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  • Entretien avec Samir Amin : L’affirmation de la souveraineté nationale populaire face à l’offensive du capital


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    Les analyses portant sur la crise qui secoue -de manière structurelle – le système capitaliste actuel s’avèrent être d’une stérilité pitoyable. Mensonges médiatiques, politiques économiques anti-populaires, ondes de privatisations, guerres économiques et « humanitaires », flux migratoires. Le cocktail est explosif, la désinformation est totale. Les classes dominantes se frottent les mains face à une situation qui leur permet de conserver et d’affirmer leur prédominance. Essayons d’y comprendre quelque chose. Pourquoi la crise ? Quelle est sa nature ? Quelles sont actuellement et quelles devraient être les réponses des peuples, des organisations et des mouvements soucieux d’un monde de paix et de justice sociale ? Entretien avec Samir Amin, économiste égyptien et penseur des relations de domination (néo)coloniales, président du Forum mondial des alternatives.

     

    Raffaele Morgantini (Investig’Action) : Depuis plusieurs décennies vos écrits et vos analyses nous livrent des éléments d’analyse pour déchiffrer le système capitaliste, les relations de domination Nord-Sud et les réponses des mouvements de résistance des pays du Sud. Aujourd’hui, nous sommes entrées dans une nouvelle phase de la crise systémique capitaliste. Quelle est la nature de cette nouvelle crise ?

    Samir Amin : La crise actuelle n’est pas une crise financière du capitalisme mais une crise de système. Ce n’est pas une crise en « U ». Dans les crises ordinaires du capitalisme (les crises en « U ») les mêmes logiques qui conduisent à la crise, après une période de restructurations partielles, permettent la reprise. Ce sont les crises normales du capitalisme. Par contre la crise en cours depuis les années 1970 est une crise en « L » : la logique qui a conduit à la crise ne permet pas la reprise. Cela nous invite à poser la question suivante (qui est d’ailleurs le titre d’un mes livres) : sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?

    Une crise en « L » signale l’épuisement historique du système. Ce qui ne veut pas dire que le régime va mourir lentement et paisiblement de sa belle mort. Au contraire, le capitalisme sénile devient méchant, et tente de survivre en redoublant de violence. Pour les peuples la crise systémique du capitalisme est insoutenable, par ce qu’elle entraîne l’inégalité croissante dans la répartition des revenus et des richesses à l’intérieur des sociétés, qui s’accompagne d’une stagnation profonde d’une part, et l’approfondissement de la polarisation mondiale d’autre part. Bien que la défense de la croissance économique ne soit pas notre objectif, il faut savoir que la survie du capitalisme est impossible sans croissance. Les inégalités avec stagnation, ça devient insupportable. L’inégalité est supportable quand il y a croissance et que tout le monde en bénéficie, même si cela est de manière inégale. Comme pendant les 30 glorieuses. Il y a alors inégalité mais sans paupérisation. Par contre, l’inégalité dans la stagnation s’accompagne nécessairement de la paupérisation, et ça devient socialement inacceptable. Pourquoi en sommes-nous venus là ? Ma thèse est que nous sommes entrés dans une nouvelle étape du capitalisme des monopoles, que je qualifie de celle des « monopoles généralisés », caractérisée par la réduction de toutes les activités économiques au statut de facto de la sous-traitance au bénéfice de la croissance exclusive de la rente des monopoles.

    Comment évaluez-vous les réponses actuelles à la crise de la part des pays et des différents mouvements ?

    Avant tout, j’aimerais rappeler que tous les discours des économistes conventionnels et les propositions qu’ils avancent pour sortir de la crise, n’ont aucune valeur scientifique. Le système ne sortira pas de cette crise. Il va vivre, ou essayer de survivre, au prix de destructions grandissantes dans la crise permanente. Les réponses à cette crise sont jusqu’à présent, pour le moins qu’on puisse dire, limitées, douteuses et inefficaces dans les pays du Nord.

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       Samir Amin

    Mais il y a des réponses plus ou moins positives dans le Sud qui s’expriment par ce qu’on appelle «  l’émergence ». La question qui se pose alors est : émergence de quoi ? Emergence de nouveaux marchés dans ce système en crise contrôlé par les monopoles de la triade (des impérialismes traditionnels, de la triade Etats Unis, Europe occidentale et Japon) ou émergence des sociétés ? Le seul cas d’émergence positive dans ce sens est celui de la Chine qui tente d’associer son projet d’émergence nationale et sociale à la poursuite de son intégration dans la mondialisation, sans renoncer à exercer son contrôle sur les conditions de cette dernière. C’est la raison pour laquelle la Chine est probablement l’adversaire potentiel majeur de la triade impérialiste. Mais il y a aussi les semi-émergents, c’est-à-dire ceux qui aimeraient l’être mais qui ne le sont pas véritablement, comme l’Inde ou le Brésil (même au temps de Lula et Dilma). Des pays qui n’ont rien changé aux structures de leur intégration dans le système mondial, demeurent réduits au statut d’exportateurs de matières premières et des produits de l’agriculture capitaliste. Ils sont bien « émergents », dans le sens qu’ils enregistrent parfois des taux de croissance pas trop mauvais accompagnés par une croissance plus rapide des classes moyennes. Ici l’émergence est celle des marchés, pas des sociétés. Et puis, il y a les autres pays du Sud, les plus fragiles, et notamment les pays africains, arabes, musulmans, et ici et là d’autres en Amérique latine et en Asie. Un Sud soumis à un double pillage : celui de leurs ressources naturelles au profit des monopoles de la Triade, celui des raids financiers pour voler les épargnes nationales. Le cas argentin est à cet égard emblématique. Les réponses dans ces pays sont souvent malheureusement « pré-modernes » et non « post-modernes » comme on les présente : retour imaginaire au passé, proposé par les islamistes ou par des confréries chrétiennes évangélistes en Afrique et en Amérique latine. Ou encore des réponses pseudo-ethniques qui insistent sur l’authenticité ethnique de pseudo-communautés. Des réponses qui sont manipulables et souvent efficacement manipulées, bien qu’elles disposent de bases sociales locales réelles (ce ne sont pas les États-Unis qui ont inventé l’islam, ou les ethnies). Néanmoins, le problème est sérieux, parce que ces mouvements disposent de grands moyens (financiers, médiatiques, politiques, etc.) mis à leur disposition par les puissances capitalistes dominantes et leurs amis locaux.

    Quelles réponses pourrait-on imaginer, de la part des mouvements de la gauche radicale aux défis posés par ce capitalisme dangereusement moribond?

    Une des tentations, que je vais écarter tout de suite, est que face à une crise du capitalisme global, la réponse recherchée doit elle aussi être globale. Tentation très dangereuse parce qu’elle inspire des stratégies condamnées à l’échec certain : «la révolution mondiale », ou la transformation du système mondial par en haut, par décision collective de tous les Etats. Les changements dans l’histoire ne se sont jamais fait de cette manière. Ils sont toujours partis de celles des nations qui constituent des maillons faibles dans le système global ;des avancées inégales d’un pays à l’autre, d’un moment à l’autre. La déconstruction s’impose avant la reconstruction. Cela vaut pour l’Europe par exemple : déconstruction du système européen si on veut en reconstruire ultérieurement un autre, sur d’autres bases. Il faut sortir de l’illusion de la possibilité de « réformes » conduites avec succès à l’intérieur d’un modèle qui a été construit en béton armé pour ne pouvoir être autre chose que ce qu’il est. La même chose pour la mondialisation néolibérale. La déconstruction, qui s’appelle ici déconnexion, n’est certes pas un remède magique et absolu, qui impliquerait l’autarcie et la migration hors de la planète. La déconnexion appelle au renversement des termes de l’équation ; au lieu d’accepter de s’ajuster unilatéralement aux exigences de la mondialisation, on tente d’obliger la mondialisation à s’ajuster aux exigences du développement local. Mais attention, dans ce sens, la déconnexion n’est jamais parfaite. Le succès sera glorieux si on réalise seulement quelques-unes parmi nos revendications majeures. Et cela pose une question fondamentale : celle de la souveraineté. C’est un concept fondamental que nous devons nous réapproprier.

    De quelle souveraineté parlez vous ? Croyez vous dans la possibilité de construire une souveraineté populaire et progressiste, en opposition à la souveraineté telle que conçue par les élites capitalistes et nationalistes ?

    La souveraineté de qui ? Voilà la question. Nous avons été habitués par l’histoire à connaître ce qui a été appelé comme la souveraineté nationale, celle mise en œuvre par les bourgeoisies des pays capitalistes, par les classes dirigeantes pour légitimer leur exploitation, d’abord de leurs propres travailleurs, mais aussi afin de renforcer leur position dans la compétition avec les autres nationalismes impérialistes. C’est le nationalisme bourgeois. Les pays de la triade impérialiste n’ont jamais connu jusqu’à présent un nationalisme autre que celui-ci. Par contre, dans les périphéries nous avons connu d’autres nationalismes, procédant de la volonté d’affirmer une souveraineté anti-impérialiste, opérant contre la logique de la mondialisation impérialiste du moment.

    La confusion entre ces deux concepts de « nationalisme » est très forte en Europe. Pourquoi ? Et bien, pour des raisons historiques évidentes. Les nationalismes impérialistes ont été à l’origine des deux guerres mondiales, source de ravages sans précédents. On comprend que ces nationalismes soient ressentis comme nauséabonds. Après la guerre, la construction européenne a laissé croire qu’elle allait permettre de dépasser ce genre de rivalités, par la mise en place d’un pouvoir supranational européen, démocratique et progressiste. Les peuples ont cru à cela, ce qui explique la popularité du projet européen, qui tient toujours en dépit de tous ses ravages. Comme en Grèce par exemple, où les électeurs se sont prononcé contre l’austérité mais en même temps ont conservé leur illusion d’une autre Europe possible.

    Nous parlons d’une autre souveraineté. Une souveraineté populaire, par opposition à la souveraineté nationaliste bourgeoise des classes dirigeantes. Une souveraineté conçue comme le véhicule d’une libération, faisant reculer la mondialisation impérialiste contemporaine. Un nationalisme anti-impérialiste donc, qui rien à voir avec le discours démagogique d’un nationalisme local qui accepterait d’inscrire les perspectives du pays concerné dans la mondialisation en place, qui considère le voisin plus faible comme son ennemi.

    Comment se construit-il donc un projet de souveraineté populaire ?

    Ce débat nous l’avons conduit à différentes reprises. Un débat difficile et complexe compte tenu de la variété des situations concrètes. Avec, je crois, de bons résultats, notamment dans nos discussions organisées en Chine, en Russie, en Amérique latine (Venezuela, Bolivie, Équateur, Brésil). D’autres débats ont été encore plus difficiles, notamment ceux organisés dans les pays les plus fragiles.

    La souveraineté populaire n’est pas simple à imaginer, parce qu’elle est traversée de contradictions. La souveraineté populaire se donne l’objectif du transfert d’un maximum de pouvoirs réels aux classes populaires. Celles-ci peuvent s’en saisir à des niveaux locaux, pouvant entrer en conflit avec la nécessité d’une stratégie au niveau de l’État. Pourquoi parler de l’État ? Parce qu’on le veuille ou pas, on continuera à vivre pas mal de temps avec des États. Et l’État reste le lieu majeur de la décision qui pèse. Ici se situe le fond du débat. À l’un des extrêmes de l’éventail dans le débat, nous avons les libertaires qui disent que l’État c’est l’ennemi qu’il faut à tout prix combattre, qu’il faut donc agir en dehors de sa sphère d’influence ; à l’autre pôle nous avons les expériences nationales populaires, notamment celles de la première vague de l’éveil des pays du sud, avec les nationalismes anti-impérialistes de Nasser, Lumumba, Modibo, etc. Ces leaders ont exercé une véritable tutelle sur leurs peuples, et pensé que le changement ne peut venir que d’en haut. Ces deux courants doivent dialoguer, se comprendre afin de bâtir des stratégies populaires qui permettent d’authentiques avancées.

    Qu’est-ce qu’on peut apprendre de ceux qui ont pu aller plus loin ? Comme en Chine ou en Amérique latine ? Quelles sont les marges que ces expériences ont su mettre à profit? Quelles sont les forces sociales qui sont ou pourraient être favorables à ces stratégies ? Par quels moyens politiques pouvons-nous espérer mobiliser leurs capacités ? Voilà les questions fondamentales que nous, les mouvements sociaux, les mouvements de la gauche radicale, les militants anti-impérialistes et anti-capitalistes, nous devons nous poser et auxquelles il nous faut répondre afin de construire notre propre souveraineté, populaire, progressiste et internationaliste.

    Source : Investig’Action

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  • 10 mensonges que les médias ne cessent de ressasser en Colombie

     

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    Le mensonge médiatique et le biais idéologique sont plus que jamais de mise en Colombie. Pour que la désescalade du conflit armé en Colombie continue d’avancer sur la voie d’un processus de paix véritable, les médias devront s’engager à mettre un terme à la désinformation.

    Les médias causent un très grand tort au pays en confondant tout un peuple non seulement au sujet de la situation nationale socio-conflictuelle et en neutralisant ainsi la possibilité d’une force politique de gauche, mais aussi en présentant une image négative d’autres processus en cours au Venezuela, en Équateur, au Nicaragua, et en les diabolisant.

    « L’éthique est une discipline qui est enseignée, mais non appliquée », disait Carlos Gaviria Díaz. Le moment est venu de commencer à appeler les choses par leur nom en ce qui concerne les médias de communication « mainstream » .

    Le Journal de Notre Amérique présente 10 mensonges sans cesse ressassés dans les médias de la désinformation de l’establishment et les accompagne d’un commentaire précis.

    1 – « Les FARC sont une organisation narco-terroriste. »

    Manque de précision. Les FARC sont une organisation politico-militaire. Le terrorisme est une pratique mise en œuvre par les acteurs d’une guerre (ou en période de « paix ») pour créer une peur générale. Une telle méthode est appliquée de la même façon par l’État colombien, soit au moyen de sa Force Publique, soit au moyen de groupes armés paramilitaires, soit en s’appuyant sur deux à la fois. Il est également vrai qu’au cours de la guerre les insurgés se sont financés grâce au narcotrafic. L’État de Colombie aussi ; il a même démobilisé les narco-para-militaires en ayant recours à une Justice de transition, qui malgré ses efforts, a souvent abouti à l’impunité.

    2 – « Les FARC attaquent la population civile. »

    Vérité incomplète. Au cours d’une guerre ou d’un conflit armé, les belligérants agissent indifféremment contre toutes les personnes et tous les biens. Si les FARC admettent « des erreurs au cours de certaines batailles », les médias font silence sur le fait que l’État de Colombie en a fait tout autant de son côté et de façon constante, et qu’il a été condamné chaque fois que l’affaire a été jugée par la Cour Américaine des Droits de l’Homme.

    3 – « Les FARC n’ont pas d’idéologie ».

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  • Le référendum sur la paix en Colombie, une occasion manquée


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    Le résultat du plébiscite colombien a révélé la profondeur de la polarisation qui, du fond de son histoire, caractérise la société colombienne. Et aussi la grave crise de son système politique archaïque, incapable de susciter la participation des citoyens à un plébiscite fondateur – il s’agissait de  rien moins que de mettre fin à une guerre plus d’un demi-siècle ! auquel à peine un électeur sur trois a participé,  un taux inférieur à celui, déjà faible, de participation qui caractérise habituellement la politique colombienne.

     

    Le taux de participation d’hier a été le plus bas de ces vingt-deux dernières années et le résultat a été si serré que la victoire du NON, comme cela serait arrivé en cas de victoire du OUI, est plus une donnée statistique qu’un événement politique retentissant. Les partisans du OUI avaient dit que ce qu’il fallait pour consolider la paix était une large victoire, qu’il ne suffisait pas de mettre simplement en minorité les partisans du NON. Cela vaut pour leurs adversaires. Mais personne n’a atteint cet objectif, parce que la différence de 0,5% en faveur du NON pourrait être sociologiquement considérée comme une erreur statistique et qu’un recomptage pourrait éventuellement inverser le résultat.

    Il est prématuré de fournir une explication complète de ce qui est arrivé. Il faudrait disposer d’informations plus détaillées qui pour le moment ne sont pas disponibles. Mais il est toujours surprenant de constater que le désir de paix, que quiconque  a visité la Colombie pouvait sentir à fleur de peau dans la grande majorité de sa population, ne s’est pas traduit en votes pour ratifier cette volonté de paix et de refondation d’un pays embourbé dans un bain de sang sans fin. Au lieu de cela les citoyens ont réagi avec une indifférence irresponsable à l’appel à soutenir les accords obtenus laborieusement à La Havane. Pourquoi? Certaines hypothèses devraient viser, en premier lieu, la faible crédibilité qu’ont les institutions politiques en Colombie, rongées depuis longtemps par la tradition oligarchique, la pénétration du trafic de drogue et le rôle du paramilitarisme. Ce déficit de crédibilité est exprimé dans un retrait de l’électorat, d’autant plus important dans les régions où le NON a triomphé confortablement qu’elles sont éloignées des zones chaudes de conflit armé. En revanche, les départements qui ont été le théâtre d’affrontements se sont exprimés en grande partie en faveur du OUI.

    Pour le dire en d’autres termes: là où les horreurs de la guerre ont été vécues par les gens de manière directe et dans  leur chair  – principalement les régions agricoles et paysannes – l’option du OUI a remporté une majorité écrasante. C’est le cas de Cauca, avec 68% des votes pour le OUI, le Chocó avec 80%, le Putumayo avec 66%, le Vaupes avec 78%. En revanche, dans les zones urbaines où la guerre était juste une actualité médiatique, diabolisant sans relâche l’insurrection, ceux qui sont allés aux urnes l’ont fait pour exprimer leur rejet des accords de paix.

    Cela renvoie à une deuxième considération : la faiblesse de l’effort éducatif fait par le gouvernement colombien pour expliquer les accords et leurs conséquences positives pour l’avenir du pays. Cette lacune a été notée par plusieurs observateurs et acteurs de la vie politique du pays, mais leur appel au président Juan M. Santos sont restés lettre morte. L’optimisme confiant qui a prévalu dans les milieux gouvernementaux (et dans certains secteurs proches des FARC-EP), associé  à la confiance imprudente dans les sondages qui, encore une fois, ont scandaleusement failli, ont fait sous-estimer la force de gravitation des ennemis de la paix et l’efficacité de la campagne fondée sur le rejet viscéral des accords promue par les partisans d’Uribe.

    Le rôle joué par la droite liée aux groupes paramilitaires et par les médias, qui ont reproduit sans relâche les accusations de «trahison» adressées au président Santos, ont galvanisé un noyau dur opposé à la ratification des accords qui, bien que minoritaire dans l’ensemble de la population, a réussi à l’emporter parce que ses adhérents ont afflué en masse aux urnes, alors que seulement une partie de ceux qui voulaient veulent la paix a osé défier le mauvais temps et est allée voter. La « campagne de terreur » orchestrée par la droite s’est avérée persuasive, qui, dans ses caricatures sinistres, présentait le commandant Timoshenko comme déjà revêtu de l’écharpe présidentielle et prêt à imposer la dictature des «terroristes» sur une population sans défense et plongée dans l’ignorance, celle-là même qui a trouvé dans le NON l’antidote nécessaire pour conjurer cette menace terrifiante.

    Bref, il est impossible de faire abstraction du sentiment de frustration que provoque ce résultat. Comme on l’a dit mille et une fois, la paix en Colombie, c’est la paix en Amérique latine. Une énorme responsabilité incombe aux FARC-EP face à ce résultat électoral déplorable. La sagesse montrée par les guérilleros dans les négociations ardues de La Havane va maintenant subir une nouvelle épreuve du feu. Et il faut espérer que la tentation de reprendre la lutte armée suite à la rebuffade électorale sera neutralisée par une attitude réfléchie et responsable que n’ont malheureusement pas eu les citoyens colombiens. Les déclarations de Timoshenko commandant – que maintenant les armes de l’insurrection sont les mots  – permettent d’alimenter cet espoir. Il en est de même pour les déclarations de la direction de l’ELN et le discours du président Santos peu après que les résultats du plébiscite ont été connus.

    Espérons qu’il en sera ainsi et que cette guerre de plus d’un demi- siècle, qui  au fil des ans, a coûté l’ équivalent de près de la moitié du PIB actuel de la Colombie, qui a spolié de leurs terres et déplacé de leurs foyers près de sept millions de  paysans, qui a fait 265.000 morts officiellement enregistrés, qui a fait de deux millions et demi de mineurs des victimes indirectes, que ce cauchemar, en un mot, qui a endeuillé la bien-aimée Colombie, puisse sombrer définitivement dans le passé pour ouvrir ces grandes avenues évoquées par l’héroïque Président Salvador Allende, par où devront passer les hommes et les femmes de la Colombie pour construire une société meilleure. Hier, une excellente occasion d’avancer sur le chemin de la paix a été manquée. Il y en aura d’autres, sans aucun doute.

    Source: Tlaxcala

    http://tlaxcala-int.org/article.asp?reference=19042

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  • L’Ethiopie à la croisée des chemins : la dictature militaire de Mengistu

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    Au-delà des mythes, l’empire de Hailé Sélassié cachait une réalité terrible pour la majeure partie des Éthiopiens. Portés par un grand mouvement populaire, de jeunes officiers de l’armée renversent l’empereur en 1974. Mengistu devient le nouvel homme fort d’Éthiopie, mais se montre incapable de répondre aux aspirations du peuple. Comment la révolution a-t-elle fait basculer le pays dans la dictature militaire ? Pourquoi les Éthiopiens sont-ils restés condamnés à la misère avec, comme point d’orgue, la dramatique famine de 1984 ? Pourquoi, alors que Michael Jackson et les stars du monde entier récoltaient des dons pour les victimes, BHL et Glucksmann ne voulaient-ils pas aider l’Éthiopie ? Dans cette deuxième partie de notre entretien, Mohamed Hassan explore les contradictions de la dictature militaire du Derg. Il dévoile également les origines du TPLF, cette organisation politique qui a succédé à Mengistu et qui s’accroche au pouvoir depuis plus de vingt ans. Dimanche 9 octobre, alors que la révolte gronde partout dans le pays, le TPLF a décrété l’Etat d’urgence. 


    Lire la première partie: L’empire de Sélassié

     

    Confronté à une révolte grandissante, Hailé Sélassié engage des réformes et nomme un jeune Premier ministre. Visiblement, ces quelques changements n’ont pas permis d’apaiser les choses. Pourquoi ?

    Les Ethiopiens n’étaient plus dupes. Les ministres ne pouvaient plus jouer le rôle de fusible, cette technique avait vécu. Et les dernières réformes lancées par l’empereur et son jeune premier ministre comme de la poudre aux yeux ne pouvaient masquer la fatale réalité: l’Ethiopie ne s’était jamais réellement modernisée. Son économie n’aurait pas fait tache au Moyen-âge, mais dans la deuxième moitié du 20e siècle… L’aristocratie vivait toujours sur le dos des paysans tandis que l’industrie n’employait que quelque 60.000 personnes et ne fournissait que 15% du PNB. 70% des investissements venaient de l’étranger. En même temps, la population avait explosé dans les grandes villes. Entre les années 50 et 70, le  nombre d’habitants à Addis-Abeba était passé de 300.000 à 700.000, d’autres villes de province doublant aussi de taille. Mais l’économie n’avait pas suivi, si bien que le taux de chômage urbain pouvait atteindre jusqu’à 50%.[1]

    Quand Sélassié a rendu la presse et les débats plus libres, ça n’a donc pas calmé le jeu. Au contraire, les tensions étaient encore plus exacerbées. Les Ethiopiens ne se gênaient plus pour dire tout le mal qu’ils pensaient de l’empereur et de son régime féodal. Deux partis civils ont émergé dans ce contexte, puisant leurs racines dans le mouvement estudiantin. Les plus jeunes étaient regroupés dans le Parti Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (PRPE) tandis que la vieille génération militait au sein du Mouvement Socialiste pan-éthiopien (MEISON). Les deux formations partageaient les mêmes idées sur l’égalité des nationalités. Elles étaient également convaincues qu’il fallait gagner le soutien des paysans en menant une réforme agraire. Il serait alors possible de constituer une base sociale importante pour, finalement, mener une révolution nationale démocratique.

     

    Si le PRPE et le MEISON partageaient les mêmes idées et le même plan de bataille, pourquoi n’ont-ils pas uni leurs forces ?

    Les deux partis étaient en désaccord sur le rôle de l’armée. Pour les jeunes du PRPE, principalement des petits-bourgeois issus des villes, la révolution ne pourrait être menée que dans un Etat démocratique où le pouvoir serait confié aux civils. En revanche, la vieille garde du MEISON estimait qu’il fallait s’appuyer sur l’armée en exploitant les contradictions de classes qui traversaient cette institution mieux organisée. Le MEISON voulait ainsi soutenir les revendications des petits officiers pour renverser le gouvernement. Ce parti avait en fait adopté la théorie du dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev. Il prétendait qu’en Afrique l’intelligentsia révolutionnaire et les officiers révolutionnaires pourraient construire un Etat socialiste s’ils unissaient leurs forces.

     

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  • Nous ne voterons plus jamais PS

     
    En juin dernier, on a lancé une pétition et une page facebook "nous ne voterons plus jamais PS: chiche!":  https://www.facebook.com/plusjamaisps/?fref=ts
     
    Mercredi dernier, nous avons organisé une rencontre avec d'autres militants qui avaient lancé des initiatives similaires (blog de Mme sourire, site internet PSplusjamais.fr,...) afin de créer une coordination de tous les militants de gauche anti-PS. Il a notamment été proposé de créer une boucle mail commune à tous les militants intéressés et toutes les initiatives "plus jamais PS", afin de préparer des actions symboliques pendant la campagne.


    Serais tu intéressé pour y participer? N'hésite pas à faire passer le message!

    Ramzi

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  • Grandes et petites questions sur nos temps difficiles


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    Discours de Pericles (Athène, Grèce)

    La démocratie « à l’occidentale », c’est quoi ? Le libre bavardage, l’absence d’obligations civiques si ce n’est celle de se débrouiller », des élections exigeant beaucoup d’argent et des sondages à haute dose.

    Reprenons. Ce bavardage permanent sur tous les médias fait croire au pluralisme et n’engage à rien : il est soigneusement contenu dans des limites « convenables » pour le système et les avis contraires se neutralisent sans conséquence.

    Le citoyen ne se voit rien demander (sauf ses impôts), ce qui lui faire croire qu’il est « libre » ; en contrepartie, il ne décide de rien et perçoit très peu (au mieux, quelques « minimas sociaux »). Il est surtout sujet, ce à quoi il s’habitue, par apolitisme, pour se consacrer à sa petite vie privée, privée surtout de l’Autre. Car il doit combattre sans scrupule tous les « autres » pour survivre : il est « ubérisé » !

    Les « consultations » (le mot est bien ajusté) électorales, qui se succèdent et se ressemblent, institutionnalisent une alternance sans alternative en désignant des représentants très peu représentatifs, libérés de tout engagement vis-à-vis de leurs électeurs. Si les résultats sont inattendus et perturbateurs pour le système, ils sont neutralisés. Une masse de citoyens « amateurs » légitiment des professionnels de la vie politique, assistant la petite équipe d’oligarques ayant la maîtrise des grandes décisions économiques et financières. Malgré une abstention croissante, l’argent et les médias parviennent encore à persuader ces « amateurs » des « bonnes orientations » et des « meilleurs » candidats présélectionnés par les sondages et les financeurs de campagne !

    Ainsi, ce que l’on appelle communément en Occident « la démocratie » est un ensemble de faux-semblants laissant la majorité des individus démunie. Jour après jour, on convainc le pseudo-citoyen qu’il n’y a pas d’autre choix : la solution « démocratique » serait la « moins pire ». Il échapperait ainsi au « totalitarisme », phénomène indéfini mais dont on diffuse régulièrement quelques images : les horreurs nazies et le goulag stalinien. En direction des citoyens les plus lucides et les moins formatés, se refusant aux distinctions basiques entre le Bien et le Mal, sont mandatés avec force publicité quelques intellectuels plus ou moins mercenaires chargés de s’indigner contre ce Mal au nom d’un humanisme salutaire !

    Tous les arguments sont utilisés pour tuer toute espérance d’un autre monde que celui existant et pour enfermer les dangereux insatisfaits dans le « paradis » du possible que serait « la bien-heureuse démocratie à l’occidentale » !

    Tous les jours sont répétées de soi-disant vérités d’évidence.

    « L’égalité sociale tue l’esprit de compétition et anesthésie la société. Ceux d’en-haut sont donc les plus méritants ».

    « Collectiviser la production des richesses, utopie communiste de mauvais aloi, même s’il s’agit d’autogestion ou de coopérative, détruit l’efficacité économique qui a besoin de chefs, c’est-à-dire de managers de haute volée, ainsi que d’actionnaires et de banquiers pour les financer ! ».

    « L’information réelle des citoyens sur les réalisations locales ou sur les mesures nationales ou internationales rend la Cité ingouvernable. Il convient donc de ne laisser filtrer que ce qui est indispensable à la crédibilité du bien fondé des décisions déjà prises. Il faut faire admettre les clivages entre les Bons et les Méchants et user de la répétition pour convaincre. A défaut, se crée un climat anarchique et subversif ».

    « L’enseignement a une finalité utilitariste qui doit être renforcée. Napoléon I, après avoir fait son expérience robespierriste, avait bien raison de retirer des programmes l’Histoire et la Philosophie ! Les employeurs ont besoin « d’employables » et non d’esprits critiques susceptibles de perturber l’ordre naturel des choses ! ».

    etc. etc. etc.

    Face à ces conceptions qu’imposent le monde des affaires et la médiocratie politique au pouvoir, n’y a-t-il rien de possible et aucun espoir ?

    Quelques ébauches de réponses :

    L’Histoire a toujours plus d’imagination que ceux qui la vivent : les Résistants des premières années quarante contre les fascismes concevaient-ils l’effondrement brutal dès 1944-1945 de l’empire nazi ? Les Amérindiens de Bolivie discriminés et humiliés depuis des siècles imaginaient-ils le pouvoir d’Evo Moralès ?

    Il n’est pas impossible de détruire les illusions à la source de la servilité : le mot « liberté » est un mot creux si l’on ne prend pas conscience de tous les déterminismes et de toutes les limites dont il faut se libérer pour approcher de cette liberté ! Est-ce au-dessus de nos forces ?

    On peut comprendre au seul spectacle du monde que les hommes vivent encore en pré-histoire et qu’il n’est nulle part de démocratie, car elle est une création continue, un projet toujours « à-venir », édifié par de vrais citoyens, « centres d’initiatives » toujours responsables mais encore minoritaires !

    Dans l’attente d’une réflexion de fonds qui s’impose, il est urgent et plus aisé de répondre à quelques questions d’actualité, liées cependant aux précédentes.

    * Peut-on rationnellement penser, comme on nous le répète, que certains États incarnent le Bien (les États-Unis ou la France, par exemple) et d’autres le Mal (la Chine ou la Russie, par exemple), ce qui serait une première dans l’Histoire !

    * Sachant que les médias (sous la III° République, sous Vichy, sous de Gaulle, etc.) étaient pour la plupart soumis à toute époque à l’argent et au pouvoir, peut-on douter un instant qu’il en est toujours de même aujourd’hui, afin de nous intoxiquer ?

    * Alors que depuis des siècles, aucun régime politique n’a effectivement admis le pouvoir du peuple, peut-on croire qu’aujourd’hui le miracle s’est produit ? Les élections présidentielles aux États-Unis ou en France sont-elles par exemple une confrontation entre des personnalités d’une qualité supérieure qui ont pleine légitimité pour décider de ce qui nous regarde ?

    * L’antiterrorisme n’apparaît-il pas comme un formidable dérivatif pour cette pseudo-élite liée aux milieux d’affaires afin d’éviter le débat sur le chômage, les salaires, la relance économique, l’évasion fiscale, etc. sujets sur lesquels ils n’ont rien à dire ni rien à proposer.

    Si le lecteur en ligne, privé de sudoku ou de mots fléchés, pouvait réagir et prendre les mesures adéquates, cela serait réjouissant !

    Source : Investig’Action

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  • Che Guevara, Inti Paredo… Pour la vengeance, la route n’est jamais trop longue


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    Alors qu’Ernesto « Che » Guevara venait d’être assassiné, le colonel bolivien, Roberto Quintanilla, lui fit amputer les mains. Ce fut un outrage terrible qu’il commit le 9 octobre 1967. Il devint l’homme le plus haï de la gauche mondiale qui était à l’époque nombreuse et radicale.

    Deux ans après, le 9 septembre 1969, il brisa, à coup de crosse, la colonne vertébrale du prisonnier Guido « Inti » Paredo, avant de l’assassiner. Inti était un leader guérillero et l’un des cinq survivants de la guérilla du Che en Bolivie.

    Craignant pour la vie de l’assassin, le gouvernement le nomma consul à Hambourg, en Allemagne.

    Le premier avril 1971, en milieu de journée, il fut exécuté. Une femme élégante, svelte, portant une perruque blonde et des lunettes tira sur lui trois coups de feu qui le tuèrent sur le coup. Pour prendre rendez-vous, elle s’était fait passer pour une Australienne en quête d’informations touristiques. Quintanilla en personne l’attendait dans son bureau. Après avoir lutté contre celle qui était désormais veuve, elle quitta les lieux discrètement sans laisser de traces. Avant de sortir du bâtiment, elle se débarrassa de la perruque, du révolver et de son sac. Ce dernier, contenait un morceau de papier sur lequel on pouvait lire : « La Victoire ou la mort. ELN »

    L’événement fit le tour de la planète. Beaucoup de personnes le célébrèrent. Une femme, quelque part, déclara «  Pour la vengeance, la route n’est jamais trop longue. »

    Par simple suspicion, la police allemande accusa Monika Ertl. Les journaux, comme toujours relayèrent l’information en boucle. La chasse était ouverte.

    Elle était arrivée en Bolivie en 1953 ; elle avait alors 15 ans. Avec sa mère et ses sœurs, elle venait rejoindre son père, Hans. Il était installé depuis trois ans à Chiquitania, à une centaine de kilomètres de Santa Cruz. Là sur ces plateaux quasiment vierges, à la frontière du Brésil, ils se sentirent comme des conquistadors.

    En réalité, Hans, en particulier, s’y tenait caché. Il était en fuite. En tant que photographe, pendant la seconde guerre mondiale, il était l’un des grands propagandistes du nazisme. Il était connu comme « le photographe de Rommel », pour avoir servi longtemps ce maréchal, l’un des hommes le plus puissant du Troisième Reich.

    Lorsque les troupes soviétiques entrèrent à Berlin, le 2 mai 1945, mettant en déroute les nazis, Hans put fuir grâce à l’aide des services d’espionnage militaire étasuniens et du Vatican. En échange, il livra les informations qu’il détenait.

    On ignore comment il a pu acquérir trois mille hectares de terres en ce lieu car son seul trésor, à son arrivée en Bolivie, était une veste. C’était la même veste que celle portée par les officiers nazis, dessinée et fabriquée par celui qui deviendrait mondialement connu : Hugo Boss. Ce furent principalement des prisonniers français qui faisaient fonctionner ses machines.

    Ainsi, Monika vécut son enfance au cœur même de l’effervescence du nazisme. A présent, en Bolivie, en tant qu’adolescente, son monde devait être totalement différent. Mais, socialement, ce ne fut pas tellement le cas, car sa maison était un lieu d’allers et venues incessants de nazis fugitifs, même s’ils étaient protégés par les Etats-Unis.

    Monika se maria en 1958 avec un autre Allemand et ils partirent vivre dans le nord du Chili, près des mines de cuivre. Pendant presque dix ans, elle supporta la vie de femme au foyer. Etre témoin de la souffrance des mineurs changea sa vision du monde et des êtres humains. Elle partit vivre à La Paz et fonda un foyer pour orphelins. Elle avait grandi au milieu de racistes et vivait, à présent, dans des communautés remplies d’indiens.

    C’est, aussi, au cours de cette période, que débutèrent ses contacts avec la gauche bolivienne. Voyageant pour recueillir des fonds pour son projet, elle eut des relations étroites avec la gauche européenne, et principalement avec l’Allemagne. Selon sa sœur Beatrix, Monika était « une femme électrique, avec beaucoup d’adrénaline et qui avait un large panel d’amis ».

    Pour elle, selon sa sœur, Che Guevara « avait été un Dieu ». Son assassinat l’avait bouleversée et emplit de douleur.

    Son intégration dans l’Armée de Libération Nationale, ELN, apparut donc naturelle : cela avait été la guérilla du Che. En réalité, plutôt qu’une combattante, elle fut une milicienne chargée de l’appui logistique. Cette responsabilité impliquait plus de risques que d’être dans la montagne. Son nom de guerre était « Imilla », ce qui en langue aimara signifiait « petite fille indienne ».

    Sa sœur disait qu’elle était « décidée à changer le monde ».

    Dès le début, ses positions politiques engendrèrent des désaccords avec son père. Malgré tout, il lui permit d’utiliser la grande maison que la famille possédait dans la capitale. Logiquement, elle l’utilisait pour y cacher des armes et y abriter des guérilleros. Mais le jour où Monika se rendit à « La Dolorosa », comme se nommait la hacienda, pour demander à son père de lui laisser construire un camp d’entraînement sur ce lieu, Hans lui ordonna de prendre le large pour toujours. Pendant les quatre années de clandestinité, elle écrivit seulement une fois par an à sa famille. A chaque fois elle leur disait que tout allait bien. En 1969, elle leur envoya un dernier courrier : « Adieu, je m’en vais et vous ne me verrez plus jamais ». Et il en fut ainsi.

    La maison de La Paz fut une cachette pour Inti Paredo. Elle fut également témoin de l’idylle passionnée qui lia Monika et le guérillero. Il devint son grand amour.

    Depuis l’exécution de Quintanilla, elle passait plus de temps hors de Bolivie, principalement à Cuba et en France. Elle possédait un faux passeport argentin. Même si plusieurs services de renseignement étaient sur ses traces, à commencer par les allemands et la CIA, elle se déplaçait malgré tout avec une certaine facilité.

    Le ministère de l’Intérieur offrit pour la capture de Monika une récompense plus forte que celle promise pour Che Guevara. Un jour, le père vit l’affiche avec les photos des « terroristes » les plus recherchés, ainsi que leurs mises à prix. Monika en faisait partie. On dit qu’il en éprouva une très grande honte.

    Il y avait un homme qui la connaissait très bien : c’était l’« Oncle Klaus ». C’est ainsi que son père lui avait appris à appeler cet homme qui se disait commerçant, et portait le nom d’Altmann. Monika ne sut que bien plus tard que son véritable nom était Klaus Barbie, un « criminel de guerre ». En 1943, pendant la seconde guerre mondiale, il avait été le chef de la sinistre Gestapo de Hitler dans la ville française de Lyon. Il avait torturé, assassiné ou envoyé quatre mille personnes dans les camps de concentration. En raison de sa cruauté, on l’avait surnommé « Le boucher de Lyon ». A la fin de la guerre, les services de sécurité français voulurent l’arrêter, mais il s’était volatilisé. Il faut dire qu’il bénéficiait d’un puissant protecteur : le service de contrespionnage de l’armée étasunienne (Counter Intelligence Corps, CIC). Le criminel était précieux en raison de tout ce qu’il savait concernant l’espionnage soviétique et la résistance organisée par le Parti Communiste français. Le CIC justifia les crimes de Barbie en disant qu’il s’agissait « d’actes de guerre ».

    Avec l’aide du Vatican, en 1951, il fut envoyé en Argentine d’où il passa en Bolivie. Là, il obtint la nationalité bolivienne et devint le bras droit de la CIA et le conseiller des dictatures. Oui, il était bien « commerçant », comme on l’avait dit à Monika, mais dans le secteur de la cocaïne et des armes.

    « Barbie connaissait tous les déplacements de ma sœur, il les avait bien étudiés », raconta Beatrix. Rien de plus normal avec les contacts qu’il avait. En effet on assure qu’il collaborait aussi avec la police secrète allemande. Depuis le jour où Monika avait quitté l’Europe pour la dernière fois pour rentrer en Bolivie, elle était suivie.

    Il semblerait que pendant quelques jours, Barbie perdit sa trace à la Paz, jusqu’au moment où le criminel l’identifia à nouveau dans le centre de la ville. Elle allait vêtue comme une hippie ou une gitane. Il la reconnut à ses jambes fines et élégantes et aux lobes allongés de ses oreilles. Il appela immédiatement le ministère de l’Intérieur pour qu’il se charge de la suite. Alors on envoya les « negros », comme on appelait les tueurs chargés du sale boulot.

    Monika était accompagnée d’un Argentin. Lorsqu’ils arrivèrent près de la maison de son père, une vendeuse les avertit du danger : le lieu était occupé et le secteur encerclé par les militaires.

    Trois jours après, dans l’Alto, une commune jouxtant la capitale, on les repéra. C’était le 12 mai 1973. Il s’agissait d’une maison de sécurité, soi-disant clandestine, mais malgré cela la police l’avait localisée. La guérillera et son compagnon résistèrent à l’assaut jusqu’à épuiser leurs réserves de munitions. La police déclara qu’ils étaient morts dans l’affrontement. Mais des années plus tard, le père déclara qu’avant d’être assassinée, sa fille avait été torturée.

    La famille apprit la nouvelle dans la presse, car l’affaire était dans tous les journaux et sur toutes les ondes. Les sœurs prirent contact avec l’ambassade allemande pour réclamer le cadavre ; c’est à peine s’ils réagirent. Ils se contentèrent de transmettre cette réponse du ministère de l’Intérieur : « elle a eu un enterrement chrétien ». Le père ne leva pas le petit doigt.

    Le corps n’a jamais été retrouvé. Il ne reste qu’une simple plaque à l’entrée d’un cimetière à La Paz qui indique « C’est ici que repose Monika Ertl ».

    Beatrix raconte qu’un jour elle rencontra Barbie dans la rue, « il m’a salué avec courtoisie et m’a dit « quel dommage ce qui est arrivé à ta sœur, j’en suis désolé ». Je n’ai pas ressenti de rancœur à son égard. Nous voulions seulement récupérer le cadavre de notre sœur (…). Je n’ai jamais su si c’était lui qui l’avait fait assassiner ».

    En février 1983, Barbie, fut enfin extradé en France. Il mourut en prison le 25 septembre 1991.

    Monika vengea l’odieux assassinat de ces grands dirigeants révolutionnaires que furent le Che et Inti, et qui étaient aussi ses héros. Quant au procureur de Hambourg, il accusa Monika Ertl, mais clôtura l’affaire sans avoir pu la résoudre.

    Au moment où la combattante fut assassinée, le dictateur Hugo Banzer dirigeait la Bolivie. Etrange coïncidence, il était le voisin de l’hacienda des Ertl. Le père ne lui réclama jamais le corps de sa fille qui avait pourtant été sa préférée. Lorsqu’il ne pouvait éluder le sujet, il disait seulement : « S’il a donné l’ordre de la tuer, c’est qu’il avait ses raisons ».

     

    HERNANDO CALVO OSPINA est écrivain et journaliste.

    Ce texte est issu de son livre Latines, belles et rebelles, Le Temps des cerises éditeurs, Paris 2015.

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    Bibliographie :

    • Jurgen Schreiber, La mujer que vengó al Che. La historia de Monika Ertl, Editorial Capital Intelectual, Buenos Aires, 2010.

    • Peter McFarren et Fadrique Iglesias, « Klaus Barbie, un novio de la muerte », La Razón Digital, La Paz, 12 janvier 2014.

    • Erhard Dabringhaus, L’Agent américain Klaus Barbie, Editions Pygmalion, janvier 1986.

    • Documentaire « Se busca : Monika Ertl » de Christian Baudissin, 1988

     

    Source: Investig’Action

    Cet article est également disponible en : Espagnol

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