Communiqué de MS21
Le mouvement MS21 (« Mouvement pour un socialisme du 21ème siècle ») condamne sans équivoque la barbarie des crimes indéfendables à l’encontre des journalistes et du personnel du journal Charlie-Hebdo, des personnes d’origine juive, des forces de l’ordre assassinées dans l’exercice de leur fonction et de toutes les victimes de ces deux tueries. L’hommage qui leur a été rendu par des millions de Français dans la rue, tant en province qu’à Paris, témoigne de l’émotion de la Nation face à ces actes criminels et de son attachement à nos libertés fondamentales. Dans de telles circonstances, leMS21 défend avec la plus grande énergie l’ensemble de valeurs qui structurent notre République : « Liberté, Egalité, Fraternité », liberté d’expression donc liberté de la presse et laïcité.
L’affirmation de ces principes fondamentaux obligeait nos dirigeants politiques à ne pas se livrer à une récupération politique. Fallait-il associer à l’hommage national, en tête du cortège à Paris des dirigeants européens promoteurs des politiques d’austérité, générant misère, chômage et désespérance. Voilà bien le terreau de dérives criminelles au nom d’idéologies religieuses fondamentalistes et radicales. Le MS21 dénonce tout autant la présence d’autres personnalités comme le Premier ministre israélien ou le chef du gouvernement ukrainien ouvertement fasciste, ou le représentant de l’OTAN, machine de guerre pilotée par Washington. Sont ainsi venus à cette manifestation les principaux responsables de l’embrasement du Moyen-Orient qui a engendré des milliers de terroristes. Nous dénonçons l’origine de ces violences : le conflit du Moyen Orient et la perte des repères fondamentaux du « vivre ensemble » dans notre pays.
La laïcité et la justice sociale vont de pair. L’ultralibéralisme et la mondialisation s’attaquent à l’un et à l’autre. Les valeurs de laïcité qui sont nécessaires au « vivre ensemble » demandent une exemplarité de la part de nos responsables politiques et nous ne pouvons que dénoncer solennellement le fait que la journée du dimanche 11 janvier se soit terminée pour le Président de la République et son Premier ministre dans un lieu de culte, à la synagogue,au côté de B. Nétanyahou. Quelle confusion politique, au-delà de l’émotion légitime pour les 4 personnes juives tuées dans l’hyper marché casher !
Dans de telles conditions et en soulignant l’absence de toute perspective de solution du conflit israélo-palestinien, il faut rappeler la singularité de la situation de la France qui comprend la plus importante communauté juive d’Europe (550 000 personnes) ainsi que la plus importante communauté musulmane (4,7 millions de personnes). Depuis la Présidence de Ch. De Gaulle jusqu’à celle de J. Chirac, les gouvernements français qui se sont succédés avaient une politique équilibrée, condamnant la politique coloniale de l’Etat d’Israël tout en défendant son droit à l’existence. Tout a changé avec N. Sarkozy et F. Hollande qui ont pris l’un et l’autre fait et cause de façon systématique pour l’Etat d’Israël. L’Etat français ne défend plus la cause palestinienne, il s’est aligné sur la politique impérialiste des Etats-Unis et a renoncé à toute politique étrangère indépendante. Au niveau intérieur, l’Etat favorise outrageusement la religion juive et ses représentants politiques. L’enterrement des quatre juifs français assassinés à Paris en terre d’Israël, est devenu une cérémonie engageant la France avec la présence officielle de Ségolène Royal, représentant le Gouvernement français. Les tensions qui s’en ressentent sont à présent palpables et dans les circonstances actuelles, une politique laïque devient très difficile à mener, malgré la déclaration du Premier ministre à l’Assemblée nationale le 13 janvier affirmant que juifs et musulmans ont toute leur place en France.
La seconde condition pour le « vivre ensemble » est la nécessité de structurer une société dans un schéma social cohérent où la concurrence, la compétitivité, la libre circulation des capitaux ne peuvent être les seuls éléments moteurs indiscutables et indépassables de son organisation. D’autres éléments doivent être rappelés, protégés ou mis en œuvre : la nécessité des services publics en matière d’éducation, de santé, de transports, d’une politique de l’emploi propre à supprimer le chômage et la précarité.
Notre société qui fait de l’argent le seul moteur laisse les jeunes sans idéal et sans normes. L’éloge de la consommation favorise la frustration. La frustration engendre la haine qui engendre la violence.C’est un autre projet de société qui doit être envisagé pour prévenir les dérives que nous constatons avec effroi. Cette autre vision nécessite de replacer en son cœur les valeurs de la République, de remplacer la concurrence de tous contre tous par la coopération et l’entraide, de reprendre la main sur les politiques monétaires (euro) et économiques (concurrence, libre circulation des capitaux) que nous subissons actuellement, imposées par l’Union européenne.
La société viable que nous voulons exige que soit respecté le principe de souveraineté du peuple, donc la souveraineté nationale. Le déni de démocratie qui a eu lieu après le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen (TCE) est une tache qui demeure qui ne saurait être effacée par la présence du Président de la Commission européenne à la manifestation de dimanche dernier. Sans une telle remise en cause, il est à craindre que les mêmes maux engendreront les mêmes effets.
Face à ces évènements tragiques, le MS21 regrette que peu de voix se soient élevées pour réclamer que justice soit faite. Deux personnes seulement se sont exprimées à ce sujet, R. Badinter (tribune dans Libération) et P. Joxe (interview à France Culture) demandant que les auteurs des assassinats soient jugés en connaissance de cause. Or, comme dans l’affaire Merrah à Toulouse, il semblerait qu’ils ont été exécutés pour que justice ne soit pas faite, comme s’il était primordial qu’ils ne parlent pas. Les forces de l’ordre pourront expliquer que l’on ne pouvait pas faire autrement. Cela est tout à fait possible, mais le MS21 demande qu’une commission d’enquête parlementaire soit constituée pour rendre compte des faits qui ont conduit à la « neutralisation » (euphémisme plus que douteux prononcé par F. Hollande) des auteurs des assassinats. LeMS21 craint en matière de terrorisme un risque de banalisation de l’exécution des coupables au détriment du jugement de ces derniers selon les lois de la République. Cette crainte est d’autant plus forte que la voix de la ministre de la justice a été presqu’inaudible pendant les événements. C’est à la justice que revient le rôle prééminent de montrer aux citoyens qu’ils vivent dans un Etat de droit. Que justice soit rendue dans le respect du droit, c’est là le seul et vrai devoir d’une nation à l’égard des victimes.
Le MS21, comme d’autres organisations, s’inquiète des réactions à chaud de divers responsables politiques, dans un élan démagogique, à vouloir mettre en place de nouvelles lois de sécurité, un « Patriot Act » à la française. Le souci légitime d’une sécurité au sein de notre société ne saurait s’accommoder d’une quelconque dérive totalitaire. Le MS21 refuse que soit appliquée la « théorie du choc » au lendemain de ces assassinats. Faut-il rappeler que la dernière loi en matière de sécurité publique a été adoptée il y a à peine quelques mois et que les décrets d’application ne sont toujours pas publiés. Les réponses sécuritaires ne doivent pas rester la seule voie empruntée par les pouvoirs publics. C’est d’une toute autre ambition dont nous avons besoin : des réponses de fond pour comprendre comment notre société a pu évoluer pour que de tels actes soient commis et ont pu trouver en plus un écho favorable par certains lycéens dans quelques 200 établissements scolaires.
Le MS21 demande enfin au gouvernement de rendre compte auprès de la Nation des étranges relations que notre pays entretient avec certains pays du Moyen-Orient, comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, qui d’un côté apparaissent comme des partenaires politiques et commerciaux, et d’un autre côté n’hésitent pas à financer les mouvements radicaux islamistes, prompts à commettre des attentats meurtriers au Moyen-Orient (Irak, Syrie), en Afrique (Mali, Nigéria, Centre Afrique) et à présent en Europe. Le commerce international, les règles du libre-échange, les intérêts de l’empire, et les relations géopolitiques qui en découlent se confondent maintenant avec la « Raison d’Etat » justifiant que passent au second plan les valeurs de la République pourtant déclamées à grands cris dans des appels à l’union nationale.
C’est la Paix et la Justice qui doivent conduire l’action politique. Aujourd’hui c’est de guerre dont on nous parle, de sécurité intérieure. Les faits sont là, ils sont terribles, ils ont soulevé une immense émotion. Cette émotion est légitime et d’une certaine manière rassurante mais elle ne suffit pas. Il devient indispensable que tous ceux qui se sont levés pour dire non à la barbarie s’engagent maintenant pour en faire disparaître les causes et participent politiquement à la construction d’une autre société.
MS21, 15 janvier 2015
Quelques texte à lires sur le sujet
A dimanche, hélas… (Jacques Sapir)
Les leçons d’un massacre (Jacques Sapir)
Le poison de l’union (Journal Fakir)
Barbaries (Aurélien Bernier)
Charlie à tout prix ? (Frédéric Lordon)
Communiqué de l’UJFP
Mariane en deuil de Charlie (Henri Pena-Ruiz)