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Euro - Page 3

  • Le ministre grec des Finances accuse les créanciers du pays de «terrorisme»

     

    Le ministre grec des Finances Yanis Varoufakis a accusé samedi les créanciers du pays de «terrorisme» et de vouloir «humilier les Grecs», qui se prononceront lors du référendum de dimanche sur leurs dernières propositions de réformes.

     

    «Ce qu'ils font avec la Grèce a un nom: terrorisme», accuse Yanis Varoufakis, connu pour sa liberté de ton, dans un entretien au quotidien espagnol El Mundo. «Pourquoi est-ce qu'ils nous ont forcés à fermer les banques ? Pour insuffler la peur aux gens. Et quand il s'agit de répandre la peur, on appelle ce phénomène le terrorisme», développe le ministre en parlant de la politique menée par les créanciers d'Athènes, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et l'Union européenne.

     

    Grèce: Le discours pro-oui de Nikos Aliagas à Athènes divise les Grecs

     

    Le «Oui» pour humilier les Grecs

     

    Faute d'être parvenu à un accord avec les créanciers sur une prolongation d'un programme d'aide financière au-delà du 30 juin, le gouvernement de gauche radicale grec a annoncé la fermeture des banques et le contrôle des capitaux jusqu'au 6 juillet.

     

    Quel que soit le résultat du référendum de dimanche -le Premier ministre Alexis Tsipras appelle à voter non, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker oui- les banques du pays rouvriront et il y aura un accord avec les créanciers, assure Yanis Varoufakis. «Quel que soit le résultat du référendum, le lundi il y aura un accord, j'en suis complètement et absolument convaincu. L'Europe a besoin d'un accord, la Grèce a besoin d'un accord, de sorte que nous arriverons à un accord.»

     

    Pour le ministre des Finances, qui répète qu'en cas de victoire du oui il démissionnera, «aujourd'hui ce que veulent Bruxelles et la troïka, c'est que le oui gagne pour pouvoir ainsi humilier les Grecs».

     

    «La Grèce un exemple pour les autres»

     

    Il accuse aussi ses opposants de vouloir faire de «la Grèce un exemple pour les autres» à l'heure où en Espagne le parti de gauche radicale Podemos, allié du grec Syriza, gagne en force à l'approche d'élections législatives.

    «Je crois que dans toute l'Europe il y a besoin de partis comme Syriza et Podemos, des partis à la fois critiques à l'égard du système mais en même temps pro-européens et démocrates. Ceux qui nous détestent veulent nous faire passer pour anti-européens, mais non, ce n'est pas vrai, nous ne le sommes pas.»

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  • DÉCLARATION DE MS21 AU FORUM INTERNATIONAL D'ATHÈNES

     

    Le Mouvement pour un socialisme du 21e siècle (MS21), ne pourra pas participer au Forum international anti-Union européenne et anti-Euro qui se tiendra à Athènes les 26, 27 et 28 juin 2015.

    Par cette déclaration, le MS21 soutient cette initiative et la résistance du peuple grec aux politiques d'austérité imposées par les institutions libérales que sont la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International.

    Le MS21 est solidaire du peuple grec et respecte ses choix politiques exprimés en janvier 2015. La souveraineté nationale est un droit intangible et ce droit est nié en Grèce, comme ailleurs, par les institutions européennes et le FMI.

    Le MS21 dénonce la complicité du gouvernement «socialiste» français et de son président François Hollande qui ont pris fait et cause pour le régime d'austérité décrété contre le peuple grec.

    Le soutien sans réserve de MS21 au peuple grec est guidé par des considérations politiques, humanitaires et de solidarité. La légitimité de ce soutien est largement justifiée par le caractère illégal, illégitime, insoutenable et odieux de la dette grecque démontré par le Comité sur la vérité sur la dette publique grecque.La falsification des statistiques a volontairement dramatisé le déficit fiscal public grec et justifié la stratégie de la troïka (FMI, Commission européenne et BCE), stratégie acceptée par les autorités grecques d'imposer un plan que l'on n'ose plus qualifier d'aide à la Grèce. Pire, «le FMI savait parfaitement que les mesures qu'il dictait allait avoir un coût social terrible et un coût économique terrible» (Eric Toussaint), ce qui est totalement en contradiction avec ses statuts. Il y a là, donc, véritablement crime contre le peuple grec.

    Le MS21 renouvelle son soutien au gouvernement actuel (SYRIZA) qui lutte pour enrayer une crise humanitaire qui n'a que trop duré (salaires et retraites amputées de 40 à 50 %, éducation et santé sacrifiées). Dans ce bras de fer il convient de noter l’intransigeance particulière du FMI, preuve s’il en fallait de la dépendance de l’UE et de ses gouvernements à l’égard de cette institution .

    Le soutien que nous apportons au peuple grec vise également à permettre un effet de «contagion» vers les autres pays de l'Union européenne (Espagne, Portugal, Italie, Irlande, France) soumis aux mêmes diktats de l'argent.

    Le MS21 dénonce le caractère odieux et anti-démocratique des institutions européennes en rappelant la déclaration de Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne au lendemain des élections en Grèce :«Dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités (…) il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens»! Ces instances par leurs exigences insensées vis-à-vis du peuple grec et de ses dirigeants démocratiquement élus ont démontré que non seulement elles se sont instaurées sans les peuples, et pire, non pas pour les peuples mais bien contre eux.

    L'euro et l'Union européenne (UE) ont fait la preuve qu'ils ne sont pas réformables de l'intérieur. Pour le MS21, en sortir est un préalable nécessaire à toute avancée sociale et démocratique.

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  • Grèce : l'ultimatum des créanciers fait « pschitt »

     

    Alexis Tsipras a rejeté l'offre des créanciers, mais les discussions se poursuivent. L'ultimatum est donc déjà caduc. Mais le nœud gordien des négociations demeure : les retraites.

     

    La réunion entre le premier ministre grec Alexis Tsipras et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a donc échoué mercredi 3 juin (2015) au soir. Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, convoqué pour retranscrire les termes d'un éventuel accord et convoquer dans la foulée une réunion des ministres des Finances de la zone euro, est donc reparti sans rien avoir à faire. Le blocage persiste, mais les discussions, affirme-t-on, vont continuer.

     

    L'échec de cette énième « rencontre de la dernière chance » et le fait même que les discussions continuent prouvent en tout cas que la manœuvre des créanciers consistant à proposer une « dernière offre » à Athènes qui serait « à prendre ou à laisser » a d'ores et déjà échoué. Cette forme dérivée d'ultimatum puisque la date limite n'était pas fixée officiellement, mais basée sur les échéances de remboursement de la Grèce n'a pas davantage été suivie d'effet que le précédent ultimatum de fin mars lorsque les créanciers avaient enjoints Athènes de présenter une « dernière » liste de réformes... avant d'en demander d'autres.

     

    Un plan en forme de provocation

     

    Ce plan soumis par les créanciers mercredi 3 juin au gouvernement grec était, il est vrai, inacceptable pour Alexis Tsipras et son gouvernement. Même le quotidien conservateur Ta Nea titre ce jeudi matin sur une « taxe de sang pour un accord. » Ce plan, fruit de pénibles discussions entre les représentants de la zone euro et du FMI, était une véritable provocation. Certes, il assouplit les objectifs d'excédents primaires (hors service de la dette) par rapport au plan de 2012 : 1 % du PIB en 2015 au lieu de 3 %, 2 % en 2016 au lieu de 4,5 %. Mais compte tenu de la dégradation de la conjoncture, ces objectifs signifiaient encore des coupes budgétaires massives.

     

    Les créanciers réclament aussi une modification du régime de la TVA, avec deux taux au lieu de trois. Un taux principal qui demeure à 23 % et un taux « unifié » à 11 % qui regroupe les deux taux réduits actuels de 13 % et 6,5 %. Ceci signifie que les produits de base et l'énergie verraient leur taux de TVA passer de 6,5 % à 11 %. Enfin, les créanciers réclament une suppression des exemptions pour les îles de l'Egée. En tout, la TVA sera alourdie de 1,8 milliard d'euros. Enfin, les créanciers exigent des coupes dans les retraites dès juillet, de 0,25 % à 0,5 % du PIB pour 2015 et 1 % du PIB en 2016. Et le report de la retraite complémentaire pour les pensionnés les plus faibles jusqu'en 2016.

     

    C'était imposer une nouvelle cure d'austérité à l'économie grecque et affaiblir encore les plus fragiles. Et c'était donc aussi chercher à provoquer l'aile gauche de Syriza et à obtenir sa dissidence par la volonté nette « d'enfoncer » les « lignes rouges » sur les retraites du gouvernement Tsipras. Le premier ministre le sait, il a donc rejeté immédiatement ce plan. Ce jeudi 4 juin au matin, le gouvernement grec a donc rejeté officiellement le plan des créanciers : « ce n'est pas une base sérieuse de discussion. » Dès mercredi soir, avant son départ pour Bruxelles, Alexis Tsipras avait assuré que « à la fin de la journée, la seule option réaliste restera le plan grec. » Ce dernier, soumis le lundi 1er juin aux créanciers, prévoit des excédents primaires de 0,8 % du PIB cette année et 1 % l'an prochain, une réforme « neutre » de la TVA et la suppression des schémas de départ en préretraites.

     

    Bluff de l'ultimatum

     

    Le premier ministre hellénique a donc fait preuve de sang-froid et a, de facto, rejeté « l'ultimatum. » Si cet ultimatum en était réellement un, il n'y aurait plus de discussions possibles. Or, ce n'est pas le cas. Alexis Tsipras a même fait preuve de bonne volonté en annonçant que la Grèce paiera son échéance de 300 millions d'euros environ au FMI vendredi 5 juin, ce qui permet de poursuivre les discussions. C'est clairement une volonté de ne pas « rompre » avec les créanciers, mais c'est aussi la preuve qu'on peut discuter la proposition des créanciers, ce qui est l'inverse de la définition d'un ultimatum. Mercredi, le porte-parole du groupe parlementaire de Syriza, Nikos Fillis, avait prévenu qu'il n'y aurait pas de paiement « sans perspective d'un accord. » Il faut donc considérer qu'il y a une telle perspective. Selon Dow Jones, le premier ministre grec pourrait faire une contre-proposition. Tout ceci signifie donc que cet ultimatum n'en était pas un. C'était un bluff destiné à forcer la décision des Grecs.

     

    Premières concessions des créanciers

     

    En réalité, les créanciers semblent de plus en plus désemparés par la fermeté grecque. Ils lancent des ultimatums, mais ne peuvent accepter de tirer les leçons d'un rejet de ces derniers, autrement dit provoquer le défaut grec. Peu à peu, leur position de faiblesse devient plus évidente. Et ils commencent à reculer. Selon le Wall Street Journal, les créanciers abandonneraient désormais leurs exigences de réductions d'effectif dans la fonction publique et de réformes du marché du travail. Ce dernier point était une des « lignes rouges » du gouvernement grec qui obtient ici une nette victoire. De plus, selon France 24, François Hollande et Angela Merkel auraient accepté, mercredi soir, dans une discussion téléphonique avec Alexis Tsipras, qu'il fallait abaisser les objectifs d'excédents primaires. Ce pourrait être une ouverture pour accepter les objectifs helléniques.

     

    Des concessions contre des coupes dans les pensions ?

     

    Qu'on ne s'y trompe pas cependant : ces concessions pourraient n'être qu'un moyen d'arracher l'acceptation par Athènes de ce qui apparaît comme le nœud gordien de ces discussions : la réforme des retraites et les coupes dans les pensions. Il devient progressivement de plus en plus évident que le camp qui cèdera sur ce point aura perdu la partie en termes de communication. L'obsession des créanciers pour la réduction des pensions en a fait un sujet clé. Or, socialement et politiquement, le gouvernement Tsipras ne peut accepter ces mesures. « La question des retraites est un sujet des plus symbolique non seulement pour les citoyens grecs, mais aussi pour un gouvernement qui se dit de gauche », affirme une source proche du gouvernement à Athènes qui ajoute : « pour le gouvernement, une nouvelle réduction des retraites est absolument exclue. » Le gouvernement grec ne semble donc pas prêt à « négocier » les retraites contre l'abandon des exigences concernant le marché du travail. Car si le système de retraite grec est difficilement tenable à long terme (mais les systèmes allemands et français le sont tout autant), si même dans le gouvernement grec, on convient à demi-mot qu'il faudra sans doute le réformer un jour, il est impossible d'y toucher aujourd'hui. Pour deux raisons.

     

    Pourquoi Alexis Tsipras ne peut céder sur les retraites

     

    La première est sociale. Tant que le chômage est élevé et que le taux d'indemnisation des chômeurs est faible (14 %), les retraites ont une fonction sociale centrale. Elles permettent de faire jouer la solidarité familiale. C'est un amortisseur incontournable. Baisser à nouveau les retraites ne frappera donc pas que les retraités, cela frappera toute la société et notamment les jeunes dont le taux de chômage, rappelons-le, est de 60 %. La réforme des retraites ne peut donc intervenir dans cette situation. Il faut d'abord recréer les conditions de la croissance et de la reprise de l'emploi. La seconde raison est politique. Baisser les pensions dès la première année pour un gouvernement de gauche, c'est faire ce qu'Antonis Samaras avait refusé. C'est donc abandonner symboliquement son positionnement de gauche. Nouvelle Démocratie et le Pasok auront beau jeu de prétendre qu'ils défendaient mieux les retraités et les chômeurs que Syriza. Ce serait aussi inévitablement conduire Syriza à la rupture, beaucoup au sein du parti estimant, non sans raison, qu'il s'agit là d'une trahison et que, dans les futures élections, il faudra s'être présenté comme un défenseur des retraités. Alexis Tsipras ne peut accepter ces deux conséquences. Il est donc peu vraisemblable qu'il cède sur ce point.

     

    Blocage

     

    Bref, comme le signale la source athénienne déjà citée : « le gouvernement acceptera tout accord qui sera ressenti comme un progrès par rapport à la situation d'avant le 25 janvier. » Autrement dit, le gouvernement grec ne peut accepter d'accord avec des baisses dans les pensions. Mais, on l'a vu, les créanciers, n'ont désormais pour but principal que cette question des retraites. Le blocage semble donc total et les créanciers, eux, pourraient être tentés par un « report à plus tard » des discussions, mais pour cela, il faut trouver un moyen de financer les quelques 12 milliards d'euros que la Grèce doit payer d'ici à septembre prochain. Or, verser les fonds à Athènes sans accord serait aussi une défaite symbolique pour les créanciers...

     

    Biais idéologique

     

    En réalité, ce blocage n'est dû qu'à ce biais idéologique que portent les créanciers et qui centre la solution sur une vision comptable de l'économie. La solution au problème des retraites, comme aux autres maux de la Grèce, est pourtant ailleurs : il est dans la relance de l'économie grecque, dans sa reconstruction, dans la restructuration de sa dette publique et privée et dans la lutte active contre le chômage. Dès lors, une réforme des retraites deviendra possible. Mais la situation semble avoir échappé à toute logique. Et c'est bien pourquoi Alexis Tsipras estime que seul le plan grec est une base « réaliste » à la discussion

    Romaric Godin

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  • La lutte contre l’UE doit être de tous les instants par Bernard Friot

     

    « La lutte contre l’UE, inamendable syndicat du capital contre les peuples, doit être de tous les instants »

    Entretien avec Bernard Friot : Salaires, cotisations sociales   

    site du PRCF : www.initiative-communiste.fr

    > Le 8 avril dernier, Bernard Friot accordait un entretien à propos de son ouvrage Emanciper le travail au journal Etincelles du PRCF. Abonnez vous à Etincelles ! www.initiative-communiste.fr vous propose en avant première cet entretien à retrouver en intégralité en achetant (et en vous abonnant) à la presse du PRCF  ! Achetez, soutenir les médias du PRCF c’est indispensable !
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    > Initiative Communiste : tu insistes à juste titre sur l’importance de la lutte pour le salaire dans la construction des rapports de forces entre classes sociales. Peux-tu en dire plus à nos lecteurs ?

    > De 1920 à 1980, période que j’ai étudiée dans Puissances du salariat[1], la lutte de classes en France a été victorieuse pour les travailleurs parce qu’elle a porté en priorité sur le salaire, auquel elle a commencé à donner une signification anticapitaliste sous trois angles principaux.

    > Premièrement, avec le statut de la fonction publique conquis en 1946 après 40 ans de lutte et mis en place par Maurice Thorez, ou dans un moindre mesure avec celui des électriciens-gaziers mis en place par Marcel Paul, le salaire à vie commence à s’instituer contre le salaire du marché du travail : s’il n’y a pas de chômage chez les fonctionnaires, c’est parce que leur salaire est un attribut de leur personne à travers leur grade. Même sans poste, même à la fin de leur service quand ils sont en retraite, ils sont payés pour leur grade. La pension est la « poursuite du traitement » chez les fonctionnaires (poursuite donc du meilleur salaire, celui de fin de carrière), c’est le « salaire d’inactivité » à l’EDF. Du coup, les fonctionnaires d’Etat n’ont pas d’employeur, au sens où un propriétaire peut dire à un travailleur nu, sans salaire parce que sans poste de travail, « aujourd’hui je t’embauche sur un poste dont je suis le propriétaire, avec le droit donc d’embaucher qui je veux quand je veux, je paie ton poste (je ne te pais pas toi, évidemment) et demain je te licencie de ce poste et tu te retrouves nu ». Quand on sait combien le fait d’attacher le salaire au poste de travail et non à la personne est au cœur de l’exploitation capitaliste, combien la peur de perdre son poste ou d’être changé autoritairement de poste est décisive dans la domination des propriétaires, une telle bataille, gagnée, pour le salaire à vie des fonctionnaires et des salariés à statut est le tremplin de conquêtes ultérieures que la bourgeoisie combat sans cesse et qui ne pourra être préservé que si une bataille est engagée pour que le salaire à vie soit généralisé à tous : il faut supprimer le marché du travail et la fonction d’employeur en faisant du salaire un droit politique attribué automatiquement et de façon irrévocable à 18 ans à tout le monde au premier niveau de qualification (par exemple à 1500 euros nets mensuels), avec ouverture d’une carrière salariale permettant de monter en qualification par exemple jusqu’à un maximum de 6000 euros, si, comme le préconise la CGT, il y a quatre niveaux de qualification.

    > Deuxièmement, les conventions collectives ont été au centre de la mobilisation syndicale dans le privé à partir de 1950. Outre des éléments portant sur les conditions de travail ou les droits des représentants des travailleurs, les conventions collectives sont d’abord des grilles de salaire qui font correspondre à chaque poste de travail un niveau de qualification (OP2, etc…) et un niveau de salaire. Ce fondement du salaire sur la qualification est aussi une importante victoire sur la logique du capital, même si elle est moins décisive que celle du salaire à vie parce qu’elle continue à lier le salaire au poste de travail et non pas à la personne. Fonder le salaire sur la qualification, c’est commencer à sortir du déni de qualification dont sont victimes les travailleurs réduits à des forces de travail dans le capitalisme. Le capitalisme réserve la définition de la valeur économique et la maîtrise de sa production aux propriétaires (et aux prêteurs qui se partagent avec eux, de plus en plus d’ailleurs avec la globalisation financière du capital, le profit). L’exploitation du travail des non propriétaires passe par leur réduction à des forces de travail demandeuses d’un poste de travail sur un marché où les propriétaires les achètent pour leur prix, c’est-à-dire pour la satisfaction des besoins nécessaires à leur reproduction. La violence capitaliste réduit les travailleurs à des êtres de besoin à qui il suffit de concéder du pouvoir d’achat, elle s’exprime dans le déni que ces travailleurs produisent la valeur et doivent être reconnus en tant que producteurs et non pas en tant que consommateurs. Récuser que le salaire soit du pouvoir d’achat et imposer la qualification (et donc la contribution à la production de valeur) comme fondement du salaire en qualifiant les postes, c’est sortir de ce déni. C’est faire du salaire non plus cette institution centrale du capitalisme qu’est le prix de la force de travail, c’est-à-dire le revenu d’un être de besoin, mais la reconnaissance d’une production (on voit, par parenthèse, que la revendication de « hausse du pouvoir d’achat » est totalement aliénée et tourne le dos à la bataille pour la qualification). Certes cette subversion du salaire capitaliste n’est pas aussi accomplie que dans le salaire à vie puisque c’est le poste qui est qualifié par la convention collective, mais cette qualification, bien qu’elle maintienne le marché du travail, a rencontré une hostilité constante du patronat. Pour la contrer, le patronat déploie aujourd’hui deux stratégies que j’ai décrites dans L’enjeu du salaire[2].

    > D’une part, il fait du SMIC – un salaire spécifiquement capitaliste puisqu’il nie la qualification et est construit à partir d’un « panier de consommation » – le salaire de référence d’une part de plus en plus grande des salariés (et là encore, la revendication isolée de « hausse du SMIC » manifeste l’abandon de la bataille pour la qualification). D’autre part, le Medef et ses partenaires emmenés par la CFDT (CFTC, CGC, UNSA et sauf exception FO) négocient depuis une vingtaine d’années le remplacement de la qualification du poste par la sécurisation des parcours professionnels : le salaire ne serait plus lié à la qualification, et en contrepartie les salariés seraient dotés d’une série de comptes liés à leur personne au prorata de leur temps d’emploi (compte temps, compte formation, compte pénibilité, compte retraite complémentaire, compte maladie complémentaire), des comptes portables, c’est-à-dire que les employeurs successifs doivent alimenter (et honorer s’il s’agit par exemple d’utiliser un compte de formation). Cette entreprise extrêmement nocive de changement capitaliste du salaire, par suppression de la qualification du poste et attachement à la personne de comptes qui se substituent au salaire socialisé des cotisations de sécurité sociale, ne peut pas être contrée par le retour à la qualification du poste, pour la raison sur laquelle j’ai insisté qu’elle maintient le marché du travail. Il s’agit de mener campagne pour l’on passe bien d’un salaire lié au poste à un salaire lié à la personne, mais pas par les dangereux comptes qui portent sur tout sauf sur la qualification et qui enchaînent encore davantage des salariés au marché du travail : encore une fois, il s’agit de sortir de la logique d’emploi par l’attribution de la qualification elle-même à la personne du salarié. La qualification doit devenir personnelle, et donc le salaire doit être attaché au salarié. On retrouve la revendication centrale de la généralisation du salaire à vie.

    > Initiative Communiste : statut de la fonction publique, qualification dans les conventions collectives, nous supposons que la troisième dimension de la bataille pour le salaire a été la cotisation sociale ?

    > Effectivement, la période que j’ai étudiée est celle de l’invention et de la montée en puissance spectaculaire de la partie socialisée du salaire dans la cotisation sociale. La cotisation interprofessionnelle s’impose, après l’échec de la loi sur les retraites ouvrières et paysannes de 1910, avec les assurances sociales de 1930 et les allocations familiales qui les suivent de peu. Les cartes sont rebattues en 1945 dans la sécurité sociale que met en place Ambroise Croizat. A la fin des années soixante-dix, la cotisation sociale, partie de zéro cinquante ans plus tôt, représente plus de 60% du salaire brut, un taux qui n’a hélas pratiquement pas augmenté depuis 35 ans, et qui n’est conservé que pour les salaires les plus élevés. Car d’une part le taux de cotisation est gelé depuis le début des années 1980 alors qu’il avait doublé entre 1945 et la fin des années 1970. D’autre part, aux exonérations Aubry-Fillon sur les salaires inférieurs à 1,6 Smic se sont ajoutés depuis Ayraud des remboursements de cotisation (à hauteur de 6% de la masse salariale) sous forme de crédit d’impôt jusqu’à 2,5 Smic. Et le pacte de responsabilité ajoute encore une couche : lorsqu’il sera arrivé à maturité, les employeurs ne paieront plus de cotisations sociales sur le Smic et des exonération/remboursements supplémentaires concerneront les salaires jusqu’à 3,5 Smic. Quand on sait que le salaire moyen est d’à peine 2 Smic, on voit que l’attaque contre la cotisation est généralisée. L’incapacité à s’y opposer n’est pas due seulement à la force de nos adversaires, elle est aussi un témoignage supplémentaire, avec les reculs du salaire à vie de la fonction publique et de la qualification comme fondement du salaire, des échecs auxquels a conduit l’abandon du centrage de l’action syndicale et politique sur le salaire.

    > Qu’est-ce qu’ont de révolutionnaire les cotisations sociales ? Attention, toutes les cotisations ne sont pas révolutionnaires, et il faut ici bien prendre garde à opposer cotisations capitalistes et cotisations anticapitalistes, comme je le fais dans Emanciper le travail[3]. La cotisation-prévoyance du salaire différé, ou l’impôt-solidarité de l’assistance, sont des institutions capitalistes combattues par le mouvement ouvrier révolutionnaire qui a, contre elles, promu la cotisation-salaire dans une lutte acharnée contre le pouvoir, le patronat et ses partenaires.

    > La cotisation-prévoyance, c’est l’AGIRC-ARRCO : mes cotisations sont consignées dans un compte qui sera la mesure de ma pension viagère quand je le liquiderai. Le patronat et ses partenaires tentent en permanence d’étendre cette logique du salaire différé à toute les prestations dites contributives, comme en témoignent les récentes conventions UNEDIC édictant qu’un jour cotisé = un jour presté, ou le projet d’alignement du régime général des retraites sur l’Arrco, ou l’obligation de complémentaires-santé dont les prestations sont fonction des cotisations choisies dans un menu. Le salaire différé correspond ainsi à la définition capitaliste de la valeur : je ne produits que lorsque je suis soumis à un employeur pour mettre en valeur du capital, et pour assurer mes besoins (encore eux) lorsque je suis chômeur, malade ou retraité, je diffère la partie de mon salaire que je n’ai pas consommée quand j’étais occupé.

    > Quant à l’impôt-solidarité, c’est la CSG et ses avatars : les besoins (toujours eux !) des personnes dont le temps d’emploi ou le niveau de salaire ne permettent pas qu’elles aient des droits contributifs suffisants sont couverts par une solidarité fiscale qui assure un « panier de soins »[4] ou un « minimum vieillesse », qui « lutte contre la pauvreté » des familles, qui favorise « l’insertion dans l’emploi » des chômeurs.

    > Contre cette rhétorique et ces institutions du capital que sont la cotisation-prévoyance et l’impôt-solidarité, le mouvement ouvrier révolutionnaire a combattu pour une cotisation-salaire, c’est-à-dire une cotisation qui finance un salaire à la qualification pour les travailleurs sans marché du travail et sans actionnaires que sont les retraités, les soignants (de la fonction publique hospitalière ou libéraux conventionnés), les parents et les chômeurs. Il est essentiel de bien voir que, comme les combats menés sur les deux autres terrains déjà analysés du salaire à vie et de la qualification, la cotisation-salaire, loin d’être du pouvoir d’achat couvrant des besoins des retraités, des malades, des parents et des chômeurs, subvertit le salaire capitaliste en payant des travailleurs qui produisent une autre valeur économique que la valeur d’échange capitaliste : retraités, parents, chômeurs et soignants produisent de la valeur sans emploi, sans employeur, sans actionnaires. Ce salaire attaché à la personne institue, comme dans la fonction publique, la qualification personnelle comme matrice du travail productif, contre l’emploi qui remplit cette fonction dans la pratique capitaliste de la valeur.

    > Poursuivre l’œuvre victorieuse de nos anciens, poursuivre cette mutation du salaire par sa socialisation, c’est mener un combat immédiat et un combat de moyen terme. Dans l’immédiat, revendiquer qu’à 55 ans[5] tous les salariés aient une pension de 100% de leur meilleur salaire brut quelle que soit la durée de leur carrière, que le chômage soit indemnisé sans limite de temps à 100% du salaire net de l’emploi perdu, que les parents puissent prendre du temps pour éduquer leurs enfants en conservant leur salaire à temps plein. A moyen terme, que la cotisation-salaire concerne aussi les salaires directs : le salaire à vie suppose que les entreprises ne paient plus leurs salariés mais cotisent à une caisse qui assurera non seulement la part des salaires qu’assure aujourd’hui la sécurité sociale, mais aussi les actuels salaires nets. La suppression des employeurs suppose que plus personne ne paie « ses » salariés. Aujourd’hui, sur 100 de valeur ajoutée par ses salariés, le propriétaire de l’entreprise en affecte 40 au profit (y compris le remboursement des prêteurs), 35 aux salaires directs et 25 aux cotisations : poursuivons en revendiquant qu’il en affecte 60 à une cotisation salaire qui ira à des caisses qui paieront les salaires à vie[6]. Les 40% restants iront pour partie à l’autofinancement décidé par les salariés copropriétaires, et le reste à une cotisation économique versée à des caisses qui subventionneront le reste de l’investissement (y compris par création monétaire, s’agissant de l’investissement net) et les dépenses courantes des services publics.

    > Initiative Communiste : ainsi, selon toi, il faut non seulement remplacer les salaires directs par la cotisation, mais aussi créer une cotisation pour financer l’investissement ?

    > Oui, car la cotisation a une autre vertu révolutionnaire que la possibilité de supprimer les employeurs : elle rend possible la suppression de la propriété lucrative de l’outil de travail et instaure un financement non capitaliste de l’investissement. Les centaines de milliards d’euros mobilisés dans les caisses ont permis de financer la production de santé sans appel au marché des capitaux, y compris l’investissement hospitalier, avant que le gel du taux de cotisation-maladie ne conduise à la désastreuse création par Juppé de la CADES en 1997, qui emprunte des capitaux et a fait des hôpitaux des débiteurs insolvables. Avant ce désastre, le subventionnement de l’investissement hospitalier par des caisses de maladie alimentées par une cotisation dont le taux augmentait régulièrement pour assumer la production croissante de santé a fait la preuve que c’est en mutualisant une partie du PIB dans des caisses d’investissement que nous allons pouvoir subventionner l’investissement en supprimant les prêteurs. Le constat est le même pour le financement par subvention des équipements collectifs grâce à la croissance de l’impôt. Les malheureux 400 milliards investis chaque année ne sont prêtés que parce qu’ils ont été au préalables ponctionnés : notre travail produit 2000 milliards, les propriétaires lucratifs en ponctionnent 700, dont ils affectent 300 à la spéculation et aux dépenses somptuaires et 400 seulement à l’investissement… que nous devons leur rembourser avec en plus un retour sur investissement de 15% alors que la production n’augmente que d’un ou deux pour cent. Or on peut en finir avec cette rapine et financer l’investissement sans crédit, comme je viens de le montrer avec la subvention des équipements publics par l’impôt ou la cotisation.

    > Au lieu de nous laisser dépouiller de 700 milliards par des propriétaires lucratifs qui ensuite nous imposent de leur rembourser la part de leur ponction sur notre travail qu’ils décident d’investir à notre place, affectons 600 milliards de ce que nous produisons à l’investissement : par exemple la moitié par l’affectation de 15% de la valeur ajoutée à un autofinancement décidé par les salariés copropriétaires de l’entreprise, et les 300 autres milliards par une cotisation investissement de 15% : les caisses d’investissement, gérées par les travailleurs, subventionneront les projets présentés par les entreprises, y compris par création monétaire pour les projets intéressants excédant leur encaisse. L’investissement doit devenir le fait du salaire socialisé.

    > Il en est de même pour les dépenses courantes des services publics. Actuellement déjà, la cotisation-maladie finance les dépenses courantes des producteurs de santé comme l’hôpital. Nous pouvons généraliser cette modalité de financement à toutes les dépenses courantes des services gratuits, qui doivent être étendus au logement, aux transports de proximité et aux premières consommations d’eau et d’électricité. Ainsi, les salaires des services publics seraient assurés, comme tous les salaires, par les caisses de salaires ; leur investissements par les caisses d’investissement ; et leur dépenses courantes par des caisses de fonctionnement percevant les 10% restant de la valeur ajoutée.

    > Tout le PIB irait ainsi à la socialisation salariale de la valeur pour financer, par des caisses gérées par les salariés, les salaires (60%), l’investissement (30%) et la gratuité (10%). On le voit, en finir avec la propriété lucrative, le marché du travail et le crédit, bref avec la production capitaliste, devient possible si on assume toute la portée révolutionnaire du changement du salaire qu’institue 1945 et si on le poursuit résolument.

    > Initiative Communiste : pourquoi selon toi la taxation des revenus financiers, type Tobin/Attac, est-elle une fausse piste dangereuse ?

    > La taxe Tobin est une plaisanterie et n’est pas, fort heureusement, le cœur de la mobilisation des groupes Attac même si elle a été l’occasion de leur constitution (mais pas la raison de leur impact) il y a près de vingt ans.

    > Ce qui est beaucoup plus préoccupant, c’est l’audience de propositions de taxation du capital, dont témoigne le consensus autour d’un auteur comme Piketty ou le succès à gauche des mots d’ordre de « révolution fiscale ». Je viens de montrer que la cotisation-salaire, cette invention prodigieuse du mouvement ouvrier révolutionnaire, ne taxe pas le capital, elle le remplace dans le financement de la production d’une part aujourd’hui considérable du PIB. Contre cette dynamique, taxer le capital, c’est renoncer à le supprimer. C’est même le légitimer : si le mal du profit finance le bien de la sécu, il n’est plus tout à fait un mal, en tout cas il devient un mal nécessaire. Il ne s’agit plus de remplacer la classe capitaliste dans la production de la valeur, mais de changer le partage d’une valeur dont les capitalistes restent les maîtres, certes dénoncés pour leur excessive rémunération à combattre par une fiscalité davantage redistributive, mais non contestés comme dirigeants de la production.

    > Or les attaques contre la sécurité sociale n’ont ni comme but ni comme résultat premiers d’augmenter la prédation des capitalistes et de baisser le pouvoir d’achat de ceux qu’ils exploitent. La lutte de classes n’est pas d’abord une lutte pour le partage de la valeur, mais une lutte pour la maîtrise de sa définition et de sa production. Si les attaques contre la fonction publique et la cotisation-salaire sont si déterminées depuis 30 ans, ce n’est pas d’abord à cause de la baisse du taux de profit, ni parce qu’un prétendu « néolibéralisme » assoiffé d’or et de finance aurait remplacé un capitalisme plus raisonnable et industriel, c’est parce que la classe capitaliste entend réoccuper le terrain conquis par la pratique salariale de la valeur, réaffirmer que seules produisent des forces de travail mettant en valeur du capital, et qu’il importe pour ce faire d’intensifier la soumission des populations au chantage de l’emploi et de la dette. La lecture de la réforme dans les termes fumeux du « tournant néolibéral » Reagan-Thatcher ou dans les termes économicistes d’une crise du capital confronté à la baisse du taux de profit (crise au demeurant incontestable) fait l’impasse sur la lutte de classes et sur la dimension d’abord politique de l’économie : l’économie est d’abord une affaire de pouvoir sur la valeur, et la classe dirigeante a l’œil rivé non pas d’abord sur son porte monnaie mais sur sa souveraineté sur la production. La lutte pour un partage moins injuste de la valeur grâce à une fiscalité juste, qui est toujours une faute stratégique, devient une impasse dramatique quand la classe capitaliste est à l’offensive pour reconquérir des terrains perdus en termes de pratique de la valeur. Les opposants aux réformateurs sont condamnés à continuer de perdre si leur contre-offensive n’est pas menée sur le terrain du salaire à vie contre le marché du travail, de la copropriété d’usage de l’outil de travail contre la propriété lucrative, de la cotisation investissement contre le crédit, de la mesure de la valeur par la qualification du producteur contre sa mesure par le temps de travail.

    > On voit que placer les revendications sur le terrain de la fiscalité n’est pas la seule des « conduites d’évitement » que j’analyse dans Emanciper le travail. J’entends par conduites d’évitement des mots d’ordre qui évitent de mener la lutte de classes parce qu’ils se situent sur le terrain du partage d’une valeur capitaliste qui, elle, n’est pas combattue, au lieu de se situer sur le terrain de l’affirmation d’une autre production de valeur que la valeur capitaliste. J’insiste dans l’ouvrage sur l’évitement de la lutte de classes qu’il y a à revendiquer le plein emploi (et donc plein d’employeurs), un pôle public du crédit (et donc la légitimité du crédit) ou une allocation d’autonomie pour la jeunesse (qui continue à réduire le droit au salaire à la présence sur le marché du travail).

    > Initiative Communiste : Quelles revendications formuler pour contrer les attaques contre les diverses branches de la Sécu ?

    > Et si nous arrêtions de « formuler des revendications » ? Revendiquer, c’est reconnaître la légitimité des capitalistes, c’est accepter notre position de demandeurs, certes dans l’espoir de conquérir des droits nouveaux, mais sans mise en cause fondamentale de la règle du jeu. Or la classe dirigeante n’a strictement plus rien à négocier dans les pays anciennement capitalistes où elle est décidée à réduire les droits salariaux en jouant sur la disparité des droits populaires à l’échelle mondiale. La seule réponse à cette offensive est de partir des tremplins conquis par une lutte de classes anticapitaliste riche de deux siècles pour nous passer des capitalistes et produire autrement. En poussant plus loin le « déjà-là » anticapitaliste d’une production de valeur libérée de la propriété lucrative, du marché du travail, du crédit, de la mesure de la valeur par le temps de travail, comme c’est déjà le cas pour le tiers du PIB, mais un tiers fort malmené ou perverti tant qu’il n’est pas généralisé.

    > Notre temps militant se perd beaucoup trop en parlotes avec des patrons, des élus et des responsables d’administrations qui sont des adversaires à disqualifier et non des interlocuteurs à qui présenter des revendications. Nos seuls interlocuteurs sont les travailleurs, et le temps militant, qu’il soit syndical, politique ou associatif, doit être consacré pour l’essentiel à leur auto-organisation. Généraliser le salaire à vie et la copropriété d’usage de l’outil de travail par les salariés – et donc maîtriser l’investissement, cela suppose un combat constant pour disqualifier le marché du travail et les employeurs, les propriétaires lucratifs et les prêteurs, pour rendre populaires la responsabilité exclusive des travailleurs sur ce qui est produit, l’élection des directions, l’affectation de la valeur ajoutée aux cotisations pour payer les salaires à vie et subventionner l’investissement. Le temps n’est plus aux revendications mais à la popularisation de mots d’ordre d’auto-organisation, et leur réalisation partout où c’est possible. J’en ai déjà évoqué quelques-uns mais je prends des exemples supplémentaires.

    > Reprise des entreprises par les salariés : la situation se présente des milliers de fois chaque année, et il faut que se multiplient les preuves que des entreprises marchandes peuvent fonctionner sans employeur, sans actionnaire et sans prêteur. Cela suppose que les entreprises récupérées soient effectivement gérées par les salariés, tous associés aux décisions de l’amont à l’aval de la production et à la désignation de la hiérarchie, qu’elles fonctionnent en réseau et mutualisent leur valeur ajoutée pour financer salaires et investissements, qu’elles mobilisent parmi leurs salariés des retraités qui ne demandent qu’à participer au bien commun autrement que par le bénévolat associatif et qu’elles n’auront pas à payer, puisqu’ils le sont par leur pension. Cela suppose aussi, comme le préconise Pierre Rimbert à propos du financement de la presse d’information générale[7], que soit popularisé un mot d’ordre de cotisation sur la valeur ajoutée de toutes les entreprises pour soutenir l’activité des entreprises autogérées.

    > Gestion par les salariés, réseau de mutualisation de la valeur ajoutée, cotisation universelle, mobilisation des retraités : ce que je viens de dire à propos de la reprise des entreprises par les salariés vaut aussi pour toutes les coopératives et les initiatives de production alternative qui se multiplient et qui ne pourront tenir face au capital que si elles s’inscrivent dans une logique macroéconomique de mutualisation de la valeur.

    > Autre pratique à porter : l’exclusivité des marchés publics aux entreprises autogérées et sans propriété lucrative. La mutualisation de la valeur qu’opère l’impôt pour la construction d’une piscine municipale ou du réseau ferré et qu’opère la cotisation pour la production des médicaments va à des groupes capitalistes qui n’existent que par les marchés publics. Le scandale que provoquent ces profits doit être saisi pour populariser, au contraire, une mutualisation de la valeur au seul service de la généralisation de la copropriété d’usage des entreprises.

    > Le mot d’ordre, absolument urgent, de hausse massive des taux de cotisation, porté pendant des décennies par la classe ouvrière (le taux de cotisation a plus que doublé de 1945 au début des années 1980), et abandonné depuis plus de trente ans alors que les réformateurs mènent contre la cotisation-salaire une bataille acharnée qui est la cause unique des difficultés des régimes de sécurité sociale, ne peut redevenir central que si nous montrons que la cotisation-salaire reconnaît la production, et non pas la dépense, des soignants, des retraités. Et c’est la même chose pour l’impôt qui paie les fonctionnaires ou les salariés des associations de service public. Ces derniers produisent la valeur correspondant à la subvention qu’ils reçoivent, ils ne dépensent pas de l’argent produit par d’autres. Le mot d’ordre de gestion du Trésor public et des caisses de sécurité sociale par les seuls salariés, avec élection des directions par les administrateurs salariés –comme c’était le cas avant l’étatisation antidémocratique du dispositif- doit être accompagné d’un déplacement de la pratique syndicale dans les services publics et la sécurité sociale, et plus généralement partout où il n’y a pas de propriétaire lucratif, vers l’auto-organisation des salariés, la délibération par les intéressés de l’objet et des moyens du travail. Que les fonctionnaires soient à la hauteur des libertés que leur offre leur statut et en conquièrent collectivement d’autres est la condition pour rendre attractives des entreprises sans actionnaires et sans employeurs.

    > Je voudrais insister sur un point rarement abordé, la convergence à construire avec les travailleurs indépendants, qu’ils soient protégés du capital par les règles des professions libérales que le gouvernement actuel est décidé à faire sauter, comme en témoigne la loi Macron pour les professions judiciaires, ou qu’ils soient livrés à lui sans défense, comme les paysans ou les artisans et commerçants. Ces travailleurs ont une expérience de la maîtrise de l’outil de travail et se battent de fait contre le capital pour ne pas être dépossédés de toute la chaîne de production d’un bien ou service. Qu’ils aient en général une idéologie de droite n’est pas un obstacle insurmontable si nous savons mettre les mots sur leur expérience de fait de la nocivité du capital et si nous déplaçons l’objet de notre action syndicale vers la maîtrise de l’outil de travail.

    > Oui, c’est là un vrai déplacement de l’activité militante, et je renvoie aux développements que je consacre aux mots d’ordre immédiats possibles dans Emanciper le travail.

    > Initiative Communiste : nous nous doutons bien à IC que les attaques contre la Sécu et les autres acquis de 45-47 ne changeraient pas de nature si la France sortait de l’UE et de l’euro, mais nous pensons que la construction supranationale euro-atlantique, éventuellement coiffée par une Union transatlantique couplée à l’O.T.A.N., est une arme sociopolitique (et potentiellement, militaire) de premier plan contre les travailleurs et les peuples souverains. Qu’en penses-tu de ton côté ?

    > La lutte contre l’UE, inamendable syndicat du capital contre les peuples, doit être de tous les instants. Sur le fait que l’UE et l’euro sont des outils capitalistes contre l’émancipation des travailleurs, je ne saurais trop recommander la lecture des remarquables travaux à la fois historiques et lexicométriques de Corinne Gobin, une collègue spécialiste de sciences politiques de l’Université libre de Bruxelles. Elle a d’ailleurs écrit une importante contribution à l’ouvrage collectif que j’ai édité avec Bernadette Clasquin[8] sur les effets destructeurs en matière de droits salariaux des politiques de l’emploi impulsées par l’UE depuis les années 1990. Quant au côté potentiellement militaire, pour reprendre vos termes, de l’arme contre les peuples souverains que sont l’UE et l’OTAN, il a une telle évidence aujourd’hui, joint à la militarisation de notre quotidien et à la criminalisation de l’action militante sous prétexte de lutte contre le terrorisme, qu’il est clair que la classe dirigeante est en train de mettre en selle l’extrême-droite et de construire l’arsenal de sa riposte violente aux mobilisations populaires que son échec économique suscite.

    > Bref, l’enjeu de la lutte de classes est devenu aujourd’hui si lourd qu’il est essentiel de se souvenir qu’on ne construit pas une classe révolutionnaire par une lutte contre, mais par une lutte pour. Les épreuves, les souffrances qu’entraînera l’affrontement au capital à la hauteur où il doit être maintenant mené ne pourront être acceptées que si le projet est enthousiasmant et mobilise pour construire l’alternative et non pas simplement pour en finir avec des élites abhorrées. Le programme du CNR s’appelle « Les jours heureux », pas « Mort au nazisme » (même si une partie est consacrée à cette nécessaire dimension de la bataille). Et donc la nécessaire bataille contre l’UE et l’euro comme monnaie unique (et contre l’illusion de leur possible démocratisation hélas répandue dans la gauche de gauche sous l’invocation d’une « autre Europe ») n’est qu’une composante d’une bataille pour la maîtrise populaire de la valeur, y compris à l’international, dans toutes les dimensions que j’ai développées. Autrement dit, la lutte contre l’UE n’a de sens qu’au service de la mobilisation pour le salaire à vie ou la copropriété d’usage de tous les outils de travail. Par exemple, pour la crédibilité même d’un projet qui conduira le premier peuple qui le mettra en œuvre à sortir de la zone euro et fort vraisemblablement de l’UE (sauf contagion révolutionnaire permettant une rapide reconstruction), il faut dès maintenant montrer comment nous allons recréer le franc et l’articuler à l’euro comme monnaie commune, comment nous allons récuser les directives de la Commission et la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, pour m’en tenir à ces seuls exemples. Mais ces démonstrations concrètes doivent être en permanence rapportées à un projet de salaire à vie ou de subvention de l’investissement qui n’est aujourd’hui pas popularisé alors qu’il doit devenir le cœur de notre action militante.

    > [1] Bernard Friot, Puissances du salariat, nouvelle édition augmentée, Paris, La Dispute, 2012 (première édition 1998)

    > [2] Bernard Friot, L’enjeu du salaire, Paris, La Dispute, 2012

    > [3] Bernard Friot, Emanciper le travail, entretiens avec Patrick Zech, Paris, La Dispute, 2014, second entretien

    > [4] Pour éviter la stigmatisation de ses bénéficiaires, le panier de soins peut être universel. Mais cette universalité ne change rien au fond du projet des réformateurs : les régimes complémentaires de salaire différé doivent voir leur place augmenter au détriment d’un régime général maladie fiscalisé.

    > [5] Quel congrès de la CGT a décidé de renoncer à la retraite à 55 ans pour la retraite à 60 ans ? Je n’en trouve pas.

    > [6] Pour financer aux 50 millions de résidents de plus de 18 ans un salaire à vie moyen net de 25000 euros par an, il faut 1250 milliards, soit les montants déjà consacrés à la rémunération du travail.

    > [7] Pierre Rimbert, Le Monde diplomatique, décembre 2014

    > [8] Bernadette Clasquin et Bernard Friot, dir, The Wage under Attack : Employment Policies in Europe, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2014. Cet ouvrage reprend les résultats d’une équipe de chercheurs de 7 pays de l’ouest-européen.

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  • Tsipras, acteur du grand basculement?

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    A - TsyprasAlexis Tsipras, le nouveau Premier Ministre de la Grèce sera le 8 avril à Moscou. Or, le 9 avril, la Grèce doit effectuer un payement au Fond Monétaire International. Les déclarations sur ce point du Ministre des finances de la Grèce ne laissent planer aucune ambiguïté : la Grèce honorera sa créance[1]. Mais, le 14 avril, la Grèce doit simultanément émettre pour 1,4 milliards d’Euros de bons du Trésor, renouvelant la dette à court terme (ce que l’on appelle faire « rouler » la dette) et le gouvernement doit payer 1,7 milliards en pensions et salaires. Or, la Banque Centrale Européenne a « déconseillé » aux banques privées grecques d’accepter de nouveaux bons à court terme émis par l’Etat grec[2]. On voit que cette visite d’Alexis Tsipras à Moscou va donc bien au-delà de la traditionnelle amitié entre la Grèce et la Russie. Elle pourrait signifier, à relativement court terme, l’amorce d’une bascule à l’échelle de l’Europe.

     

    I. La situation de la Grèce

     

    On sait que la Grèce a conclu un accord de nature provisoire avec ses créanciers (l’Eurogroupe mais aussi le FMI). Aujourd’hui le pays fait donc face à des difficultés importantes de court terme comme la fuite des capitaux hors du système bancaire (12 milliards d’Euros pour le mois de février) ainsi que l’incertitude financière sur sa capacité à effectuer les remboursements de sa dette. Cette incertitude financière est une arme à la fois politique et économique sur le nouveau gouvernement. Les investissements sont aujourd’hui fortement ralentis en Grèce, et les Investissements Directs Etrangers (IDE) sont au point mort. Dans ces conditions, l’Eurogroupe (i.e. la réunion des Ministres des finances de la Zone Euro) a pris la responsabilité d’exercer des pressions politiques et économiques de plus en plus fortes sur le gouvernement grec.

     

    On sait aussi que les politiques d’austérité sont un échec non seulement en Grèce mais dans bien d’autres pays. Les effets destructeurs de ces politiques d’austérité, non seulement dans le cas de la Grèce mais aussi dans celui du Portugal, de l’Espagne et de l’Italie, sont aujourd’hui évidents et parfaitement avérés. D’un point de vue technique, on peut dire que le multiplicateur des dépenses fiscales, ce multiplicateur qui lie les mouvements du PIB et celui des dépenses budgétaires, a été grossièrement sous-estimé par les autorités de l’Union Européenne, et cela même après la publication de l’étude fameuse de Blanchard, réalisée au FMI, et datant de janvier 2013[3]. Il est évident que les politiques mises en œuvre en Grèce sous le nom de « Mémorandum » ne fonctionnent pas et ont de plus des effets destructeurs très importants sur l’économie. Ces politiques, et il faut insister sur ce point, n’ont pas été mises sur pied pour « aider » la Grèce, mais bien uniquement pour permettre aux pays créditeurs d’être remboursés. Ceci a été reconnu dernièrement dans une note du FMI. Mais, sur ce point aussi, elles se révèlent contre-productives. En effet, il est clair que la Grèce, à la suite des divers Mémorandums, ne pourra pas rembourser sa dette. La politique mise en œuvre pour sortir ce pays de l’insolvabilité l’a, au contraire, fait plonger dans l’insolvabilité.

     

    C’est dans ce cadre qu’il faut considérer les politiques mises en œuvre par l’Union européenne, et dont le caractère anti-démocratique, et même fascisant, se révèle chaque jour un peu plus. En coupant l’accès à la liquidité d’urgence qui a été mis en place par la BCE dès le 4 février dernier, en refusant toutes les solutions proposées par Athènes, les dirigeants européens espèrent que la pression va être telle sur Alexis Tsipras que ce dernier sera contraint d’accepter les conditions de ses créanciers. Ces conditions ne sont pas économiques, car on a vu qu’elles ont en réalité aggravée la situation du pays. Ces conditions sont donc bien en réalité politiques. A travers l’acceptation de « réformes » du marché du travail et des pensions qui ne sont pas urgentes sur le plan économique, mais qui permettent de montrer la capacité des institutions européennes « d’annuler » politiquement l’essentiel du programme et du message de Syriza. C’était là l’essentiel et il faut bien le comprendre pour saisir toute la situation. Les dirigeants européens veulent ainsi annuler le résultat des élections du 25 janvier si celui-ci met en péril la politique qu’ils mènent depuis des années. Ils veulent annuler ces élections alors même qu’ils se prétendent de grands défenseurs de la démocratie. On a ainsi la démonstration ainsi irréfutable que « démocratie » n’est qu’un mot dans leur bouche et que, dans la réalité, ils n’ont de cesse que de nier cette dernière et de nier la souveraineté du peuple qui s’est exprimée dans ces élections. Dans cette stratégie, l’Eurogroupe n’a donc cessé de rejeter les propositions de réformes présentées par la Grèce. Mais, ce faisant elle a radicalisé les positions du gouvernement grec. Il faut alors comprendre pourquoi ce dernier n’a pas décidé de rupture franche avec les institutions européennes.

     

    II. Les raisons de la politique grecque vis-à-vis de l’Europe

     

    En réalité, Syriza situe son action à l’intérieur de l’Union européenne. Certains le font par idéologie, mais la majorité du parti le fait par réalisme. L’attachement de la population, et des élites grecques, à l’UE est important et il faut en comprendre les raisons. Les raisons de cet attachement sont multiples.

     

    Il y a d’abord des raisons d’ordre géopolitique. Les Grecs se souviennent de l’isolement dont leur pays fut victime lors des événements de Chypre en 1973, qui devaient conduire à l’intervention Turque sur l’île (opération ATTILA). Ces événements furent d’ailleurs la cause de la chute de la dictature des « colonels ». Il en reste la mémoire en Grèce des dangers d’un nouvel isolement. C’est ce que les gouvernements successifs, de droite ou de gauche, ont cherché à éviter via l’adhésion de la Grèce au Marché Commun (sous le gouvernement conservateur de Caramanlis) puis le soutien indéfectible aux différentes étapes de la construction européenne. Même l’adhésion de la Grèce à l’Union Economique et Monétaire, c’est à dire à la zone Euro, peut en réalité être interprété comme une expression de cette volonté de ne pas être isolé. On peut penser que cette crainte de l’isolement face à la Turquie puisse désormais être contrebalancée tout autant par des accords militaires et politiques avec la Russie que par l’adhésion à l’Union européenne.

     

    Il y a, ensuite, des raisons économiques. La Grèce a beaucoup profité dans la période 1975-2000 des fonds structurels européens, et nombre des investissements publics ont été réalisés grâce aux programmes divers (aides aux zones insulaires, aux zones de moyenne montagne, etc…) de l’aide européenne. Le fait que cette dernière se soit largement réduite depuis 1995, et surtout depuis l’entrée des anciens pays d’Europe de l’est dans l’UE, rend cependant cet argument bien plus faible qu’il y a dix ans. Les Grecs ont mesuré qu’aujourd’hui cette « aide » est de plus en plus faible alors que les contrainte imposées par l’Union européenne sont véritablement meurtrières.

     

    Il y a, enfin, une raison idéologique. Les élites modernisatrices de la Grèce, élites dont Syriza fait en réalité partie intégrante, ont toujours considéré que le rattachement à l’Europe occidentale, c’est à dire au noyau initial du Marché Commun, était un gage de mise en œuvre des réformes destinées à libérer la Grèce de l’héritage ottoman. On peut discuter à l’infini de ce qui est, et n’est pas, dans la culture sociale et politique grecque un « héritage » de l’occupation ottomane, mais il n’en reste pas moins que la présence massive du népotisme, de la corruption, et plus généralement d’institutions que l’on peut qualifier de «molles » et qui permettent le maintien de ce népotisme et de cette corruption, est attribuée à cet « héritage ». De ce point de vue, l’adhésion à l’Union européenne était la seule garantie des réformes nécessaires.

     

    Ces trois raisons expliquent que Syriza soit un parti viscéralement pro-européen, et que le deuil qu’il doit faire de l’Europe soit un processus douloureux. Les dirigeants de Syriza avaient espéré fédérer autour d’eux des pays qui souffraient tout autant de l’austérité, comme l’Espagne, le Portugal ou même l’Italie et la France. Ils avaient espéré constituer un grand « front uni » contre l’austérité à l’échelle européenne. Mais, ils ont ici pêché par optimisme. Optimisme quant aux positions du gouvernement français, qui s’avère chaque jour un peu plus le laquais de l’Allemagne. Optimisme quant aux positions des gouvernements conservateurs en Espagne et au Portugal, qui voient en réalité en Syriza un danger pour leur propre domination sur leurs peuples. Les dirigeants de Syriza, mutatis mutandis, se sont trouvés dans la même position que les dirigeants bolchéviques persuadés que la révolution en Russie allait provoquer la révolution en Allemagne, et restant en panne de stratégie quand ceci n’arriva pas. On sait que de ce constat naquit la stratégie de développement autonome de l’URSS, avec la NEP, conçue comme une stratégie alternative devant l’échec de la révolution en Allemagne. Autour de cette NEP put se fédérer un bloc implicite allant des bolchéviques aux divers modernisateurs (menchéviques, socialistes-révolutionnaires), bloc qui devait donner d’ailleurs à la NEP sa dynamique économique et sociale extrêmement progressive[4]. De fait, il semble que les dirigeants de Syriza aient anticipé que leur optimisme pourrait être déçu. L’alliance politique qu’ils ont conclue avec les « Grecs Indépendants » (An.El) signifiait bien que les concessions qu’ils étaient prêts à faire pour rester au sein de la zone Euro auraient une limite. Il est aussi possible qu’ils aient sous-estimé le mouvement de résistance nationale qui s’est manifesté après l’élection du 25 janvier.

     

    Nous en sommes là. Le gouvernement grec a compris que fors une capitulation sans condition, une soumission abjecte aux diktats européens, il ne trouverait aucun terrain d’accord avec l’Eurogroupe et la BCE. Le fait qu’il ait évolué dans sa position quant à la privatisation du port du Pirée, pour ne pas heurter la Chine, est une indication que le gouvernement grec n’attend plus grand chose de l’Union européenne et se prépare à compter de plus en plus sur la Russie et la Chine.

     

    III. Quelle stratégie ?

     

    Il faut alors envisager ce qui pourrait se passer dans les prochains jours, voire les prochaines semaines.

     

    Le gouvernement grec a donc décidé d’honorer sa créance au FMI. C’est entièrement compréhensible. Il ne peut se mettre à dos et l’Eurogroupe et le FMI. Un défaut vis-à-vis de ce dernier aurait de plus des conséquences importantes pour la Grèce, des conséquences en fait d’autant plus importantes que la Grèce se trouverait coupée des financements européens et forcée, de fait, de sortir de l’Euro. La décision d’honorer la créance vis-à-vis du FMI laisse à penser qu’une position de rupture est en train d’émerger au sein du gouvernement grec.

     

    Cette rupture cependant, le gouvernement grec veut en faire peser l’entière responsabilité sur l’Eurogroupe et l’Union européenne. Il le veut d’une part pour des raisons de politique intérieure et de morale politique. Ayant affirmé durant la campagne électorale qu’il ne voulait pas sortir de l’Euro, il doit agir en sorte d’être expulsé de cette dernière. D’où le fait qu’il ne faut pas s’attendre à des gestes de rupture de la part de la Grèce, mais à une fermeté sur les principes : il n’est pas question de renoncer aux promesse électorales et au programme sur lequel ce gouvernement a été élu. Mais, le gouvernement grec veut aussi que cette rupture soit le fait des institutions européennes pour rendre moins douloureuse la brisure du rêve européen. Le deuil de l’idée européenne, du moins dans sa forme la plus inclusive, aura certainement des conséquences. Si la responsabilité de ce deuil peut reposer sur Bruxelles et Francfort, il peut en découler un surcroît de légitimité pour le gouvernement grec.

     

    C’est ici que prend place la possibilité de créer une nouvelle monnaie qui circulerait en même temps que l’Euro, afin de permettre au gouvernement grec de réaliser les paiements qu’il doit faire pour la population, et de relancer le financement de l’investissement. Il faut dire ici que ceci n’a pas eu d’équivalent. Non que des systèmes de double circulation monétaire n’aient pas existé. Mais, ces systèmes ont été à la fois très instables (une monnaie finissant par évincer l’autre) et il n’y a pas d’exemple de cas où une monnaie supra-nationale ait été contestée par une monnaie nationale nouvellement créée, sauf dans le cas de la rupture d’un pays (Autriche-Hongrie, URSS). Dans ce cas, la double circulation ne dure pas plus que quelques semaines. Si le gouvernement grec décide logiquement, devant l’étranglement financier dont il est l’objet, de créer une nouvelle monnaie, se poseront immédiatement deux problèmes :

     

    • Quelle stabilité pour la nouvelle monnaie.
    • Quel taux de change entre cette nouvelle monnaie et l’Euro.

     

    La stabilité de cette nouvelle monnaie pourrait être garantie par un fond de stabilisation, lui même issu d’un prêt de courte durée (2 ans au maximum). La Russie a déjà dit, par la voix de son Ministre des affaires étrangères, qu’elle était prête à étudier un tel prêt. En fait, on voit bien que ceci est une manière « douce » de sortir de l’Euro. Si cette nouvelle monnaie est stable, elle va rapidement s’imposer dans la circulation monétaire interne face à l’Euro tout en connaissant une dépréciation de 20% à 30%. Cette dépréciation devrait aboutir à une balance commerciale fortement excédentaire dans un délai de 6 mois à un an, garantissant les conditions de remboursement du prêt. De fait, les conditions d’une stabilité à moyen terme de la nouvelle monnaie grecque apparaissent comme bonnes. Ce fond de stabilisation pourrait bien être fourni par la Russie. Cet excédent commercial pourrait d’ailleurs être aussi accru par la levée des « contre-sanctions » prises par la Russie contre les productions agro-alimentaires des pays de l’UE, une levée qui pourrait dans un premier temps concerner la Grèce et la Hongrie. Par ailleurs, la Grèce devra faire défaut sur ses dettes libellées en Euro, ce qui ne sera pas sans poser quelques problèmes aux pays de l’Eurogroupe et à la BCE.

     

    Plus généralement, un conflit irrémédiable entre la Grèce et les pays de l’Eurogroupe aboutirait à ce que la Grèce se tourne vers la Russie et la Chine à la fois pour les investissements (IDE) et pour les relations tant politiques qu’économiques.

     

    IV. Un grand basculement

     

    Une telle solution impliquerait un basculement dont le sens dépasse de loin le seul cas de la Grèce. Lors de la préparation de son voyage à Moscou qui doit avoir lieu le 8 avril, Alexis Tsipras a donné le ton le 31 mars en affirmant que les « sanctions contre la Russie ne mènent nulle part.»[5]. Cette déclaration était un désaveu très clair de la politique orientale de Bruxelles, en particulier au sujet de l’Ukraine. Voilà qui a de quoi inquiéter la Commission européenne. Athènes pourrait alors se décider à défendre les positions de la Russie au sein de l’UE, et ce en particulier si l’UE se montrait agressive avec la Grèce. Il n’est nullement de l’intérêt de la Grèce de quitter l’UE. Le gouvernement grec serait un bien meilleur allié de Moscou s’il restait membre de l’UE, tout en contestant systématiquement, et en les paralysant, toutes les décisions. Or, si l’on peut en théorie expulser un pays de l’UE, il faut pour cela obtenir l’unanimité des autres membres. Il est clair qu’il y aura toujours un ou deux autres pays qui refuseront de voter cette expulsion, ne serait-ce qu’en raison de la crainte qu’ils pourraient avoir d’être les prochains sur la liste des expulsés.

     

    Ce refus d’aller plus avant dans la confrontation avec la Russie, refus qui – il faut le savoir – est très largement partagé en Grèce même par des forces politiques qui ne sont pas au gouvernement, pourrait d’ailleurs faire sortir du bois d’autres pays qui partagent en réalités ces positions : Chypre, la Slovaquie ou la Hongrie, par exemple. Mais, aujourd’hui, l’enjeu de ce voyage est sans doute encore plus grand. Il est clair que le conflit entre la Zone Euro et la Grèce est inévitable, et que ce conflit peut provoquer une sortie de l’Euro de la part de la Grèce. Le voyage à Moscou d’Alexis Tsipras, mais aussi les relations étroites que son gouvernement est en train d’établir avec la Chine et plus généralement avec les pays des BRICS, représente potentiellement un moment historique. Celui du reflux des institutions européennes de l’UE au profit d’une avancée, certes timide, certes prudente, mais néanmoins réelle des puissances émergentes, comme la Russie et la Chine, dans le jeu européen. C’est pour cela qu’il y a bien plus dans ce voyage que ce que l’œil d’un observateur peut voir.

     

     

     

    La crainte de ce grand basculement doit aujourd’hui commencer à s’immiscer dans les cerveaux quelque peu embrumés des dirigeants européens. Quelles sont alors leurs possibilités ? Ils peuvent céder, tout ou partie, de ce que demande Syriza. On l’a déjà dit, une telle solution porterait en elle la condamnation implicite des politiques d’austérité. Il ne faudrait guère attendre pour que d’autres pays, tels l’Espagne et le Portugal, adorant ce qu’hier ils avaient brulé, ne se décident alors à embrasser les demandes de la Grèce. Le risque est immense de voir la politique établie par l’Allemagne et au profit de l’Allemagne voler alors par dessus les moulins. Le gouvernement allemand en est conscient, et c’est pourquoi il mène un « front de la fermeté » sur ces points. Mais, à tenir une position intransigeante avec la Grèce, ces mêmes dirigeants prennent le risque d’un éclatement de toute la construction politique qu’ils ont accomplie depuis plus de quinze ans. On le voit, et ceci quelle que soit l’issue de cette crise, c’est à la fin de la construction européenne telle qu’elle s’est faite depuis maintenant près de vingt-cinq ans que nous sommes en train d’assister. L’expression « grand basculement » apparaît donc comme bien appropriée. Reste à savoir comment les gouvernants français s’adapteront à cette nouvelle situation.

     

    Notes

     

    [1] http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/la-grece-s-engage-a-rembourser-le-fmi_1668428.html

     

    [2] http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/la-bce-demande banques-grecques-de-ne-plus-acheter-de-dette-d-athenes-463735.html

     

    [3] Blanchard O. et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, n°13/1, janvier 2013.

     

    [4] Sapir J., “Éléments d’une histoire économique de l’URSS: quelques questions sur la croissance”, in Historiens et Géographes, n°351, décembre 1995, pp.191-218. Idem, “La guerre civile et l’économie de guerre, origines du système soviétique”, in Cahiers du Monde Russe, vol. 38, n°1-2, 1997, pp. 9-28.

     

    [5] http://www.theguardian.com/world/2015/mar/31/alexis-tsipras-greece-russiarelations

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  • L’OCDE au chevet du développement par Jacques Sapir

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    Vrais problèmes et solutions en faux-semblants

     

     

    La question du financement du développement est une des questions au cœur même de l’économie internationale. Il n’est donc pas surprenant que l’OCDE y ait consacré une conférence les 31 mars et 1er avril 2015 à Paris. Intitulé le « Forum Mondial sur le Développement », cette conférence s’attache à un grand nombre de problèmes qui sont pour la plupart d’une importance considérable. On peut en juger sur la liste publiée sur le site de l’OCDE :

     

    • Comment les pays en développement interprètent-ils la vision globale – telle qu’elle est présentée par l’ONU, l’OCDE et d’autres – sur le terrain ?
    • Comment les objectifs peuvent-ils être chiffrés de façon réaliste et leur financement suivi ?
    • Quelles contraintes et conditions nationales gouvernent la politique de financement du développement et sa pratique ?
    • Que révèle l’état d’avancement des travaux sur les réalités du financement local par rapport aux discussions générales portant sur le financement du développement ?
    • Quels sont les points de vue et les rôles des acteurs non-étatiques (tels que le secteur privé, les fondations, les investisseurs institutionnels) dans la mise en œuvre des ODD ?

     

    Mais, en réalité, ces questions ne font que reformuler des problèmes qui sont connus depuis maintenant près d’un siècle. Et, s’il est normal que la connaissance de base de ces problèmes ait été acquise il y a longtemps, on peut s’interroger sur la volonté de reformuler sans cesse non pas tant les réponses – qui peuvent naturellement varier – mais l’intitulé de la question. L’OCDE pense-t-il qu’une nouvelle formulation de la question rendra plus facile la solution ? C’est une attitude pour le moins curieuse, et qui mérite bien entendu explication. On doit s’interroger sur ce processus qui conduit une grande organisation internationale à ajuster son discours dans une tentative d’euphémisation des problèmes qui sont, et nul ne le conteste, extrêmement importants et urgents.

     

     

    1. La question de l’investissement.

     

    Le problème majeur que rencontrent les pays en développement peut être décrit comme une limitation de l’offre, pour diverses raisons, par rapport à une demande potentielle qui est importante. Mais, et c’est justement le problème, cette demande est bien potentielle et non pas réelle du fait d’un manque de moyens financiers. Il y a un désajustement important entre la demande potentielle et la demande solvable. Il en résulte que l’offre va se limiter à cette demande solvable. Alors que l’on croit que l’offre est techniquement limitée, et qu’il faut donc apporter des solutions techniques à son développement (innovations qui sont largement la propriété des entreprises des pays développés), en réalité c’est une limitation monétaire qui freine le développement. En fait, c’est l’espérance de profit qui limite l’investissement (ici compris comme investissement en capital fixe et en capital circulant), qui lui-même va engendrer la production. Cela pose la question de l’épargne que peut engendrer la population. En fait, le décalage entre demande potentielle et demande solvable a son équivalent dans un décalage entre épargne potentielle et épargne réelle. Dans les pays en développement l’épargne est insuffisante, mais elle l’est parce que les revenus sont insuffisants. On peut tourner cette limite de trois manières :

     

    1. En donnant à la population des revenus suffisant pour accroître l’espérance de profit, et donc accroître l’investissement.
    2. En accroissant la productivité du travail pour faire baisser le prix relatif des biens de capital, ce qui permet d’en acheter plus pour une même somme d’épargne.
    3. En transférant des ressources aux producteurs qui rendront l’investissement moins coûteux ce qui fait que pour une espérance de profit donnée, la taille de l’investissement sera plus grande.

     

    La troisième méthode conduit très souvent à une impasse. Mais, ce transfert de ressources pose alors de nouveaux problèmes. Si l’on prélève des ressources sur la population pour les transférer vers les producteurs, ce qui revient a accroître artificiellement le niveau de l’épargne dans le pays considéré, on va diminuer d’autant plus le niveau de la consommation, et l’espérance de profit va baisser, du moins si la production est bien destinée à la population. C’est ce qui s’est passé dans les années 1930 en URSS où la collectivisation peut s’analyser comme un mécanisme destiné à capturer des ressources sur une majorité de la population[1] avec des effets sociaux et économiques importants (chute de la consommation et même famine en 1932-1934), et n’a donné naissance qu’à une production essentiellement consommé par l’Etat[2]. La croissance est alors largement déformée et ne peut être soutenue dès que la pression de l’Etat diminue.

     

    La hausse de la productivité apparaît comme plus prometteuse. Mais, elle implique – au moins au départ – des investissements importants. Les pays libéralisent leur compte de capital pour laisser entrer les investissements étrangers qui viennent s’ajouter à l’épargne nationale. Mais, ce faisant, ils courent le risque de créer des situation où l’épargne va être attirés par des placements purement financiers. De plus, les mouvements des capitaux de court terme sont profondément déstabilisateurs pour une économie en développement[3]. Fondamentalement, cela pose la question de l’ouverture financière. Cette dernière n’a pas aidé les pays en voie de développement. On ne peut lire dans les statistiques aucune corrélation entre le développement de ce processus et la croissance[4]. Le cycle dit « boom and bust » que nombre de ces pays ont connu a en réalité freiné la croissance[5]. Les entrées massives de capitaux spéculatifs dans ces pays ont par ailleurs déformé bien souvent la structure de la consommation et conduit à des investissements de peu d’intérêt pour le développement économique. Il est en revanche parfaitement exact que le mécanisme des Investissements Directs Etrangers (les IDE), quand il a été accompagné d’une politique nationale de développement des infrastructures, a eu un effet positif sur la croissance et le développement de ces pays. Mais les IDE représentent moins de 5 % de la circulation globale des capitaux[6] et, en réalité, il n’y avait nul besoin de procéder à une ouverture complète pour les attirer. La globalisation financière a donc bien été un frein au développement des pays dits « en voie de développement » qui a contribué diminuer considérablement le taux d’investissement dans les pays développé[7]. En transformant le monde en un gigantesque casino, on n’a fait qu’enrichir une petite minorité au détriment du plus grand nombre.

     

    Il reste donc la première solution : favoriser une hausse du revenu de la population. Cela passe, en partie, par des investissements publics en infrastructures. La conférence de l’OCDE a mis en lumière la pénurie de ces investissements en Afrique notamment, mais pas seulement. Ces investissements doivent être financés. Cela implique des impôts. Logiquement, le taux d’imposition devrait être important dans les pays en développement. Mais, on ne peut surcharger d’impôts une population dont les revenus sont faibles. Certes, on peut taxer plus les entreprises. Mais, cela réduit leurs taux de profits (après impôts) et donc la disponibilité à investir des actionnaires ou des propriétaires. Une solution logique est d’en venir à des entreprises étatisées, mais alors, on risque d’être conduit vers la troisième solution si cette étatisation est générale dans l’industrie. Si les entreprises restent privées, et si de plus on a ouvert l’économie à la globalisation financière, on risque d’être confronté à ce qu’un magnifique euphémisme de l’OCDE appelle le base erosion and profit shifting ou (BEPS), soit la tendance de ces entreprises à échapper à la pression fiscale et à réaliser leurs profits à l’étranger, en général dans des paradis fiscaux[8].

     

     2. Les solutions sont-elles adaptées ?

     

    En fait, la conférence qui s’est tenue à Paris le 31 mars et le 1er avril, conférence qui fait suite à d’autres importantes conférences, met à la fois l’accent sur les Objectifs du Développement Durable (ou Sustainable Development Goals – SDGs) mais aussi sur l’interpénétration entre le secteur public et le secteur privé dans le cadre des Partenariats Public-Privé (PPP) et sur le Global Partnership for Effective Development Co-operation ou GPEDC, qui invite des fondations privées à prendre des responsabilités de plus en plus importantes sur les politique de développement. La deuxième session, qui s’est tenue le mercredi 1er avril dans l’après-midi avait d’ailleurs pour titre Solutions éventuelles : Nouveaux acteurs, nouveaux instruments.

     

    On voit se dessiner ainsi une logique qui cherche à retirer à l’Etat un certain nombre de ces responsabilités en matière de développement. On peut comprendre cette logique. Financièrement, les Etats, qui ont été soumis à la globalisation financière et à une ouverture toujours plus grande au moins jusqu’en 2008, se trouvent dans des situations fiscales très difficiles. Ils peuvent être soumis, que ce soit de leur propre volonté et de celle d’organisations régionales comme la zone Euro, à des politiques d’austérité qui limitent encore plus les investissements en infrastructure. Cela d’ailleurs peut concerner des pays développés. On sait que le retard pris dans le domaine des infrastructures par l’Allemagne, pour ne citer que ce pays, est aujourd’hui impressionnant. L’idée d’un partenariat avec le secteur privé semble constituer une solution logique et prometteuse.

     

    Mais il faut insister sur le « semble ». En effet, les investisseurs privés vont attendre des taux de profit, mais aussi des durée de retour sur capital, qui ne sont tout simplement pas compatibles avec la logique des investissements en infrastructures. Il en résulte que soit les PPP sont peu développés (et dans l’Union européenne la moitié d’entre eux ont été réalisés en Grande-Bretagne), soit impliquent des transferts directs de ressources de l’Etat vers le secteur privé afin de rendre rentables ces investissements, soit enfin le secteur privé n’accepte que la gestion des infrastructures qui ont été largement payés par l’Etat. Le récent scandale de la privatisation des autoroutes en France n’est que l’un des exemples des dérives auxquelles on tend dans le cadre des PPP.

     

    Enfin, le recours à des fondations caritatives, ou à but non-lucratif, peut apparaître comme une solution, en particulier si les secteurs où il faut investir, comme la santé ou l’enseignement, ne permettent pas de dégager des profits importants. Mais alors, on aboutit à abandonner à des groupes idéologiques des pans entiers de l’appareil d’Etat. Si l’on considère par exemple la lutte contre le SIDA, on constate qu’en Tanzanie, près de 98% de cette lutte est financée par des fonds non-lucratifs privés[9], ce qui représente plus de 80% du budget de la santé en Tanzanie[10]. On peut alors se poser ouvertement la question d’un possible conflit de priorités entre ces fonds et les gouvernements[11], les fonds cherchant à montrer à leurs « donneurs » que l’argent a bien été utilisé dans la lutte contre le SIDA alors qu’une approche plus scientifique montre qu’il serait important de traiter aussi d’autres maladies infectieuses qui accompagnent, voire qui encouragent, l’épidémie du SIDA[12]. D’une manière générale, l’existence de ces conflits d’intérêts, et de la possible prise de contrôle par des groupes privés sur les politiques publiques, a été montrée dans plusieurs études[13].

     

    D’une manière plus générale, il faut ici s’interroger sur la pertinence de solutions qui sont proposées, voire encouragées, par l’OCDE et qui font fi trop rapidement de problèmes politiques importants, quand elles n’aboutissent pas à rendre pire la situation qu’elles prétendaient résoudre. En fait, la réduction à un outillage présenté comme purement technique dans ce qui est du domaine des politiques publiques soulève un problème constaté depuis plus de 10 ans[14]. La question de l’investissement est certainement une question centrale dans le développement, et cet investissement est à la fois matériel et immatériel. Mais, l’exemple du développement des pays asiatiques nous indique l’importance à la fois de la légitimité de l’acteur public, et d’un consensus fort autour de cet acteur public[15]. En un sens le « nationalisme » peut être considéré comme une idéologie favorable au développement.

     

     3. Penser le développement hors des préjugés.

     

    Il faut, alors, revenir sur le non-dit qui structure cette conférence. Si l’on peut en dire qu’une politique qui associe l’ouverture à de bonnes mesures macroéconomiques est en général meilleure qu’une politique associant le protectionnisme à des mauvaises mesures macroéconomiques, ceci ne tient nullement au protectionnisme. Ceci, en réalité, tient bien plus à la qualité des dites mesures macroéconomiques qu’à celle de l’ouverture[16]. De fait, les pays qui ont associé des politiques protectionnistes à des bonnes politiques macroéconomiques connaissent des taux de croissance qui sont largement supérieurs à ceux des pays plus ouverts, ce qui invalide le résultat précédent sur l’ouverture[17].

    LA SUITE ET LES NOTES ICI

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  • L’hypothèse d’un “GREXIT” : La Grèce et la sortie de l'Euro.

     

    Par

     

    La possibilité d’une sortie de la Grèce de la zone Euro, qu’elle soit voulue ou qu’elle soit subie, devient de plus en plus vraisemblable d’ici le début du mois de juillet prochain. Le fait que le gouvernement grec et l’Eurogroupe aient pu trouver un accord pour les quatre mois nous séparant de cette date ne change rien à l’affaire. Il faudra poser la question soit de l’annulation d’une partie de la dette, soit de sa transformation (en réalité un moratoire sur près de trente ans). Or, l’on sait que ces deux hypothèses sont également rejetées par l’Allemagne. Il convient donc de regarder un certain nombre de paramètres de la Grèce pour se faire une idée réelle de ce qu’un « GREXIT » signifierait.

     

    La question fiscale

     

    Le premier point concerne la question fiscale. On affirme que la Grèce a vécu « au dessus de ses moyens » et qu’elle doit « payer » pour ses errements passés. En réalité, quand on regarde les recettes publiques on constate d’une part que la situation de la Grèce n’était pas en 1995 différente de celles du Portugal et de l’Espagne, et qu’elle a fait un effort important de 1995 à 2000 arrivant au niveau des Pays-Bas.

     

    Graphique 1

     

     A - FiscaGr1

     

    Source : FMI

     

    Cet effort s’est relâché de 2000 à 2004, mais il a repris par la suite et aujourd’hui la Grèce se trouve avec un même niveau de recettes que l’Allemagne, et un niveau légèrement supérieur au Portugal et aux Pays-Bas, et même très nettement supérieur à celui de l’Espagne. Bien sur, elle reste en-deçà de pays comme l’Italie et la Finlande. Mais rien n’autorise à dire que l’effort fiscal des grecs ne fut pas important, même si on peut penser qu’il est mal réparti et que proportionnellement la partie la plus pauvre de la population paye le plus.

     

    Par contre, les dépenses publiques sont toujours restées très importantes, voire excessive. C’est en partie le problème des JO de 2004, mais pas seulement.

     

    Graphique 2

     

    A - FiscaGR2

     

    Source : FMI

     

    En fait, les dépenses publiques explosent de 2007 à 2009 sous l’influence de trois facteurs : d’une part des mesures anti-crises en 2008, mais aussi (et surtout) des libéralités du gouvernement (conservateur) pour gagner les élections de 2009 (ce qui fut politiquement un échec) et d’autre part la montée des taux d’intérêts qui commencent à créer un « effet Ponzi » de la dette. Alors que la croissance économique se ralentit et que la croissance nominale (croissance du PIB réelle x taux d’inflation) diminue, la hausse des taux, sur un volume élevé de dettes publiques, rend insupportable le poids des intérêts. En fait, ce mécanisme Ponzi (appelé ainsi car il évoque les pyramides financières où les intérêts des premiers déposants sont payés par de nouveaux souscripteurs) explique largement la montée régulière de la dette publique à partir de 2009, et une très large part de l’excès des dépenses publiques.

     

    On sait que la Grèce a atteint un excédent budgétaire primaire (soit hors les remboursements de la dette). Cela veut dire que si la Grèce faisait défaut sur sa dette, estimant que les intérêts payés depuis 2009 ont éteint une grande partie de cette dernière, elle pourrait financer sur ses propres bases ses dépenses publiques. En d’autres termes, si la Grèce fait défaut, et si elle sort de l’Euro, elle n’a plus besoin d’emprunter pour boucler son budget. C’est un premier point qu’il faut avoir à l’esprit quand on parle d’un possible GREXIT. La Banque Centrale de Grèce n’aurait pas à monétiser des sommes importantes, ce qui exclut le risque d’hyperinflation qui est souvent avancé par les adversaires de la solution du Grexit.

     

    Epargne et investissement.

     

    Mais, dira-t-on, la Grèce a besoin d’emprunter pour investir. Elle ne peut se couper des marchés financiers, ce qui arriverait en cas de sortie de la zone Euro. En fait, la chute des investissements a été telle que, depuis 2013, l’épargne interne est supérieure à l’investissement.

     

    Graphique 3

     

    A - InvEpGR

     

    Source : FMI

     

    Si l’on part de l’idée que les recettes fiscales seront égales aux dépenses (et qu’il ne faudra pas emprunter pour couvrir un déficit budgétaire) ce point, bien montré dans le graphique 3 est important. En fait, jusqu’en 1994, l’écart entre les investissements et l’épargne est peu important. Cet écart devient par contre considérable à partir de 1999, très certainement à cause des investissements décidés dans le cadre de la préparation des JO de 2004, mais il continue à croître par la suite. En 2009, le flux d’épargne annule n’est que de 15 milliards alors que les investissements atteignent 37,5 milliards. Aujourd’hui, on est revenu à une situation ou la Grèce exporte son épargne. Ceci est lié à la contraction brutale de l’investissement mais cela signifie AUSSI que la Grèce peut parfaitement vivre « en circuit fermé » d’un point de vue financier. C’est un facteur important quand on cherche à évaluer la possibilité d’un GREXIT.

     

    La question de la balance courante.

     

    On rappelle ici que la balance courante confronte les importations et les exportations de biens et de services. On voit que la situation de la Grèce se caractérise par un léger déficit, le pays exportant environ 20-25% de son PIB. Par contre, par la suite, le déficit de la balance courante se creuse de manière astronomique, en particulier de 2004 à 2007, soit sous le gouvernement conservateur. Cette situation s’explique aussi par l’étouffement des exportations grecques du fait du renchérissement de l’Euro. La Grèce exporte à plus de 60% en dehors de la zone Euro. La hausse de l’Euro que l’on constate alors étrangle les industries et services exportant. La Grèce est, en 2013-2014, revenue à l’équilibre mais au prix d’une contraction dramatique des importations.

     

    Graphique 4

     

    A - BalComGR

     

    Source : FMI

     

    On voit ici qu’une dévaluation de 20% à 30%, rendue possible par une sortie de l’Euro aurait des effets extrêmement positifs sur l’économie[1]. L’effet d’accroissement sur le volume du PIB serait important. La Grèce pourrait donc accroître ses importations (en biens d’équipements notamment) sans compromettre l’équilibre de la balance courante.

     

     

     

    Ceci confirme donc une analyse intuitive. La Grèce est AUJOURD’HUI bien plus prête à une sortie de l’Euro qu’elle ne l’était en 2009 ou 2010. Une telle sortie, accompagnée d’un défaut sur la dette et d’une dévaluation de 20% à 30% aurait pour effet de dynamiser rapidement et profondément l’économie grecque. Ceci conduirait très certainement à des gains de productivité du travail importants, qui permettrait, dès 2016, des hausses de salaire importante sans compromettre la compétitivité retrouvée de l’économie grecque.

     

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    [1] Artus P., « Dévaluer en cas de besoin avait beaucoup d’avantages », NATIXIS, Flash-Economie, note n°365/2012, 29 mai 2012,

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