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Europe - Page 14

  • GRÈCE: Le discours d’ Alexis TSIPRAS au Comité Central de SYRIZA

     

    sources : Lucien Pons

     

    Publié par Michel El Diablo

     

    Camarades,
    Nous sommes au début d’un long et difficile combat, unis non seulement par le programme sur lequel le peuple grec nous a accordé sa confiance, mais aussi par les principes, les valeurs fondamentales, les idées et l’histoire de la gauche, par notre volonté de servir le peuple et le pays, par nos relations franches et ouvertes avec les travailleurs, avec ceux qui créent et inventent l’avenir par notre attachement à la démocratie et à la justice sociale, par la mobilisation solidaire du peuple autour de revendications mûres, qui donnent son vrai sens au mot progrès.

     


    Et pour qu’il n’y ait pas de confusion – je tiens à dire clairement que :
    Si nous représentons le nouveau, le « sans précédent », l’espoir de changement, cela ne signifie pas pour autant que nous sommes nés de la dernière pluie. Nous avons l’ancienneté et l’expérience de notre parti, de ses combats, de sa longue histoire.

     


    Nous avons fait nos preuves dans des périodes difficiles. Et aujourd’hui, quoi qu’il arrive, nous n’allons pas transiger avec nos principes et nos valeurs, ni reculer devant les difficultés en trahissant nos engagements.

     


    Tous ceux qui l’espèrent seront déçus.

     


    Et laissez­-moi vous rappeler un conseil de nos maîtres à penser l’émancipation sociale : Notre combat politique a comme point de départ des principes et des valeurs immuables mais il ne les vide pas de leur contenu par une aveugle obstination.
    Nous avons toujours été, et nous le sommes encore davantage aujourd’hui, obligés de servir ces principes et valeurs, en élaborant une tactique efficace et intelligente, qui tient compte des rapports de force, des dispositions des travailleurs et du peuple, de notre marge de manoeuvre à chaque instant et à chaque détour, des impératifs de notre pays.

     


    Ce discernement est la vertu principale dans une situation comme celle d’aujourd’hui, où SYRIZA est confronté à un défi sans précédent:
    Promouvoir le changement social et politique, en assumant des responsabilités gouvernementales et non pas en force revendicative d’opposition.

     


    Vous savez ce que cela signifie, camarades.

     


    Cela veut dire que chaque décision, chaque évaluation de nos actes, chaque attitude, chaque position publique a des répercussions non seulement sur l’image actuelle de la gauche et sur son avenir, non seulement sur l’ensemble des mobilisations progressistes, mais aussi sur le présent et le futur de notre pays et de notre peuple.
    C’est une responsabilité inédite, dans une situation entièrement nouvelle.
    Et je suis certain que nous sommes capables d’assumer avec le soutien de notre peuple cette responsabilité.

     


    Camarades,

     


    Cela fait à peine un mois que le peuple grec a confié à SYRIZA un mandat gouvernemental.
     

     

    Un mois qui a bousculé les codes et les vieux usages, les tabous politiques et idéologiques.
     

     

    Et il serait souhaitable de ne pas perdre de vue le tableau d’ensemble:
    Notre pays et notre gouvernement se sont trouvés au centre des préoccupations européennes et mondiales.

     


    La Grèce a cessé depuis les premiers jours du nouveau gouvernement d’être considérée comme un paria, qui reçoit des ordres et applique des mémorandums.

     


    Le peuple grec a le sentiment qu’il retrouve la dignité qui lui a été contestée et outragée.
    L’opposition à l’austérité a été mise au centre de tous les débats.

     


    La crise humanitaire, les personnes qui souffrent, que nous représentons dans les débats, ne sont plus considérés comme de simples chiffres sans dimension humaine.
    Nous avons trouvé des alliés dans notre combat de dénonciation d’une crise auto­alimentée.

     


    Nous avons reconquis le droit fondamental que dispose chaque peuple libre de discuter de son avenir.

     


    De décider de son avenir.
    Nous avons prononcé non pas un, mais plusieurs NON, en quelques jours, malgré les pressions qui sont devenues quelques fois épouvantables en revêtant le caractère du chantage.

     

     

    Et après ces épreuves nous en arrivons à une première conclusion politique :
    Aujourd’hui l’étendue de la liberté d’action de notre gouvernement et de notre pays s’est élargie.

     

     

    L’affranchissement des mémorandums et des désastreuses politiques d’austérité ne sont plus uniquement l’objet d’un désir exalté tel qu’il a été exprimé par le résultat des urnes électorales.
     

     

    Notre gouvernement en a fait un acte politique, en affirmant sa « légitimité » tant au niveau de l’opinion publique européenne qu’au niveau des institutions européennes, par sa mise en œuvre en tant que sujet de négociation et de confrontation politique.
    Et les premiers pas ont été franchis dans la voie de l’affranchissement sur laquelle SYRIZA s’est engagé en assemblant notre peuple.

     

     

    Ce n’est pas pour nous gratifier des compliments ni pour embellir la dure réalité en falsifiant la vérité que nous dressons ce constat politique.
     

     

    Les subterfuges ne trompent pas notre peuple et sont aux antipodes de la culture de notre parti.
     

     

    En revanche, ce constat contribue à l’éclaircissement de notre conduite actuelle et future, puisque l’amélioration de notre position et de la situation d’ensemble nous permettra de revendiquer et d’appliquer l’autre politique que nous souhaitons et nous avons promise.
    Est­ce que les circonstances sont difficiles?
    Oui, des grandes difficultés se dressent devant nous, car tous les jours nous livrons de nouveaux combats et les plus grands sont ceux à venir. Mais nous nous préparons en améliorant nos positions et la situation d’ensemble en vue d’atteindre nos buts.

     

     

    Il est donc clair qu’aujourd’hui : La troïka a pris fin.

     

    Et tant pis, si certains voient la troïka à la place de la Commission européenne ou des institutions européennes et internationales avec lesquelles nous collaborons et nous discutons bien sûr, puisque nous appartenons à la zone euro.
    La troïka en tant que mécanisme de supervision et de domination extra­institutionnel, arbitraire, et sans légitimité démocratique, est formellement terminée.
    Et cette mission a été accomplie par le nouveau gouvernement grec.
    Il est également clair que :
    Les mémorandums appartiennent au passé. Et ceci est attesté par la lecture de fond et de forme de l’accord de prêt puisqu’ils ne font pas partie du texte adopté et parce que les mesures absurdes de l’austérité ne figurent plus dans notre nouvel accord.
    Ce nouvel accord obtenu après une série de négociations difficiles démontre non seulement la persévérance des dogmatiques de l’austérité mais aussi la détermination de notre gouvernement d’en finir avec leurs dogmes.
    Mais je voudrais remarquer que si le comportement des anciens gouvernants qui prétendent que nous continuons dans leur voie paraît plutôt comique, entendre des discours dénonciateurs qui déforment la réalité prononcés par des représentants des forces politiques de la gauche emportés par une naïveté révolutionnaire est en revanche triste et consternant. [….]
    Bien sûr, il y a et il doit y avoir des avis et des jugements différents, des discussions, des réserves, des désaccords.
    Bien sûr, il y a et il y aura des attaques de la part de nos adversaires en Europe et en Grèce.
    Mais nous avons le devoir envers notre peuple, envers les peuples de l’Europe qui nous regardent attentivement avec un sentiment d’espérance, envers les mouvements qui luttent pour le renversement de l’austérité, de dévoiler et de défendre la vérité.

     


    Alors, quelles sont les vérités sur les négociations qui ont conduit à l’accord­pont ?
     

     

    Première vérité : Nous sommes arrivés dans une zone minée. Des pièges nous ont été tendus par les forces conservatrices les plus agressives de l’Europe avec la collaboration du gouvernement Samaras pour provoquer notre naufrage avant même de gouverner.

     


    Leur dessein était l’asphyxie financière et le renversement de notre gouvernement en faisant de la victoire de Syriza une simple parenthèse antimémorandaire.
     

     

    Nous nous sommes trouvés coincés par des délais prémédites très courts.
     

     

    Avec les caisses vides et les banques à court de liquidités.
     

     

    Avec l’héritage des engagements du gouvernement précédant et les accords passés avec ses protecteurs.
     

     

    Avec le couteau de l’asphyxie financière sous la gorge.
     

     

    Ils avaient tout préparé pour entraîner notre naufrage, et celui du pays aussi.
    Mais ils n’avaient pas prévu : 
    que notre victoire serait très proche de la majorité absolue, que nous serions capables de former un gouvernement très rapidement sans avoir recours à eux, que nous aurions un soutien populaire sans précédent après les élections, une mobilisation populaire pour soutenir notre combat pour la dignité et la souveraineté d’une ampleur jamais vue depuis la période de la Résistance Nationale.

     

     

     

    Ces imprévus ont annulé leurs desseins en nous donnant cette marge de liberté qui nous a permis d’éviter de tomber dans leur piège.
     

     

    Deuxième vérité :
    Nous avions prévu avant les élections les difficultés, mais l’estimation théorique des obstacles n’est pas suffisante. Il faut du temps et des moyens de gouvernance pour y faire face.
    Et nous, nous avons dû réagir avant même l’ouverture du nouveau Parlement : Nous n’avions donc aucune autre arme que notre détermination à obéir à la volonté du peuple telle qu’elle a été exprimée dans les urnes.

     

     

    Troisième vérité :
    Nous avions compris à juste titre que la crainte d’une déstabilisation générale causée par l’éventualité d’un échec l’emporterait sur les projets orchestrés par les forces conservatrices en Europe.
     

     

    Cette inquiétude a conduit les grands pays comme la France, les États­Unis, la Chine, et d’autres, dans une position plus positive et responsable par rapport à l’axe de l’austérité européenne en nous permettant de promouvoir nos arguments.
     

     

    Cependant, nous avons dû faire face à un axe de forces politiques animé principalement par les Espagnols et les Portugais, qui pour des raisons politiques évidentes ont tenté de mener les négociations à l’échec, en prenant le risque de créer un incident au niveau international, afin d’éviter des perturbations politiques à l’intérieur de leurs pays.
     

     

    Que pouvons-­nous donc conclure de ces vérités?
     

     

    Il y a eu un projet qui a été fait avec la collaboration du premier ministre grec sortant qui n’a pas hésité au moment où la Grèce entamait des négociations cruciales de signer des résolutions dans le cadre du Parti Populaire Européen à l’encontre de son propre pays.
     

     

    Ce projet visait et vise toujours à conduire le gouvernement à l’impuissance ou à la capitulation avant que celui­ci fasse la preuve de ses capacités, avant que le paradigme grec ait des répercussions sur le rapport de forces politiques dans d’autres pays, et surtout avant les élections en Espagne. C’est à dire : créer des pressions qui nous conduisent à des concessions inacceptables sous la menace de l’asphyxie financière. Provoquer la déception afin de nous priver du soutien populaire. Utiliser l’asphyxie financière pour susciter le mécontentement populaire.
     

     

    Leur objectif était de nous obliger à participer à une formation gouvernementale d’une moralité et d’une légitimité politique douteuse à l’instar du gouvernement Papadimos.
     

     

    Ou alors de nous renverser en mettant une fin à nos revendications politiques qui leur font tant peur.
     

     

    Laissez-­moi, là encore, ajouter un commentaire: Ces projets qui visaient à conduire non seulement SYRIZA mais aussi la Grèce « sur le lit de Procuste » étaient fondés sur la surestimation aveugle de leur force, sur l’incompréhension des données concrètes concernant la Grèce et la force de sa gauche, sur la sous­estimation de notre détermination et de notre résilience.
     

     

    Habitués à des échanges avec des représentants serviles de l’establishment mémorandaire, ils ont été surpris par notre NON prononcé à la première réunion de l’Eurogroupe. Et fort irrités par notre deuxième NON à la réunion suivante, ils ont lancé un ultimatum. Mais notre refus de céder au chantage de l’ultimatum a mobilisé d’autres forces politiques européennes qui sont intervenues en défendant la voie de la raison.
     

     

    Notre peuple aussi est intervenu efficacement en manifestant et en se mobilisant. Une vague de soutien international a été suscitée d’une ampleur jamais vue depuis l’époque de la dictature.
     

     

    Et c’est ainsi que nous sommes arrivés à un compromis qui nous a permis de retrouver notre souffle et d’éviter les pires scénarios qui auraient des conséquences désastreuses aussi bien pour la Grèce que pour l’Europe.
    [….]

     

     

    Camarades,
    permettez moi de vous rappeler les objectifs principaux de cette négociation : La dissociation de l’accord de prêt des mémorandums.
     

     

    Un accord­ pont intermédiaire qui nous offre le temps et l’espace nécessaires pour mener la négociation principale qui porte sur la dette publique et appliquer une politique de croissance en dehors du marécage de l’austérité.
     

     

    Mais ce n’est pas seulement le piège tendu que nous avons réussi à éviter. Nous avons obtenu la fin formelle et matérielle du mémorandum.
     

     

    Les exigences [de la troïka] dictées par courrier électronique à [l’ ancien ministre des finances] Hardouvelis ont disparues de la table des négociations. – Et vous vous rappelez du caractère et la dureté de ces mesures!
    Nous avons obtenu la fin de la troïka.

     

     

    A partir de maintenant, nous ne traiterons plus nos affaires avec des employés, mais avec la Commission et les institutions qui par leur caractère proprement politique sont obligées dans le cadre de leurs fonctions et de leurs entretiens d’adopter des critères qui ne sont pas exclusivement technocratiques mais aussi politiques.
     

     

    Nous avons obtenu la fin des excédents irréalistes et inatteignables qui sont le synonyme et la base de l’austérité et nous avons pu protéger les banques.

     

    Ainsi, les banques sont restées ouvertes et la sécurité du système financier dans son ensemble a été préservée.
     

     

    Camarades,
    Nous n’avons pas d’illusions. D’ailleurs, nous n’avons le droit d’en avoir.
    «Nul répit, pas d’interruption, pas de trêve».

     

     

    Nous n’en sommes qu’au commencement.
     

     

    Nous avons franchi le premier pas, mais plein d’autres questions nous attendent:
     

     

    Augmenter les revenus des fonds publics.
     

     

    Remettre debout une société ravagée par cinq années de sévices.
     

     

    Surmonter les pressions et les chantages qui seront encore exercés sur notre gouvernement.
     

     

    Nous sommes conscients de nos responsabilités et notre combat sera long et constant.
    Mais je suis optimiste et je crois que nous pouvons surmonter tous les obstacles en profitant du « souffle » que nous avons obtenu pour matérialiser rapidement nos engagements prioritaires.

     

     

    En coordonnant toutes nos forces, avec le soutien du peuple, avec l’énergie de notre volonté et de notre travail assidu, nous pourrons transformer l’accord de prêt en tête de pont vers le grand changement.
     

     

    Vous savez que nombreux sont ceux qui ont misé sur un troisième mémorandum avant fin Juin.
     

     

    Ils seront démentis une fois de plus.
    Les mémorandums sous n’importe quelle forme possible ont pris fin le 25 Janvier.

     

     

    Ce que nous cherchons – et ce à quoi nous nous préparons en employant toutes nos capacités – est d’arriver avec nos partenaires à un accord mutuellement acceptable qui permet de dégager définitivement notre pays d’une tutelle aussi étouffante qu’humiliante.
     

     

    Un accord qui rendra socialement durables nos engagements financiers en nous permettant de renouer avec la croissance, la normalité et la cohésion sociale.
    Nous entrons maintenant à une période de travail constructif.

     

     

    Hier, j’ai annoncé au Conseil des ministres le dépôt des premiers projets de loi pour inverser la situation actuelle.
     

     

    Le premier projet concerne les mesures qui seront prises pour remédier à la crise humanitaire.
     

     

    Le deuxième concerne le règlement des dettes échues envers l’État et les fonds publics.
     

     

    Le troisième concerne la protection de la résidence principale et sera déposé dès la semaine prochaine, afin de mettre un terme à l’angoisse de centaines de milliers de nos concitoyens, des travailleurs et des retraités qui risquent de perdre leur maison.
     

     

    La semaine prochaine également, le jeudi 5 Mars, nous déposerons le projet de loi pour la réouverture de ERT [radio télévision publique].
     

     

    En même temps, nous déposerons une proposition concernant la création d’une commission d’enquête, afin d’examiner les raisons et les circonstances exactes qui ont conduit notre peuple dans cette mésaventure.
     

     

    Voilà les premières interventions parlementaires et législatives de notre gouvernement de salut social.
    Et nos réformes législatives vont se poursuivre jusqu’à l’éradication complète des problèmes de l’opacité de la vie publique, de la corruption et des conflits d’intérêts.
    Toutefois, l’œuvre gouvernementale ne peut pas se limiter à l’œuvre législative.
    Dès la semaine prochaine nous commençons un marathon de réformes afin de rationaliser
    l’administration publique et faciliter la vie des citoyens.
    Ces premières mesures illustrent déjà les principes de l’orientation générale de nos réformes.
    Mais je voudrais aussi parler d’une autre mesure phare qui manifeste de façon exemplaire le passage à la période postmémorandaire : Nous avons décidé de révoquer le permis de recherches et d’exploitation de l’usine de Skouries afin de défendre, de la manière la plus efficace possible, deux grandes priorités de notre gouvernement: l’environnement et l’intérêt public.
    Et notre réponse aux réactions suscitées par notre décision est simple et sans équivoque:
    Si le peuple nous a accordé sa confiance, c’est parce que pour nous, les employés, le
    développement productif progressif, l’environnement et l’intérêt public, sont au­dessus des intérêts commerciaux, aussi grands qu’ils soient et aussi importants qu’ils soient leurs réseaux d’influence.
    Camarades
    Face au changement de circonstances que faire?
    Notre œuvre gouvernementale sera déterminante pour l’avenir de notre pays.
    Mais le rôle de notre parti est aussi essentiel.[….] Nous avons besoin d’un parti qui surveille et critique notre action tout en faisant preuve de responsabilité, d’un esprit méthodique qui juge en tenant compte de tous les paramètres. […]
    Esprit d’équipe, bon sens, adaptabilité, engagement, résistance, pensée critique sont les qualités qui vont nous permettre de marquer l’idée du progrès dans la conscience collective, dans l’histoire de notre société et de notre pays.
    Et cela mérite des efforts et des sacrifices !

     

    syriza.gr

     

    Traduction:Vassiliki Papadaki

    Lien permanent Catégories : Euro, Europe 0 commentaire
  • Cette dette que l'Allemagne doit encore à la Grèc

     Entretien avec l’historien de l’économie Albrecht Ritschl

     

     
       

    Dans une interview datant de novembre 2014, Albrecht Ritschl, professeur d’histoire économique de la London School of Economics, discute des dettes de guerre de l’Allemagne et des réparations dues à la Grèce après la deuxième guerre mondiale. Selon lui, l’Allemagne est le plus grand fraudeur de la dette du 20ème siècle



    > Michael Nevradakis : Beaucoup de gens ignorent tout du prêt que le régime nazi a imposé à la Grèce pendant la Deuxième guerre mondiale. Faîtes nous un résumé de ce problème.
    >
    > Albrecht Ritschl : Les éléments essentiels sont les suivants : pendant l'occupation, l'Allemagne a forcé la Banque de Grèce à lui prêter de l'argent, ce prêt forcé n'a jamais été remboursé et il est probable que personne n'ait jamais eu l'intention de le faire. Nous avons là une tentative de déguisement, de camouflage, pourrait-on dire, des frais d'occupations en prêt forcé – et ce prêt avait bien des mauvais côtés. Il a alimenté l'hyperinflation grecque, qui avait déjà lieu à cause de l'occupation italienne, et surtout, il a ponctionné des ressources vitales. Ce qui a eu pour conséquence une baisse catastrophique de l'activité économique ; et cela n'a rien fait pour rendre l'occupation allemande moins impopulaire qu'elle ne l'était avant. Cela a raffermi la résistance grecque dans sa résolution et a eu pour effet tout un tas de choses très tragiques et néfastes.
    >
    > Les Nazis ont-ils forcé d'autres pays occupés à leur accorder des prêts ?
    >
    > Oui, c'était une façon de faire très fréquente et largement utilisée. Juste pour vous expliquer un peu ce qui se passait alors, les Nazis avaient instauré un système monétaire à taux fixe dans les pays occupés, en alignant les taux de change sur le reichsmark, la devise allemande de l'époque, plus ou moins à leur gré. Le système était centralisé à la banque centrale allemande, la Reichsbank de Berlin, grâce à un système de créance à court terme, comme des comptes à découvert, et l'Allemagne était à découvert en ce qui concerne les pays occupés – ce qui a créé l'illusion de paiements.
    >
    > Quand les officiers allemands se rendaient dans des usines françaises, belges ou néerlandaises – dans les trois pays d'où l'Allemagne tirait la plus grande partie de ses ressources et réquisitionnait des machines et des matières premières – ils payaient effectivement, et ces paiements étaient essentiellement crédités sur leurs comptes nationaux à la Reichsbank. Le prêt imposé à la Grèce a suivi un schéma similaire. Comme je l'ai déjà dit, l'essentiel de ces prêts provenait majoritairement des pays d'Europe de l'Ouest. La Grèce, à cause de son économie réduite, ne représentait qu'une fraction de tout cela. Néanmoins, les effets sur l'économie grecque ont été dévastateurs.
    >
    > Que s'est-il passé après la Deuxième guerre mondiale en ce qui concerne les prêts forcés de la Grèce et des autres pays concernés – ainsi que des réparations et des remboursements des dettes de guerre allemandes en général ?
    >
    > Vous seriez surpris d'apprendre qu'il ne s'est rien passé, et la raison est la suivante : après l'invasion des Alliés et la chute du régime nazi, la première chose que les autorités d'occupation ont fait a été de bloquer toutes les revendications à l'encontre et de la part du gouvernement allemand, en vertu d'une fiction juridique selon laquelle le gouvernement et l'État allemand n'existaient plus. La question était alors de savoir ce qu'on allait en faire après la mise en place de nouvelles structures étatiques à la fin des années 1940. La question était très controversée, car beaucoup de gouvernements d'Europe de l'Ouest disaient : "Nous sommes tous tellement heureux de refaire du commerce et de renouer des relations économiques avec l'Allemagne occupée, et au fait, nous avons toujours ces comptes qui n'ont pas été liquidés avec les Allemands… Et si les Allemands nous livraient tout simplement des marchandises pour combler les déficits de ces comptes ?"
    >
    > C'est devenu une préoccupation majeure pour les occupants, surtout pour les Américains, puisqu'ils craignaient beaucoup que les zones occupées de l'Allemagne saignent l'économie avec un tel système de remboursement des prêts de guerre, et les Américains cherchaient avant tout à renflouer et relancer l'Allemagne. Les raisons de leur inquiétude trouvaient leurs racines dans l'histoire des réparations à la fin de la Première guerre mondiale, quand un système similaire avait été mis en place après la fin de l'hyperinflation allemande. C'était un projet américain de stabilisation de l'économie allemande, le plan Dawes, qui fonctionnait comme suit : l'Allemagne payait des réparations aux alliés occidentaux et les États-Unis fournissait une aide financière à l'Allemagne. Entre 1924 et 1929 ce système était hors de contrôle et c'était en fait les États-Unis qui finançaient les réparations allemandes.
    >
    > Donc les Américains, après la Deuxième guerre mondiale, craignant de voir ce schéma se répéter, ont bloqué tout cela. Comment l'ont-ils bloqué ? Grâce à un dispositif ingénieux quoiqu'un peu malveillant : tout pays souhaitant recevoir l'aide du plan Marshall devait signer une renonciation dans laquelle il abandonnait toute poursuite financière à l'encontre de l'Allemagne en échange de l'aide du plan Marshall. Cela ne revenait pas à bloquer complètement les réclamations mais à les repousser jusqu'à l'époque où l'Allemagne aurait remboursé l'aide qu'elle avait reçue du plan Marshall. En termes techniques, cela a placé les réparations et les demandes de remboursements faites à l'Allemagne à un rang inférieur à celui du plan Marshall. Et comme tout le monde voulait recevoir l'aide du plan Marshall, tout le monde a signé les renonciations à contrecœur. La situation pendant la période du plan Marshall était donc celle-ci : les dettes existaient encore sur le papier, mais elles ne valaient plus rien en ce sens que la dette était bloquée.
    >
    > Combien dit-on que l'Allemagne doit à la Grèce et aux autres pays pour ce qui est des dettes de guerre ?
    >
    > La dette due à la Grèce était de l'ordre d'un peu moins de 500 millions de reichsmarks ; la dette totale due à l'Europe de l'Ouest sur les comptes de compensation était d'environ 30 milliards de reichsmarks. De nos jours ça n'a l'air de rien, mais cela prend tout son sens si je vous dis que le montant total équivalait à environ un tiers du Produit National Brut de l'Allemagne en 1938, un an avant que l'Allemagne ne déclenche la Deuxième guerre mondiale. Ce n'était pas la seule dette, car l'Allemagne avait manipulé la valeur de la dette grâce au système de taux de change qu'elle contrôlait.
    >
    > Il y a des calculs faits par les fonctionnaires du gouvernement allemand vers la fin de la Deuxième guerre mondiale, donc toujours sous le régime nazi, qui essaient de rendre compte de la valeur réelle de la dette totale contractée dans l'Europe occupée, et qui arrivent à des résultats proches de 80 ou 90 milliards. Ce qui se rapproche fortement du PNB de l'Allemagne en 1938 ; disons 85 ou 90 %. Nous parlons désormais de très grosses sommes. Juste pour vous donner une idée : le PNB de l'Allemagne l'an dernier [2013, ndlr], était d'un peu plus de deux mille milliards d'euros, disons 90 % de ce chiffre. Nous sommes toujours au-dessus de deux mille milliards d'euros, juste pour vous donner une idée de ce que la dette représentait alors dans le potentiel économique de l'Allemagne.
    >
    > Y a-t-il un moyen de quantifier cette dette et sa valeur actuelle si on l'ajustait à l'inflation et au taux de change des dernières décennies ?
    >
    > Il y a plusieurs façons de faire. Ce que je viens de faire en est une, et nous dirions alors que le total de cette dette, si l'on prend le PNB allemand comme mesure et que l'on ne fait pas intervenir l'inflation, la valeur totale de la dette mesurée en pourcentage du PNB allemand sur un an, serait aujourd'hui de plus de deux mille milliards d'euros.
    >
    > Quels arguments l'Allemagne avance-t-elle, historiquement et présentement, quant au problème des dettes de guerre et des réparations ?
    >
    > Il y a eu une importante période provisoire avec les Accords de Londres sur la dette allemande. Au début des années 1950, des négociations ont commencé entre l'Allemagne de l'Ouest et les pays créanciers. Une solution a été trouvée – ou plutôt de nouveau imposée par les Américains et dans une certaine mesure par les Britanniques – qui avait deux effets. Premièrement, ils ont réuni les dettes de guerre et les réparations – ce qui n'était pas anodin. Deuxièmement, ils ont tenu des propos confus, qui étaient ouverts à l'interprétation, disant que l'on repoussait la résolution de ces problèmes jusqu'à la réunification de l'Allemagne. Pourquoi ces deux points sont-ils importants ?
    >
    > Le premier point est le suivant : si vous réunissez les dettes de guerre et les réparations allemandes, vous mettez tout dans le même sac. Et il ne fait aucun doute que l'Allemagne a payé des réparations considérables en nature après la Deuxième guerre mondiale, principalement à travers deux choses : les livraisons forcées – qui étaient très importantes pour ce qui est devenu ensuite l'Allemagne de l'Est – et la cession de territoires, qui sont désormais une partie de la Pologne et, dans une moindre mesure, de la Russie, ce que nous pouvons dans les deux cas appeler des réparations en nature. Donc si vous réunissez les dettes de guerre et les réparations, la balance est plus légère, car ces réparations en nature ont été considérables. Le second point ce sont ces propos confus repoussant la résolution de ces problèmes aux lendemains de la réunification allemande, car la grande question était alors de savoir si cette clause, l'article 5 des accords de Londres, constituerait une obligation après la réunification allemande, qui a effectivement eu lieu en 1990.
    >
    > En ce moment la presse et les médias parlent beaucoup de la success story de l'économie allemande, de sa responsabilité budgétaire, que l'on compare à l'irresponsabilité budgétaire supposée des pays d'Europe du Sud, comme la Grèce. Mais vous soutenez que l'Allemagne a été le plus grand fraudeur de la dette au 20ème siècle. Pourquoi pensez-vous que c'est le cas ?
    >
    > Eh bien, nous pouvons juste faire parler les chiffres, et j'ai déjà parlé de ces dettes de guerres presque égales au rendement économique de l'Allemagne en 1938, quand l'Allemagne connaissait le plein-emploi. Donc au fond, ces sommes n'ont jamais été remboursées. Nous avons de plus la dette publique de l'Allemagne, qui a été effacée par une réforme monétaire entreprise par les Américains dans les zones occupées de l'Allemagne de l'Ouest et par les Soviétiques dans les zones occupées de l'Allemagne de l'Est en 1948. Les Soviétiques ont totalement effacé la dette publique ; les Américains en ont effacé 85 %. Si maintenant nous additionnons tout cela et essayons de parvenir à un total global, à la fois interne et externe, effacé par la réforme monétaire et les accords de Londres, nous arrivons à un chiffre qui est approximativement – c'est très approximatif, juste pour avoir un ordre d'idée – quatre fois le revenu national de l'Allemagne. Pour donner un ordre d'idée actuel, si l'on accepte que le PNB est de l'ordre de deux mille milliards d'euros, ce qui fait plus de deux mille milliards et demi de dollars, nous parlons alors d'un défaut de paiement et d'un allègement de dette de l'ordre de dix mille milliards de dollars. J'aurais tendance à penser que c'est sans équivalent dans l'histoire du 20ème siècle.
    >
    > Avez-vous connaissance de mouvements ou d'activistes qui essaient actuellement de sensibiliser l'opinion aux dettes et aux réparations de guerres ?
    >
    > Il y en a relativement peu. Pour expliquer cela, plongeons-nous dans la situation juridique à l'époque de la réunification allemande de 1990. L'Allemagne a reçu cette espèce de certificat de baptême pour une Allemagne unifiée qui est rédigé d'une manière incroyablement subtile et dont le seul but était, apparemment, d'empêcher toute réclamation quant aux réparations ou aux restitutions à l'encontre de l'Allemagne unifiée, sous prétexte qu'il existait désormais un État allemand unifié et que l'article 5 des accords de Londres pourraient tout d'un coup être réactivé.
    >
    > Du point de vue allemand, le traité de 1990 ne mentionne pas les réparations ou les dettes de l'Allemagne nazie, et puisque ce point n'est pas couvert par le traité, le problème est enterré. Ç'a été l'attitude systématique du gouvernement allemand. Et jusqu'ici cette attitude a plutôt réussi… De nombreux essais ont été fait pour contester ce point à la Cour européenne mais ont échoué, et il me semble que d'un point de vue légal, il y a relativement peu de chances que cela réussisse.
    >
    > Ce qui nous amène à la question suivante : pourquoi n'y a-t-il pas une plus grande sensibilité à ces problèmes en Allemagne ? Et une chose nous met sur la voie. Il est clair que Berlin n'a aucune intention de parler de ces problèmes, parce que les avocats craignent toujours de créer un précédent, Berlin reste donc silencieux là-dessus. Le seul qui en ait parlé, et c'est assez révélateur, a été l'ancien Chancelier Helmut Kohl, que l'on a interrogé sur ce point à la sortie d'une conférence de presse au moment des négociations. Il a déclaré : "Écoutez, nous affirmons que nous ne pouvons pas payer les réparations, parce que si nous ouvrons la boite de Pandore, compte tenu de la cruauté et la brutalité nazies, des génocides – et les Nazis sont à l'origine de plusieurs génocides – compte tenu de ces faits horribles et de l'échelle incroyable de ces crimes terrifiants, tout essai de quantification et de réclamation à l'Allemagne finira soit avec des compensations ridiculement basses ou bien cela va dévorer toute la richesse nationale de l'Allemagne." C'est resté la position de l'Allemagne depuis : les dommages causés par les Nazis, pas seulement en termes de souffrance humaine et morale, mais tout simplement en termes de dommages matériels et financiers, sont si élevés que cela remplacerait la capacité de remboursement de l'Allemagne.
    >
    > Et en tant qu'économiste, j'ai bien peur que ce ne soit pas totalement tiré par les cheveux ; il y a de cela. Ce qu'a ensuite affirmé Helmut Kohl était qu'au lieu d'ouvrir la boite de Pandore et de s'enfoncer dans les demandes de réparation, il serait sûrement préférable de continuer dans ce qui lui semblait être une coopération économique fructueuse en Europe. À l'époque, c'était une bonne idée, et c'était à cette époque pré-euro où tout le monde était très optimiste quant à l'avenir de la coopération économique en Europe. Nous sommes devenus désormais un peu plus réalistes, mais à l'époque ce n'était pas totalement irréaliste et déraisonnable de penser régler ces problèmes ainsi.
    >
    > Selon vous, quelle serait la meilleure solution pour régler le problème des dettes et réparations de guerre pour les gouvernements grec et allemand à l'heure actuelle ?
    >
    > La meilleure solution serait sans doute d'essayer de dépolitiser les choses au maximum. Alors je sais bien que c'est complètement irréaliste parce que c'est un sujet politique depuis le début. Ce que je préférerais faire, plutôt que de donner une opinion personnelle et illusoire, c'est de faire quelques prévisions sur ce qui va se passer selon moi.
    >
    > Laissez-moi dire quelques mots sur ce que je crois qu'il faut faire – je ne vais pas complètement éluder votre question. Je crois vraiment que nous avons besoin de plus d'annulation de dette, et je crois que nous allons en avoir besoin assez vite. Je suis de ceux qui sont assez préoccupés par la situation politique actuelle de la Grèce. Le gouvernement grec [ndlr : le gouvernement de Samaras] sert manifestement deux maîtres. L'un est l'électorat grec, qui est naturellement et clairement peu satisfait de la situation, c'est le moins qu'on puisse dire, et l'autre est composé des créanciers internationaux, menés par l'Allemagne, et dans une moindre mesure par le FMI. À l'évidence, les intérêts, du moins à court terme, des créanciers et de la population grecque, ne concordent pas ; ils s'opposent même. Cela met le gouvernement grec en mauvaise posture. Je suis inquiet de l'avenir de la démocratie en Grèce, et en tant qu'Allemand j'en suis inquiet pour deux raisons.
    >
    > D'abord parce qu'on ne peut pas nier la responsabilité historique de l'Allemagne, et ensuite parce que l'Allemagne a traversé une expérience très très similaire. Cette expérience s'est faite à la fin des problèmes de réparation qui ont suivi la Première guerre mondiale, pendant la Grande Dépression des années 1930. Le gouvernement allemand devait payer des réparations selon un programme très strict. Le programme, le plan Young, avait commencé en 1929 ; c'était rude, et à bien des égards, cela me rappelle ce que le ministre des finances allemand et la troïka imposent à la Grèce ; les effets ont été les mêmes : chute de la production économique de 25 à 30 %, le chômage de masse, la radicalisation politique. En gros, le plan Young a fait sortir les Nazis du bois. Oui, je suis assez inquiet de la situation en Grèce, donc je pense que nous devrions rapidement prendre des mesures pour stabiliser la démocratie grecque. Est-ce que je pense que cela va se produire ? Je suis un peu sceptique. J'ai peur que deux choses se passent : d'abord, qu'à la fin il y ait une annulation de dette généralisée, mais cela arrivera assez tardivement, et des dégâts profonds auront déjà été causés à la démocratie grecque.
    >
    > Source : truth-out.org
    >
     A lire également sur le même sujet, l’article de Romaric Godin sur La Tribune : L’Allemagne doit-elle vraiment des réparations de guerre à la Grèce ?.

    > Extrait :
    >
    > Pour autant, cette question des réparations doit plutôt être comprise comme une arme morale que financière. L’Allemagne n’acceptera jamais de payer, ne fût-ce que 10 milliards d’euros. Le président allemand, Joachim Gauck, avait d’emblée fermé la discussion au printemps 2014 lorsque, en visite à Athènes, il avait répondu au président grec Karolos Papoulias, qui avait évoqué cette question : « Vous savez ce que je dois répondre : la question juridique est épuisée. »
    >
    > Tout ce que peut espérer le gouvernement Tsipras, c’est la crainte de l’Allemagne de voir rouvrir une question délicate qui la ramène à son passé, renforce l’unité nationale grecque contre elle, et rappelle que l’Allemagne est un des plus mauvais payeurs de dette du 20e siècle. L’idée serait d’affaiblir Berlin dans les discussions.
    >
    > Mais cette arme doit être utilisée avec modération, de peur qu’elle se retourne contre un gouvernement grec qui serait accusé de faire le jeu de la xénophobie et de jeter de l’huile sur le feu. Autrement dit, cette question est, pour Athènes, à manier avec précaution…

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  • Juncker : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

     

     

     

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  • Grèce : le coup de semonce, très politique, de la BCE

     

     

    Le coup de semonce est tombé vers 22 heures mercredi 4 février. Il a été tiré de Francfort : la Banque centrale européenne (BCE) a mis la pression maximale sur le gouvernement grec en suspendant le régime de faveur qu’elle accordait jusqu’ici aux banques hellènes, ces dernières pouvant emprunter de l’argent auprès de l’institution monétaire avec des garanties inférieures à celles exigées habituellement.

    En pratique, cela ne remet pas en question la capacité des banques grecques à disposer des liquidités, dont elles estiment avoir grand besoin en ce moment. Elles pourront en effet toujours se refinancer auprès de la BCE, mais à à un taux plus élevé, et avec un risque porté seulement par la banque de Grèce .

    La décision de la BCE est-elle une décision « politique » ?

    C’est un message très clair, et sans ambiguïtés qui a été adressé par la BCE au gouvernement d’Alexis Tsipras : il s’agit de ramener ce dernier « à la raison ». En somme, la BCE dit à Athènes : il faut négocier , et vite, avec les Européens.

    Mario Draghi, le président de la BCE, met ainsi Alexis Tsipras devant un choix cornélien : accepter , très vite, le chemin de négociation proposé – imposé – par les Européens, mais au prix d’un renoncement politique majeur, lui qui a fait toute sa campagne contre la troïka (Fonds monétaire international , Commission et Banque centrale européennes) et l’austérité ; ou prendre le risque de défaut, donc de « Grexit », de sortie de la zone euro.

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  • La hausse du franc suisse coûte cher aux hôpitaux


    par Solveig GodelucK

    Journaliste

     

     

     

    La dette des hôpitaux a bondi de 500 millions depuis que la Banque centrale suisse a désarrimé le franc suisse de l’euro. Plombés par les emprunts toxiques, ils se liguent pour aller en justice et menacent d’une grève des remboursements.

     

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    Les hôpitaux français ne disent pas merci à la Banque centrale suisse. Leur dette s’est alourdie de 500 millions d’euros depuis le 15 janvier, date à laquelle celle-ci a décidé de désarrimer le franc suisse de l’euro

    . La monnaie helvétique s’est appréciée de 17 % depuis. Elle a également grimpé face au dollar. Or, parmi les 30 milliards d’euros de dette des hôpitaux, il y a des prêts indexés sur le taux de change euro-franc suisse ou dollar-franc suisse… L’encours de ces prêts vient ainsi de passer de 730 millions à plus de 1,2 milliard.

    Pour le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric Valletoux, cette affaire est la goutte d’eau qui fait déborder le vase : « Nous avons au total 1,5 milliard d’euros d’emprunts toxiques. Pour solder ces produits structurés

    , les conditions de sortie sont si draconiennes qu’il faudrait débourser du jour au lendemain le double, soit 3 milliards d’euros. Et voilà maintenant qu’on nous rajoute 500 millions à payer ! » La somme à rembourser équivaut au montant de la capacité d’autofinancement que dégagent les hôpitaux chaque année et qui est réinvestie dans la modernisation des équipements. « Il faudrait faire une année blanche en termes d’investissements pour sortir du piège », s’indigne Frédéric Valletoux.

    « Responsabilités partagées »

     

    Ce mercredi, le conseil d’administration de la FHF a donné mandat à son président pour mener le combat contre ces produits bancaires complexes, y compris devant les tribunaux. Pour commencer, la FHF va faire front commun avec l’Association des acteurs publics contre les emprunts toxiques (Acpet), créée par des collectivités locales. Par ailleurs, la Fédération envisage de saisir la justice européenne, et peut-être française, pour défaire la loi de juillet 2014. Ce texte interdit aux établissements endettés ayant accepté une aide financière de porter plainte. Pour l’instant, aucun hôpital n’a les mains liées, puisque l’enveloppe de 100 millions d’euros qui leur est réservée vient juste d’être débloquée.

    La FHF estime que cette somme est risible et la compare au fonds de 1,5 milliard mis sur pied pour les collectivités. Elle est en outre prélevée sur les crédits hospitaliers (Ondam) au lieu d’être financée à parité par les banques et l’Etat comme le fonds des collectivités. «  Nous allons montrer que les responsabilités sont partagées, avec les autorités de tutelle qui valident la gestion des hôpitaux et les banques qui ne sont pas toujours de bon conseil », menace Frédéric Valletoux. En dernier recours, le conseil de la FHF a validé le principe d’une grève des remboursements. Tous les établissements seraient solidaires, y compris ceux dont la dette est saine.

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  • La Grèce, berceau de la démocratie, nous donne une leçon de démocratie.

    (RAPPEL)

    Le MS21 félicite Syriza pour sa victoire le 25 janvier dernier et  lui souhaite la réussite du gouvernement qu’elle a formé dans l’application de son programme.

     

    La Grèce est le berceau de notre démocratie. Et elle nous donne actuellement une leçon de démocratie :

     

    La base du programme de Syriza est de défendre les intérêts du peuple et principalement de restaurer les droits des plus pauvres. Un tel programme qui fait passer les intérêts du peuple avant celui des financiers est déjà un progrès pour la démocratie.

     

    Le gouvernement formé par Syriza, même s’il espère négocier avec l’Union Européenne, annonce que sa politique sera décidée en Grèce et pour les Grecs, il refuse la soumission aux injonctions de la troïka (FMI, BCE et commission européenne) ;  il met en avant la souveraineté du peuple grec, ce qui est un rappel que tout peuple de l’Union Européenne reste souverain.

     

    Un des premiers gestes de ce gouvernement a été de se désolidariser de l’attitude de l’Union européenne sur le conflit en  Ukraine. Il a dénoncé la condamnation de la Russie, prise par l’Union européenne sans l’accord de tous les États. Sur ce point-là aussi, le gouvernement  formé par Syriza, demande que les droits des nations soient respectés à l’intérieur de l’Union Européenne.

     

    Par ces trois points, la Grèce nous montre un chemin pour nous réapproprier la démocratie.

     

    Certains commentateurs de la gauche de gauche française reprochent à Syriza de s’être alliée avec le parti de droite souverainiste ANEL, oubliant qu’en France, le programme du Conseil National de la Résistance de 1943 avait été négocié avec des organisations de droite et que sa réalisation a permis la plus grande avancée sociale qu’a connu notre pays. Malgré les multiples offensives patronales depuis 70 ans, tous ses effets n’ont pas encore été abolis.Précisons que le parti ANEL est opposé aux mesures d'austérité et défend la souveraineté nationale de la Grèce.

     

    Depuis quatre ans, la troïka affirme que la Grèce doit réduire son train de vie pour payer ses dettes. Le PIB a baissé de 25%, les pensions de 40% tandis que la dette représente maintenant 175% du PIB alors qu’elle n'en représentait que 110% en 2007. Même sur le plan comptable, la politique d’austérité signe son échec. Il est en fait impossible que la Grèce rembourse ses dettes. Les médias prétendent que si la Grèce fait défaut les Français devraient payer, elles nous annoncent  des chiffres très variables, souvent absurdes mais elles oublient de dire que l’État français a prêté à l’État grec de l’argent au taux de 5% qu’il avait obtenu à 1%: Depuis 2010, sur quatre ans, les prêts à la Grèce lui ont rapporté 729 millions d’euros.

     

    Les états ne sont pas endettés parce qu’ils consomment plus que les pays produisent, mais parce que depuis les années 70, les états empruntent aux banques privées, alors qu’auparavant ils finançaient leurs investissements en empruntant directement à leur banque centrale. Ce sont les intérêts indus payés aux institutions financières privées qui  ont enfoncé nos pays dans la dette. Et c’est au prétexte de cette dette que ces institutions financières imposent leur dictat aux états.

     

     

     

    Le problème est celui de l’Allemagne où le système de retraites «par capitalisation » est géré par des fonds de pensions qui possèdent un gros paquet de dettes grecques. Le retraité fait donc front avec Angela Merkel pour éviter le défaut de la Grèce. Et surtout non seulement l’Allemagne ne veut manifester aucune solidarité vis-à-vis de pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie, mais elle veut conserver l’énorme avantage commercial que lui donne la monnaie unique sur les autres pays européens. Sauf si notre gouvernement, pour une fois, fait entendre raison à la chancelière, celle-ci peut chercher à faire en sorte que la Grèce quitte la zone euro, et lui en attribuer la responsabilité.

     

    Quelque que soit l’issue, la France sera bénéficiaire de la crise, soit que les règles soient assouplies, soit que par un effet de contagion, la zone euro se disloque, la France reviendrait alors au franc qu’elle pourrait dévaluer afin de rétablir sa balance commerciale.

     

     Merci de toutes façons à la Grèce.

     

     

     

    Source: http://russeurope.hypotheses.org/3389

     

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  • Moscou, Munich et Minsk par Jacques Sapir

     

    Par

     

    Le processus de négociations sur l’Ukraine, dont la visite à Moscou de Mme Merkel et de M. François Hollande le 6 février a été un épisode, est clairement appelé à continuer. Ces deux dirigeants ont prévu de se rencontrer, le mercredi 11 février, à Minsk avec le Président Poutine et le Président de l’Ukraine, M. Poroshenko1. Les responsables des Républiques de Donetsk et de Lougansk seront aussi de la partie. On peut donc s’attendre à une négociation enfin sérieuse. Mais que la route est longue qui va de Moscou à Munich et de Munich à Minsk. Cette route nous renvoie aux pires moments de la Guerre Froide, que l’on croyait défunte.

     

    Un parfum de guerre froide ?

     

    Car c’est dans une situation très dégradée que cette négociation va s’engager. Pourtant, il est bon qu’elle s’engage. L’urgence humanitaire dans le Donbass l’exige, et la situation désespérée des troupes de Kiev l’impose. Mais, rien ne dit qu’elle aboutisse. Pour cela, il faudra que le Président Poroshenko fasse des concessions substantielles, qui pourraient le mettre en difficulté dès son retour à Kiev. Et rien ne dit qu’il soit de l’intérêt des Etats-Unis que les combats s’arrêtent.

     

    Le Président François Hollande a dit, samedi 7 février à Tulle, une chose juste : la seule alternative serait la guerre, ou plus exactement la poursuite de cette guerre civile que Kiev camoufle sous le nom « d’Opération Anti-Terroristes ». On ne peut qu’adhérer à ce constat. Le sommet sur la sécurité, qui s’est tenu lui aussi le samedi 7 février à Munich, a cependant bien montré à quel point nous en sommes arrivés. Très clairement, une partie des journalistes américains et britanniques présents ont tout cherché pour ressusciter un climat de guerre froide. Dans une atmosphère délétère, faite d’accusations insensées, on a plus cherché à mettre la Russie en accusation qu’à avancer vers un accord. Le « show » pathétique du Président ukrainien, M. Poroshenko, agitant des « passeports » russes, a participé de cette atmosphère délétère. Pourtant, dans son allocution, le Ministre Russe des Affaires Etrangères, M. Sergueï Lavrov, a dit des choses importantes, qu’il faut écouter et surtout entendre, même si l’on ne partage pas son point de vue2.

     

    Autisme occidental

     

    Un des points qui ressort de cette conférence est l’autisme des dirigeants occidentaux au discours tenus par les responsables russes depuis 2007. La presse occidentale peut évoquer un soi-disant autisme de Vladimir Poutine3. On sait bien qui, en réalité, se refuse à entendre l’autre. Vladimir Poutine s’est exprimé avec constance sur la désintégration du cadre de sécurité résultant de la politique américaine, telle qu’elle était menée depuis 1995-1996. Jamais on a pris ces propos au sérieux. La crise actuelle en résulte dans une large mesure.

     

    La vision politique de l'environnement international du XXIème siècle qui caractérise Vladimir Poutine et ses conseillers est nettement plus pessimiste que celle de ses prédécesseurs4. Elle tire le bilan de l’intervention de l’OTAN au Kosovo et de l’intervention américaine en Irak en 20035. Si l’on reprend son discours de Munich, prononcé le 10 février 2007, et qui est un document fondateur de la politique étrangère russe, on remarque qu’il y fait le constat suivant :

     

    « Le monde unipolaire proposé après la guerre froide ne s'est pas non plus réalisé. Certes, l'histoire de l'humanité a connu des périodes d'unipolarité et d'aspiration à la domination mondiale. L'histoire de l'humanité en a vu de toutes sortes. Qu'est ce qu'un monde unipolaire? Malgré toutes les tentatives d'embellir ce terme, il ne signifie en pratique qu'une seule chose: c'est un seul centre de pouvoir, un seul centre de force et un seul centre de décision. C'est le monde d'un unique maître, d'un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu'au souverain lui-même, qui se détruira de l'intérieur.

     

      Bien entendu, cela n'a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c'est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité. A propos, on donne constamment des leçons de démocratie à la Russie. Mais ceux qui le font ne veulent pas, on ne sait pourquoi, eux-mêmes apprendre. J'estime que le modèle unipolaire n'est pas seulement inadmissible pour le monde contemporain, mais qu'il est même tout à fait impossible. Non seulement parce que, dans les conditions d'un leader unique, le monde contemporain (je tiens à le souligner: contemporain) manquera de ressources militaro-politiques et économiques. Mais, et c'est encore plus important, ce modèle est inefficace, car il ne peut en aucun cas reposer sur la base morale et éthique de la civilisation contemporaine »6.

     

    Ce pessimisme incite donc le pouvoir russe à prendre ses précautions et à se prémunir contre ce qu’il appelle « l’aventurisme » des Etats-Unis. Cela le conduit aussi à souhaiter une réhabilitation rapide des capacités technologiques et industrielles du secteur des industries à fort contenu technologique et de l'armement. En fait, de là date la priorité dont bénéficient ces secteurs. La politique économique devient alors pour une part déterminée par l’analyse de la situation internationale. Comme pour la Chine on peut constater ici aussi que les décisions économiques sont dictées par une analyse politique. En Russie aussi, depuis 2000, la politique est au poste de commandes. Il faudra bien un jour se résoudre à l’admettre.

     

    L’urgence d’un réel cessez-le-feu

     

    Mais, pour l’instant, les esprits sont focalisés sur la négociation en cours. Il faut donc en comprendre les blocages, qu’ils soient immédiats ou de plus long terme. Le premier porte sur les conditions d’un cessez-le-feu dont l’urgence s’impose. L’idée de revenir aux accords de Minsk, si elle peut se comprendre d’un strict point de vue diplomatique, est absurde sur le terrain. Ces accords n’ont jamais été appliqués et ne pouvaient l’être. Les positions des forces insurgées comme celles de l’armée de Kiev étaient trop imbriquées pour qu’il puisse en résulter un cessez-le-feu vérifiable. Les déclarations du Président Poroshenko à ce sujet cachent mal sa volonté de voir effacer sur la table de négociations la défaite militaire que ses forces ont subie. Il ne peut en être ainsi.

     

    Aujourd’hui, avec l’élimination progressive des « poches » contrôlées par l’armée de Kiev, un cessez-le-feu sur la ligne actuelle des combats est beaucoup plus logique. Il faut ici dire cette triste vérité. Il aura fallu une nouvelle défaite militaire des forces de Kiev pour rendre peut-être possible un cessez-le-feu. Telle était la constatation que je faisais il y a déjà plusieurs jours7.

     

    Kiev ne peut plus aujourd’hui se masquer la réalité : il n’y aura pas d’issue militaire dans ce conflit, point qu’a d’ailleurs rappelé la Chancelière Angela Merkel à Munich. Il est donc urgent que des négociations s’ouvrent entre Kiev et les insurgés, et que ces négociations soient garanties tant par l’Union Européenne, la Russie que les Etats-Unis. A cet égard, vouloir inclure la Russie et non les insurgés n’a aucun sens. C’est faire fi de l’indépendance acquise par les gens de Donetsk et de Lougansk. C’est ne pas comprendre que Poutine ne peut exercer une pression trop forte sur eux, sous peine de se voir rejeté par une large majorité de la société russe qui soutient les insurgés.

     

    Les conditions de la viabilité d’un cessez-le-feu

     

    Mais, un cessez-le-feu ne vaut que s’il est respecté, et en particulier si cessent les bombardements meurtriers sur les civils dont les forces de Kiev se rendent coupables. Il faut ici redire que le comportement sur le terrain de certaines des forces de Kiev relève du crime de guerre. Ces bombardements ont été trop systématiques pour qu’il s’agisse d’erreurs de tir. Rappelons que les forces de Kiev utilisent des bombes et des obus au phosphore, des bombes à fragmentation8, pour des attaques contre la population civile. Des missiles tactiques de type « OTR-21 Totchka-U » ont même été utilisés9. C’est dire l’urgence qu’il y a à aboutir à un cessez-le-feu qui soit réellement respecté.

     

    Pour cela, il faut impérativement une force d’interposition. Cette force sera chargée de vérifier qu’il n’y a aucune arme lourde d’un côté et de l’autre à une distance de plusieurs dizaines de kilomètres de la ligne de cessez-le-feu. Cette force ne peut à l’évidence inclure ni l’armée de Kiev, ni aucun des pays de l’OTAN, car cette organisation est désormais partie prenante du conflit, ni la Russie.

     

    Cela fait près de 6 mois que je dis et j’écris que seule une force de Casques Bleus des Nations Unies peut avoir l’autorité pour imposer un cessez-le-feu10. Il faudra bien un jour en convenir. On peut imaginer quelle en serait la composition, sans doute des pays des BRICS, mais ayant de bonnes relations avec les Etats-Unis. Cela désigne deux pays : l’Inde et la République d’Afrique du Sud. On doit donc faire pression sur les Etats-Unis et sur le gouvernement de Kiev pour qu’ils acceptent une telle solution. Aujourd’hui, seule l’organisation des Nations Unies a la légitimité pour imposer une solution mettant fin au conflit armé. Le plus vite cela sera reconnu le mieux cela vaudra pour tout le monde. C’est aussi l’une des leçons que l’on peut tirer des dix dernières années. A chaque fois que les Etats-Unis ont imposé que l’on contourne les Nations-Unies, des désastres sont survenus. Il faut, ici encore, se souvenir des termes utilisés en 2007 par le Président Poutine à Munich :

     

    « Quel en est le résultat [ d’une action hors du cadre des Nations Unies]? Les actions unilatérales, souvent illégitimes, n'ont réglé aucun problème. Bien plus, elles ont entraîné de nouvelles tragédies humaines et de nouveaux foyers de tension. Jugez par vous-mêmes: les guerres, les conflits locaux et régionaux n'ont pas diminué. (…)Nous sommes témoins d'un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d'un seul Etat, avant tout, bien entendu, des Etats-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines: dans l'économie, la politique et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d'autres Etats. A qui cela peut-il convenir? »11.

     

    Quelles solutions politiques ?

     

    Il faudra, ensuite mais ensuite seulement, aborder l’épineuse question de l’issue politique de cette crise. La solution d’un fédéralisme « simple », qui eut été possible en mars ou bien en avril 2014 est aujourd’hui morte. La violence des forces de Kiev et les milliers de morts de Donetsk et Lougansk l’ont rendue impossible. Il faut ici méditer sur ce fait : ce qui aurait été possible au début du conflit, sans l’usage disproportionné de la violence dont les forces de Kiev se sont rendues coupable ne l’est plus désormais. On peut alors penser à une solution du type de celle qui a été adoptée en Irak pour les régions kurdes : une république autonome dans le cadre de l’Ukraine. Cette solution, même si elle ne correspond pas à ce que souhaitent les dirigeants de Donetsk ou de Lougansk, est bien meilleure qu’une « indépendance » sans reconnaissance internationale. Mais il faut aussi penser au statut de l’Ukraine elle-même.

     

    Là, nous avons une contradiction entre le principe de souveraineté, que nul ne veut remettre en cause, et la réalité géopolitique. On comprend qu’une Ukraine militairement hostile à la Russie est une menace directe pour cette dernière. Mais, l’Ukraine ne peut fonctionner économiquement sans la Russie. Et là se trouve sans doute la solution. L’Ukraine doit volontairement accepter un statut de neutralité, que ce soit par rapport à une alliance militaire (comme l’OTAN) ou dans des relations économiques (tant par rapport à l’UE qu’à l’Union Eurasienne). Cette décision doit alors s’accompagner de la déclaration par la Russie du renouvellement des contrats gaziers et pétroliers ainsi que de celle des Etats-Unis s’engageant à ne pas conclure une quelconque alliance militaire avec l’Ukraine. Il est donc essentiel d’impliquer directement les Etats-Unis dans cet accord. On peut comprendre que la Russie ne se contente pas de l’engagement de l’Allemagne et de la France à ne pas admettre l’Ukraine dans l’OTAN. Cet engagement pourrait être tourné par un traité bilatéral entre l’Ukraine et les États-Unis.

     

    Quel futur pour l’OTAN ?

     

    Enfin, cela pose la question des institutions de sécurité en Europe. Très clairement l’OTAN, qui n’a su ni voulu s’adapter à la nouvelle configuration géostratégique datant de la fin de l’URSS a donné ses preuves de nocivité. Cette organisation, datant de 1949, avait à sa fondation trois objectifs : garantir les pays membres contre une agression soviétique, garantir ces mêmes pays contre une résurgence du militarisme allemand, et garantir la présence en Europe des Etats-Unis. Ces trois raisons sont à l’évidence caduques. Cette organisation doit donc soit évoluer, et admettre la Russie en son sein, soit disparaître, et être remplacée par une nouvelle organisation de sécurité cette fois réellement européenne.

     


     

    1. http://lci.tf1.fr/monde/europe/rencontre-hollande-merkel-poutine-et-porochenko-mercredi-8560786.html []
    2. RT : « Lavrov: US escalated Ukraine crisis at every stage, blamed Russia », 7 février 2015, http://rt.com/news/230219-lavrov-munich-speech-ukraine/ []
    3. Viallèle A., « Vladimir Poutine serait autiste Asperger ? Ne jouons pas avec des diagnostics hasardeux », L’Obs, 6 février 2015, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1320249-vladimir-poutine-serait-autiste-asperger-ne-jouons-pas-avec-des-diagnostics-hasardeux.html []
    4. Voir la déclaration du président Russe lors de la conférence sur la sécurité qui s’est tenue à Munich le 10 février 2007 et dont le texte a été traduit dans La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007. []
    5. Points que j’ai développés dans Sapir J., Le Nouveau XXIème Siècle, Le Seuil, Paris, 2008. []
    6. Voir, La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007. []
    7. Sapir J., « Nouvelles du Donbass », note publiée sur Russeurope, le 2 février 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3381 []
    8. http://fr.sputniknews.com/international/20150206/1014397894.html []
    9. https://www.youtube.com/watch?v=y9-8KvtfjZA []
    10. Sapir J., « Ukraine : Cease-Fire ? », note publiée sur Russeurope, le 3 septembre 2014, http://russeurope.hypotheses.org/2770 []
    11. Voir, La Lettre Sentinel, n°43, mars 2007 ou Putin, Vladimir, Speech and the following Discussion at the Munich Conference on Security Policy (Official Website of President of Russia, http://president.kremlin.ru/eng/ sdocs/speeches.shtml). []
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