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Histoire - Page 2

  • Che Guevara, Inti Paredo… Pour la vengeance, la route n’est jamais trop longue


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    Alors qu’Ernesto « Che » Guevara venait d’être assassiné, le colonel bolivien, Roberto Quintanilla, lui fit amputer les mains. Ce fut un outrage terrible qu’il commit le 9 octobre 1967. Il devint l’homme le plus haï de la gauche mondiale qui était à l’époque nombreuse et radicale.

    Deux ans après, le 9 septembre 1969, il brisa, à coup de crosse, la colonne vertébrale du prisonnier Guido « Inti » Paredo, avant de l’assassiner. Inti était un leader guérillero et l’un des cinq survivants de la guérilla du Che en Bolivie.

    Craignant pour la vie de l’assassin, le gouvernement le nomma consul à Hambourg, en Allemagne.

    Le premier avril 1971, en milieu de journée, il fut exécuté. Une femme élégante, svelte, portant une perruque blonde et des lunettes tira sur lui trois coups de feu qui le tuèrent sur le coup. Pour prendre rendez-vous, elle s’était fait passer pour une Australienne en quête d’informations touristiques. Quintanilla en personne l’attendait dans son bureau. Après avoir lutté contre celle qui était désormais veuve, elle quitta les lieux discrètement sans laisser de traces. Avant de sortir du bâtiment, elle se débarrassa de la perruque, du révolver et de son sac. Ce dernier, contenait un morceau de papier sur lequel on pouvait lire : « La Victoire ou la mort. ELN »

    L’événement fit le tour de la planète. Beaucoup de personnes le célébrèrent. Une femme, quelque part, déclara «  Pour la vengeance, la route n’est jamais trop longue. »

    Par simple suspicion, la police allemande accusa Monika Ertl. Les journaux, comme toujours relayèrent l’information en boucle. La chasse était ouverte.

    Elle était arrivée en Bolivie en 1953 ; elle avait alors 15 ans. Avec sa mère et ses sœurs, elle venait rejoindre son père, Hans. Il était installé depuis trois ans à Chiquitania, à une centaine de kilomètres de Santa Cruz. Là sur ces plateaux quasiment vierges, à la frontière du Brésil, ils se sentirent comme des conquistadors.

    En réalité, Hans, en particulier, s’y tenait caché. Il était en fuite. En tant que photographe, pendant la seconde guerre mondiale, il était l’un des grands propagandistes du nazisme. Il était connu comme « le photographe de Rommel », pour avoir servi longtemps ce maréchal, l’un des hommes le plus puissant du Troisième Reich.

    Lorsque les troupes soviétiques entrèrent à Berlin, le 2 mai 1945, mettant en déroute les nazis, Hans put fuir grâce à l’aide des services d’espionnage militaire étasuniens et du Vatican. En échange, il livra les informations qu’il détenait.

    On ignore comment il a pu acquérir trois mille hectares de terres en ce lieu car son seul trésor, à son arrivée en Bolivie, était une veste. C’était la même veste que celle portée par les officiers nazis, dessinée et fabriquée par celui qui deviendrait mondialement connu : Hugo Boss. Ce furent principalement des prisonniers français qui faisaient fonctionner ses machines.

    Ainsi, Monika vécut son enfance au cœur même de l’effervescence du nazisme. A présent, en Bolivie, en tant qu’adolescente, son monde devait être totalement différent. Mais, socialement, ce ne fut pas tellement le cas, car sa maison était un lieu d’allers et venues incessants de nazis fugitifs, même s’ils étaient protégés par les Etats-Unis.

    Monika se maria en 1958 avec un autre Allemand et ils partirent vivre dans le nord du Chili, près des mines de cuivre. Pendant presque dix ans, elle supporta la vie de femme au foyer. Etre témoin de la souffrance des mineurs changea sa vision du monde et des êtres humains. Elle partit vivre à La Paz et fonda un foyer pour orphelins. Elle avait grandi au milieu de racistes et vivait, à présent, dans des communautés remplies d’indiens.

    C’est, aussi, au cours de cette période, que débutèrent ses contacts avec la gauche bolivienne. Voyageant pour recueillir des fonds pour son projet, elle eut des relations étroites avec la gauche européenne, et principalement avec l’Allemagne. Selon sa sœur Beatrix, Monika était « une femme électrique, avec beaucoup d’adrénaline et qui avait un large panel d’amis ».

    Pour elle, selon sa sœur, Che Guevara « avait été un Dieu ». Son assassinat l’avait bouleversée et emplit de douleur.

    Son intégration dans l’Armée de Libération Nationale, ELN, apparut donc naturelle : cela avait été la guérilla du Che. En réalité, plutôt qu’une combattante, elle fut une milicienne chargée de l’appui logistique. Cette responsabilité impliquait plus de risques que d’être dans la montagne. Son nom de guerre était « Imilla », ce qui en langue aimara signifiait « petite fille indienne ».

    Sa sœur disait qu’elle était « décidée à changer le monde ».

    Dès le début, ses positions politiques engendrèrent des désaccords avec son père. Malgré tout, il lui permit d’utiliser la grande maison que la famille possédait dans la capitale. Logiquement, elle l’utilisait pour y cacher des armes et y abriter des guérilleros. Mais le jour où Monika se rendit à « La Dolorosa », comme se nommait la hacienda, pour demander à son père de lui laisser construire un camp d’entraînement sur ce lieu, Hans lui ordonna de prendre le large pour toujours. Pendant les quatre années de clandestinité, elle écrivit seulement une fois par an à sa famille. A chaque fois elle leur disait que tout allait bien. En 1969, elle leur envoya un dernier courrier : « Adieu, je m’en vais et vous ne me verrez plus jamais ». Et il en fut ainsi.

    La maison de La Paz fut une cachette pour Inti Paredo. Elle fut également témoin de l’idylle passionnée qui lia Monika et le guérillero. Il devint son grand amour.

    Depuis l’exécution de Quintanilla, elle passait plus de temps hors de Bolivie, principalement à Cuba et en France. Elle possédait un faux passeport argentin. Même si plusieurs services de renseignement étaient sur ses traces, à commencer par les allemands et la CIA, elle se déplaçait malgré tout avec une certaine facilité.

    Le ministère de l’Intérieur offrit pour la capture de Monika une récompense plus forte que celle promise pour Che Guevara. Un jour, le père vit l’affiche avec les photos des « terroristes » les plus recherchés, ainsi que leurs mises à prix. Monika en faisait partie. On dit qu’il en éprouva une très grande honte.

    Il y avait un homme qui la connaissait très bien : c’était l’« Oncle Klaus ». C’est ainsi que son père lui avait appris à appeler cet homme qui se disait commerçant, et portait le nom d’Altmann. Monika ne sut que bien plus tard que son véritable nom était Klaus Barbie, un « criminel de guerre ». En 1943, pendant la seconde guerre mondiale, il avait été le chef de la sinistre Gestapo de Hitler dans la ville française de Lyon. Il avait torturé, assassiné ou envoyé quatre mille personnes dans les camps de concentration. En raison de sa cruauté, on l’avait surnommé « Le boucher de Lyon ». A la fin de la guerre, les services de sécurité français voulurent l’arrêter, mais il s’était volatilisé. Il faut dire qu’il bénéficiait d’un puissant protecteur : le service de contrespionnage de l’armée étasunienne (Counter Intelligence Corps, CIC). Le criminel était précieux en raison de tout ce qu’il savait concernant l’espionnage soviétique et la résistance organisée par le Parti Communiste français. Le CIC justifia les crimes de Barbie en disant qu’il s’agissait « d’actes de guerre ».

    Avec l’aide du Vatican, en 1951, il fut envoyé en Argentine d’où il passa en Bolivie. Là, il obtint la nationalité bolivienne et devint le bras droit de la CIA et le conseiller des dictatures. Oui, il était bien « commerçant », comme on l’avait dit à Monika, mais dans le secteur de la cocaïne et des armes.

    « Barbie connaissait tous les déplacements de ma sœur, il les avait bien étudiés », raconta Beatrix. Rien de plus normal avec les contacts qu’il avait. En effet on assure qu’il collaborait aussi avec la police secrète allemande. Depuis le jour où Monika avait quitté l’Europe pour la dernière fois pour rentrer en Bolivie, elle était suivie.

    Il semblerait que pendant quelques jours, Barbie perdit sa trace à la Paz, jusqu’au moment où le criminel l’identifia à nouveau dans le centre de la ville. Elle allait vêtue comme une hippie ou une gitane. Il la reconnut à ses jambes fines et élégantes et aux lobes allongés de ses oreilles. Il appela immédiatement le ministère de l’Intérieur pour qu’il se charge de la suite. Alors on envoya les « negros », comme on appelait les tueurs chargés du sale boulot.

    Monika était accompagnée d’un Argentin. Lorsqu’ils arrivèrent près de la maison de son père, une vendeuse les avertit du danger : le lieu était occupé et le secteur encerclé par les militaires.

    Trois jours après, dans l’Alto, une commune jouxtant la capitale, on les repéra. C’était le 12 mai 1973. Il s’agissait d’une maison de sécurité, soi-disant clandestine, mais malgré cela la police l’avait localisée. La guérillera et son compagnon résistèrent à l’assaut jusqu’à épuiser leurs réserves de munitions. La police déclara qu’ils étaient morts dans l’affrontement. Mais des années plus tard, le père déclara qu’avant d’être assassinée, sa fille avait été torturée.

    La famille apprit la nouvelle dans la presse, car l’affaire était dans tous les journaux et sur toutes les ondes. Les sœurs prirent contact avec l’ambassade allemande pour réclamer le cadavre ; c’est à peine s’ils réagirent. Ils se contentèrent de transmettre cette réponse du ministère de l’Intérieur : « elle a eu un enterrement chrétien ». Le père ne leva pas le petit doigt.

    Le corps n’a jamais été retrouvé. Il ne reste qu’une simple plaque à l’entrée d’un cimetière à La Paz qui indique « C’est ici que repose Monika Ertl ».

    Beatrix raconte qu’un jour elle rencontra Barbie dans la rue, « il m’a salué avec courtoisie et m’a dit « quel dommage ce qui est arrivé à ta sœur, j’en suis désolé ». Je n’ai pas ressenti de rancœur à son égard. Nous voulions seulement récupérer le cadavre de notre sœur (…). Je n’ai jamais su si c’était lui qui l’avait fait assassiner ».

    En février 1983, Barbie, fut enfin extradé en France. Il mourut en prison le 25 septembre 1991.

    Monika vengea l’odieux assassinat de ces grands dirigeants révolutionnaires que furent le Che et Inti, et qui étaient aussi ses héros. Quant au procureur de Hambourg, il accusa Monika Ertl, mais clôtura l’affaire sans avoir pu la résoudre.

    Au moment où la combattante fut assassinée, le dictateur Hugo Banzer dirigeait la Bolivie. Etrange coïncidence, il était le voisin de l’hacienda des Ertl. Le père ne lui réclama jamais le corps de sa fille qui avait pourtant été sa préférée. Lorsqu’il ne pouvait éluder le sujet, il disait seulement : « S’il a donné l’ordre de la tuer, c’est qu’il avait ses raisons ».

     

    HERNANDO CALVO OSPINA est écrivain et journaliste.

    Ce texte est issu de son livre Latines, belles et rebelles, Le Temps des cerises éditeurs, Paris 2015.

    Mise en page 1

    Bibliographie :

    • Jurgen Schreiber, La mujer que vengó al Che. La historia de Monika Ertl, Editorial Capital Intelectual, Buenos Aires, 2010.

    • Peter McFarren et Fadrique Iglesias, « Klaus Barbie, un novio de la muerte », La Razón Digital, La Paz, 12 janvier 2014.

    • Erhard Dabringhaus, L’Agent américain Klaus Barbie, Editions Pygmalion, janvier 1986.

    • Documentaire « Se busca : Monika Ertl » de Christian Baudissin, 1988

     

    Source: Investig’Action

    Cet article est également disponible en : Espagnol

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  • L’Ethiopie à la croisée des chemins (1/3): l’Empire de Sélassié

     

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    Voilà plus d’un an que des manifestants défient le gouvernement éthiopien sous les tirs à balles réelles de la police. Sans défrayer la chronique ni même susciter l’intérêt des chancelleries occidentales promptes à promouvoir la démocratie partout dans le monde. « L’Éthiopie brûle », nous prévient Mohamed Hassan. Pour notre spécialiste de la Corne de l’Afrique, ancien diplomate éthiopien, les jours du gouvernement sont comptés. Pour le meilleur ou pour le pire. La chute du régime est une opportunité de voir les Éthiopiens construire un véritable État démocratique. Mais le pays pourrait tout aussi bien imploser dans des combats interethniques. L’Éthiopie est à la croisée des chemins. Après nous avoir fait traverser le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est dans la Stratégie du chaos et Jihad made in USA, Mohamed Hassan nous emmène dans son pays, l’Éthiopie. Cette première partie porte sur l’Empire de Hailé Sélassié. Quelle réalité cachait le mythe du « roi des rois » ? Comment le seul pays d’Afrique à ne pas avoir été colonisé est-il devenu une caricature de néocolonie ? Pourquoi Mohamed Hassan voulait-il changer de nom lorsqu’il était enfant ? Retour sur un empire qui a alimenté bien des fantasmes… 


     

    Vous dîtes que l’Éthiopie est en train de brûler dans l’indifférence quasi générale. Pourquoi tirez-vous la sonnette d’alarme ?

    Voilà près d’un an que des manifestants défient l’autorité du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti qui domine la coalition au pouvoir. La répression est terrible. Des centaines de personnes y ont déjà laissé leur vie, mais la contestation continue à se répandre dans le pays comme une trainée de poudre. Le TPLF tient les rênes de l’Éthiopie depuis 1991. À travers la coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), il s’est octroyé la totalité des sièges du Parlement lors des dernières élections législatives. Mais les gens en ont plus qu’assez de cette dictature, du manque de libertés et, surtout, des conditions de vie terribles. Les dirigeants corrompus du TPLF bradent les richesses de ce beau pays qu’est l’Éthiopie et laissent le peuple crever de faim. La situation est devenue explosive. Les premières manifestations sont parties de la région Oromo avant de gagner la communauté Amhara. La colère des Éthiopiens a ensuite éclaté dans la capitale Addis-Abeba. Le Premier ministre Haile Mariam Dessalegn a fait couper Internet avant d’autoriser la police à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour réprimer ces manifestations qui « menacent l’unité du pays ». Getachew Metaferia, professeur de sciences politiques à l’université Morgan State aux Etats-Unis, décrit ainsi la situation : « Il n’y a pas de discussion fondamentale avec le peuple, pas de dialogue… Le niveau de frustration augmente. Je ne pense pas qu’il y aura un retour à la normale. »[1]

     

    Le gouvernement à la tête du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique serait-il sur le point de tomber ?

    Les jours du TPLF sont comptés. Les Oromo et les Amhara lui reprochent de monopoliser le pouvoir alors que les Tigré ne représentent que 6 % de la population. De fait, le TPLF a joué la carte de la division ethnique pour imposer sa suprématie. Et la communauté Tigré en est elle-même victime car seuls quelques privilégiés corrompus profitent de la mainmise du TPLF. La possible chute du gouvernement représente donc une opportunité, mais aussi un danger pour l’Éthiopie. Ce pays n’a connu que des dictatures. Aujourd’hui, il peut entrevoir l’occasion de construire un véritable État démocratique où tous les citoyens auront les mêmes droits et où les richesses serviront à rencontrer les besoins fondamentaux de la population. Mais le défi est de taille. Le TPLF a imposé un fédéralisme ethnique en Éthiopie, si bien que les mouvements d’opposition reposent pour la plupart sur des bases communautaires. Le danger de voir le pays imploser est donc réel. En fait, l’Éthiopie est à un carrefour. Si les manifestants et les partis d’opposition parviennent à unir leurs forces sur une base démocratique, l’Éthiopie sera un paradis sur terre. S’ils échouent, l’Éthiopie pourrait tout simplement disparaître.

     

    Les Éthiopiens sont dans la rue, le gouvernement fait tirer sur les manifestants, les opposants politiques sont jetés en prison, les accès à Internet sont coupés, la répression se durcit… Voilà un contexte qui rappelle furieusement celui des « printemps arabes ». Pourtant, l’Éthiopie ne fait pas la une des médias. Et nos chanceliers ne se bousculent pas pour soutenir la démocratie dans ce pays d’Afrique. Pourquoi ?

    Les journalistes étaient peut-être trop occupés avec le burkini et les Jeux olympiques. Ou alors, ils attendent que les services de presse de l’Otan mettent le sujet sur la table. Dans ce cas, ils pourront attendre longtemps. Les Etats-Unis ne vont pas intervenir en Éthiopie pour aider ceux qui aspirent à la démocratie comme ils ont prétendu le faire en Libye ou en Syrie. La relation qui unit Washington à Addis-Abeba, si elle a connu des hauts et des bas, est historique. C’est par l’Éthiopie que les Etats-Unis ont mis un premier pied en Afrique alors que le continent était colonisé par les puissances européennes. L’Éthiopie est ainsi devenue un allié stratégique de l’impérialisme US. Depuis de nombreuses années, le TPLF joue pour Washington le rôle de gendarme dans la Corne de l’Afrique. Il est intervenu militairement dans des pays hostiles à son employeur comme la Somalie, l’Érythrée ou le Soudan. Mais malheureusement pour lui, Obama n’a pas de plan B en Éthiopie pour remplacer ce régime aux abois. Ce n’est pas comme en Tunisie ou en Égypte où les Etats-Unis avaient d’autres coups à jouer pour remplacer leurs alliés historiques. Même si tout ne se passe pas comme prévu. Ce n’est pas non plus comme en Libye et en Syrie où Washington voulait se débarrasser des dirigeants en place. L’utilité du TPLF et l’absence d’alternatives expliquent donc la grande réserve d’Obama sur les événements qui secouent le pays. L’Éthiopie révèle ainsi les véritables motivations des Etats-Unis. Vous remarquerez qu’il n’y a que dans les pays qui leurs sont hostiles que les Etats-Unis soutiennent des « révolutions ». Chez leurs alliés, ils s’accommodent des pires dictateurs.

     

    Les Éthiopiens sont passés aux urnes l’an dernier et les élections se sont soldées par une victoire sans appel de la coalition au pouvoir. Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) a remporté la totalité des sièges. Comment expliquez-vous ce résultat ?

    Ces élections n’avaient aucun enjeu. Elles devaient simplement permettre de formaliser le règne sans partage du TPLF qui utilise la coalition au pouvoir pour avancer masqué, même si personne n’est dupe. Autrefois indépendantiste, le TPLF vient d’une région du sud de l’Éthiopie, à la frontière avec le Soudan et l’Érythrée. Il a participé au renversement de la junte militaire en 1991. Son leader, Meles Zenawi, a ensuite imposé d’une main de fer son hégémonie sur tout le pays jusqu’à sa mort en 2012. Les élections de l’an dernier ont simplement permis de confirmer officiellement dans ses fonctions le successeur de Zenawi, Haile Mariam Dessalegn. C’est le TPLF qui est réellement aux manettes en Éthiopie. L’EPRDF n’est qu’une coalition fantoche qui sert à masquer la mainmise d’une minorité sur tout le pays.

    La répression des opposants politiques et le boycott d’une partie de l’opposition expliquent ce résultat ubuesque. On peut dire que le TPLF a tiré les enseignements du scrutin de 2005. Cette année-là, sous la pression de ses parrains occidentaux, le parti au pouvoir avait voulu montrer un visage démocratique et s’était plus ou moins prêté honnêtement au jeu des élections. Résultat des courses : le TPLF avait perdu. Il avait légèrement entrebâillé la fenêtre, le vent s’était introduit et avait failli tout détruire dans la maison. Finalement, au nom de la réconciliation nationale, le TPLF avait repris la main et écrasé l’opposition avec la bienveillance de l’Union européenne et des Etats-Unis. Des opposants politiques, notamment ceux qui avaient réellement gagné les élections, ont été emprisonnés ou contraints à l’exil. Un nouveau parti politique s’est ainsi créé, Ginbot 7 qui veut dire « 7 mai », en souvenir de cette triste date des élections de 2005. On retrouve dans ce parti des victimes malheureuses du scrutin qui ont tiré les enseignements de cette amère expérience. Puisque le régime est incapable de reconnaître sa défaite et qu’il jouit du soutien des Occidentaux pour réprimer les opposants, aucun changement n’est possible en Éthiopie par la voie démocratique. Ginbot 7 s’est donc associé à un autre mouvement, le Front patriotique du peuple éthiopien, qui mène la lutte armée. Quant au parti au pouvoir, après la frayeur de 2005, il n’a plus tenté le diable lors des élections suivantes. L’EPRDF a cadenassé le système politique, remportant 99,6 % des sièges en 2010 et 100 % en 2015.

     

    Le score des dernières élections de 2015 ferait saliver n’importe quel dictateur à travers le monde. Mais la réaction de l’Union européenne est pour le moins ambigüe. Dans un communiqué, elle a timidement pointé l’arrestation de journalistes et d’opposants politiques, tout en jugeant « encourageant que le processus se soit déroulé de manière générale dans l’ordre et dans le calme ». L’Union européenne conclut qu’elle attend avec beaucoup d’intérêt de poursuivre la coopération avec le nouveau gouvernement. Plutôt paradoxal, non ?

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  • Comment la France passa de l’ère allemande à l’ère américaine

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    Dans deux de ses livres, Le choix de la Défaite : les élites françaises dans les années 1930 et De Munich à Vichy, l’assassinat de la 3e République 1938-1940 (Paris, Armand Colin, 2010 et 2008), Annie Lacroix-Riz, spécialiste d’histoire contemporaine et professeur à l’université Paris 7, a expliqué comment, dans les années trente, l’élite de la société française – politiciens, militaires de haut rang, industriels, banquiers, le haut clergé, etc. – a voulu et planifié l’ « étrange défaite » de 1940. C’est par le biais de cette trahison que l’élite put triompher de l’« ennemi intérieur » gauchiste, empêcher d’autres réformes politiques et surtout sociales comme celles introduites par le Front Populaire, et éliminer le système, trop démocratique à son goût, de la 3e République en faveur du régime autoritaire et collaborateur de Vichy. Ce régime choya tous les éléments de l’élite du pays, mais surtout le patronat, et tandis qu’il fut un paradis pour celui-ci, il fut un enfer pour les salariés, et pour le peuple français en général ; Annie Lacroix-Riz l’a bien démontré dans un autre ouvrage, Industriels et banquiers sous l’Occupation (Armand Colin, Paris, 2013). Or, dans une toute nouvelle étude, Les Élites françaises entre 1940 et 1944 (Armand Colin, Paris, 2016), l’historienne se penche sur un autre aspect de la saga de la couche supérieure de la société française des années trente et quarante : leur passage de la tutelle allemande à la tutelle américaine.

    Les défaites subies par la Wehrmacht devant Moscou (fin 1941) et surtout Stalingrad (hiver 1942-1943) ainsi que l’entrée en guerre des États-Unis et le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord (novembre 1942) firent comprendre à l’élite française que l’Allemagne perdrait la guerre et que l’inévitable victoire soviétique impliquerait fort probablement pour la France le triomphe de la Résistance, « majoritairement ouvrière et communiste », et par conséquent une épuration des collaborateurs et des changements révolutionnaires. Afin d’éviter un tel scénario, catastrophique pour eux-mêmes et pour leur ordre socio-économique, la majorité des politiciens, militaires, industriels, banquiers, et autres « gens très bien », responsables directement ou indirectement pour la trahison de 1940 et la politique collaboratrice, répressive et même meurtrière de Vichy, commencèrent à se dissocier discrètement de la tutelle allemande et à préparer un « avenir américain ». Ils espéraient que l’occupation allemande de la France serait suivie par une occupation américaine, ce qui éviterait des « désordres », mot de passe pour les changements révolutionnaires associés avec la Résistance; et dans le contexte d’une Pax Americana engendrée par une victoire américaine leurs péchés pro-nazis seraient pardonnés et oubliés, leur permettant de conserver les privilèges traditionnels et nouveaux dont ils avaient joui grâce à Vichy. Sous les auspices du nouveau tuteur américain, la France serait un « Vichy sans Vichy ».

    Il était possible de rêver à tout cela parce que les leaders américains détestaient également l’idée que, après le départ des Allemands, les Résistants communistes et autres puissent prendre le pouvoir en France, y provoquer des « mutations [politiques et socio-économiques] profondes » et ouvrir la porte à l’influence soviétique. À Washington on n’avait rien contre le régime de Vichy, avec lequel on maintenait jusqu’en janvier 1943 de bonnes relations diplomatiques ; et les autorités étatsuniennes, Roosevelt en tête, espéraient longtemps que dans l’après-guerre Pétain ou un des autres dirigeants vichyssois pas trop souillés par leur germanophilie – comme Weygand ou Darlan – resterait au pouvoir en France, peut-être après un léger « replâtrage parlementaire » du système vichyssois. « L’avenir américain » fut préparé dans des négociations en Afrique du Nord, où les É.-U. avaient plusieurs consulats, en Espagne et en Suisse, où Berne fut le pied-à-terre de l’agent secret étatsunien Allen Dulles, qui y « veillait à l’avenir de la France » et de l’Europe en général.

    Les Allemands étaient à la hauteur mais toléraient ces initiatives parce que l’élite du Reich préparait son propre « avenir américain », ce qui impliquait des industriels et banquiers allemands avec de bons contacts américains – y compris Dulles – et même des chefs de la SS/Gestapo. Afin de permettre à quelques-uns des plus fermes suppôts du nazisme au sein de de l’élite allemande, par exemple le banquier Hjalmar Schacht, de se poser en « résistants » quand le régime nazi s’écroulerait, on les enferma dans des camps de concentration comme Dachau, où ils étaient « entièrement séparés de la masse des détenus du camp proprement dit » et bien traités. De façon similaire, les autorités allemandes en France eurent la gentillesse d’arrêter de nombreux « collaborationnistes de premier plan » et de les « déporter » vers le Reich pour y attendre la fin de la guerre dans un confortable lieu de « détention d’honneur », par exemple des hôtels à Bad Godesberg et au Tyrol. Cette expérience devait servir de « brevet de ‘résistance’ » à ces personnages, leur permettant de poser en héros patriotiques à leur retour en France en 1945.

    Tandis qu’à l’occasion du choix du tuteur allemand comme « protecteur des coffre-forts » en 1940, « un chef français compatible avec le guide allemand » se tenait déjà prêt dans les coulisses, à savoir Pétain, la sélection d’un chef français compatible avec le nouveau guide américain était nettement moins facile. Le tandem de l’élite française et les autorités américaines détestaient celui qui apparaît aujourd’hui comme un choix manifeste, à savoir Charles de Gaulle, le chef des « Français libres ». La raison ? Ils le regardaient comme un « fourrier du bolchevisme », « un simple tremplin vers le pouvoir des communistes ». Ce n’est que très tard, à savoir le 23 octobre 1944, donc plusieurs mois après le débarquement en Normandie et le début de la libération du pays, que de Gaulle fut reconnu officiellement par Washington comme chef du Gouvernement provisoire de la République française. La chose devint possible à cause de plusieurs facteurs. Primo, les Américains ont fini par se rendre compte que le peuple français ne tolérerait pas qu’après le départ des Allemands « le tout-Vichy [fût] maintenu en place ». Ils ont compris que, inversement, de Gaulle bénéficiait d’une grande popularité et du soutien d’un grande partie de la Résistance. Par conséquent, ils avaient besoin de lui pour « neutraliser les communistes au lendemain des hostilités ». Secundo, de Gaulle négocia auprès de Roosevelt afin d’adopter une politique « normale », ne menaçant aucunement « le statu-quo socio-économique » ; et il donna des gages en « repêchant » de nombreux collaborateurs vichyssois qui avaient été les favoris des Américains.  Tertio, le chef des « Français libres » avait pris ses distances avec l’Union Soviétique. C’est ainsi que le gaullisme s’est « respectabilisé » et que de Gaulle est devenu « un leader de la droite », acceptable à élite française aussi bien qu’aux Américains, les successeurs des Allemands dans le rôle de « protecteurs » des intérêts de cette élite. Or, du point de vue des nouveaux vrais maîtres de la France – et de la plupart du reste de l’Europe – il fut et resta une sorte de « rebelle » qui continua longtemps à leur causer des ennuis.

    Les Élites françaises entre 1940 et 1944 est une étude surprenante, fascinante, rigoureusement et minutieusement documentée, comme les autres livres d’Annie Lacroix-Riz. De ceux-ci, il faut encore mentionner Aux origines du carcan européen (1900-1960) : La France sous influence allemande et américaine (Paris, Éditions Delga, 2014). On peut y apprendre comment, à la suite de la fin de la Seconde guerre mondiale, les États-Unis ont su consolider leur domination politique et économique de l’Europe occidentale par le biais de la création d’institutions européennes. Et ils l’ont fait en collaboration avec des élites françaises, allemandes et autres – y compris des collaborateurs vichyssois « recyclés » tels que Jean Monnet. Dans ce contexte aussi, leur ancien antagoniste, de Gaulle, leur a causé quelques ennuis.

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  • Fort Hood, Texas, août 1968: des G.I. noirs refusent d’aller réprimer les émeutes

     

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    La colère s’est répandue dans les baraquements lorsque les soldats noirs de la 1ère Division blindée ont reçu l’ordre de se rendre à Chicago en mission anti-émeutes.

    Le 23 août 1968, les G.I. ont fait passer le message à travers toute la base de Fort Hood, au Texas : réunion sur la pelouse à l’intersection principale de la base pour démarrer une discussion toute la nuit. Plus de 100 G.I. s’y rendirent pour planifier quoi faire. C’était plus qu’une palabre. C’ était une protestation.

    Pour les généraux et les colonels dont les ordres n’admettaient aucun refus, c’ était une mutinerie.

    Certains des GI avaient décroché des médailles pour bravoure. Certains avaient été blessés. Après une année de lourds combats au Vietnam, les troupes noires, qui en avaient ras le bol, étaient indignées de recevoir l’ordre d’aller occuper les quartiers afro-américains de Chicago.

    Ce que ces soldats croyaient – et c’était vrai – c’était que le gouvernement craignait un soulèvement noir et prévoyait d’utiliser l’armée US pour écraser leurs sœurs et frères.

    Certains des GI noirs avaient été parmi ceux envoyés à Chicago en avril 1968 pour faire du « maintien de l’ordre » après l’assassinat du Dr Martin Luther King, qui avait déclenché une révolte noire de  masse. Le maire de Chicago Richard Daley leur avait alors dit qu’ils devraient « tirer pour tuer tout incendiaire et tirer pour mutiler ou paralyser quiconque se livrant au pillage. » (chicago68.com)

    Maintenant Chicago était le lieu de la Convention nationale démocratique de 1968. Des jeunes rebelles arrivaient par milliers pour protester contre la guerre du Vietnam.  Le « Boss » Daley voulait avoir des troupes fédérales sur place pour abattre les Noirs au cas où la protestation anti-guerre déborderait dans la communauté noire.

    Par leur réunion de minuit, les G.I. noirs disaient: « Pas question! »

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  • Quand l’Allemagne de l’Ouest s’appuyait sur une armée secrète d’anciens nazis!

     www.initiative-communiste.fr

    Des document déclassifiés récemment par le BND (les services secrets de la République Fédérale Allemande) révèlent que d’anciens officiers nazis de la Wehrmacht et de la Waffen SS ont été utilisés pour former une armée secrète en Allemagne. Selon les informations publiées par le journal allemand Spiegel, cette armée aurait pu regrouper jusqu’à 40 000 soldats. Der Spiegel a utilisé des documents fournis par le Bundesnachrichtendiesnst (Bureau fédéral de renseignement) qui ont été étudié par l’historien Agilolf Kesselring et le Spiegel. Kesselring est un membre de la Commission Indépendante d’Historien qui explore l’ des débuts du BND

    Une nouvelle illustration que la en Allemagne de l’Ouest est restée très largement une farce, la priorité du camps capitaliste n’ayant jamais été le combat contre le nazisme et le fascisme mais bien la lutte anticommuniste. La n’a donc pas été réellement menée à l’Ouest. Par exemple, en Bavière sous zone d’occupation américaine, le ministre de la Anton Pfeiffe réinstalla à leur poste 75% des officiels que les Américains avaient démis de leur fonction et réintégra 60% des dirigeants nazis. qui au contraire recruta d’important dignitaires nazis dans ses services secrets, voir pour occuper des fonctions politiques de tout premier plan, et on peut par exemple citer:

     

    Le Braunbuch — Kriegs- und Naziverbrecher in der Bundesrepublik: Staat – Wirtschaft – Verwaltung – Armee – Justiz – Wissenschaft (Livre brun – Criminels de guerre et Nazis en RFA : Etat, Economie, Administration, Armée, Justice, Science) écrit par Albert Norden en 1965 indique que plus 1800 politiciens et personalités de premiers plan d’Allemagne de l’Ouest occupaient des fonctions de haut rang  dans le régime allemand d’avant 1945. Parmi ces 1800 personalités de l’Est cités, 15 ministres et secrétaires d’états, 100 généraux et amiraux, 828 juges et avocats généraux ou officiers de justice de haut rang, 245 officiels du ministère des affaires étrangères, des ambassades ou des consulats, 297 officier de police ou de la sécurité intérieure de haut rang. Le livre fut interdit et saisi en Allemagne de l’Ouest sur ordre de la justice en tant que « propagande communiste ». Dénoncé comme reposant sur des falsification à l’époque par le camps occidental, il est apparu par la suite que les faits révélés par ce livre était largement établis.


    Albert Schnez

    Selon les informations obtenues par Der Spiegel, c’est près de 2 000 anciens officier de la Wehrmacht et de la Waffen SS qui ont établi une armée secrète de près de 40 000 hommes. Dans une opération tenue cachée du gouvernement fédéral et du grand public. L’homme orchestrant ce réseau aurait été Albert Schnez qui deviendra plus tard le chef d’état major de la Bundeswher (l’armée de terre allemande).  les armes auraient été fournie en cas d’urgence par la police anti émeute avec le soutien d’un compagnon de Schnez au Ministère de l’Intérieur.

    Le réseau de Schnez aurait mené une campagne de levée de fonds et de moyens auprès des grands groupes industriels, par exemple pour déterminer les véhicules qui seraient mis à disposition, et aurait établi son propre service de renseignement, désigné sous le terme d’appareil de défense. Le réseau aurait surveillé et espionné les citoyens de gauches et des politiciens, par exemple le futur leader au parlement du SPD Fritz Erler

    Dès 1951, le chancelier de la RFA Konrad Adenauer était au courant de ce réseau

    > De Spiegel indique que Konrad Adenauer était au courant de l’existence de l’existence de l’armée de Schnze depuis au moins 1951 et donna ordre à l’organisation Gehlen – ancêtre du BND – de s’occuper et de superviser cette armée de l’ombre.

    > [L’organisation Gehlen ou Gehlen Org était une agence de renseignement créée en Juin 1946 par les autorités de la zone d’occupation américaine en Allemagne  formée d’anciens membres de la Fremde Heere Ost services secrets de l’ en charge de l’espionnage contre l’Union Soviétique. Elle tire son nom du major général de la Wehrmacht Reinhard Gehlen chef des services secrets allemand sur le front de l’est durant la seconde guerre mondiale)

    Otto Skorzeny

    > Schnez avait des liens avec l’ancien SS-Obertsurmbannfhürer Otto Skorzeny, qui conduisait dans le même temps un réseau similaire en Espagne (le groupe Paladin). Un des chefs de département de l’organisation Gehlen posa de la question de savoir s’il était envisageable de combattre contre Skorzeny.  D’après les informations de Der Spiegel, l’officier de renseignement préconisa de demander d’abord à la SS : « La SS est une force, et nous devrions considérer  ce qu’elle en pense en détail avant de prendre une décision ». De toutes évidence dans la RFA des années 1950 les réseaux constitués des anciens nazis exerçaient encore une influence considérable.

    > De fait, pour mettre en place la partition de l’Allemagne est contrôler la RFA, l’Ouest et notamment les se sont refusés à mener une réelle dénazification du pays, et se sont au contraire – à l’image de l’organisation Gehlen et de cette armée secrète – appuyé sur les structures nazies.

    > Source « BND-Akten: Weltkriegsveteranen bauten geheime Armee auf. » Spiegel Online, 11 May 2014 (de)

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  • Missions dans la tourmente des dictatures. Témoignage (1965-1984)


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    J’ai commencé la rédaction de ce livre sur cette terre où des milliers de paysannes et paysans, d’intellectuels et de professionnels, de religieuses et de prêtres qui, au nom de leur foi en un Évangile libérateur, ont versé leur sang pour prendre la défense des victimes de la guerre, pour s’opposer à des politiques assassines et à une économie prédatrice, pour consoler les affligés, redonner courage à un peuple à bout de souffle. Ces femmes et ces hommes demeurent une inspiration pour quiconque croit encore qu’un autre monde est possible.

     

    El Salvador, septembre 2008

    L’avion descend, enveloppé d’énormes cumulus blancs. En bas, les champs de canne à sucre et de maïs, les pâturages, les vergers et les plantations de café dessinent une splendide courtepointe d’ocres et de verts. Dans les campos, on distingue des villages et des hameaux disséminés dans les montagnes. Les toits de tôle des fermettes brillent au soleil. De nombreux volcans se pointent fièrement dans ce paysage bucolique du Salvador, le plus petit pays des Amériques. Le visage rivé au hublot, mon esprit plane dans le passé récent, celui de la guerre des années 80. Tant de sang versé a imbibé cette terre durant l’insurrection populaire qui affronta le pouvoir oppresseur de quelques familles de propriétaires terriens et une armée appuyée généreusement par les États-Unis. Ce sang semble s’écouler encore aujourd’hui dans les rivières limoneuses qui irriguent le grand corps de la Mère nourricière.

    Me revient à la mémoire la voix de l’évêque martyr Oscar Romero, assassiné en 1980 pour avoir pris la défense des victimes de cette folie meurtrière. Pendant plus d’une heure, dans son homélie du dimanche à la cathédrale, il énumérait les crimes commis durant la semaine.

    — Le 13 mars, dans les zones contigües à Las Vueltas ont été assassinés les paysans José Aristides Rivera, Orestes Rivera et leur mère. On a retrouvé le cadavre de José Efraín Arévalo Cuellas qui avait été capturé le 9 mars à San Miguel ; il portait des marques de torture. Ce même jour furent capturés les jeunes Osmín Landeverde, Manuel Sanchez, Javier Mejía et Carlos García de Quetzaltepeque… (1)

    …et l’évêque d’égrener ainsi un interminable chapelet d’horreurs vécues par son peuple.

    Mon souvenir se porte aussi vers Ita Ford avec qui j’avais œuvré au Chili : elle et sa compagne Carla Piette, toutes deux de la congrégation de Maryknoll (2), avaient accepté l’invitation de l’évêque Romero à venir travailler auprès des réfugiés de la guerre à San Salvador. Huit mois après l’assassinat de Romero, le 2 décembre 1980, Ita et trois autres missionnaires étasuniennes furent enlevées, violées et assassinées par des soldats sur la route de l’aéroport, là même où je roule présentement sous un ciel soudainement courroucé.

    J’ai commencé la rédaction de ce livre sur cette terre où des milliers de paysannes et paysans, d’intellectuels et de professionnels, de religieuses et de prêtres qui, au nom de leur foi en un Évangile libérateur, ont versé leur sang pour prendre la défense des victimes de la guerre, pour s’opposer à des politiques assassines et à une économie prédatrice, pour consoler les affligés, redonner courage à un peuple à bout de souffle. Ces femmes et ces hommes demeurent une inspiration pour quiconque croit encore qu’un autre monde est possible.

    Dans cette cathédrale de San Salvador d’où la parole prophétique de l’évêque Romero a retenti jadis à travers toute l’Amérique centrale convulsionnée, règne aujourd’hui un calme plat. On y célèbre un culte hors-la-vie, une religion-refuge loin des réalités sociales qui divisent toujours profondément la nation : disparité économique, pauvreté endémique, violence des gangs de rue, corruption.

    L’archevêque Lacalle a exilé la dépouille vénérée de son prédécesseur Romero au sous-sol du temple, agacé par l’affluence des petites gens qui viennent quotidiennement prier sur sa tombe. Une Église des catacombes naît, souterraine, marginalisée, bannie par les instances hiérarchiques. Venus des quartiers populaires périphériques, les disciples de Mgr Romero se réunissent dans la crypte tous les dimanches et maintiennent vive leur espérance envers et contre tous.

     

    À la défense de la théologie de la libération

     

    Oscar Romero fut un prophète des pauvres de toute l’Amérique latine. Il fut isolé par ses confrères évêques, dont certains intégraient les Forces armées comme aumôniers. Le pasteur s’était plaint à ses proches que le pape Jean-Paul II ne le comprenait pas. En condamnant la théologie de la libération, le Vatican s’est acharné sur cette Église des pauvres qui naissait dans les communautés de base (3) de tout le continent.

    En mai 2007, Benoît XVI se rendait à Aparecida au Brésil pour inaugurer la Conférence des évêques des Amériques. Lors d’une conférence de presse qu’il donna durant le vol, le pape Ratzinger renouvelait ses accusations. J’ai alors décidé de m’adresser à mon frère Benoît pour l’inviter respectueusement à écouter le peuple des croyantes et des croyants et à laisser de côté ses condamnations.

    La réaction à ma lettre fut enthousiaste et universelle : sur Internet, elle fut reproduite dans toutes les langues européennes par des organisations, des paroisses, des revues chrétiennes prestigieuses. Des centaines de témoignages me sont parvenus d’Amérique latine, du Canada, d’Europe de l’Ouest et même de diocèses orthodoxes de Moscou et de Lettonie ! Je retiens ce commentaire laissé par une Péruvienne sur le web :

    « La latino-américaine que je suis comprend ta vie, ton parcours fidèle à Jésus qui t’a appelé à le suivre en mettant les pieds sur la terre crevassée, là où les problèmes cessent d’être des théories, se transforment en vérités douloureuses et exigent dialogue, amour et compassion avec ceux et celles qui souffrent. Dans nos pays, on ne peut occulter la pauvreté et tu l’as compris avec ta propre vie… C’est pourquoi je t’exprime ma profonde admiration et ma reconnaissance parce que toi, frère, tu es de ceux qui ont joué leur vie, dans un sacerdoce au service du peuple violenté et appauvri et, même si je ne te connais pas, je suis certaine que ton visage exprime la joie de ceux qui ont aimé profondément notre Maître unique contemplé parmi les pauvres et les petits. Merci de m’aider à penser ma vie, merci de t’être dépensé sur nos terres. »

    Signé : Lucrecia.

    Voilà ce qui m’a pressé d’écrire ce livre, témoignage de ce que mes yeux ont vu des efforts titanesques que les peuples ont déployés pour s’en sortir dans ce continent saigné par le grand capital. C’est aussi un plaidoyer pour des dizaines de milliers de religieuses missionnaires, de laïques et de prêtres qui ont accompagné avec passion et enthousiasme les populations opprimées de l’Amérique latine et des Caraïbes. Venus de tous les coins du monde, ces personnes ont fait leurs les aspirations des peuples qui les ont accueillis.

     

    Notes:

    1.  Homélie du 16 mars 1980 ; il sera assassiné le 24 mars durant la messe.
    2.  Maryknoll est la Société des Missions-étrangères des États-Unis : elle est composée de religieuses, de prêtres et de laïques.
    3. Regroupement de familles croyantes qui partagent leur vécu et leur foi dans un quartier ou un hameau

     

    Source: extrait du livre « En mission dans la tourmente des dictatures. Témoignage de Claude Lacaille. Haiti-Equateur-Chili, 1965-1986 ».  Novalis, Montréal, 2014. Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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  • Pouvoir du peuple, Pouvoir au peuple, 1936 – 2016

     

    par MS21

    Pouvoir du peuple, Pouvoir au peuple, 1936 – 2016

     

    Il y a quatre-vingts ans, le Front Populaire.

     

     

    Dans la mémoire collective, la période du Front Populaire représente à juste titre un des grands moments dans l'histoire des conquêtes sociales et un temps fort de la marche vers le progrès et l'émancipation des classes populaires. L'évocation de cette période, de ce qui l'a permise et de ce qui en reste, impose un détour par l'histoire même si notre objectif n'est pas de livrer un énième récit agiographique d'une époque parfois fantasmée mais incontestablement riche de souvenirs heureux et d'un héritage dont on peut aujourd'hui encore mesurer l'importance sociale.

     

    A l'origine la crise de 1929

     

    Le krach boursier du 24 octobre 1929 à la bourse de New York

    entraîne une dépression terrible, d'abord aux États-Unis où le chômage et la pauvreté explosent puis en Europe où l'Allemagne est touchée de plein fouet dès le début des années 30. Six millions de chômeurs ( 33 % de la population active) vont constituer un terreau pour le dévelppement du parti nazi. Aux élections de septembre 1930, le NSDAP ( parti de A. Hitler) obtient 6,4 millions de voix et devient le deuxième groupe parlementaire avec 107 députés.

     

    La France, un peu plus tard, est touchée à son tour et ce dans tous les domaines productifs. Les prix agricoles se mettent à baisser et tous les secteurs traditionnels sont atteints, textiles, sidérurgie, bâtiment, avec pour conséquences des vagues de chômage et une xénophobie croissante assortie d'antisémitisme et d'anticommunisme, qui sert d'exutoire à une population assaillie par les difficultés économiques, en proie à un malaise que les grèves et manifestations ne contribuent

    pas à apaiser.

     

    De la crise économique et sociale à la crise politique .

     

    Le sentiment se développe au sein d'une population en proie au doute, que les dirigeants sont incapables de résoudre les problèmes économiques. L'antiparlementarisme se développe, nourri de scandales politico-financiers ( affaire Staviski) et d'une instabilité gouvernementale qui conduit à la mise en cause d'un système démocratique accusé de tous les maux, surplombé qu'il est par les régimes voisins autoritaires et fascistes de l'Allemagne et de l'Italie.

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