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Euro - Page 2

  • Leçons de la crise grecque sur l’Euro (par Jacques SAPIR)

    Le drame que vit la Grèce nous aura au moins appris deux choses : le lien qui existe aujourd’hui entre l’Euro et l’austérité et l’attachement d’une partie de la gauche à l’Euro, un attachement qui la conduit, maintenant de plus en plus rapidement, à sa perte. La première de ces choses permet de comprendre pourquoi les autorités de la zone Euro se sont montrées à ce point inflexibles. Le second nous explique pourquoi Alexis Tsipras s’est laissé poser la tête sur le billot et n’a pas choisi de rompre quand il le pouvait, c’est à dire dans la nuit du 5 au 6 juillet, après la victoire du « Non » au référendum.

     

    L’Euro, c’est l’austérité

     

    L’Euro est lié à l’austérité de par la logique même de la monnaie unique. Celle-ci met en concurrence des pays aux dotations en facteurs de production (que ces derniers soient matériels ou humains avec le niveau d’éducation) très différents. Pour rétablir leur compétitivité face à des pays mieux pourvus, les pays qui sont les moins bien pourvus doivent donc dégager une épargne supérieure (en pourcentage) à celle des pays les mieux pourvus. Ceci entraîne un déplacement de la consommation vers l’épargne. Comme, dans une monnaie unique, toute différence de taux d’inflation se traduit immédiatement par une perte de compétitivité, les pays les moins bien pourvus ne peuvent compter sur l’inflation comme instrument de financement de cette épargne. On perçoit alors la nature profondément austéritaire de l’Euro.

     

    Cette nature est renforcée par le fait que le taux d’inflation d’un pays ne dépend pas que de sa politique monétaire mais est déterminé, aussi, par la structure de son économie. Un pays ayant ainsi une population dynamique aura naturellement un taux d’inflation supérieur à un pays avec une population stagnante ou décroissante. De même, le taux d’inflation a un impact important sur la création des entreprises : ces créations, et les innovations qu’elles peuvent entraîner, engendrent des mouvements de prix relatifs (le prix d’un bien ou d’un service exprimé en d’autres biens ou d’autres services) qui impliquent un certain taux d’inflation. Dès lors, l’imposition d’un taux d’inflation unifié sur des économies aux structures très différentes implique que pour certain pays la croissance sera largement inférieure à ce qu’elle pourrait être. C’est ce que l’on appelle dans la littérature économique le problème de l’output gap ou écart de production.

     

    Enfin, politiquement, l’Euro introduit un très fort biais en faveur des politiques dites d’austérité car il conduit à la substitution d’un gouvernement où la décision est reine par un gouvernement déterminé par des règles comptables. Ces règles peuvent être internalisées par le personnel politique, ce qui est de plus en plus le cas en France, ou elles peuvent être imposées par la force comme c’est aujourd’hui le cas en Grèce.

     

    Ainsi, il peut y avoir de l’austérité sans l’Euro mais l’Euro implique nécessairement l’austérité. C’est désormais clair pour une large majorité d’européens, qui vont être de plus en plus dégoûté par la monnaie unique. Un article publié dans leFinancial Times le 13 juillet soulignait cet aspect[1].

     

    Les raisons d’un attachement irrationnel de la « gauche »

     

    Mais, face à ce constat, on est alors confronté aux positions d’une partie de la « gauche » qui continue de défendre, envers et contre tous, l’Euro. On l’a vu en France où le P« S », y compris les soi-disant « frondeurs », a soutenu le diktat du 13 juillet, et où même le PCF, par la bouche de Pierre Laurent, à failli le soutenir avant que de changer d’avis et de finir de voter « non » au Parlement. Il y a, il faut le reconnaître, un attachement qui semble irrationnel à l’Euro, et qui a transformé une partie de la « gauche » en bras séculier pour l’application de l’austérité[2]. Ambrose Evans-Pritchard, qui se qualifie lui-même de « libéral dans la tradition de Burke » va ainsi jusqu’à écrire : « Par un retournement du sort, la Gauche est devenue ce qui met en œuvre une structure économique qui a conduit à des niveaux de chômage qui semblaient impensables pour un gouvernement démocratique d’après-guerre avec sa propre monnaie et ses instruments de souveraineté »[3]. La lettre de démission du SPD de Yascha Mounk, une universitaire allemande, publiée dans The Nation, illustre bien ce mouvement particulièrement puissant en Allemagne et le trouble qu’il engendre[4].

     

    Cet attachement concerne aussi une partie de ce que l’on appelle la « gauche radicale ». C’est cet attachement qui a conduit Alexis Tsipras à poser sa tête sur le billot. Le politologue Stathis Kouvelakis a cherché à analyser ce phénomène[5]. Sans vouloir engager un débat il est possible de voir plusieurs raisons dans cet attachement irrationnel et malsain à l’Euro.

     

    • La raison la plus bénigne est une sous-estimation du rôle de la monnaie dans le fonctionnement d’une économie capitaliste moderne. Si la monnaie ne peut exister sans d’autres institutions, et en cela il est clair qu’elle n’est pas la seule institution de l’économie, la manière dont elle est gérée a une influence considérable sur les autres institutions. Cela s’appelle tout simplement la dialectique.
    • Une vision dévoyée de « l’internationalisme » qui prétend qu’au nom d’intérêts communs (qui existent assurément) les peuples seraient Cette vision nie en réalité la notion d’internationalisme qui précise bien que le commun est entre les Nations mais ne se substitue pas à elles. Cette vision dévoyée prétend ainsi que le Libre-Echange est la forme actuelle de « l’internationalisme ». On comprend alors comment elle arrive à constituer l’Euro en fétiche, sans s’interroger sur le fait que les « unions monétaires » sont en réalité assez rares aujourd’hui dans le monde. Toute interrogation sur cette réalité forcerait ceux qui défendent l’Euro-fétiche de revenir sur terre et d’en envisager l’ensemble des coûts et pertes qu’il fait supporter aux économies de la zone.
    • Une idéologie de remplacement pour cette « gauche » qui se dit réaliste, et que l’on appelle la « deuxième gauche ». L’Euro est venu se substituer à la perspective du changement de société qui avait été défendu en 1981. Ayant abandonnée toute idée de changement social, ayant même substitué le « sociétal » au social, cette « gauche » dite réaliste s’est trouvée une idéologie de remplacement dans la construction européenne qu’elle a alors identifiée rapidement à l’Euro. C’est pourquoi toute remise en cause de l’Euro lui apparaît comme une remise en cause de cette dite construction européenne et doit être combattue avec la plus féroce énergie (et la plus grande mauvaise foi) et ce contre toutes les évidences. On a eu un exemple de ce type de comportement avec les déclarations faites par le Président de la république et par le Premier ministre depuis le 13 juillet.

     

    Ces raisons n’épuisent pas le sujet. On dira, à juste titre, que nombre des économistes qui conseillent la « gauche » dite de gouvernement viennent des banques (ou des compagnies d’assurances) et sont donc directement intéressés au maintien de l’Euro. Mais, les raisons d’ordre symbolique et politique l’emportent largement. La conséquence de cela est que la question de l’Euro sera le grand débat des mois à venir. C’est autour de ce clivage que l’on verra se réunir la véritable gauche, celle qui entend rompre avec les logiques des politiques d’austérité et donc de l’Euro et ceux qui s’enfoncerons toujours plus dans une logique de soumission conduisant à l’acceptation totale de ces logiques austéritaires.

     

    Jacques SAPIR

     

    [1] W. Munchau, « Greece’s brutal creditors have demolished the eurozone project », Financial Times, 13/07/2015.

     

    [2] Ambrose Evans-Pritchard, « EMU brutality in Greece has destroyed the trust of Europe’s Left », The Telegraph, 15 juillet 2015,http://www.telegraph.co.uk/finance/comment/ambroseevans_pritchard/EMU-brutality-in-Greece-has-destroyed-the-trust-of-Europes-Left.html

     

    [3] Ambrose Evans-Pritchard, « EMU brutality in Greece has destroyed the trust of Europe’s Left », op.cit., « By a twist of fate, the Left has let itself become the enforcer of an economic structure that has led to levels of unemployment once unthinkable for a post-war social democratic government with its own currency and sovereign instruments ».

     

    [4] http://www.thenation.com/article/germanys-social-democrats-are-colluding-in-greeces-destruction-and-im-leaving-the-party/

     

    [5] Sebastian Budgen et Stathis Kouvelakis, « Greece: The Struggle Continues », 15 juillet 2015,https://www.jacobinmag.com/2015/07/tsipras-varoufakis-kouvelakis-syriza-euro-debt/

     

    SOURCES : http://www.communcommune.com/2015/07/lecons-de-la-crise-grecque-sur-l-euro-par-jacques-sapir.html

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  • Les 10 vérités du peuple grec au monde


    Salim Lamrani - Investig'action

     

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    Lors du référendum historique du 5 juillet 2015, les Grecs ont envoyé un message de rejet à l’oligarchie politique et financière de l’Europe et un message d’espoir aux peuples du monde.

     



    1. NON à l’Europe de l’austérité, à l’Europe des banques et de l’oligarchie et à l’Europe égoïste. Les politiques d’austérité sont politiquement coûteuses, économiquement inefficaces et socialement désastreuses. Loin de relancer la croissance, la réduction des dépenses, la diminution des salaires et des pensions de retraite, le démantèlement des services publics, y compris d’éducation et de santé, la destruction du code du travail et des acquis sociaux conduisent inévitablement à une contraction de la consommation.

    2. OUI à l’Europe sociale, à l’Europe des peuples et à l’Europe du partage. En temps de crise, les Etats doivent adopter une politique de New Deal et réaliser des investissements massifs afin de relancer l’économie. Les mesures de protection sociale doivent être renforcées afin de protéger les catégories les plus vulnérables de la population. De la même manière, une hausse du salaire minimum enclenchera un cercle vertueux car elle relancera la consommation, remplira le carnet de commandes des entreprises, lesquelles embaucheront de nouveaux salariés pour répondre à cette demande, ce qui permettra à l’Etat d’augmenter ses recettes fiscales grâce à ces nouveaux contribuables et de diminuer ses dépenses d’allocations-chômage grâce à la baisse du nombre de personnes sans emploi. Ces nouvelles sources de revenus pour la nation permettront de renforcer les services publics à destination du peuple.

    3. NON à la dictature de la finance, aux ultimatums, au chantage de la Troïka, au terrorisme politique, économique, financier et médiatique et aux menaces en tout genre. Il est inadmissible que la Commission européenne, composée de technocrates non élus – donc sans aucune légitimité populaire – décide de la politique économique et sociale d’une nation souveraine. Il s’agit là d’une atteinte à la démocratie et une remise en cause du droit inaliénable des peuples à l’autodétermination.

    4. OUI à l’indépendance, à la volonté sacrée des peuples, à la liberté et à la dignité. En portant au pouvoir un gouvernement progressiste mené par Alexis Tsipras de SYRIZA, les Grecs ont voté pour un programme de relance économique anti-austérité et un renforcement de la protection sociale. Aucune entité ne peut interférer dans cette décision souveraine d’un peuple libre.

    5. NON à la dette inique, mathématiquement impayable, destinée à asservir les peuples et à satisfaire l’appétit de la finance internationale. Il est temps de mettre fin au système actuel qui interdit à la Banque centrale européenne de prêter directement aux Etats aux mêmes taux que ceux réservés aux banques privées, c’est-à-dire entre 0 et 1%. La Grèce pourrait résoudre le problème de la dette si une telle réforme était adoptée. Aujourd’hui, lorsque la Grèce a besoin d’un financement, elle est obligée de passer par les banques privées qui lui prêtent à des taux usuraires pouvant atteindre les 18%, des emprunts qu’elles ont-elles-mêmes souscrits à des taux inférieurs à 1% !

    6. OUI à un audit international des dettes publiques, à la renégociation et à l’annulation des emprunts illégitimes. Selon la Commission pour la Vérité sur la Dette publique grecque, « la dette issue des mesures de la Troïka constitue une violation caractérisée des droits humains fondamentaux des résidents de la Grèce. Ainsi, nous sommes parvenus à la conclusion que la Grèce ne doit pas payer cette dette, du fait de son caractère illégal, illégitime et odieux. […] Le caractère insoutenable de la dette publique grecque était évident depuis l’origine pour les créanciers internationaux, les autorités grecques et les grands médias. Pourtant, les autorités grecques et certains gouvernements de l’Union Européenne se sont ligués pour rejeter une restructuration de la dette publique en 2010, dans le seul but de protéger les institutions financières privées. Les grands médias officiels ont dissimulé la vérité au public en soutenant que le plan de sauvetage allait être bénéfique pour la Grèce, tout en passant en boucle le récit selon lequel la population ne faisait que payer pour ses propres turpitudes ».

    7. NON à l’accumulation des richesses, à l’égoïsme et à l’individualisme. L’Europe actuelle est le paradis des nantis et l’enfer des peuples. Elle est l’illustration parfaite de la célèbre maxime voltairienne selon laquelle « une société bien organisée est celle où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne ».

    8. OUI à la répartition des richesses, à la solidarité et à la défense de l’intérêt général. La crise actuelle n’est pas due à une question de ressources car l’Europe n’a jamais été aussi riche de son histoire. Il est donc urgent de procéder à une répartition équitable des richesses et de placer la dignité humaine au centre du projet européen.

    9. NON à la dictature des puissants. La Grèce, berceau de la démocratie, rappelle à l’Europe et au monde le fameux avertissement de Maximilien Robespierre. Le Héros de la Révolution française qui, dès le départ, avait choisi le camp des pauvres, avait dénoncé « le joug de l’aristocratie des riches, la plus insupportable de toutes » : « Les riches prétendent à tout, ils veulent tout envahir et tout dominer. Les abus sont l’ouvrage et le domaine des riches, ils sont les fléaux du peuple : l’intérêt du peuple est l’intérêt général, celui des riches est l’intérêt particulier ».

    10. OUI à la révolte des peuples contre toutes les injustices, à l’insurrection civique et pacifique et à la résistance à l’oppression. Les peuples ne sont pas condamnés à l’indifférence et à l’humiliation et ont le pouvoir de prendre en main leur propre destin. La misère n’est pas une fatalité mais une décision politique imposée par les élites rapaces et insatiables. L’heure est à la révolte de la plèbe, des écrasés et des révoqués contre la brutalité de la finance mondiale.

    Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface d’Eduardo Galeano. Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamra...

    Source : Al Mayadeen

     

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  • Référendum grec : «Rien ne sera plus jamais comme avant»

    Avant le référendum grec, Coralie Delaume a accordé un long entretien à FigaroVox. Selon elle, quel que soit le résultat du scrutin, ce vote devrait bouleverser en profondeur une Europe en panne de démocratie.

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    PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO @AlexDevecchio2

    Coralie Delaume est essayiste. Fine connaisseuse du droit communautaire, elle a notamment publié «Europe. Les Etats désunis» (Michalon, 2014). Découvrez ses chroniques sur son blog1.

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    Depuis l'annonce de la tenue d'un référendum en Grèce, la classe politique européenne est en émoi. «Je demande au peuple grec de voter oui, indépendamment de la question qui sera posée» a notamment déclaré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker? Que vous inspire ce type de réaction?

    Voilà un homme qui aime vivre dangereusement! Heureusement pour lui, Alexis Tsipras na pas choisi une question de type «la Grèce doit-elle quitter la zone euro?». Dans le même genre, on a également eu quelques belles sorties de Michel Sapin telles que «le vote non n'aura pas les mêmes conséquences que le vote oui», ou encore: «je ne sais pas discuter avec quelqu'un qui dit non3».

    En fait, on se rend compte que tous ces gens n'ont plus la moindre idée de ce qu'est un référendum et, au delà de ça, de ce qu'est la démocratie. C'est assez inquiétant. Mais à vrai dire, comment s'en étonner? Jean-Claude Juncker avait été celui qui, dès l'arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce, avait affirmé: «Dire que tout va changer parce qu'il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c'est prendre ses désirs pour des réalités (…) Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ...4»

    Pour lui comme pour beaucoup d'autres, une alternance politique n'a pas vocation a entraîner des changements. Les élections nationales servent surtout à occuper les citoyens, à les distraire, elles sont pure comédie. Et d'une certaine façon, Juncker a raison. L'Union européenne a été bâtie de telle sorte que la démocratie en soit bannie. Il suffit de se plonger un peu dans la mécanique, dans le droit de l'Union, dans le fonctionnement de l'euro, pour s'en apercevoir.

    Ces réactions révèlent donc un problème de démocratie en Europe?

    Bien sûr, et pas qu'un peu! Je voudrais faire valoir trois arguments.

    Première chose: comme le dit souvent l'économiste Frédéric Lordon et comme il l'a encore rappelé récemment5, de très larges pans de ce que devrait être la «politique économique» ( par définition fluctuante: une politique prend en compte le contexte ) ont été gravés dans le marbre de traités. Or la démocratie, c'est avant tout le débat. Mais de quoi voulez-vous débattre quand tout ce qui devrait relever du conjoncturel et de l'adaptable a été ossifié? On ne peut pas débattre de la politique monétaire: d'abord, elle échappe aux États donc aux représentants des peuples. Ensuite, les contours de cette politique sont prédéterminés dans les statuts de la BCE. Certes, Mario Draghi tend à s'asseoir dessus de plus en plus souvent. Il fait un peu ce qu'il veut quand et comme il le veut. Sauf que.... personne n'a élu Mario Draghi!

    On ne peut pas débattre non plus de la politique budgétaire. Elle est prédéterminée par les critères dits de convergence (qui imposent de maintenir de déficit public en deçà de 3%) et, désormais, par les deux paquets de textes hyper contraignants que sont le Six Pack et le Two Pack 6 de même que par le Pacte budgétaire européen (le TSCG).

    On ne peut pas débattre, enfin, de la mise en œuvre d'une vraie politique industrielle: l'État stratège a cédé le pas au principe sacro-saint de la «libre concurrence», inscrit en lettre d'or dans les traités. Au bout du compte, que reste-t-il? Dans le domaine de l'économie, rien. Quand on vote aujourd'hui aux élections présidentielles ou législatives, il faut bien en avoir conscience: on vote pour des gens qui n'auront aucune possibilité d'agir sur l'économie de leur pays. Dans ce domaine au moins (la politique économique), l'alternance est d'une innocuité totale.

    On ne peut attendre de l'Union européenne qu'elle soit démocratique, car la démocratie par définition, c'est « le pouvoir du peuple ». Or il n'y a pas de peuple européen. Il y a 28 peuples nationaux.

    Deuxième chose: depuis les années 1960, il est admis qu'il existe une primauté du droit communautaire sur les droits nationaux. C'est la Cour de justice des communautés européennes (CJCE à l'époque, CJUE aujourd'hui) qui l'a décidé, à l'occasion d'arrêts fondateurs, les arrêts Van Gend en Loos de 1963 et Costa contre ENEL de 1964.

    J'insiste: ce sont des arrêts. Ils relèvent de la jurisprudence de la Cour et leurs conclusions n'ont donc jamais été débattues par quelque Parlement que ce soit. Depuis lors, aucun État ne les a contestés. Le fait que le droit supranational, qu'il s'agisse des traités ou du droit dérivé (directives, règlements) s'applique sans discussion à tout les États-membres, est vécu comme une sorte de fatalité. Ainsi, tout nouvel État venant à entrer dans l'Union est tenu de transposer en droit interne des pages et des pages «d'acquis communautaire». Pendant qu'il s'y emploie, son Parlement se transforme ponctuellement en chambre d'enregistrement. Je n'irai évidemment pas jusqu'à dire que toutes nos lois nous sont imposées du dehors: c'est faux. Pour autant, dans un livre dense et passionnant sur l'histoire de l'intégration européenne intitulé Le Passage à l'Europe, le philosophe Luuk Van Middelaar affirmait, au sujet de la Cour de justice de l'Union et de ses célèbres arrêts de 1963-64: «lorsque les États reconnaissent la Cour comme porte-parole de la fondation européenne, ils sont juridiquement domptés». Être dompté: quelle heureuse perspective pour un démocrate!

    Et attention: il ne faut pas croire, sous prétexte qu'on n'en parle rarement, que la CJUE n'existe plus ou n'a plus aucune action7 . Tout récemment, elle a été amenée à statuer sur le programme OMT (Outright monetary transactions), un programme non conventionnel lancé par Mario Draghi en 2012 pour «sauver l'euro». Elle a évidemment considéré que ce programme était bel et bon. C'est remarquable: une institution supranationale non élue, la BCE, met au point un programme qui semble contrevenir à la mission que lui assignent les traités. A la demande de la Bundesbank puis de la Cour constitutionnelle allemande, ce programme est déféré devant une autre institution supranationale non élue, la CJUE, qui l'avalise. La Banque centrale et la Cour de justice dialoguent donc entre elles, se font des politesses, se délivrent l'une à l'autre des certificats de bonne conduite. Quelle chance de réussite peut avoir un véritable gouvernement d'alternance comme celui d'Alexis Tsipras dans un tel environnement?

    Troisième et dernière chose: on ne peut attendre de l'Union européenne qu'elle soit démocratique, car la démocratie par définition, c'est «le pouvoir du peuple». Or il n'y a pas de peuple européen. Il y a 28 peuples nationaux. Si l'Europe était un organisme inter-national, ces peuples pourraient coopérer, avoir des relations de bon voisinage et d'amitié. Mais l'Union est une structure supra-nationale, qui exige que chacun de dépouille de large morceaux de souveraineté. On a vu à quoi cela conduit: ce sont désormais 28 légitimités qui s'affrontent, dans le but essentiel de ne pas se laisser dévorer par l'échelon de surplomb, l'échelon communautaire. Dans le cas qui nous occupe, il est assez clair que la Grèce est en train d'affronter l'Allemagne. Le gouvernement grec cessera d'être légitime aux yeux de son peuple dès lors qu'il acceptera de faire ce que son appartenance supranationale exigerait de lui: renoncer à essayer de sortir son pays de l'austérité et exiger un allégement de sa dette. Le gouvernement allemand, pour sa part, cessera également d'être légitime aux yeux de son peuple s'il renonce à faire ce que son appartenance supranationale devrait lui imposer: se montrer solidaire, renoncer à ses créances sur la Grèce et accepter la restructuration de la dette hellène. Dans le premier cas, Tsipras faillirait à sa parole puisqu'il a promis la fin des privations. Dans le second cas, Merkel faillirait à sa parole puisqu'elle a promis de protéger le contribuable allemand.

    Nous sommes dans un nœud de contradictions et, comme le dit le juriste Régis de Castelnau, « L'UE n'est pas un organisme démocratique. Elle n'est pas anti-démocratique, elle est a-démocratique »

    C'est insoluble. Nous sommes dans un nœud de contradictions et, comme le dit le juriste Régis de Castelnau, «L'UE n'est pas un organisme démocratique. Elle n'est pas anti-démocratique, elle est a-démocratique8» . Elle est devenue le lieu où se percutent violemment les intérêts contradictoires de différents pays. Le premier qui cesse de faire entendre sa voix cesse d'être une démocratie véritable pour devenir une «post-démocratie», sorte d'objet politique un peu flasque au sein duquel les libertés individuelles sont préservées, mais où n'existe plus aucune possibilité de choix collectif. La France est dans ce cas. L'Allemagne est l'une des dernières démocraties d'Europe: elle a pu le rester parce qu'elle est le pays le plus fort, et cela ne s'est fait qu'au détriment des pays voisins. La Grèce, elle, tente de redevenir une démocratie. A cet égard, le référendum décidé par Alexis Tsipras, quel que puisse être son résultat, est un très beau pas en avant.

    Dans le journal Le Monde, Nicolas Sarkozy, qui lors de son retour a fait du recours au référendum l'une de ses propositions phares, trouve anormal qu'Alexis Tsipras appelle à voter non. Comment expliquez-vous ce paradoxe?

    Nicolas Sarkozy est l'homme même qui a inventé l'invalidation de la parole du peuple par le Parlement en faisant ratifier par le Congrès, en 2008, un traité (Lisbonne), rejeté par référendum trois ans avant. Que pouvait-on attendre de lui?

    En fait, beaucoup de gens se révèlent à l'occasion de cette crise grecque. Ils sont mis à nu. Dans le cas de Sarkozy, on voit bien quel genre de société il appelle de ses vœux. Un chef de parti qui propose, d'une part, de remettre en cause le principe du droit du sol, d'autre part de s'en remettre à l'Allemagne pour tout le reste (ce qu'il a d'ailleurs toujours fait lorsqu'il était Président: il a été un second très obéissant pour Mme Merkel), je ne vois plus trop où le classer politiquement.

    Pour en revenir à Tsipras et au fait qu'il appelle à voter «non», j'avoue que je ne comprends pas où est le problème. Syriza est arrivé au pouvoir en janvier avec 36,5% des suffrages seulement. Ils se sont fait élire sur une promesse qui, personnellement (l'euro me semble être une monnaie austéritaire par construction) me paraissait contradictoire: mettre fin à l'austérité d'une part, demeurer dans la monnaie unique d'autre part. Arrivée à un certain point de la négociation, Alexis Tsipras s'est aperçu qu'il ne parvenait pas à tenir sa promesse. Les toutes dernières propositions qu'il a faites la semaine dernière étaient véritablement des propositions austéritaires, et il a dû lui en coûter beaucoup de les formuler. Malgré cet effort substantiel, les créanciers lui ont retourné sa copie biffée de rouge, comme on on le fait avec un petit enfant qui aurait pondu un mauvais devoir. Au comble de l'humiliation, voyant bien qu'il n'avancerait pas davantage, le Premier ministre grec a convoqué un référendum.

    La raison en est aisément compréhensible. Elle a été donnée par le ministre Yanis Varoufakis 9: pour pouvoir poursuivre son combat en position de force, le gouvernement hellène a désormais besoin de 50% des voix +1, c'est à dire de la majorité absolue. Tsipras en appelle au peuple dans l'espoir d'obtenir le surcroît de légitimité nécessaire pour pour pouvoir aller plus loin. Y compris, peut-être, jusqu'à la rupture.

    Il est donc plus que logique qu'il milite pour le «non». S'il le «oui» l'emporte, il a toutefois affirmé qu'il le respecterait, mais également qu'il se retirerait, afin de ne pas avoir à endosser une politique contraire à ses idées. Où est le scandale? En France, le général de Gaulle gouvernait comme ça. Cela a-t-il ruiné la France? Je ne crois pas....

    Je ne doute pas une seconde que bon nombre de leaders européens adoreraient la solution prônée par Martin Schultz : la mise en place d'un gouvernement de technocrates. Je rappelle pour mémoire que Martin Schultz est social-démocrate, et que dans social-démocrate il y a « social » et « démocrate ».

    Beaucoup d'observateurs prédisent le chaos en cas de vote non. Leurs inquiétudes ne sont-elles pas légitimes?

    J'ai l'impression que l'impasse serait bien plus totale en cas de vote «oui». Tsipras quitterait ses fonction avec, probablement, l'ensemble de son gouvernement. Il y aurait donc un nouveau scrutin. Or Syriza demeure très populaire dans le pays. Que se passerai-il alors? Les mêmes seraient réélus et on en reviendrait aux mêmes points de blocage. A moins que les Grecs recourent une nouvelle fois au second parti du pays, Nouvelle Démocratie. Mais cette fois, on en reviendrait carrément à la situation d'avant le 25 janvier 2015. Avec le sentiment terrible, pour la population, que rien n'avance et que rien n'est possible.

    Je ne doute pas une seconde que bon nombre de leaders européens adoreraient la solution prônée par Martin Schultz: la mise en place d'un «gouvernement de technocrates»10 . Je rappelle pour mémoire que Martin Schultz est social-démocrate, et que dans social-démocrate il y a «social» et «démocrate». Je rappelle également qu'il préside le Parlement européen, cette institution qu'on nous a vendue comme étant le haut lieu d'une démocratie européenne en devenir, et dont on nous disait que tout deviendrait rose sitôt qu'elle aurait accru ses prérogatives.

    Bref, Martin Schultz et quelques autres sont devenus des alliés objectifs de l'Aube Dorée. Je pense d'ailleurs qu'ils le savent, et que ça leur convient. Car si le parti d'extrême-droite arrive un jour au pouvoir à Athènes, ça leur donnera une nouvelle occasion d'injurier les Grecs, de leur intenter un procès en fascisme. Du coup, ils ne prennent même plus la peine de dissimuler leur malveillance.

    Si la Grèce fait défaut sur sa dette, les contribuables européens vont payer pour les banques.

    Certains grands titres ont parlé de «braqueur de banques» au sujet d'Alexis Tsipras … Au-delà des politiques, en France, la majorité des médias et des éditorialistes font campagne pour le oui. La comparaison avec le référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen vous parait-elle justifiée?

    Ce qualificatif de «braqueur de banques» ne manque pas de sel quand on sait que la majeure partie de l'aide accordée par la Grèce en 2010 a constitué, en réalité, une recapitalisation déguisée des banques européennes, principalement françaises et allemandes. La Grèce n'a finalement servi que de courroie de transmission pour des sommes énormes qui sont passées des mains d'entités publiques (États membres, FMI, BCE) dans les poches d'entités privées, sans que la population hellène en voie jamais la couleur. Plusieurs économistes qui se sont trouvés au cœur des négociations à l'époque le disent aujourd'hui 11. En 2010, la Grèce était déjà insolvable. Le défaut était inévitable et il aurait dû intervenir immédiatement. On ne l'a différé que pour laisser le temps à quelques banques très exposées de faire leurs valises. Ces établissements, qui avaient joué avec le feu en prêtant à risque et avaient touché à cette fin des intérêts très importants (le taux d'intérêt n'est rien d'autre que la rémunération du risque), ont empoché des gains et essuyé des pertes mineures. Et on a transféré le risque sur les contribuables européens, auxquels on dit aujourd'hui qu'ils vont payer pour les Grecs. C'est un mensonge. Si la Grèce fait défaut sur sa dette, ils vont payer pour les banques.

    Concernant la campagne menée par les éditorialistes français.... certes, elle existe. Mais ça ne me semble même pas être le plus grave. Le plus grave, c'est que toute l'eurocratie milite pour le «oui».

    Ça, c'était avant l'annonce du référendum. Cette dernière ayant pris tout le monde de court, les créanciers ont alors changé de braquet. Ils ont entrepris de faire gagner le « oui ».

    Plus grave encore: depuis le début, il y a une volonté authentique de déstabilisation du gouvernement Tsipras. Le journal Le Monde s'est même risqué à proposer un scénario du putsch 12: «Imaginons donc un scénario de crise: 30 juin, constat de défaut de la Grèce: 1er juillet, panique bancaire et instauration d'un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d'un gouvernement d'union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet, retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous?» écrivait carrément Arnaud Leparmentier.

     

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  • Cinq idées vraies et fausses sur la crise grecque

     

    Frantz DURUPT- Libération

     

    DÉCRYPTAGE

    Des Grecs «fainéants», un gouvernement de coalition avec l'extrême droite, une dette qui pèse 650 euros par Français... Ces dernières semaines, dans les débats sur la Grèce, les idées reçues ont beaucoup circulé.

     

    Athènes a accepté vendredi la quasi-totalité des mesures proposées par ses créanciers et promis d’honorer ses dettes. Le parlement grec doit voter dans la journée ce qui, en cas de oui, ouvrirait la voie à de nouvelles négociations. A cette occasion, retour sur les nombreuses idées reçues ayant émaillé les débats sur la crise de la dette grecque.

    Les Grecs ne travaillent pas assez

    Celle-ci, on l’a entendue, jusque dans la bouche d’un ancien président de la République : «Le problème c’est qu’on ne travaille pas assez en Grèce», a ainsi expliqué Nicolas Sarkozy au JT de 20 heures de TF1, le 8 juillet.

    C’est faux, répond le site alterecoplus (affilié au magazine Alternatives économiques) : selon l’enquête trimestrielle menée par Eurostat, en 2014, les travailleurs Grecs faisaient 40,6 heures par semaine en moyenne, soit plus que tous les autres pays de l’Union européenne. A titre de comparaison, les Français étaient à 35,7 heures en moyenne, et les Allemands à 35,3 heures.

    Les Grecs n’ont pas fait assez d’efforts

    Que cela ait été dit franchement ou simplement sous-entendu, elle s’est très bien installée, l’idée que les Grecs n’auraient pas «fait assez d’efforts» et que donc, un petit coup d’austérité en plus ne serait que justice. Exemple avec Nathalie Kosciusko-Morizet.

    Plusieurs médias ont également joué le jeu du «pourquoi les Grecs ne feraient pas ce que d’autres ont fait ?». Par exemple France 2, qui a réalisé un reportage en Slovaquie pour montrer à la Grèce le bon exemple des pays (pauvres) qui font des réformes «difficiles» et s’en sortent.

    C’est très injuste. «Mon pays a été le laboratoire de l’austérité», a dit Aléxis Tsípras mercredi devant le Parlement européen. Et pour cause : les programmes d’austérité en Grèce ont commencé il y a déjà sept ans, en 2009. Et ils ont été sacrément sévères. Comme le relevait cette semaine un article du Monde, sur la période 2009-2014, la Grèce a fait passer son déficit public de 15,2% du PIB à 2,7%. Sur la même période, elle a réduit ses dépenses publiques de 9,7 points, passant de 53,9% à 44,2% du PIB. En variation, c’est moins que l’Irlande (dont les dépenses publiques sont passées de 47,6% à 36,1%, soit 11,5 points), mais numériquement, c’est beaucoup plus : 47 milliards d’euros d’économies annuelles, contre 10 milliards pour l’Irlande.

    La contrepartie de ces efforts, c’est un PIB qui s’est rétracté de 25%, et surtout un peuple qui s’est considérablement appauvri : le salaire minimum a baissé de 100 euros, à 580 euros. Le taux de chômage est monté à 25% de la population active. Le financement du système de santé, lui, a été radicalement réduit. Conséquence logique : certaines maladies disparues, comme le paludisme, ont fait leur retour, et les contaminations au VIH ont explosé.

    Un défaut de la Grèce coûterait 40 milliards d’euros à l’Etat soit 650 euros par Français

    Oui… la France a bien prêté l’équivalent de 42,4 milliards d’euros à la Grèce (11 milliards directement, dans le cadre de prêts bilatéraux, et 31 milliards en garantissant des prêts du Fonds Européen de Solidarité – FESF), mais il est un peu rapide et facile de dire, comme certains journalistes à la télévision, qu’un défaut de paiement de la Grèce coûterait 650€ par Français. Résultat : même des responsables politiques croient que les Français «payent des impôts pour les Grecs».

    Ce n’est pas le cas. D’abord car pour perdre ces 42 milliards d’euros, il faudrait que la Grèce fasse défaut sur l’intégralité des sommes dues. Ensuite, et surtout, parce que les sommes prêtées par la France à la Grèce ne l’ont pas été grâce à un prélèvement sur l’impôt, mais dans le cadre du circuit habituel de l’endettement des Etats : en empruntant sur les marchés. Bref, les contribuables français n’ont jamais payé d’impôts pour la Grèce, et personne ne touchera 650€ si le pays rembourse ce qu’il doit. Nous sommes désolés pour votre nouvel iPhone.

    L’Allemagne ne peut pas donner de leçons sur le remboursement des dettes

    L’idée n’est pas neuve – en campagne, Syriza se servait déjà de cet exemple – mais elle a eu un regain de popularité aux alentours du référendum du 5 juillet : l’Allemagne, qui refuse bec et ongles le moindre début de discussion sur une restructuration de la dette grecque, ne serait pas en mesure de donner des leçons. C’est l’économiste Thomas Piketty, auteur du best-seller Le Capital au XXIe siècle, qui a livré la version définitive de cette idée dans une interview à un quotidien allemandDie Zeit : «Ce qui m’a frappé pendant que j’écrivais, c’est que l’Allemagne est vraiment le meilleur exemple d’un pays qui, au cours de l’histoire, n’a jamais remboursé sa dette extérieure, ni après la Première, ni après la Seconde Guerre mondiale. […] L’Allemagne est LE pays qui n’a jamais remboursé ses dettes. Elle n’est pas légitime pour faire la leçon aux autres nations.»

    Oui, mais… En 1953 notamment, l’Allemagne a bénéficié de la solidarité européenne : pour se reconstruire, elle a vu 60% de sa dette effacée. Et ça a marché : elle est aujourd’hui la première puissance économique du continent (ce qui tient, aussi, à de nombreux autres éléments). Mais les deux situations sont-elles vraiment comparables ? Non, selon un politologue américain, William Kindred Winecoff, qui explique, cité et traduit par Slate.fr : «La dette allemande avait été effacée en 1953 à condition que l’Allemagne maintienne une balance commerciale positive et un excédent budgétaire, ce qui garantissait des exportations subventionnées vers les pays européens, qui manquaient de capacités industrielles juste après la guerre. C’est ce qu’on demande maintenant à la Grèce mais le gouvernement refuse.»

    Syriza gouverne avec l’extrême droite (et est comparable au FN en France)

    C’est un argument récurrent, notamment à droite, car il permet de réactiver le vieux cliché des «extrêmes qui se rejoignent». Syriza, mouvement d'«extrême gauche», gouvernerait la Grèce avec un «parti d’extrême droite», en l’occurrence Anel, le parti des Grecs indépendants. Et, en France, le mouvement d’Aléxis Tsípras serait comparable au Front national.

    Oui, mais non. Le parti Anel, qui figure bien au gouvernement dirigé par Aléxis Tsípras, est indubitablement un parti très à droite. Son président, Panos Kammenos, est capable de saillies racistes (comme lorsqu’il a affirmé que les Juifs et les bouddhistes étaient exemptés d’impôts, contrairement à l’Eglise orthodoxe) ou complotistes (il a dit que la Grèce était victime d’une attaque chimique par les traces que laissent les avions dans le ciel, les «chemtrails» dénoncés par les adeptes de cette théorie). Mais il s’agit aussi du seul autre parti grec à rejeter l’austérité. Le Premier ministre a reconnu qu’il s’agissait d’une alliance contre-nature, mais à l’issue d’élections législatives où ne lui manquaient que deux sièges au Parlement pour avoir la majorité absolue, il a choisi de ne pas se priver de cet allié. Lequel n’a récolté qu’un ministère.

    A lire aussi : Gauche radicale et droite nationaliste : accord et à cris

    On pourra souligner aussi que certaines des personnes poussant des cris d’orfraie aujourd’hui devant cette alliance étaient moins gênées, les dernières années, lorsque des partis équivalents au PS ou à l’UMP gouvernaient eux aussi le pays avec l’extrême droite.

    Concernant, enfin la proximité idéologique entre Syriza et le FN, suggérée au plus haut sommet de l’Etat par le ministre de l’Economie, Emmanuel Macron (qui a ensuite tenté de se justifier), elle est inexistante. Contrairement au FN, Syriza défend entre autres la naturalisation facilitée et le droit de vote des immigrés et le regroupement familial. Quant à la récupération que tente de faire le Front national des victoires de Syriza, le mouvement a réaffirmé, il y a quelques mois, que ses «partenaires et soutiens français […] sont de gauche».

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  • La démocratie est-elle un acte terroriste ?

     

    par MS21

    Comme dans une tragédie grecque, le voile se déchire et la vérité apparaît dans toute sa nudité monstrueuse : la démocratie est incompatible avec les institutions européennes.

    Au lendemain de la victoire démocratique de la Coalition Syriza en janvier 2015, Jean-Claude Juncker, Président de la Commission européenne,  n'hésitait pas à déclarer que « les choix démocratiques ne pouvaient modifier les traités européens ».

    La nouvelle majorité issue des élections chargeait en février une commission de faire un audit de la dette grecque. Celle-ci rendait le 19 juin son verdict devant le Parlement grec : cette dette est illégale, illégitime, insoutenable et odieuse.

    Après 5 mois de négociations, refusant les "ultimatums" et le "chantage" des créanciers, le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a annoncé 27 juin la décision à l’unanimité de son conseil des ministres de soumettre au peuple, par voie de référendum, c'est à dire à la démocratie, les propositions issues de l’Eurogroup.

    Le Président de la Commission européenne, J. Cl. Juncker s'est déclaré « trahi » par Alexis Tsipras et des mesures de représailles sont décidées au niveau de l'Eurogroup.

    A l'émission « Esprit Public » (France Culture, chaque dimanche de 11h à 12h) Jean-Louis Bourlanges, ancien député européen centriste, Professeur à l'Institut d'études politiques assimilait le 28 juin la Grèce à un passager clandestin du bateau « Union européenne » vivant au détriment de ceux qui l'accueille (référence au sketch de l'auto-stoppeur de Coluche). Mais sa déformation de la réalité n'est pas suffisante : par la décision de faire appel au peuple, Alexis Tspiras et son gouvernement ont montré le vrai visage de Syriza, celui caractérisé par une idéologie héritière d'une gauche très dure, marquée par la guerre civile dont la stratégie terroriste révolutionnaire est de faire sauter le bateau [« Union européenne »]. S'opposer aux institutions européennes est assimilé par cet éminent professeur de sciences politiques à un acte terroriste.

    Ce florilège de phrases et de déclarations confirment l'application de cette « clause secrète » (non écrite) du traité de Lisbonne : il n'est plus question de faire appel au peuple en ce qui concerne la politique économique de l'Union européenne.

    Il faut se rendre à l'évidence : la démocratie européenne n'est en réalité qu'une coquille vide

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  • 25 vérités d’Alexis Tsipras sur le chantage du lobby financier international


    par Salim Lamrani (Investig'Action)


    Fidèle au mandat que lui a donné le peuple, le Premier Ministre grec a décidé de soumettre l’ultimatum du Fonds monétaire international, de l’Union européenne et de la Commission européenne à un référendum le 5 juillet 2015 (1).

     



    1. Depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir en janvier 2015, la Grèce subit une « asphyxie économique sans précédents » de la part de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, dans le but de faire plier le gouvernement progressiste et de l’empêcher de « mettre fin à l’austérité et de restaurer la prospérité et la justice sociale ».

    2. Le but des négociations était d’arriver à un accord viable « qui respecterait à la fois la démocratie et les normes européennes » afin de sortir définitivement de la crise.

    3. La Troïka a exigé de la Grèce le respect des accords pris par les gouvernements précédents, dont les politiques économiquement inefficaces et socialement désastreuses ont été majoritairement rejetées par le peuple grec qui a décidé de porter Syriza au pouvoir.

    4. A aucun moment, le gouvernement grec n’a cédé aux menaces des institutions européennes et du FMI.

    5. Après près de six mois de négociations, l’Euro-groupe a présenté « un ultimatum à la République hellénique et au peuple grec ». Cet ultimatum « contrevient aux principes fondateurs et aux valeurs de l’Europe ».

    6. L’Europe a présenté « une proposition qui inclut des nouvelles charges insupportables pour le peuple grec et qui nuit au redressement de la société grecque et de son économie, non seulement en maintenant l’incertitude, mais en accroissant davantage les déséquilibres sociaux ».

    7. Ces mesures imposent « une fragmentation du marché du travail » avec une précarisation accrue des contrats, « une diminution des retraites, de nouvelles réductions de salaires dans le secteur public et une augmentation de la TVA sur les produits alimentaires, les restaurants et le tourisme, avec la suppression des réductions fiscales dans les îles ».

    8. « Ces propositions violent clairement les normes sociales européennes et le droit fondamental au travail, à l’égalité et à la dignité ».

    9. Le but de la troïka et de certains membres de l’Euro-groupe n’est pas « de trouver un accord viable et bénéfique pour les deux parties, mais d’humilier tout le peuple grec ».

    10. Le but est de « punir une voix différente en l’Europe ».

    11. Le Fonds monétaire international est obsédé par l’austérité et les mesures punitives.

    12. La crise grecque affecte toute l’Europe et menace l’unité continentale.

    13. Yanis Varoufakis, ministre grec des Finances, a été arbitrairement exclu de la réunion de l’Euro-groupe, en violation de la légalité européenne.

    14. « La responsabilité historique en faveur des luttes du peuple hellénique et de la protection de la démocratie et de notre souveraineté nationale. […] nous oblige à répondre à cet ultimatum avec la volonté du peuple grec ».

    15. Un référendum aura donc lieu le 5 juillet 2015 afin que « le peuple grec décide de façon souveraine ». « Face à cet ultimatum et ce chantage, je vous convoque afin que vous décidiez de façon souveraine et avec fierté, comme le dicte l’histoire de la Grèce, au sujet de cette austérité stricte et humiliante, qui n’offre aucune solution ni option qui permette un redressement social et économique ».

    16. « Dans le berceau de la démocratie, nous ne demanderons pas l’autorisation à Monsieur Dijsselbloem [Président de l’Euro-groupe] ni à Monsieur Schaüble [Ministre allemand des finances] » pour célébrer un référendum.

    17. Ce référendum « n’est pas une tentative de scission avec l’Europe mais de scission avec les pratiques qui sont un affront pour l’Europe ».

    18. « Face à cette dure austérité autocratique, nous devons répondre avec démocratie, sérénité et détermination ».

    19. « La Grèce, creuset de la démocratie, doit envoyer un message démocratique claire à l’Europe et à la communauté internationale ».

    20. « Le peuple grec dira un grand non à l’ultimatum mais en même temps un grand oui à l’Europe de la solidarité ».

    21. Au lendemain de ce « non », « la force de négociation du pays sera renforcée ».

    22. Quelle que soit l’issue de la consultation, la volonté du peuple grec sera respectée.

    23. Cette consultation « enverra un message de dignité au monde ».

    24. L’Europe est la maison commune de tous ses peuples. « Il n’a pas de propriétaires et des invités en Europe ».

    25. « La Grèce est et sera une partie intégrante de l’Europe, et l’Europe sera une partie intégrante de la Grèce. Mais une Grèce sans démocratie impliquerait une Europe sans identité et sans boussole ».

    Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de La Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage s’intitule Cuba. Les médias face au défi de l’impartialité, Paris, Editions Estrella, 2013 et comporte une préface d’Eduardo Galeano. Contact : lamranisalim@yahoo.fr ; Salim.Lamrani@univ-reunion.fr Page Facebook : https://www.facebook.com/SalimLamra...

    Notes :

    (1) Alexis Tsipras, « Discurso », 27 juin 2015. http://www.legrandsoir.info/allocut... ; Infobae, « Grecia : Tsipras instó a ‘un enfático NO’ en el referéndum sobre la oferta de los acreedores », 27 juin 2015. http://www.infobae.com/2015/06/27/1...

    Source : Al Mayadeen —> http://espanol.almayadeen.net/Study...

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  • Krugman et Stiglitz votent non au plan irresponsable de la troïka

     

      par André

     



    Les créanciers sont les irresponsables !
    Alors qu'il y a une propagande ignoble par les puissants comme en 2005, au moment du TCE, je joins une autre opinion.


    Quand un tel jugement est porté par deux prix Nobel d’économie* récents et modérés, cela doit amener à questionner l’histoire racontée par les euro austéritaires. Paul Krugman pense qu’il vaut mieux que la Grèce quitte l’euro plutôt que de continuer les politiques d’austérité entamées il y a 5 ans. Pour lui, « la dévaluation ne pourrait pas créer beaucoup plus de chaos que ce qui existe déjà et permettrait une éventuelle reprise, comme cela a eu souvent lieu dans bien des endroits », notant que l’histoire ne plaide pas pour un maintien dans la zone euro. Pour lui, « la troïka a sciemment fait à Tsipras une offre qu’il ne pouvait pas accepter. L’ultimatum était en fait un pas pour remplacer le gouvernement ».
     
     

     

    Une condamnation sans appel de l’UE

    Il se demande « pourquoi les dirigeants de l’UE résistent au référendum et refusent même d’étendre de quelques jours le délai du 30 juin pour le paiement au FMI. L’Europe n’est-elle un projet démocratique ? ». Cruel, il poursuit en soulignant que l’euro « n’a jamais été un projet très démocratique ». Franchissant un cap sur l’euro, il note que les Suédois « ont compris que le chômage monterait si la politique monétaire du pays était fixée par une banque centrale ne se préoccupant que d’inflation (et qu’il y aurait également une attention insuffisante sur la stabilité financière ». Joseph Stiglitz dénonce des comportements qui sont « l’antithèse de la démocratie », avant de conclure contre le « oui ».

    Ce énième chapitre de la crise Grecque entamée il y a plus de cinq ans, démontre que cette construction monétaire est tellement dysfonctionnelle que cinq longues années de souffrance d’un pays et des milliards ne permettent pas d’en sortir. Ce faisant, cela pousse des économistes respectés et honorés à devenir de plus en plus critiques sur cette monnaie unique et la forme actuelle du projet européen. Dans son dernier livre, Paul Krugman avait été très critique sur l’euro, mais sans aller jusqu’à recommander d’en sortir, pas qu’il franchit aujourd’hui. Et Joseph Stiglitz tient également des propos de plus en plus dur à l’égard de l’UE, en soulignant notamment son caractère profondément antidémocratique.
     
    Ce qui est intéressant ici, c’est qu’avec le soutien de ces deux prix Nobel d’économie*, cela montre que le camp de la raison est du côté du « non » pour le référendum de dimanche en Grèce. Le plan proposé par la troïka est aussi déraisonnable qu’irresponsable et il faut le refuser.
    ___________________________________

     

    * : prix de la banque royale de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, seul « prix Nobel » qui ne vient pas du testament de ce dernier, mais qui est décerné selon les mêmes règles
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