Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Histoire - Page 3

  • Petit conte rouge dans l'air du temps

     

    Publié par "canaille rouge" sur le site du PCF Arcachon Val de l'Eyre

    Vous ne le saviez peut-être pas mais Pierre Semard, outre le syndicalist communiste révolutionnaire, était une fine plume.

    Depuis la prison, en plus de parfaire ses connaissances ; il était insatiable, de juin à fin 1940, depuis sa prison de Bourges il a écrit des contes

    (en fait des nouvelles sous forme de conte)

    Celui que "Canaille le Rouge" vous propose met en lumière bien des traits de notre pays qui de sa jeunesse à nos jours, de l'église aux "chiens de garde" entretiennent, une impressionnante actualité !

    Lien permanent Catégories : À Gauche, Histoire 0 commentaire
  • Pouvoir du peuple, Pouvoir au peuple, 1936 – 1986

     

    Il y a quatre - vingts ans, le Front Populaire.

     

    Dans la mémoire sociale collective, la période du Front Populaire représente à juste titre un des grands moments de l’histoire des conquêtes sociales et un temps fort de la marche vers le progrès et l’émancipation des classes populaires.

    L’évocation de cette période, de ce qui l’a permise et de ce qui en reste impose un détour par l’histoire même si notre objectif n’est pas de livrer un énième récit agiographique d’une époque parfois fantasmée mais incontestablement riche de souvenirs heureux et d’un héritage dont on peut aujourd’hui encore mesurer l’importance sociale.

     

    A l’origine la crise de 1929.

    Le krach boursier du 24 Octobre 1929 à la Bourse de New York entraîne une dépression terrible , d’abord aux Etats Unis où le chômage et la pauvreté explosent puis en Europe où l’Allemagne est touchée de plein fouet dès le début des années trente . Six millions de chômeurs (33% de la population) vont constituer un terreau de choix pour le développement du parti nazi . Aux élections de Septembre 1930, le NSDAP obtient 6,4 millions de voix et devient le deuxième groupe parlementaire avec 107 députés.

    La France un peu plus tard est touchée à son tour et ce dans presque tous les domaines productifs. Les prix agricoles se mettent à baisser et tous les secteurs traditionnels sont atteints, textile, sidérurgie, bâtiment, avec pour conséquences des vagues de chômage et une xénophobie croissante assortie d’antisémitisme et d’anticommunisme, qui sert d’exutoire à une population assaillie par les difficultés économiques, en proie à un malaise que les grèves et manifestations ne contribuent pas à apaiser.

    Lire la suite

    Lien permanent Catégories : À Gauche, Histoire 0 commentaire
  • « Islamophobie », un mot, un mal plus que centenaire

     

    L’hostilité systématique à l’égard de l’islam est très anciennement ancrée dans la pensée occidentale. D’essence chrétienne, elle prend sa source dans l’esprit de croisade, fleurit pendant l’expansion coloniale et, après un temps de latence, reprend vigueur avec la « guerre contre le terrorisme ». Le mot « islamophobie » qui l’illustre a, quant à lui, une centaine d’années. Si désormais, au nom de la défense de la laïcité, certains intellectuels français très médiatiques ne craignent pas d’assumer la bêtise haineuse qu’il recouvre, d’autres, heureusement, s’emploient à la dénoncer.

     



    Historiquement, l’affrontement armé a encadré la totalité de l’histoire des rapports entre l’Occident et le monde musulman. Il fut le premier mode de contact, lors de la conquête arabe du sud de l’Europe, puis lors des Croisades, en Orient. Et si l’on s’en tient à la colonisation française à l’ère moderne, toutes les générations de Français depuis 1830 ont perçu des échos d’affrontements avec le monde arabo-musulman au sein de l’empire : prise d’Alger (1830), guerre menée par Abd el-Kader (1832-1847), révolte de Kabylie (1871), lutte contre les Kroumirs et établissement du protectorat sur la Tunisie (1880-1881), conquête du Maroc et établissement du protectorat sur ce pays (1907-1912), révolte en Algérie (1916-1917), guerre du Rif (1924-1926), révolte et répression en Algérie (mai 1945), affrontements avec l’Istiqlal et le sultan au Maroc (1952-1956), avec le Néo-Destour en Tunisie (1952-1954), cycle clos par la guerre d’Algérie (1954-1962). La parenthèse fut ensuite refermée...provisoirement, puisque le concept de « choc des civilisations » est revenu en force depuis le début du XXIe siècle.

    L’islamophobie, historiquement inséparable du racisme anti-arabe, a plusieurs siècles d’existence. N’est-il pas remarquable, par exemple, que certains éléments constitutifs de la culture historique des Français soient intimement liés à des affrontements avec le monde arabo-musulman ? Pourquoi Poitiers, bataille mineure, a-t-elle pris la dimension de prélude — victorieux — au « choc des civilisations » ? Pourquoi Charles Martel, un peu barbare sur les bords, est-il l’un des premiers héros de l’histoire de France, comme « rempart » de la civilisation ? Interrogez les « Français moyens », ceux en tout cas qui ont encore la mémoire des dates : Poitiers (732) arrive encore dans le peloton de tête, avec le couronnement de Charlemagne en 800, la bataille de Marignan en 1515 ou la prise de la Bastille en 1789.

    Pourquoi la bataille de Roncevaux en 778, où pas un seul musulman n’a combattu (les ennemis du preux Roland étaient des guerriers basques) est-elle devenue le symbole de la fourberie des Sarrazins, attaquant en traîtres à dix contre un ? Nul ancien collégien n’a oublié qu’il a fait connaissance avec la littérature française, naguère, par la Chanson de Roland. Et nul ne peut avoir chassé de sa mémoire la personnification du Bien par les chevaliers de lumière venant d’Occident et celle du Mal par les sombres guerriers de la « nation maudite / Qui est plus noire que n’est l’encre ». C’est plusieurs siècles avant les théoriciens et illustrateurs de la pensée coloniale que l’auteur écrit : « Les païens ont tort, les chrétiens ont le droit. » La guerre entre « eux » et « nous » commençait sous les auspices du manichéisme le plus candide. Oui, le racisme anti-arabe, longtemps (toujours ?) inséparable de l’islamophobie, a plusieurs siècles d’existence, remonte au Moyen-âge (croisades), puis à la Renaissance avec, notamment, les matamores, littéralement les tueurs de maures, de la Reconquista espagnole.

    Plus tard, à l’ère coloniale, l’hostilité fut énoncée avec la plus parfaite bonne conscience, sur le ton de l’évidence : « C’est évident : l’islam est une force de mort, non une force de vie » (1). Persuadés d’être porteurs des vraies — des seules — valeurs civilisationnelles, les contemporains de la conquête, puis de la colonisation, allèrent de déboires en désillusions : les catholiques et les missionnaires constataient, navrés, que la religion musulmane était un bloc infissurable ; les laïques intransigeants se désolaient, rageurs, de voir que leur conception de la Raison ne pénétrait pas dans ces cerveaux obscurcis par le fanatisme… Dès lors, les notions d’« Arabes » — la majorité des Français appelaient Arabes tous les colonisés du Maghreb — et de musulmans se fondirent en une sorte de magma incompréhensible, impénétrable. Hostilité de race et hostilité de religion se mêlèrent en une seule « phobie ».

    Il revenait à Ernest Renan de synthétiser tout l’esprit d’une époque :

    "L’islam est la plus complète négation de l’Europe. L’islam est le dédain de la science, la suppression de la société civile, c’est l’épouvantable simplicité de l’esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le fermant à toute idée délicate, à tout sentiment fin, à toute recherche rationnelle, pour le mettre en face d’une éternelle tautologie : “Dieu est Dieu“." (La réforme intellectuelle et morale, Paris, Michel Lévy Frères, 1871)

    UN MOT QUI REMONTE À 1910

     

    Il faut nommer cet état d’esprit ; le mot « islamophobie » paraît le mieux adapté. Et contrairement à une vulgate répandue, il est plus que centenaire. La première utilisation du mot retrouvée date de 1910. Elle figure sous la plume d’un certain Alain Quellien, aujourd’hui oublié. Il proposait une définition d’une surprenante modernité :

    "L’islamophobie : il y a toujours eu, et il y a encore, un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne. Pour d’aucuns, le musulman est l’ennemi naturel et irréconciliable du chrétien et de l’Européen, l’islamisme (2) est la négation de la civilisation, et la barbarie, la mauvaise foi et la cruauté sont tout ce qu’on peut attendre de mieux des mahométans." (La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française, Paris, Émile Larose)

    Ainsi, dès sa première apparition écrite, le mot « islamophobie » était accompagné de celui de « préjugé » et du concept de « choc des civilisations ». Suivait une liste impressionnante de citations venant de tous les horizons, multipliant les reproches hostiles : l’islam était assimilé à la guerre sainte, à la polygamie, au fatalisme, enfin à l’inévitable fanatisme.

    La même année, Maurice Delafosse, étudiant lui aussi l’islam, cette fois en Afrique subsaharienne, l’emploie à son tour :

    Pris en bloc, et à l’exception de quelques groupements de Mauritanie encore hostiles à la domination européenne, l’état d’esprit des musulmans de l’Afrique occidentale n’est certainement pas opposé à notre civilisation (…). Quoi qu’en disent ceux pour qui l’islamophobie est un principe d’administration indigène, la France n’a rien de plus à craindre des musulmans en Afrique occidentale que des non musulmans (…). L’islamophobie n’a donc pas de raison d’être dans l’Afrique occidentale. (Revue du Monde musulman, vol. XI, 1910)

    Deux ans plus tard, Delafosse publie son maître ouvrage, dans lequel il reprend mot à mot son article de 1910, en remplaçant seulement les mots « Afrique occidentale » par « Haut-Sénégal-Niger ».

    En 1912, le grand savant Louis Massignon rapporte les propos de Rachid Ridha, un intellectuel égyptien, lors du congrès international des oulémas. Évoquant les attitudes des différentes puissances à l’égard de l’islam, Massignon reprend le mot à son compte : « La politique française pourra devenir moins islamophobe » (sous-entendu : que les autres puissances coloniales). De façon significative, il titre son article « La défensive musulmane » (3). On a bien lu : « défensive » et non « offensive ».

    Après guerre, Étienne Dinet, grand peintre orientaliste converti à l’islam et son ami Slimane ben Ibrahim réemploient le mot dans deux ouvrages, en 1918 puis en 1921 (4). Dans le second, ils exécutent avec un certain plaisir un jésuite, le père Henri Lammens, qui avait publié des écrits à prétention scientifique, en fait des attaques en règle contre le Coran et Mohammed. Dinet conclut : « Il nous a semblé nécessaire de dévoiler, non seulement aux musulmans, mais aussi aux chrétiens impartiaux, à quel degré d’aberration l’islamophobie pouvait conduire un savant. »

    Le mot apparaît également dans la presse, justement dans une critique fort louangeuse du premier de ces ouvrages : « Le fanatisme de Mohammed n’est ni dans sa vie ni dans le Coran ; c’est une légende inventée par les islamophobes du Moyen Âge » (5).

    UN MENSONGE HISTORIQUE QUI DURE

     

    Le mot (non la chose) va ensuite disparaître du vocabulaire jusqu’aux années 1970-1980. En 2003, deux écrivaines, Caroline Fourest et Fiametta Venner, publient dans leur revue un dossier au titre évocateur, « Islamophobes… ou simplement laïques ? » (6). Le titre de l’article introductif utilise le mot « islamophobie » assorti d’un prudent — et significatif — point d’interrogation. Il commence par cette formule : « Le mot “islamophobie“ a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère ». Certes. Mais elles se fourvoient et, exposition médiatique aidant, elles ont fourvoyé depuis des dizaines d’essayistes, probablement des milliers de lecteurs. Car elles affirment que les mots « islamophobie » et « islamophobe » ont été en quelque sorte des bombes à retardement déposées par la révolution iranienne, puis repris par des obscurantistes musulmans un peu partout en Occident. Les deux essayistes affirment en effet :

    "Il [le mot « islamophobie »] a été utilisé en 1979 par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes“ en les accusant d’être “islamophobes“. Il a été réactivité au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu“. De fait, la lutte contre l’islamophobie rentre bien dans cette catégorie puisqu’elle englobe toutes les atteintes à la morale intégriste (homosexualité, adultère, blasphème, etc.). Les premières victimes de l’islamophobie sont à leurs yeux les Talibans, tandis que les “islamophobes“ les plus souvent cités par ces groupes s’appellent Salman Rushdie ou Taslima Nasreen !"

    Cette version, qui ignore totalement l’antériorité coloniale du mot, sera reprise sans distance critique en 2010 par l’équipe du Dictionnaire historique de la langue française : « Islamophobie et islamophobe, apparus dans les années 1980… », donnant ainsi à cette datation – une « simple erreur » d’un siècle — un couronnement scientifique.

    Cette « erreur » reste très largement majoritaire, malgré les mille et un démentis. Caroline Fourest a ensuite proposé en 2004 dans son essai Frère Tariq, une filiation directe entre le khomeinisme et le penseur musulman Tariq Ramadan, qui le premier aurait tenté selon elle d’importer ce concept en Europe dans un article du Monde Diplomatique de 1998. En fait, si le mot y figure effectivement, entre guillemets, ce n’est que sous forme de reprise : « On peut parler d’une sorte d’ “islamophobie“, selon le titre de la précieuse étude commandée en Grande-Bretagne par le Runnymede Trust en 1997 » (7). Il paraît difficile de faire de ce membre de phrase une tentative subreptice d’introduire un concept dans le débat français. D’autant… qu’il y figurait déjà. Un an plus tôt, dans le même mensuel, le mot était déjà prononcé par Soheib Ben Cheikh, mufti de la mosquée de Marseille : « La trentaine ardente et cultivée, il entend “adapter un islam authentique au monde moderne“, combattre l’ “islamophobie“ et, simultanément, le sentiment de rejet, de frustration et d’“enfermement“ dont souffrent les musulmans de Marseille » (8).

    LE « SANGLOT » DE L’HOMME BLANC

     

    Pour les deux écrivaines déjà citées, c’est le mot même qui est pourtant à proscrire, car il est porteur de « terrorisme intellectuel », il serait une arme des intégristes dans leur lutte contre la laïcité, interdisant de fait toute critique de l’islam.

    L’essayiste Pascal Bruckner, naguère auteur du Sanglot de l’homme blanc, sous-titré Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi (1983), pourfendeur plus récemment de la Tyrannie de la pénitence (2006), ne pouvait que partager les convictions de ses jeunes collègues :

    "Forgé par les intégristes iraniens à la fin des années 70 pour contrer les féministes américaines, le terme d’“islamophobie“, calqué sur celui de xénophobie, a pour but de faire de l’islam un objet intouchable sous peine d’être accusé de racisme (…). Nous assistons à la fabrication d’un nouveau délit d’opinion, analogue à ce qui se faisait jadis dans l’Union soviétique contre les ennemis du peuple. Il est des mots qui contribuent à infecter la langue, à obscurcir le sens. “Islamophobie“ fait partie de ces termes à bannir d’urgence du vocabulaire »." (Libération, 23 novembre 2010)

    Pour sa part, Claude Imbert, le fondateur et éditorialiste historique du Point, un hebdomadaire en pointe en ce domaine, utilisa — et même revendiqua — le mot dans une déclaration sur la chaîne de télévision LCI le 24 octobre 2003 :

    "Il faut être honnête. Moi, je suis un peu islamophobe. Cela ne me gêne pas de le dire (…). J’ai le droit, je ne suis pas le seul dans ce pays à penser que l’islam — je dis bien l’islam, je ne parle même pas des islamistes — en tant que religion apporte une débilité d’archaïsmes divers, apporte une manière de considérer la femme, de déclasser régulièrement la femme et en plus un souci de supplanter la loi des États par la loi du Coran, qui en effet me rend islamophobe."

    Cette déclaration suscita diverses critiques, qui amenèrent le journaliste à répliquer, la semaine suivante, lors de la même émission : « L’islam, depuis le XIIIe siècle, s’est calcifié et a jeté sur l’ensemble des peuples une sorte de camisole, une sorte de carcan ». Il se disait « agacé » par l’accusation de racisme dont il était l’objet : « L’islamophobie (…) s’adresse à une religion, l’islam, non pas à une ethnie, une nation, un peuple, pas non plus à des individus constituant le peuple des musulmans… ».

    Est-il bien utile de poursuivre la liste de ces nouveaux combattants, de ces modernes « écraseurs de l’infâme » (9) ? Chaque jour, parfois chaque heure, ils ont l’occasion de répéter leurs vérités, dans des hebdomadaires à couvertures en papier glacé, à la télévision, dans des cénacles, sans craindre des contradicteurs ultra-minoritaires… ou absents.

    Si l’utilisation du concept par certains musulmans fondamentalistes, à la moindre occasion, peut et doit irriter, il paraît cependant difficile de contester que des islamophobes existent et qu’ils agissent. Tout acte hostile, tout geste brutal, toute parole insultante contre un(e) musulman(e) parce qu’il (elle) est musulman(e), contre une mosquée ou une salle de prière, ne peut être qualifié que d’acte islamophobe. Et, puisqu’il y a des islamophobes, qu’ils constituent désormais un courant qui s’exprime au sein de la société française, comment qualifier celui-ci autrement que d’islamophobe ?

    Les musulmans de France n’ont nullement besoin d’avocats. Dans leur grande majorité hostiles à la montée — réelle — de l’intégrisme, ils placent leur combat sur le terrain de la défense d’un islam vrai, moderne, tolérant, tout en restant fidèle à la source.

    RÉFUTER LA LOGIQUE D’AFFRONTEMENT

     

    Parallèlement, une forte réaction s’est dessinée, par des auteurs ne se situant pas du tout dans une vision religieuse, pour réfuter et dénoncer la logique d’affrontement. Alors que l’usage même du mot apparaissait à beaucoup comme une concession aux terroristes (au moins de la pensée), Alain Gresh titra justement : « Islamophobie » un article novateur du Monde Diplomatique (novembre 2001). En 2004, le sociologue Vincent Geisser publiait aux éditions La Découverte la première étude synthétique sur la question, La nouvelle islamophobie. L’année suivante, un autre chercheur, Thomas Deltombe, décortiquait chez le même éditeur L’islam imaginaire. La construction médiatique de l’islamophobie en France, 1975-2005.

    Les essais plus récents d’Edwy Plenel, Pour les musulmans (La Découverte, 2013) et de Claude Askolovitch, Nos mal-aimés, ces musulmans dont la France ne veut pas( Grasset, 2013) ont entamé une contre-offensive. Ce dernier affirme, dans son chapitre de conclusion :

    "Ce que la France a construit depuis vingt-cinq ans à gauche comme à droite, à force de scandales, de lois et de dénis, de mensonges nostalgiques, c’est l’idée de l’altérité musulmane, irréductible à la raison et irréductible à la République ; la proclamation d’une identité en danger, nationale ou républicaine, et tout sera licite — légalement — pour la préserver..."

    Chez les catholiques progressistes, même réponse :

    "Schizophrénie. Tandis que les révolutions arabes témoignent d’une soif de démocratie de la part des musulmans, la peur de l’islam empoisonne l’atmosphère en France et, à l’approche des élections, l’épouvantail est agité plus que jamais. Sarkozy n’a-t-il pas voulu un débat sur la place de l’islam dans la République ? Il reprend ainsi un des thèmes favoris du Front national." (Revue Golias, n° 137, mars 2011)

    Autre écho contemporain, sous la plume de Jean Baubérot, spécialiste de la sociologie des religions et de la laïcité :

    "De divers côtés, on assiste à la multiplication d’indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre valeur d’évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la communication de masse. L’évolution globale est inquiétante, et cela est dû à la fois à la montée d’extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au pluriel) et d’un extrême centre qui veut s’imposer socialement comme la (non) pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas (…). L’Occident est le “monde libre“ paré de toutes les vertus face à un islam monolithique et diabolisé." (Le Monde, 6 octobre 2006.)

    Suit dans le même article un parallèle entre l’antisémitisme du temps de l’affaire Dreyfus et la montée de l’islamophobie au début du XXIe siècle : « De tels stéréotypes sont permanents : seuls changent les minorités qu’ils transforment en boucs émissaires. La lutte contre l’intolérance ne dispense pas de la lutte contre la bêtise haineuse ». En ces temps où les grands qui nous dirigent n’ont que le mot « guerre » à la bouche ou sous la plume, il est des phrases réconfortantes (10).

    Notes :

    (1) Arnold Van Gennep, La mentalité indigène en Algérie, Mercure de France, septembre-décembre 1913.

    (2) À l’époque synonyme d’islam.

    (3) Revue du Monde musulman, vol. XIX, juin 1912.

    (4) La vie de Mohammed, Prophète d’Allah, H. Piazza & Cie ; L’Orient vu de l’Occident, Piazza & Geuthner.

    (5) Édouard Sarrazin, Journal des Débats, 6 août 1919.

    (6) Revue ProChoix, n° 26-27, automne-hiver 2003.

    (7) Commission présidée par le professeur Gordon Conway, Islamophobia : Fact Not Fiction, Runnymede Trust, octobre 1997.

    (8) Cité par Philippe Pons, juillet 1997.

    (9) NDLR. Surnom de Voltaire, pour qui l’« infâme » était le fanatisme religieux.

    (10) On notera la prise de position de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui a entériné le terme d’islamophobie dans son rapport de 2013.

    Source : OrientXXI

    Soutenez le pluralisme des médias, faîtes un don à Orient XXI

    Lien permanent Catégories : Histoire, Politique, Social 0 commentaire
  • Plus de 8 Français sur 10 jugent la laïcité "en danger"

     

    La "journée de la laïcité" était le 9 décembre, jour anniversaire de la loi de séparation des Eglises et de l'Etat (1905).

      Elle fut lancée par une résolution du Sénat en 2011.

     

    Elle prend un relief tout particulier cette année après la double série d'attentats dramatiques qui ont endeuillé notre pays en janvier et en novembre.

     

    Non seulement dans les établissements scolaires mais partout en France seront organisés des rencontres, des conférences-débats, des films, des expositions ...ayant pour thème la défense de la laïcité.

    Dans certaines villes ( à Bourges par exemple) c'est une semaine entière qui y est consacré du 7 au 12 décembre à l'initiative d'un collectif d'une dizaine d'associations.  Les conseils départementaux se mobilisent en Haute Garonne, en Bourgogne etc...

    La Bibliothèque nationale de France a réalisé une exposition virtuelle de qualité, mêlant textes et illustrations (estampes, dessins de presse) – une grande partie de cette riche iconographie étant librement consultable sur sa banque d’images en ligne.

    Rappelons brièvement que la laïcité est un principe de paix, d'unité du peuple, d'entente universelle qui repose sur trois principes : la liberté de conscience, l'égalité des droits, l'universalité de la puissance publique donc le primat de l'intérêt général sur l'intérêt particulier.

    La laïcité n'est hostile ni à la conviction religieuse, ni à la conviction athée, ni au questionnement agnostique , mais interdit tout privilège qui pourrait être accordé aux uns ou aux autres par la puissance publique. Les Eglises voudraient que la laïcité soit définie comme le respect de toutes les religions : c'est une dérive dangereuse qui en trahit l'esprit. En effet peut-on avoir du respect pour une opinion raciste, pour une religion qui brûle les hérétiques, pour celles qui proclame l'infériorité de la femme ? Le respect des laÏcs porte non pas sur les religions mais sur la liberté de croire, ce qui n'implique nullement que les croyances et les opinions soient en elles-mêmes respectables.

     

    Lien permanent Catégories : Culture, Histoire 0 commentaire
  • Face à leur Europe américaine, ce pourquoi de Gaulle essuya la première révolution orange en mai 68

     

    Source :  Boulevard Voltaire 

     

     La seule politique consiste à ne pas devenir un protectorat ; sur ce point, les néogaullistes auront bien trahi le Général, Chirac ou Sarkozy les premiers. On rendra hommage à Dominique de Villepin pour son discours à l’ONU. Il en fut persécuté ! Les derniers en date furent Messmer, Guichard peut-être, et Peyrefitte à qui on doit ces confessions admirables qui montrent le caractère prophétique de notre grand homme sans succession (je sais, « il était lâche, vendu aux communistes, à Rothschild, il a bradé l’empire, l’Algérie », etc.).

    Voici comment de Gaulle prophétisait le devenir technocratique de leur Europe :« Quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. Et ce sont les Américains qui en profiteront pour imposer leur hégémonie. »

    Puis le Général définit l’Europe à l’anglaise que nous avons héritée, et contre laquelle il aura tant lutté ; c’est l’Europe du TTIP et des corporations : « Ce que veulent les Anglo-Saxons, c’est une Europe sans rivages, une Europe qui n’aurait plus l’ambition d’être elle-même. L’Europe sans frontières. L’Europe à l’anglaise. C’est en réalité l’Europe des Américains. L’Europe des multinationales. Une Europe où chaque pays européen, à commencer par le nôtre, perdrait son âme. »

    Le nihilisme libéral anglo-saxon lui fait peur ; il est hégémonique et la dimension tératologique de la puissance américaine (et de sa dette) n’est pas sans l’effrayer : « L’Amérique essaie de dominer en Europe, comme elle cherche à dominer en Amérique latine, en Asie du Sud-Est. L’Amérique, qu’elle le veuille ou pas, est devenue aujourd’hui une entreprise d’hégémonie mondiale… La puissance américaine est tellement écrasante, ils ont tellement d’avance dans les technologies de pointe, ils sont tellement riches, ils empruntent tellement – puisqu’on ne prête qu’aux riches – que leur expansion a quelque chose d’élémentaire. » Il veut dire « facile », car le monde s’américanise comme par enchantement.

    La Deuxième Guerre mondiale fut vite remplacée par la guerre froide, formulée par Churchill dans son célèbre (un plagiat, d’ailleurs) discours sur le rideau de fer. L’Empire et le Pentagone comprennent qu’il ne faut jamais être à court d’ennemi. Comme la lutte contre le mal suppose un chef yankee autoritaire, le général de Gaulle tient encore à Peyrefitte ces propos qu’approuveraient aujourd’hui un Vladimir Poutine et les leaders des BRICS : « Les Américains font croire que ne pas être d’accord avec eux, c’est vouloir rompre l’alliance atlantique et mettre en danger la liberté de l’Occident. Cuba leur est montée à la cervelle. En Amérique du Sud, en Europe, en Asie, tout le monde en colonne par deux derrière l’Oncle Sam, sinon gare à vous. »

    On comprend pourquoi de Gaulle essuya la première révolution orange en mai 68

    Lien permanent Catégories : Histoire 0 commentaire
  • 98 milliards d’euros: la dette de l’Allemagne à la Grèce

     www.initiative-communiste.fr

     

    Au minimum, 90 milliards… Pourquoi les demandes de réparation de la Grèce envers l’Allemagne sont justifiées

     

    > ci après une traduction d’un article de Karl Heinz Roth, parue sur le site contremps.eu sur la dette de l’Allemagne envers la Grèce du fait des réparations de guerre (1939-1945) que l’Allemagne n’a jamais payées. Le chercheur et militant allemand, ancien membre du bureau national de l’Union socialiste allemande des étudiants et fondateur de la revue 1989, décrit le pillage de la Grèce pendant l’occupation l’allemande et, à partir de ces éléments, propose un calcul de la dette actuelle due par l’Allemagne à la Grèce, tout en discutant de la légitimité actuelle des demandes de réparations grecques.

     

    > Le 6 avril 1941, la Wehrmacht attaque la Yougoslavie et la Grèce. Fin octobre 1940, l’armée grecque a déjà repoussé une offensive italienne depuis l’Albanie et de ce fait un corps expéditionnaire britannique a été laissé en soutien dans le pays. Pour les Allemands, ce développement entraine une double menace stratégique. D’abord en ce qui concerne les champs pétrolifères roumains mais aussi par rapport à l’offensive planifiée contre l’Union Soviétique qui présente désormais des faiblesses sur son flanc sud-est. En 1941, ni la Yougoslavie ni la Grèce ne sont en mesure de résister à l’attaque de la 12ème armée de la Wehrmacht.

     

    > La direction de la Wehrmacht utilise cette « guerre-éclair » (« Blitzkriegs-Exkurs ») comme champ d’expérience afin de tester le pillage économique total prévu pour être répliqué en Union Soviétique. La Grèce est systématiquement pillée. Entre le début de l’offensive et le début du mois de juin 1941, de grandes quantités de minerais et de concentrés de chrome, de zinc, d’étain, de cuivre et de plomb s’accumulent dans le port de Thessalonique afin d’être transportés vers l’Allemagne. De plus, les managers industriels allemands prennent le contrôle de la production annuelle des métaux industriels que sont la bauxite, le manganèse, le nickel, le molybdène et la pyrite, si bien que la somme totale annuelle d’exportation de matières premières atteint 45 à 50 millions de Reichsmark (RM). Le charbon, l’huile minérale et les produits d’exportation agricoles les plus importants comme les raisins secs, l’huile d’olive, le coton, le sucre, le riz et le cocon de soie sont également envoyés en Allemagne. En outre, les officiers chargés des questions économiques confisquent les machines-outils du consortium d’armement de Bodsakis et une grande partie du matériel roulant du chemin de fer.

     

    > Cependant le butin le plus considérable reste le tabac. Sous la direction du manager de Reemtsma, Otto Lose, toute la récolte de 1939 et 1940 est confisquée et transportée vers l’Allemagne. Il s’agit de 85.000 tonnes de tabac d’Orient, soit l’équivalent de 175 millions de Reichsmarks. Cette quantité suffit pour approvisionner l’Allemagne en cigarettes pendant une année entière et leur vente génère un revenu fiscal de 1,4 milliards de Reichsmarks.

     

    > Comme contrepartie pour ces « achats », la 12ème armée délivre soit des certificats de livraison qui contiennent la promesse de paiement après la guerre, ou paye avec des « bons de caisse de crédit », moyen de paiement de la Wehrmacht, indexé sur les prix de 1939. Ces paiements ou promesses de paiement fictifs doivent être refinancés soit en liquide (drachmes), soit en crédits par le gouvernement de collaboration du général Tsolakoglu installé le 30 avril 1941. Ce gouvernement se voit donc contraint de faire marcher la planche à billets, de surendetter l’État et de gonfler le déficit du bilan de la banque centrale grecque. C’est le premier pas dans l’hyperinflation, revers des expéditions de pillage. La chute ainsi provoquée de l’économie grecque est d’autant plus accélérée que l’industrie de transformation perd son approvisionnement en matières premières et doit réduire sa production.

     

    > Avec ce pillage économique planifié, les conditions économiques se dégradent dramatiquement. La drachme est dévaluée deux fois. En août 1941, un premier paiement de trois milliards de drachmes mensuels est imposé à la banque centrale grecque pour rembourser les frais d’occupation. Cette politique ouvre définitivement les vannes économiques du pays. La Wehrmacht considère désormais la Grèce comme un tremplin pour ses opérations en direction de l’Afrique du Nord et du canal de Suez, et les frais de ravitaillement et de logistique augmentent drastiquement. Ils sont inclus entièrement dans les frais d’occupation. En raison de l’hyperinflation naissante les prix de l’alimentation augmentent rapidement : ils doublent avant la fin de l’année 41 et sont multipliés par 4 à 5 entre 1942 et début 1944. L’activité du secteur agro-alimentaire se réduit alors très fortement. La famine s’installe.

     

    > Dans les grandes et moyennes villes, près de 100 000 personnes meurent de faim ou de maladies liées à la faim à l’hiver 1941/42. Pour la plupart, les victimes sont des enfants et des personnes âgées issues de classes sociales populaires. Toute personne qui le pouvait, s’enfuyait dans les régions villageoises pour y vivre d’une économie de subsistance. Cette migration interne et massive vers les campagnes vient soutenir la résistance qui commence à s’organiser rapidement.

     

    > Bilan des destructions

     

    > Quand les Allemands se retirent de Grèce, à partir d’octobre 1944, ils ne laissent pas seulement un pays ruiné économiquement mais aussi en grand partie détruit. Ce sont en tout six facteurs qui détruisent le potentiel économique de la Grèce pendant l’occupation allemande :

     

    > Premier facteur : les pillages pendant la première phase d’occupation. Ils atteignent en valeur un montant d’au moins 750 millions de Reichsmarks. Les confiscations continuent cependant au-delà de cette période. Ainsi au plus tard à partir de l’été 1943, il est devenu habituel de piller systématiquement les villages qu’on prévoie de détruire.

     

    > Deuxième facteur : le pillage du fait des rapports d’échange inégaux lors des « achats » de la Wehrmacht et des « remboursements » qui s’en suivent. Il y a de bonnes raisons d’estimer que la dette allemande liée à ces opérations menées jusqu’à l’automne 1944 est d’au moins 125 millions de Reichsmarks.

     

    > Troisième facteur : les dépenses extorquées au régime de collaboration grec pour frais d’occupation et coûts de projets d’infrastructure militaires. Une estimation du ministère des finances du IIIe Reich parle d’un montant de 500 millions de Reichsmarks pour l’année budgétaire 1943. En partant de cette donnée, il est possible de décompter pour les 3 ans et demi d’occupation – y compris l’emprunt obligatoire imposé à la banque centrale grecque – un montant total d’environ 1,75 milliard de reichsmarks.

     

    > Quatrième facteur : l’exportation de matières premières stratégiques qui fait suite à la première phase de pillage par l’industrie minière grecque sous contrôle allemand. Elle couvre une partie importante des besoins allemands comme par exemple pour le minerai de chrome et la bauxite et atteint une ampleur considérable d’après le rapport final de la direction de l’industrie de l’armement de la Wehrmacht pour la Grèce de septembre 1944.

     

    > Cinquième facteur : la destruction d’une partie considérable de l’économie dans le cadre des mesures de terreur et de la pratique de la terre brûlée lors des opérations de retraite. Les représailles contre les région contrôlées par la résistance armée entraîne la destruction de 1.600 localités – des villages, hameaux et petites villes. Plus de 100.000 maisons sont ainsi incendiées. À la date de la retraite allemande environ 400.000 habitant.e.s sont sans-abris. Si nous estimons la valeur marchande moyenne de chaque bâtiment détruit à 10.000 reichsmarks, alors cela équivaut à une somme d’un milliard de reichsmarks. Il faut y ajouter les vastes destructions des infrastructures routières et ferroviaires visées systématiquement par les troupes allemandes pendant leur retraite.

     

    > Sixième facteur : la perte de vies humaines qui ne peuvent jamais vraiment être dédommagées par aucun geste, si généreux soit-il. Sur 6,933 millions de personnes avant le début de l’occupation, au total 520.000 personnes de nationalité grecque meurent, victimes de l’attaque allemande. Au moins 125.000 de ceux-ci meurent de faim. Environ 100.000 personnes grecques sont assassinées dans les camps de concentration allemands. 60.000 Juives, Juifs et Roms sont tué.e.s dans le cadre de la Shoah. Les rafles dans les grandes villes et les massacres dans les régions villageoises, par les militaires allemands et la police tuent 56.000 individus supplémentaires.

     

    > La question des réparations

     

    > Après la libération, des économistes et des experts de la banque centrale grecque commencent à faire le bilan des conséquences économiques de l’occupation allemande. Leurs constatations sont adressées à la conférence de réparation interalliée qui siège autour du nouvel an 1945/46 à Paris. Les résultats en sont, le 14 janvier 1946, une convention de réparation et la fondation d’une agence de réparation (IARA) inter-alliée. Pour les pourparlers sur les réparations envers la Grèce, ce sont avant tout deux expertises qui sont significatives.

     

    > A. Angelopoulos estime que les frais d’occupation ont soutiré 4,050 milliards de dollars US à l’économie grecque et que les dégâts causés à l’ensemble de l’économie sont de 3,172 milliards de dollars US, ce qui revient à un montant total de 7,222 milliards de dollars d’US sur la base du pouvoir d’achat du dollar US de 1938. Au contraire A. Sborounis, chef de la délégation grecque, pose une estimation totale de 12 milliards de dollars d’US, également sur la base de 1938. Finalement, le gouvernement grec s’accorde sur une somme de réparations de 10,45 milliards de dollars US.

     

    > Le montant global convenu lors des pourparlers de Paris, de l’ordre de 7,1 milliards de dollars US, constitue un socle inattaquable en droit international pour toutes les discussions ultérieures. Certes, cette convention de réparation de Paris a été suspendue de fait par la convention de sur la dette de Londres de 1953, mais elle n’a jamais été annulée. Donc, puisque le pouvoir d’achat du dollar US a diminué entre 1938 et 2010 en raison de la dévalorisation continue selon le facteur 15, les droits de réparation pour la Grèce définis par la conférence de Paris se montent à 106,5 milliards de dollars US en 2010.

     

    > La convention sur la dette de Londres de février 1953 a prorogé les demandes de réparation qui avaient été adoptées sept ans plus tôt. Ces demandes ont été adressées d’abord en 1946 à la zone d’occupation interalliée, puis plus tard à la RFA, et sont reprises finalement dans la perspective de l’adoption d’un traité de paix avec une future Allemagne unifiée1. Après de longues négociations, le gouvernement grec obtient en mars 1960 un versement unique de 115 millions de Deutschmarks. Dans le compte rendu de ces accords, le gouvernement grec anticipe et spécifie que cela ne signifie pas que les revendications de réparations sont satisfaites.

     

    > Au moment de l’annexion de la RDA par la RFA, la question des réparations resurgit. Ceux qui s’attendaient à ce qu’une nouvelle convention (avec des règles contraignantes) soit élaborée sur cette question ont été déçus. Certes, l’accord de septembre 1990 entre les quatre alliés principaux et les deux Etats allemands, ratifié à la veille de l’unification, équivaut très certainement à un traité de paix, mais il ne dit rien sur les réparations.

     

    > Une facture encore largement due

     

    > Le paiement global de 115 millions de deutschmarks de 1960 de la RFA à la Grèce vise uniquement à dédommager les personnes persécutées pour raison raciale et politique. Même si le versement exclut du dédommagement les descendants des victimes de massacres et de la famine, il a le caractère d’une réparation du fait de son mode de transfert interétatique et parce qu’il répond aux réparations individuelles mentionnées dans l’accord de Paris de 1946. Ainsi, en 1960, 27,578 millions de dollars US supplémentaires sont payés à la Grèce en accord avec les taux de changes de l’époque. Comme l’index d’inflation pour la période entre 1960 et 2010 est de 7,35, cela correspond à une somme d’environ 202,7 millions dollars US sur la base du pouvoir d’achat de 2010.

     

    > En revanche, le deuxième paiement de dédommagement de 2003 se déroule hors du cadre d’un contrat bilatéral. Il est versé, dans le cadre de la fondation « souvenir, responsabilité et avenir » au bénéfice d’un groupe spécifique, les personnes victimes du travail forcé en Grèce. Puisque notre base de référence, la convention de réparation de 1946, ne prévoit pas la division des dédommagements de la guerre entre les réparations dues à l’Etat et celles dues à des personnes privées, nous ne devons pas exclure ces paiements. 20 millions d’euros ont été payés aux victimes de travail forcé en Grèce. Ce qui équivaut à 22,588 millions de dollars US selon le taux de change de 2003. Il faut aussi prendre en compte l’index d’inflation (1,19) pour la période allant de 2003 à 2010, ce qui fait que le remboursement effectué en 2003, calculé sur la base du pouvoir d’achat de 2010, peut être estimé à 26,9 millions de dollars US.

     

    > Si on additionne ces trois versements partiels, calculés sur la base du pouvoir d’achat de 2010, on arrive à un sous-total de 1,954 milliards de dollars US. Cette somme doit être soustraite de la somme totale fixée en 1946 (106,5 milliards de dollars US sur la base du pouvoir d’achat de 2010). Il s’agit ainsi de 104,546 milliards de dollars US ou de 78,844 milliards d’euros (toujours sur la base du pouvoir d’achat de 2010). Depuis l’euro a été dévalorisé considérablement et cette tendance continue à moyen terme. La dette de réparation allemande se monte donc actuellement à 98,503 milliards d’euros. Nous pouvons ainsi estimer la dette de réparation à, au moins 90 milliards d’euros.

     

    > Ressentiments populistes

     

    > En Allemagne ces calculs vont très certainement être perçus comme scandaleux par la majorité de la population. Le premier argument à réfuter concerne les accords de réparation de Paris de 1946. Datant de près de 70 ans, il seraient ainsi de « l’histoire ancienne », alors même que d’un point de vue de droit international, ils n’ont de fait jamais été annulés. A contrario, en raison des accords de Londres, les dettes allemandes dues à des créanciers privés, qui remontent parfois à 1924, ont été amorties jusque dans les années 1980. Dans le même ordre d’idées, alors que le paiement des intérêts sur les réparations de la première guerre mondiale par la RFA avait été ajourné lors de la convention de Londres, du fait de la partition de l’Allemagne, le fisc allemand a postérieurement repris les paiements jusqu’au 3 octobre 2010 – soit presque un siècle après la fin de la première guerre. L’argument du gouvernement fédéral qui vise donc à refuser les demandes de réparation grecques au nom d’un délai sans précédent paraît bien cynique si l’on remonte l’histoire des réparations.

     

    > Deuxièmement, il faut rappeler que ces calculs sont basés sur des estimations et des montants minimaux. Mais comme les réparations doivent toujours prendre en compte en plus des biens et services volés, les salaires et revenus soustraits, il faudrait y ajouter un calcul sur la base de l’index des salaires et de l’index des produits sociaux et d’en estimer une valeur moyenne. Dans ce cas les réparations dues seraient encore plus importantes.

     

    > Une troisième série d’arguments provient de mots d’ordre populistes : Est-ce que les petit.e.s contribuables et les retraité.e.s allemand.e.s qui vivent déjà pauvrement devraient payer pour les demandes de réparations de la Grèce ? Aux côté de la banque impériale allemande (Deutsche Reichsbank), des services fiscaux de l’époque (Reichfiskus), des groupements économiques et des commandements économiques de la Wehrmacht ,ce sont avant tout les grandes entreprises qui ont organisé et profité du pillage de la Grèce. Elles existent encore aujourd’hui. ThyssenKrupp, l’industrie du tabac, Siemens, des entreprises de construction de premier plan et des grandes banques. Tout autant que la Deutsche Bundesbank (qui assume la succession juridique de la Deutsche Reichsbank), elles devraient se voir également présenter la facture. Un prélèvement généreux sur les réserves d’or de la banque fédérale allemande ainsi que sur la fortune des responsables historiques envers une Grèce ébranlée par la crise serait un signal essentiel.

     

    > Ce texte est une synthèse du livre Griechenland am Abgrund. Die deutsche Reparationsschuld (La Grèce au bord du gouffre, les dettes de réparation allemande) de Karl Heinz Roth publié dernièrement aux éditions VSA-Verlag.

     

    > Il a été publié en allemand dans le journal AK – analyse & kritik. Zeitung für linke Debatte und Praxis / Nr.606 / 16.6.2015 https://www.akweb.de/

     

    > Traduit par Aurélie Audeval et Jan Wörlein

     

    Image en bandeau : Walther von Brauchitsch, commandant en chef de la Wehrmacht visite l’acropolis en 1941 pendant l’occupation allemande de la Grèce.

     

    • 1. NdT : Les traités de paix post-guerre ont été rédigés comme des traités provisoires, du fait de la partition de l’Allemagne. Avec la réunification, ces traités auraient donc du être réexaminés.
    Lien permanent Catégories : Grèce, Histoire 0 commentaire
  • 6 juin : commémoration ou mystification

    Par leur caractère unilatéral, les commémorations de  l’anniversaire du débarquement sont en train d’installer, dans la conscience collective des jeunes générations, une vision mythique, mais largement inexacte, concernant le rôle des États-Unis dans la victoire sur l’Allemagne nazie et leurs intentions réelles au cours de la seconde guerre mondiale. À partir du travail de Nico Hirtt, enseignant et écrivain et celui de Annie Lacroix-Riz, historienne, essayons de nuancer cette approche.

    L’image véhiculée par les innombrables reportages, interviews d’anciens américains, films et documentaires sur le 6 juin, est celle d’un tournant décisif de la guerre. Or, tous les historiens vous le diront : le Reich n’a pas été vaincu sur les plages de Normandie mais bien dans les plaines de Russie.

     

    Les faits et les chiffres

    Quand les Américains et les Britanniques débarquent sur le continent, ils se trouvent face à cinquante-six divisions allemandes, disséminées en France, en Belgique et aux Pays Bas. Au même moment, les soviétiques affrontent cent-quatre-vingt-treize divisions, sur un front qui s’étend de la Baltique aux Balkans. La veille du 6 juin, un tiers des soldats survivants de la Wehrmacht ont déjà enduré une blessure au combat et 11% ont été blessés deux fois ou plus. Ces éclopés constituent, aux côtés des contingents de gamins et de soldats très âgés, l’essentiel des troupes cantonnées dans les bunkers du mur de l’Atlantique. Les troupes fraîches, équipées des meilleurs blindés, de l’artillerie lourde et des restes de la Luftwaffe, se battent en Ukraine et en Biélorussie. Au plus fort de l’offensive en France et au Benelux, les Américains aligneront quatre-vingt-quatorze divisions, les Britanniques trente et une, les Français quatorze. Pendant ce temps, ce sont quatre-cent-quatre-vingt-une divisions soviétiques qui sont engagées à l’Est.

     

    Une Allemagne déjà vaincue

    Mais surtout, au moment du débarquement allié en Normandie, l’Allemagne est déjà virtuellement vaincue. Sur 3,25 millions de soldats allemands tués ou disparus durant la guerre, deux millions sont tombés entre juin 1941 (invasion de l’U.R.S.S.) et le débarquement de juin 1944. Moins de cent-mille étaient tombés avant juin 41. Et sur les 1,2 millions de pertes allemandes après le 6 juin 44, les deux tiers se font encore sur le front de l’Est. La seule bataille de Stalingrad a éliminé (destruction ou capture) deux fois plus de divisions allemandes que l’ensemble des opérations menées à l’Ouest entre le débarquement et la capitulation. Au total, 85% des pertes militaires allemandes de la deuxième guerre mondiale sont dues à l’Armée Rouge (il en va différemment des pertes civiles allemandes : celles-ci sont, d’abord, le fait des exterminations opérées par les nazis eux-mêmes et, ensuite, le résultat des bombardements massifs de cibles civiles par la R.A.F. et l’U.S.A.F.)

     

    Le mérite individuel et celui des nations

    Le prix payé par les différentes nations est à l’avenant. Dans cette guerre, les États-Unis ont perdu 400.000 soldats, marins et aviateurs et quelques 6.000 civils (essentiellement des hommes de la marine marchande) Les Soviétiques quant à eux ont subi,  selon les sources, 9 à 12 millions de pertes militaires et entre 17 et 20 millions de pertes civiles. On a calculé que 80% des hommes russes nés en 1923 n’ont pas survécu à la Deuxième Guerre Mondiale. De même, les pertes chinoises dans la lutte contre le Japon — qui se chiffrent en millions — sont infiniment plus élevées et infiniment moins connues que les pertes américaines.

    Ces macabres statistiques n’enlèvent bien évidemment rien au mérite individuel de chacun des soldats américains qui se sont battus sur les plages d’Omaha Beach, sur les ponts de Hollande ou dans les forêts des Ardennes. Chaque G.I. de la Deuxième guerre mondiale mérite autant notre estime et notre admiration que chaque soldat russe, britannique, français, belge, yougoslave ou chinois. Par contre, s’agissant non plus des individus mais des nations, la contribution des Etats-Unis à la victoire sur le nazisme est largement inférieure à celle que voudrait faire croire la mythologie du Jour J. Ce mythe, inculqué aux générations précédentes par la formidable machine de propagande que constituait l’industrie cinématographique américaine, se trouve revitalisée aujourd’hui, avec la complicité des gouvernements et des médias européens...

     

    Savoirs élémentaires

    Alors, bien que désormais les cours d’histoire de nos élèves se réduisent à l’acquisition de « compétences transversales » il serait peut-être bon, pour une fois, de leur faire « bêtement » mémoriser ces quelques savoirs élémentaires concernant la deuxième guerre mondiale : c’est devant Moscou, durant l’hiver 41-42, que l’armée hitlérienne a été arrêtée pour la première fois, c’est à Stalingrad, durant l’hiver 42- 43, qu’elle a subi sa plus lourde défaite historique, c’est à Koursk, en juillet 43, que le noyau dur de sa puissance de feu — les divisions de Panzers — a été définitivement brisé (500.000 tués et 1000 chars détruits en dix jours de combat !) Pendant deux années, Staline a appelé en vain les anglo-américains à ouvrir un deuxième front et enfin, lorsque l’Allemagne est vaincue, que les soviétiques foncent vers l’Oder, que la Résistance - souvent communiste - engage des révoltes insurrectionnelles un peu partout en Europe, la bannière étoilée débarque soudain en Normandie...

     

    Le Pax Americana et l’U.R.S.S.

    Essayons maintenant modestement d’aller sur le terrain plus polémique des réelles motivations des dirigeants américains lors de cette deuxième guerre mondiale. L’histoire officielle nous dit que l’armée américaine est venue libérer l’Europe de l’Ouest de la férule du IIIème Reich mais d’autres historiens soutiennent une idée différente. Selon eux c’est l’U.R.S.S., en fait l’instrument militaire de la victoire contre le Reich, qui était la cible de cette future guerre de conquête. Car la guerre froide née en 1917 - et non en 1945 - avait déjà des fondements bien plus économiques qu’idéologiques et dès cette époque, l’impérialisme américain ne supportait aucune limitation à sa sphère d’influence mondiale. Or les Soviets avaient eu l’outrecuidance de soustraire leur immense territoire (22 millions de km2) aux capitaux américains et comptaient exploiter eux-mêmes leurs richesses naturelles. Chez les dirigeants américains, de Théodore Roosevelt à Franklin Roosevelt, en passant par Wilson, Hugues et Hoover, avait progressivement germé l’idée de la nécessité d’un nouveau partage du monde. Pour Washington, ce nouveau partage du monde devait se faire à son bénéfice exclusif, raison pour laquelle Roosevelt mit son veto à toute discussion en temps de guerre avec Staline et Churchill sur la répartition des « zones d’influence » à l’issue du conflit. Dans son idée, l’arrêt des armes était censé lui assurer la victoire militaire à très faible coût, vu l’état pitoyable de son grand rival russe ravagé par l’assaut allemand. Ainsi en février 1944, le milliardaire Harriman, ambassadeur à Moscou depuis 1943, écrivait : « l’U.R.S.S., appauvrie par la guerre et à l’affût de notre assistance économique, n’aura même pas la force d’empiéter sur l’Est de l’Europe, bientôt américaine… » Pronostic d’un optimisme excessif…

     

    La Pax Americana et la France

    Les contours de cette future Pax Americana sont apparus très clairement à l’oligarchie financière française dès la fin 1941. Bien représentée outre-mer par des dirigeants de sociétés pétrolières (Lemaigre-Dubreuil) ou par des présidents de banques (Paul Baudouin) elle négocia avec le financier Robert Murphy délégué de Roosevelt en Afrique du Nord. Ces pourparlers secrets ont été tenus en zone non-occupée et inclurent des pro-hitlériens comme Salazar et Franco, sensibles aux sirènes américaines mais aussi les Suisses, les Suédois et le Vatican aussi soucieux qu’en 1918 d’assurer une paix douce au Reich vaincu. Quels étaient leurs buts ?

     

    Apparemment de deux ordres. D’abord, évincer De Gaulle – avec l’aide des cagoulards vichystes comme Weygand, Darlan et aussi Giraud-, non parce qu’il était potentiellement pour Roosevelt, un dictateur militaire, mais parce qu’il tirait sa popularité de la résistance intérieure et principalement communiste. À ce titre il pouvait entraver la mainmise totale des États- Unis sur le territoire français et la suite prouva la justesse de cette prévision. Ensuite, éviter le pire des scénarios : subir les soviets. Cette éventualité était en effet redevenue crédible à l’issue de la bataille de Stalingrad. Les financiers français ont donc dépêché le dévoué Emmanuel Suhard pour demander à Pie XII de poser à Washington -via Myron Taylor, représentant personnel de Roosevelt auprès du pape - la question suivante qui semble bien représentative des inquiétudes de la bourgeoisie de l’époque : « Si les troupes américaines sont amenées à pénétrer en France, le gouvernement de Washington s’engage –t-il à ne pas laisser le communisme s’installer en France ? ».

     

    Les citoyens  les plus curieux et les moins perméables à la propagande pro-américaine ne manqueront pas de se poser quelques questions troublantes mais qui mériteraient de longs développements. Pourquoi les bombardements stratégiques américains, ininterrompus depuis 1942 frappaient les populations mais épargnaient les entreprises partenaires, I.-G. Farben en tête ? Les anglo-saxons craignaient-ils de voir finir la guerre trop vite, avant que leurs concurrents commerciaux et l’ensemble de la classe ouvrière ne soient dans un état de détresse et de misère qui rende impossible toute revendication sociale d’inspiration collectiviste ? Enfin, face à la question « Quelle est selon vous la nation qui a le plus contribué à la défaite allemande ? » pourquoi la population française répondait en mai 1945 : les Etats-Unis à 20% et l’U.R.S.S. à 57 % alors qu’en 2004 ce pourcentage s’était inversé ?

     

    Lien permanent Catégories : Histoire 0 commentaire