INSTRUMENT DES POLITIQUES NEOLIBERALES DANS LE CADRE EUROPEEN ET FRANCAIS

     

    Par le MS 21

    (Mouvement pour un Socialisme du 21° siècle)

     

    Sommaire

    1 – Les rapports de domination économique compromettent le développement des pays du Sud et engendrent les flux migratoires

    2 – L'immigration comme instrument des politiques néolibérales

    3 – perspectives pour la gauche pour le court et moyen terme : ouverture totale des frontières ou contrôle des flux ?

    4 – perspectives pour la gauche pour le long terme : la démondialisation

     

    L’immigration est un problème international. Selon les chiffres officiels des Nations Unies, en 2015 on comptait 16 millions de réfugiés dans le monde. En Europe, la situation a pris un tour dramatique avec les migrations en provenance notamment d’Afrique et du Moyen Orient. Plus de 800 000 réfugiés sont entrés en Grèce en 2015, via la Turquie, pour rejoindre les pays de l’Union européenne (UE) et surtout l’Allemagne dont les besoins en main d'oeuvre dont importants, compte-tenu de sa mauvaise situation démographique.

    Les autres pays de l’Union européenne, spécialement ceux de l’Est sont hostiles à l’accueil d’un si grand nombre de réfugiés, et pour apaiser les opinions publiques, l’Union européenne a pris des mesures. Un grand marchandage s’est opéré avec la Turquie. Contre une aide financière de 6 milliards d’euros, un accès dans l’UE sans visa pour ses ressortissants et la promesse de reprendre les négociations sur l’entrée de la Turquie dans l’UE, le régime turc s’engage à reprendre tous les migrants arrivant dans les îles grecques et d’échanger chacun d’entre eux contre un Syrien en attente dans l’un de ses propres camps.

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  • Faut-il détester la Russie?

    Devons-nous « assimiler, coloniser et civiliser » la Russie ? Et même « l’affaiblir par tous les moyens », comme le recommande le stratège US Brzezinski, pour garantir un « nouvel ordre international sous tutelle américaine » ?
    Faut-il détester la Russie, le nouveau livre de Robert Charvin disponible dans la boutique en ligne d'Investig'Action nous met en garde : une certaine propagande médiatique peut nous mener tout droit vers une nouvelle guerre froide.
    Robert Charvin débattra avec Michel Collon (Investig’Action). Présentation : Anne Van Marsenille (professeure à l'IHECS). Mercredi 25 mai de 19h15 à 21h30. Auditoire BV2, Institut des Hautes Études des Communications Sociales (IHECS) - 2ème étage 15 rue du Poinçon, 1000 Bruxelles. Métro Bourse, bus 27, 48, 86.
    __________________
    Le livre :

    ARABESQUE$

    Si vraiment les Etats-Unis ont soutenu le « printemps arabe » pour aider « la démocratie », comment se fait-il que cette lutte n’ait touché aucune des monarchies pétrolières ? Pourquoi les dirigeants de ces cyberactivistes égyptiens voulaient-ils absolument cacher qu’ils avaient été formés par un théoricien US nommé Gene Sharp, un politologue impliqué dans de nombreux renversements de gouvernements « gênants » ? Des questions cruciales pour nous citoyens, et jamais posées dans les médias ! Non seulement Ahmed Bensaada pose les bonnes questions, mais il y répond. Son enquête minutieuse part de la question centrale : d’où viennent les dollars ?

    la boutique en ligne d'Investig'Action est ici

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  • Regards sur l’Amérique latine

    (Vu par le MS 21(Mouvement pour un Socialisme du 21° siècle)

    Le MS21 a inscrit dans sa Charte le paragraphe suivant :

    «.....il y a dans le monde des peuples qui ne se résignent pas au vide politique et refusent résolument les dégâts sociaux et environnementaux du capitalisme et de sa forme actuelle le néo-libéralisme . Le MS21 a donc tourné ses regards vers les pays d'Amérique du sud – tels le Venezuela, l'Equateur, la Bolivie – qui ont élaboré de nouvelles constitutions et mis en place des politiques sociales au service de leur peuple. »

    Et nous avons appelé notre association « Mouvement pour un socialisme du 21è siècle » en référence à une déclaration de Hugo Chavez en 2006 lors du Forum Social Mondial à Caracas.

    Notre charte a été écrite fin 2014. Les choses ont hélas évolué depuis cette date et on a vu en 2015 les situations se dégrader dans plusieurs pays de ce continent .

    Avons-nous eu tort de nous réjouir trop tôt, trop vite d'une victoire de gouvernements progressistes au Venezuela, en Argentine, en Bolivie, en Equateur ? Ces revers seront-ils passagers ou durables? Faut-il être optimiste ou se résigner à un retour de la droite pour longtemps ? Que dire du rôle des États-Unis dans ces événements?

    1- Omniprésence des États-Unis

    1.1 - Doctrine de Monroe

    Le 2 décembre 1823, James Monroe, cinquième président des États-Unis, énonce la doctrine qui portera son nom et fixera pour un siècle et demi les fondements de la diplomatie américaine (« l'Amérique aux Américains»). Dans un long discours il interpelle directement les puissances européennes (en particulier l'Espagne et le Portugal) et leur déclare :

    1) Les États-Unis ont reconnu l'indépendance des nouvelles républiques latino-américaines ; en conséquence de quoi, l'Amérique du nord et l'Amérique du sud ne sont plus ouvertes à la colonisation européenne.

    2) Les États-Unis regardent désormais toute intervention de leur part dans les affaires du continent américain comme une menace pour leur sécurité et pour la paix.

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  • Évasion fiscale : « On a affaire à des oligarchies nationales complètement vérolées »

    www.initiative-communiste.fr

    www.initiative-communiste.fr vous propose de lire l’entretien donné par les Pinçon Charlot suite à leur enquête sur l’évasion fiscale au site The Dissident. Une enquête qui confirme que l’ est bien une construction organisée pour permettre l’évasion fiscale légale, le dumping social et pour ravager les conquêtes sociales et démocratiques.

    > A lire également :

    Évasion fiscale : « On a affaire à des oligarchies nationales complètement vérolées »

    > Par

    >

    Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon – DR

    > Ne vous fiez pas à l’apparence inoffensive de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Dans leur dernier ouvrage « Tentative d’évasion (fiscale) », les deux sociologues égratignent une fois de plus nos puissants. Et racontent comment, de Bercy à Genève, la fraude fiscale est désormais un système au service de l’oligarchie. Signe du destin, The Dissident les a rencontrés à Paris, à la station… !

    > The Dissident : Au début de votre essai, on comprend que les affaires Cahuzac et Liliane Bettencourt ont été le déclencheur du livre.

    > Monique Pincon-Charlot : Dans Le président des riches (Zones, 2010) il y a déjà des choses sur les paradis fiscaux. Dans Les ghettos du gotha, il y a l’histoire de la famille Mulliez, propriétaire du groupe Auchan, et de son emménagement à Estaimpuis, en Belgique, à 300 mètres de la frontière française. C’est un sujet sur lequel on se documente depuis le début de notre travail. On a eu des lectures très nombreuses… et très rasoir ! Le sujet n’est pas drôle du tout. Et il y a un an pile, on est partis en Suisse pour ce livre.

    > Qu’y apprend t-on ?

    > Il n’y a aucun scoop : les membres de la noblesse et de la bourgeoisie qui sont cités sont déjà dans la presse. L’intérêt de notre livre, c’est de montrer une classe sociale mobilisée au-dessus de tous les États pour ne pas contribuer à la solidarité nationale.

    > À l’époque des Ghettos du gotha, vous avez eu accès à des cercles très fermés. Aujourd’hui, est-ce plus compliqué d’avoir accès aux informations ?

    > Michel Pinçon : C’est difficile de travailler sur la fraude fiscale ! Dans nos travaux antérieurs, on a eu des informations par des gens de ce milieu. Mais c’est carrément tabou de leur demander comment ils gèrent leur patrimoine, de fraude fiscale, de paradis fiscaux. On a obtenu des informations diverses et variées, souvent de militants. Au Luxembourg et en Suisse, des groupes de résistance dénoncent la connivence de leurs États avec cette fraude fiscale.

    > Le Luxembourg est un des lieux privilégiés de la fraude fiscale. Amazon y a construit son siège social sur une presqu’île, dans la vieille ville de Luxembourg. Il y a juste de quoi loger une cinquantaine de salariés ! Ce n’est pas là où se font réellement les choses. Cela permet tout simplement d’y inscrire les bénéfices d’Amazon et d’être très peu taxé. Le président de la a été Premier Ministre du Luxembourg. On a la tête de l’ un individu qui un est complice évident de la fraude fiscale. C’est d’un cynisme… Ils sont tous complices : Juncker, Obama, le pourfendeur de la finance que se prétendait Hollande quand il cherchait des voix.

    > Monique Pinçon-Charlot : En 2010, le lanceur d’alerte Antoine Deltour a dévoilé le nom de tous les rescrits fiscaux1 qu’il a pu recopier avant son départ de l’un des big four, c’est-à-dire l’un des quatre plus grands cabinets d’audit financiers, le cabinet PWC. À l’époque, Juncker était ministre des Finances du Luxembourg. Il ne pouvait pas ne pas être au courant. En récompense, l’oligarchie l’a coopté comme président de la Commission européenne. Tandis qu’Antoine Deltour est poursuivi pour violation du secret des affaires et encourt cinq ans d’emprisonnement. Son procès aura lieu en janvier au Luxembourg.

    > Comment remonter le fil de ces évasions fiscales ?
    >

    > Michel Pinçon : Nos sociétés dites démocratiques fonctionnent avec énormément d’interdits, de secrets. En particulier le secret fiscal. En France, on peut consulter les revenus d’une personne auprès de l’administration fiscale. Au bureau des impôts, vous pouvez demander à voir les déclarations fiscales des gens qui habitent votre quartier. Mais on surveille que vous ne preniez pas de notes. Si vous révélez les sommes que gagne telle personne, vous êtes automatiquement condamné à une amende correspondant au montant de ce que vous avez révélé. Si vous dites que Monsieur Untel a déclaré 2 millions de revenus l’année précédente, vous êtes imposé de la même somme. Ça refroidit les tentatives de révélation ! Pour les fraudes fiscales, ce sont des documents secrets auxquels même les employés des impôts n’ont pas accès. C’est le secteur bancaire qui garde ces documents à l’abri.

    > Monique Pinçon-Charlot : Il y a une multiplication des secrets : secret fiscal, secret bancaire, secret des affaires. Dès qu’on touche aux problèmes de la défense, c’est le secret défense. Le travail d’investigation peut toujours tomber sous le coup du secret des affaires. Être lanceur d’alerte relève de l’exploit. S’est mis en route un système de protection des lanceurs d’alerte, qui n’est pas encore parfait. Ce sont des grains de sable dans la machine oligarchique de ceux qui dorment dans les beaux quartiers.

    > Et le rôle des services fiscaux contre les fraudes ?

    > Monique Pinçon-Charlot : Tous les grands procès en cours – UBS France, HSBC France ou le Crédit mutuel – ne sont jamais le résultat de la traque des services fiscaux de Tracfin. Ces informations peuvent venir d’un conflit familial : les 80 millions d’euros de Liliane Bettencourt non déclarés en Suisse ont été révélés par le procès initié par sa fille. Elles peuvent aussi venir de lanceurs d’alerte comme Stéphanie Gibaud, Nicolas Forissier, ou Olivier Forgues à UBS France.

    > Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, il y a une machine de guerre très sophistiquée. Dans le reportage sur le Crédit Mutuel2, les spectateurs ont vu le système des poupées gigognes. On part d’un compte numéroté pour construire des sociétés écran, on fait des fiducies en utilisant des noms d’écrivains comme pseudonyme. Seul le chargé de clientèle connaît le véritable nom du client. Ça, ce n’est pas informatisé ! UBS France a démarché sur le sol français des Français pour rapatrier leurs avoirs en Suisse. Ils avaient des « carnets du lait ». C’est-à-dire une double comptabilité.

    > Dans votre livre, vous expliquez comment un directeur de la Direction nationale d’enquête fiscale (DNEF) a été placardisé pour avoir voulu traiter le cas Falciani (ancien salarié de HSBC, qui a livré des informations sur 130 000 comptes appartenant à des exilés fiscaux présumés).
    >

    > Monique Pinçon-Charlot : On a pu interviewer de façon anonyme six inspecteurs des impôts qui témoignent du fait qu’ils ne peuvent plus vraiment faire leur travail. Dès qu’il s’agit d’une personnalité, tout est cloisonné. Ils n’ont pas accès à l’ensemble des informations. Il y a toute une machine, qu’on décrit dans le chapitre sur Bercy, faite pour préserver les intérêts des plus riches.

    > On apprend aussi que les paradis fiscaux ne sont pas toujours là où on le croit…

    >

    Ed. Zones, 2015

    > Michel Pinçon : Les entreprises se réfugient dans des îles où elles ne font rien à part engranger des bénéfices sans payer d’impôts. Les îles Vierges britanniques, les Bermudes… une dizaine d’îles au total. Mais c’est trompeur. L’un des paradis fiscaux les plus importants est le Delaware, ce petit État américain entre New-York et Washington. Il y a plus de sociétés que d’habitants. C’est un paradis fiscal sous la houlette du gouvernement américain. C’est un secret de polichinelle. Dans une des éditions du Bottin mondain, il y avait une publicité pour les facilités fiscales qu’offre le Delaware aux Français. Il y avait même une adresse à Paris ! Depuis qu’on l’a signalé, elle a été fermée. Mais ça continue de fonctionner sous une autre bannière. C’est étonnant, puisqu’Obama se veut pourfendeur des inégalités… Mais il ne parle jamais du Delaware !

    > Monique Pinçon-Charlot : Il n’a toujours pas signé l’accord historique du 29 octobre 2014 à Berlin, dans lequel quatre-vingt-dix pays ont ratifié l’échange automatique d’information entre administrations fiscales. Mais pas les États-Unis. La fameuse loi TAFTA élaborée sur recommandation de Barack Obama est à sens unique. Sous peine de ne plus avoir d’activités aux États-Unis, tous les pays du monde doivent déclarer les citoyens américains qui ouvrent des comptes non déclarés. Par contre, le Delaware n’est pas tenu à une réciprocité. Il y a une guerre fiscale. Et les États-Unis veulent détourner l’argent de l’évasion fiscale à leur profit.

    > Quelle morale peut-on tirer de tout ça?

    > Michel Pinçon : Une conclusion de notre livre, c’est qu’on a affaire à des oligarchies nationales complètement vérolées. C’est le Monopoly ! Ce sont des gens qui n’ont plus aucun sens du bien commun, comme il y en avait encore sous la IIIème ou IVème République. Enrichissons-nous ! C’est vraiment la morale des politiques d’aujourd’hui.

    > Monique Pinçon-Charlot : La violence des riches est opaque. Tandis que l’histoire de la chemise du DRH d’Air France, ça c’est visible ! Ça permet de criminaliser le salarié. On traite de voyous les travailleurs d’Air France. Pour gagner des millions d’euros, le PDG de Wolkswagen a fait une énorme fraude, avec des conséquences terribles pour le réchauffement climatique. Le Figaro a parlé de « tricherie ». Vous voyez la différence : voyou d’un côté, tricheur pour les grands de ce monde.

    > Qu’est-ce qui vous donne malgré tout des raisons d’espérer?

    > Michel Pinçon : Il y a des initiatives citoyennes, des rassemblements de magistrats, de fonctionnaires des impôts, avec des associations. Une plate-forme sur les paradis fiscaux regroupe une vingtaine d’associations comme Attac. Le mouvement Solidarité en Suisse nous a bien surpris. Quand on est sortis de la gare de Genève, pendant notre enquête, la première chose qu’on a vu ce sont des affiches : « À bas les forfaits fiscaux, les riches doivent payer leurs impôts. » Avec nos valises à roulette, on s’est dit : « Tiens c’est bizarre, on est attendu s! » On n’avait pourtant rien dit à personne. En fait, Solidarité en Suisse avait fait une votation [pour demander l’abolition] des forfaits fiscaux, qui font que les étrangers – contrairement aux Suisses – peuvent ne pas payer d’impôt sur leur patrimoine en Suisse.

    > Notes :

    > 1 Un rescrit fiscal peut faire prévaloir la sécurité juridique du contribuable et lui permettre d’obtenir un régime fiscal particulier. Le « Lux Leaks » révélé en 2014 met en cause une liste d’accords fiscaux entre l’administration luxembourgeoise et des entreprises pratiquant l’évasion fiscale.

    > 2 Initialement programmé sur Canal +, ce documentaire a été censuré par Vincent Bolloré, proche du patron du Crédit Mutuel, Michel Lucas. Il a finalement été diffusé par France 3 dans le magazine Pièces à conviction.

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