« Celui qui accepte de sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre, et en général il perd les deux ».
(Benjamin Franklin).
A) Le régime d'exception est-il un rempart pour la démocratie ?
Après les événements tragiques de Paris en 2015, le gouvernement de F. Hollande engage un virage sécuritaire - nouvelle loi sur le renseignement après les attentats de janvier, régime d'exception après ceux de novembre 2015 - dont il est bien difficile de mesurer aujourd'hui toutes les conséquences.
Le MS21, comme beaucoup d'autres organisations, avait réagi suite à la tuerie de Charlie Hebdo (1).
Nous étions revenus début novembre sur la question du terrorisme et de la démocratie, interpellés par l'ouvrage du philosophe Michel Terentschenko «L’Ère des Ténèbres», sans réaliser l'aspect prémonitoire des événements du 13 novembre, comme si la tuerie dans les locaux de Charlie Hebdo n’était que le prélude d’un avenir encore plus sombre (2).
Certes, tout gouvernement a pour mission de répondre à l'attente légitime de sécurité des citoyens mais la réponse attendue sur le court terme doit s'entendre également sur le long terme. Et la question posée peut se résumer ainsi : Le régime d’exception est-il, pour une démocratie, un moyen efficace de lutte contre le terrorisme?
Confrontés à de tels événements doit-on automatiquement décréter partout l'état d'urgence, le couvre-feu, l'interdiction de manifester etc...?
Un gouvernement doit-il nécessairement, pour assurer la sécurité des citoyens restreindre les libertés publiques?
De nombreux commentateurs ont déjà mis en garde le gouvernement sur cette dérive sécuritaire qui veut s’inscrire dans le temps long, comme l’ont fait les Etats-Unis où, depuis 15 ans, le “Patriot Act” légitime la recherche du renseignement sans contrôle, l’arrestation et la détention sans motifs déclarés, l’absence de tout jugement et l'incarcération illimitée, où l’usage de la torture et l’organisation d’assassinats ciblés sont justifiées par le “paradigme de guerre” ...et tout cet arsenal pour les résultats que l’on connaît ! (3)
Pour le philosophe italien Giorgio Agamben, dans une tribune publiée le 23 décembre dans Le Monde, l’état d’urgence ne protège pas la démocratie . Selon lui : « Il faut avant tout démentir le propos des femmes et hommes politiques irresponsables, selon lesquels l’état d’urgence serait un bouclier pour la démocratie. Les historiens savent parfaitement que c’est le contraire qui est vrai. L'état d'urgence a été le dispositif par lequel les pouvoirs totalitaires se sont installés en Europe. Dans un pays qui vit dans un état d’urgence prolongé, et dans lequel les opérations de police se substituent progressivement au pouvoir judiciaire, il faut s’attendre à une dégradation rapide et irréversible des institutions publiques ».
Voici ce que le MS21 écrivait à propos de la nouvelle loi sur le renseignement du 24 juillet 2015 : « L''autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles selon notre Constitution, perd tout pouvoir dans ce domaine au profit du seul Conseil d’État. Tout le dispositif est placé entre les mains de l'exécutif. La nouvelle autorité administrative, la Commission de contrôle (CNCTR), chargée de veiller au respect du cadre légal, fonctionne selon une logique inversée : un seul membre de la commission suffit pour autoriser ou non la recherche de renseignements, mais la majorité absolue des membres de la commission doit se prononcer pour y renoncer. Et en cas d'urgence, la décision se passe de l'avis de la commission. L'atteinte à la liberté individuelle devient ainsi la règle, la protection l'exception. Par ailleurs, la loi sur le renseignement, adoptée en procédure accélérée le 24 juillet 2015, va bien au-delà de la lutte contre le terrorisme puisqu'elle englobe également les intérêts économiques et scientifiques de la France. La totalité des actes de l’État intervenus dans le cadre de cette loi sont couverts par le secret défense. La loi sur le renseignement installe par conséquent un dispositif de contrôle des citoyens qui va bien au-delà des seules actions de lutte contre le terrorisme. C'est bien une atteinte aux principes de la démocratie ».
A présent, le gouvernement propose d'inscrire l'état d'urgence dans la Constitution ce qui renforce, s'il en était besoin, le pouvoir de l'exécutif en lui donnant une base constitutionnelle, le mettant à l'abri du Conseil constitutionnel. C'est donc une menace pour la démocratie. Rappelons que l'infraction « d'association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste » permet déjà aux policiers et aux juges d'agir en amont de tout passage à l'acte, et que l'état d'urgence ne vise pas seulement les personnes soupçonnées de terrorisme, mais également les suspects «dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre public» ou «d'atteinte grave à l'ordre public», formules suffisamment floues pour permettre toutes les interprétations.
Ainsi, lors de la COP21, plus de vingt assignations à domicile ont été prononcées contre des militants écologistes et les pouvoirs publics ont décrété l'interdiction de rassemblements, comme celui de la Place de la République.
Face aux dérapages et abus qu’entraînent déjà l’état d’urgence, le MS21 pense que d’autres méthodes doivent être utilisées pour prévenir et arrêter les actes terroristes et en tout premier lieu un changement radical de notre politique étrangère qui doit cesser de guerroyer pour “exporter la démocratie” avec des bombes.
B - Réagir
1- Pétition nationale
Le MS21, comme de nombreuses organisations, s'oppose au projet de déchéance de la nationalité, à une démocratie sous état d’urgence, à une réforme constitutionnelle imposée sans débat, en exploitant l’effroi légitime suscité par les attentats. Ceux et celles qui partagent une autre idée de la France peuvent le manifester en signant la pétition nationale :
#"http://www.nousnecederonspas
2- Opposition citoyenne : Un "Comité de vigilance citoyenne" a vu le jour.
Son objectif est de permettre aux citoyens de faire émerger un débat sur l'état d'urgence et sur la réforme constitutionnelle annoncée. Alors qu'une partie de la société civile s'inquiète d'une dérive sécuritaire, elle organise l'opposition à travers des collectifs et rassemblements
# http://www.franceculture.fr/emission-pixel-etat-d-urgence-l-opposition-citoyenne-s-organise-2016-01-08).
Le MS21 s'associe à cette initiative citoyenne.
LE MANIFESTE DU CONSEIL D’URGENCE CITOYENNE
Création du Conseil d'urgence citoyenne
En ces temps d’effroi face aux attentats et de péril pour la République du fait des réponses qui leur ont été données, nous citoyens voulons réaffirmer la force des principes et l’authenticité des valeurs d’un peuple républicain.
Notre gouvernement fait de l’état d’urgence et de la menace de déchéance de nationalité pour les binationaux les seules réponses à notre situation historique et souhaite en faire des droits constitutionnels.
Loin de déboucher sur une protection accrue des populations, le déploiement de l’état d’urgence a conduit sans délai et conduira à une confiscation des libertés publiques politiques par :
- l’absence de contrôle du pouvoir exécutif dans l’exercice de ses fonctions ;
- l’absence du juge dans les procédures de perquisitions et assignations à résidence qui fabrique un pouvoir préfectoral abusif et arbitraire ;
- la restriction des multiples droits politiques par intérêt et cynisme.
La menace de la déchéance de la nationalité française pour les binationaux est une disposition inacceptable devant le principe d’égalité des droits, rappelant l’abjection que fut le régime de Vichy dans la mémoire collective française, et faisant rejouer la perte de nationalité sur le territoire métropolitain des Français d’origine algérienne de confession musulmane, en juillet 1962.
On peut et on doit combattre le terrorisme efficacement en respectant les droits fondamentaux.
Nous sommes conscients de la gravité des périls qui nous menacent, ce qui implique d'en traiter les causes et non seulement les effets.
Partout où l’état de droit et l'état régulateur des inégalités disparaît, quartiers de grande relégation et prisons, le crime organisé s’installe. Or aujourd’hui c’est sur ce terreau que l’embrigadement mortifère se propage et non sur le terreau religieux qui vient souvent seulement le recouvrir.
La compréhension de ces mécanismes sociaux doit conduire à un ciblage extrême des mesures de surveillance ou assignations et non pas à leur généralisation, synonyme de propagation de ce qu’on prétend maîtriser.
La République française doit retrouver la voie de la souveraineté démocratique et la maîtrise de ses choix économiques en luttant contre toutes les formes actuelles de corruption à l’origine aussi du déploiement du terrorisme.
Le choix du tout répressif et de la surveillance généralisée transforme l’état de droit en état policier sans aucun résultat probant, sacrifiant sur l’autel d’une sécurité fantasmée, la maitrise démocratique consubstantielle à notre identité Républicaine.
La République française doit retrouver le discours de l'égalité et une parole publique respectueuse des différences, sans que la stigmatisation des populations musulmanes serve de paravent à l'inefficacité des mesures de sécurité.
La République française doit retrouver le chemin de la fraternité qu'elle a abandonné au profit des logiques d'exclusion.
Pour toutes ces raisons, nous affirmons notre désaccord et notre résistance aux politiques de l'urgence qui sont des politiques de la peur, et qui si nous n'y prenons garde, deviendront permanentes.
Non, l’État de droit n’est pas soluble dans l’urgence policière !
Passons à l’action !
Seuls six membres du Parlement ont voté contre la prolongation de l’état d’urgence. La tentation autoritaire sécuritaire est bien là. Face à cela de nombreuses initiatives ont été prises pour s’opposer à cette dérive : tribunes, pétitions et meetings se multiplient. Nous nous en félicitons mais il ne suffit plus de témoigner de notre désaccord. Il faut relier l’ensemble des acteurs qui font preuve de lucidité politique et qui sont attachés à construire une alternative en France et en Europe, et agir.
Nous invitons tous les citoyens à se constituer en Conseil de vigilance citoyenne
c’est-à-dire :
A constituer des comités locaux, soit sur des assises associatives et civiles existantes, soit ex nihilo et à en faire des lieux de débats qui viseront à:
-Nous opposer au nom de l’état de droit nécessaire en démocratie, au projet de réforme constitutionnelle relatif à l'état d'urgence et à la déchéance de nationalité,
-Mettre en œuvre toutes les parades possibles au terrorisme qu'elles soient éducatives, sociales et judiciaires sans nous plier à des réflexes du type du patriot act qui a montré son inefficacité ;
-Nous mobiliser pour renforcer l'indépendance et les prérogatives de notre système judiciaire ;
-Démocratiser nos institutions en mettant le citoyen au cœur de la prise de décision politique
A consigner ces travaux dans des cahiers de vigilance et de propositions.
A organiser pour chaque comité une délégation afin de participer à une Convention nationale qui exprimera la voix de l’intelligence démocratique face à notre situation historique. Elle aura pour mission de présenter une série de propositions de lois.
Faisons de ce désastre républicain une chance pour refonder ensemble notre conception du droit, de la justice et de la démocratie.
(1) http://ms-21.tumblr.com/post/108444332656/charlie-hebdo-les-faits-terribles-qui-condamnent
(2)http://ms21.over-blog.com/2015/11/terrorisme-et-democratie.html
(3) http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/de-la-legalite-des-assassinats-104940