Loi Macron : « Il faut abandonner le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif »
Le Monde.fr Par Collectif
Les premiers signataires
Bruno Amable (Paris 1), Jérôme Bourdieu (INRA), Laurent Cordonnier (Lille-1), Thomas Dallery (Littoral côte d’opale), Christine Erhel (Paris-1), Baptiste Françon (Lorraine), Anne Fretel (Lille-1), Jérôme Gautié (Paris-1), Mathilde Guergoat-Larivière (CNAM), Stéphane Gonzalez (Paris-1), Florence Jany-Catrice (Lille-1), Dominique Méda (Paris-Dauphine), Michel Lallement (CNAM), Stefano Palombarini (Paris-8), Bénédicte Reynaud (CNRS), Damien Sauze (Université de Bourgogne), Evelyne Serverin (CNRS), Elvire Szlapczynski (Paris-1), Julie Valentin (Paris-1), Hélène Zajdela (Paris-Nord), Michaël Zemmour (Université Lille-1)…
Pour accéder à la liste complète, rendez-vous sur le site dédié à l’abandon du plafonnement des indemnités pour licenciement abusif: https://abandonmesuremacron.wordpress.com/
La loi « Croissance, activité et égalité des chances économiques », dite loi Macron, dont la discussion s’achève au Parlement, contient de nombreuses dispositions tout à fait contestables et largement contestées.
Parmi les motifs d’inquiétude, on retiendra l’introduction, par amendement gouvernemental, d’un plafonnement des indemnités dues en cas de licenciement reconnu dénué de cause et réelle et sérieuse. Cette mesure, déjà envisagée par les signataires de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008, est lourde de menaces pour la relation salariale comme pour l’emploi.
En effet, ce plafonnement est de nature à encourager les comportements abusifs, en délivrant aux employeurs peu scrupuleux une forme d’autorisation de licencier sans motif. D’un point de vue juridique, la mesure revient à supprimer le droit des salariés victimes des agissements abusifs de leur employeur à obtenir réparation de l’ensemble de leurs préjudices. L’intérêt pour l’employeur n’est pas tant de « lever l’incertitude » (les tribunaux ne sont pas moins prévisibles que le marché), que de ne pas assumer le coût complet du dommage qu’il cause.
Les seniors particulièrement pénalisés
En pratique, la mesure pénalisera tout particulièrement les salariés qui subissent les préjudices les plus lourds, comme les seniors, notamment les cadres, dont le licenciement peut être à l’origine d’une coûteuse reconversion, d’une longue période de chômage ou d’une baisse durable de revenu. De ce point de vue cette mesure fonctionnera comme une incitation perverse, puisqu’elle permettra aux employeurs fautifs de faire supporter les conséquences de leurs pratiques par l’ensemble des entreprises par le biais de l’assurance chômage.
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Paradoxalement, cette mesure est soutenue au nom de l’emploi, par des arguments économiques qui ne résistent pas à l’examen : dire que l’abaissement du coût du licenciement abusif encouragerait l’embauche et réduirait le chômage est tout simplement faux.
Rappelons d’abord que le chômage persistant s’explique essentiellement par le manque d’activité économique, renforcé par les politiques d’austérité françaises et européennes, non par le droit du travail. Les comparaisons internationales n’établissent d’ailleurs aucun lien univoque entre niveau d’emploi et protection des salariés ; dans bien des cas, au contraire, la protection de l’emploi a permis de freiner l’augmentation du chômage en période de crise, notamment en France.
Un prix maximal non dissuasif
Ensuite, cette mesure n’a aucune incidence sur les ruptures justifiées. De très nombreuses dispositions existent déjà pour les entreprises qui souhaitent licencier pour des motifs économiques réels, avec un risque contentieux qui ne dépasse pas 2,5 % des cas. L’employeur peut également licencier un salarié qui commet une faute ou n’est pas apte à remplir sa fonction. Enfin, la rupture conventionnelle, largement utilisée, permet d’ores et déjà d’encadrer le coût des ruptures acceptées par le salarié. Pourquoi alors faciliter les licenciements abusifs ?
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D’un point de vue économique, la mesure revient à fixer un prix maximal, non dissuasif, à n’importe quel licenciement. Un tel changement bouleversera la relation d’emploi, en plaçant le salarié dans une situation d’incertitude permanente : comment envisager, par exemple, dans ces conditions de refuser des heures supplémentaires ou de travailler le dimanche ? Comment ne pas accepter des tâches qui ne relèvent pas du poste ? Alors que les signes de souffrance au travail de tous ordres ne cessent d’augmenter, est-il vraiment urgent de diminuer les droits qui permettent encore aux salariés de discuter leurs conditions de travail ?
Si le gain pour l’emploi est purement hypothétique, le risque de favoriser les abus et de dégrader encore la qualité de l’emploi et les relations sociales est bien réel. Il est urgent d’abandonner cette mesure.