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Monde - Page 9

  • La Tunisie est dans la crise jusqu’au cou

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    Il a fallu 6 ans, 7 gouvernements et un pays en ruine, pour que les assassins économiques finissent par cracher le morceau : la Tunisie est dans la crise jusqu’au cou !

    Photo by Habib M’henni (CC)

    A défaut d’arguments, un tant soit peu rassurants pour des tunisiens laminés et déprimés, Youssef Echahed (YE), le nouveau chef du gouvernement, a arboré son âge et s’est targué d’être franc ! Tout est dans le style !

    Côté programme il a affirmé vouloir : soutenir les investissements et les exportations pour doper la croissance économique, maitriser les équilibres macro-économiques et blablas… La même rengaine depuis trente ans ! Mais, cela n’a pas empêché YE d’affirmer que “les choix ont conduit au recul de tous les indicateurs économique et sociaux”(1) Cela en dit long sur la franchise du nouveau résidant de La Casbah !

    Membre du gouvernement précédent, YE passe aux aveux donc (2): Il a insisté, notamment, sur l’état des finances publiques (3): L’Etat serait en situation de quasi-cessation de paiement ! La situation serait pire qu’en 1986!

    Le bilan est lourd, voire très lourd :

    Le déficit budgétaire serait de 7,1% au lieu de 3,9% prévu dans la loi de finance de 2016 ; soit 2 900 millions de dinars (MD) de déficit en plus ! Autrement dit, 5 semaines de caisses vides !

    Les résultats enregistrés au cours des six premiers mois de l’année en cours(4), laissent apparaître un manque à gagner, par rapport aux résultats de la même période en 2015, au niveau de la collecte des impôts sur les bénéfices des sociétés de 739 MD. L’impôt sur les sociétes qui a été récolté atteint à peine 910 MD, au 30 juin 2016 ; soit 26,8% des ressources prévues pour l’année 2016 (3 380 MD), contre 52,8% en 2015 !

    La dette publique a explosé ! L’encours est passé de 25 600 MD en 2010 à 56 600 MD en 2016, et le taux d’endettement de 40,7% à 62,1%, alors que loi de finances a prevu un 53,4% !

    Au cours des six dernières années, les gouvernements successifs ont emprunté 34 000 MD, mais ont remboursé 28 000 MD ; soit un solde net, au titre de la dette publique à moyen et long terme, de 6 000 MD. Ce qui voudrait dire que son coût serait égal à la somme invraisemblable de 25 000 MD (5) ; soit l’équivalent de l’encours de 2010 !

    Seul un audit de la dette publique peut nous renseigner sur les comptes de la dette et permettre de mettre fin au truandage actuel.

    Jusqu’ici, seul le recours intensif à l’endettement a rendu possible la poursuite criminelle de la même politique économique et sociale, qui a poussé le pays à la révolte, dont la seule réussite est d’avoir maintenu un système hautement toxique en place. Mais, comme toute chose a une fin, ce palliatif est à bout de souffle. L’une après l’autre, les portes de l’emprunt deviennent hors d’atteinte, voire se referment. L’Etat Japonais a bien voulu, à deux reprises, garantir un emprunt obligataire. L’administration US en a fait de même, à trois reprises. La dictature du système de la dette se manifeste actuellement, par l’emprise totale des Institutions financières internationales sur l’Etat tunisien.

    YE évoque aussi la crise des finances des caisse sociales (6). Rien qu’en 2016 leur déficit s’élèverait à près 1 650 MD et la CNAM a un déficit de l’ordre de 1 400 MD. Le système de la sécurité sociale est en faillite, et ne se maintient que grâce aux subsides de l’Etat.

    YE a aussi effleuré la situation financière des entreprises publiques, qui n’est pas réjouissante non plus. Actuellement, parmi les 10 plus grandes entreprises opérantes en Tunisie, 9 sont publiques et réalisent 10% du PIB. Peu ou très peu de données statistiques sont publiés à ce sujet.

    Les finances des collectivités locales, notamment les municipalités, sont là aussi en piteux état. Non seulement ces dernières manquent terriblement de moyens, mais en plus leurs finances sont gangrénées par la mauvaise gestion et la corruption.

    Bref, le constat est accablant ; les finances publiques sont dans le rouge. L’Etat est plus que jamais menacé par un défaut de paiement généralisé ! Un signe qui ne trompe pas : le gouvernement a obtenu le report d’un remboursement d’une créance de l’ordre d’un milliard de dollars, au profit du Qatar, dont l’échéance arrive à terme en 2017.

    YE est pareil à un tueur qui, après avoir avoué ses crimes, ne cherche point à s’en repentir, mais plutôt à justifier ses crimes à venir.

    1)République tunisienne : ‘Résumé du programme d’action du gouvernement d’unité nationale”, Tunis 26 août 2016. Page 3. Document distribué aux députés de l’ARP lors de la séance du vote de confiance.

    2)Nous n’aborderons pas ici les raisons de ce faux mea-culpa

    3) C’est-à-dire : le budget de l’Etat, les entreprises publiques, les caisses sociales et les collectivités locales.

    4) Fayçal Derbel, président honoraire de l’ordre des experts comptables, lors des journées d’études parlementaires, organisées par l’ARP les 28 et 29 août 2016. Comparaison au 30 juin des résultats du budget 2016 et 2015.

    5) MD (encours de 2010) + 6 000 MD (solde net) + 25 000 MD (coût des nouveaux emprunts) = 56 600 (encours 2016 )

    6) CNSS et CNRPS.

    Source : Tunisia en Red

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  • Sabra et Chatila, trente ans après

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    En septembre 1982, les camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila situés à l’ouest de Beyrouth sont le théâtre d’un massacre perpétré par l’armée israélienne. Retour sur ces évènements qui couteront la vie à des milliers de personnes.

     

     

    Le chef des catholiques, Benoît XVI, vient d’arriver à Beyrouth. Quand il a quitté l’aéroport, pour se rendre dans la capitale du Liban, il a emprunté la route parcourue, il y a tout juste trente ans, par un convoi de véhicules fournis par l’armée israélienne transportant des miliciens chrétiens membres des Phalanges libanaises. Comme eux, il a traversé le rond-point de l’ambassade du Koweit où se trouvait, juste à côté, un immeuble de 7 étages au sommet duquel l’armée israélienne, qui encercle les camps de Sabra et Chatila voisins, avait installé son quartier général. Comme eux, il a longé la cité sportive sous laquelle sont ensevelis des centaines de corps de Palestiniens.

    Il est étonnant que la presse passe totalement sous silence que la visite du pape à Beyrouth coïncide avec le 30e anniversaire du massacre de milliers de Palestiniens vieillards, femmes, enfants dans les camps de Sabra et Chatila. Un massacre perpétré par les milices chrétiennes. Un massacre qui fut rendu possible grâce à la complicité active de l’armée israélienne. C’est dire la place insignifiante que le sort des Palestiniens occupe aujourd’hui dans la plupart des esprits occidentaux.

    Devant une telle négation d’un passé qui, pour les Palestiniens et leurs amis, ne passe pas, il m’apparaît nécessaire, dans le cadre d’une indispensable lutte contre l’impunité des crimes de masse, de rappeler les faits tels qu’ils se sont déroulés il y a trente ans.

    Le récit qui va suivre est le résultat d’une enquête effectuée entre 1999 et 2006. Je me suis rendu à quatre reprises au Liban. J’ai rencontré des survivants du massacre et des témoins occidentaux des évènements, en particulier du personnel médical de l’hôpital de Chatila. J’ai rencontré des journalistes et des chercheurs universitaires libanais et occidentaux. J’ai eu accès aux archives de plusieurs journaux libanais ainsi qu’à des documents confidentiels israéliens. J’ai relu le récit émouvant de Jean Genet, sur place quelques heures après les faits. J’ai lu tout ce qui a été publié sur le sujet au Liban, en France, aux Etats-Unis et en Israël. Les travaux sur l’origine d’Israël de ceux qu’on appelle les « nouveaux historiens israéliens », qui étudient les archives rendues publiques depuis 1978, ont été également très éclairants. Comme les travaux de la Commission MacBride sur les violations du droit international par Israël

    Rappelons le contexte historique. En 1947, le peuple palestinien et les Etats arabes n’acceptent pas le plan de partage décidé à l’Assemblée générale des Nations Unies qui permet d’amputer la Palestine au profit de la création d’un Etat israélien. Car, contrairement à une propagande diffusée dans le monde entier par les organisations sionistes, la Palestine n’était pas « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ».  Il y avait un million deux cent vingt-cinq mille Palestiniens sur cette terre en 1947.

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  • Shimon Peres du point de vue de ses victimes

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    Les nécrologies de Shimon Peres ont déjà été publiées, préparées sans aucun doute à l’avance, dès que la nouvelle de son hospitalisation est parue dans les médias. Le verdict sur sa vie est très clair et a déjà été prononcé par le président américain Barack Obama : Peres était un homme qui a changé le cours de l’histoire humaine dans sa recherche incessante pour la paix au Moyen-Orient. Mon intuition est que très peu des nécrologies examineront la vie et les activités de Peres du point de vue des victimes du sionisme et d’Israël.


    Il a occupé de nombreux postes en politique, postes qui ont eu un impact immense sur les Palestinien-ne-s où qu’elles et ils soient. Il a été directeur général du ministère israélien de la Défense, ministre de la Défense, ministre du développement de la Galilée et du Néguev (Naqab), Premier ministre et Président.

    Dans tous ces rôles, les décisions qu’il a prises et les politiques qu’il a poursuivies ont contribué à la destruction du peuple palestinien et n’ont rien fait pour faire avancer la cause de la paix et de la réconciliation entre Palestiniens et Israéliens.

    Né Szymon Perski en 1923, dans une ville qui faisait alors partie de la Pologne, Peres a émigré en Palestine en 1934. Adolescent dans une école d’agriculture, il est devenu actif en politique au sein du mouvement travailliste sioniste qui a dirigé le sionisme, et plus tard le jeune Etat d’Israël.

    Figure dominante des cadres du mouvement de jeunesse, Peres a attiré l’attention du haut commandement de la force paramilitaire juive de la Palestine sous mandat britannique, la Haganah.

    Bombe nucléaire

    En 1947, Peres a été pleinement recruté par l’organisation et envoyé à l’étranger par son leader, David Ben Gourion, pour acheter des armes qui ont ensuite été utilisées lors de la Nakba de 1948, le nettoyage ethnique des Palestinien-ne-s, et contre les contingents arabes qui sont entrés en Palestine cette même année.

    Après quelques années à l’étranger, principalement aux États-Unis où il était occupé à acheter des armes et à construire l’infrastructure pour l’industrie militaire israélienne, il est rentré pour devenir directeur général du ministère de la Défense.

    Peres était actif dans l’établissement de l’entente entre Israël, le Royaume-Uni, et la France, pour envahir l’Egypte en 1956, invasion pour laquelle Israël a été récompensé par la France avec la capacité nécessaire pour construire des armes nucléaires.

    En effet, c’était Peres lui-même qui a supervisé en grande partie le programme clandestin d’armement nucléaire d’Israël.

    Le zèle que Peres a montré sous la direction et l’inspiration de Ben Gourion pour judaïser la Galilée n’était pas moins important. Malgré le nettoyage ethnique de 1948, cette partie d’Israël faisait encore très campagne et paysage palestiniens.

    Peres était derrière l’idée de confisquer des terres palestiniennes dans le but de construire des villes juives exclusives comme Karmiel et Haute Nazareth, et de baser l’armée dans la région de manière à perturber la continuité territoriale entre les villes et villages palestiniens.

    Cette ruine de la campagne palestinienne a conduit à la disparition des villages palestiniens traditionnels, et à la transformation des agriculteurs en une classe ouvrière urbaine sous-employée et défavorisée. Cette triste réalité est toujours d’actualité.

    Le champion des colons

    Peres a disparu un certain temps de la scène politique lorsque son maître Ben Gourion, le tout premier Premier ministre d’Israël, a été poussé vers la sortie en 1963 par une nouvelle génération de dirigeants.

    Il est revenu après la guerre de 1967, et le premier portefeuille ministériel qu’il a occupé était celui de responsable des territoires occupés. Dans ce rôle, il a légitimé, très souvent de façon rétroactive, la course à la colonisation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

    Comme beaucoup d’entre nous réalisent aujourd’hui, au moment où le parti Likoud pro-colonisation est arrivé au pouvoir en 1977, l’infrastructure des colonies juives, notamment en Cisjordanie, avait déjà rendu impossible une solution à deux Etats.

    En 1974, la carrière politique de Peres est devenue intimement liée à celle de son ennemi juré, Yitzhak Rabin. Les deux hommes politiques, qui ne pouvaient pas se supporter, ont dû travailler en tandem pour des raisons de survie politique.

    Cependant, sur la stratégie d’Israël envers les Palestinien-ne-s, ils ont partagé la perspective coloniale sioniste, convoitant autant de terres de Palestine que possible avec le minimum de Palestinien-ne-s que possible.

    Ils ont bien travaillé ensemble pour réprimer brutalement le soulèvement palestinien qui a commencé en 1987.

    Le premier rôle de Peres dans ce partenariat difficile a été celui de ministre de la Défense dans le gouvernement Rabin de 1974. La première véritable crise à laquelle a du faire face Peres était une expansion majeure du mouvement colonial messianique Gush Emunim dans ses efforts de colonisation dans et autour de la ville de Naplouse, en Cisjordanie.

    Rabin s’est opposé aux nouvelles colonies, mais Peres se tenait aux côtes des colons. Les colonies qui désormais étranglent Naplouse sont là grâce à ses efforts.

    En 1976, Peres a dirigé la politique gouvernementale en direction des territoires occupés, convaincu qu’un accord pourrait être trouvé avec la Jordanie, par lequel la Cisjordanie serait sous compétence jordanienne tout en restant sous domination effective israélienne.

    Il a initié des élections municipales en Cisjordanie, mais à sa grande surprise et déception, les candidats liés à l’Organisation de libération de la Palestine ont été élus, et non ceux fidèles à la monarchie hachémite en Jordanie.

    Mais Peres est resté fidèle à ce qu’il a appelé l’ « option jordanienne » quand il était leader de l’opposition après 1977, puis quand il est revenu au pouvoir au sein de la coalition avec le Likoud entre 1984-1988. Il a poussé les négociations sur cette base jusqu’à la décision en 1988 du roi Hussein de cesser tout lien politique entre la Jordanie et la Cisjordanie.

    Le visage international d’Israël

    Les années 1990 ont exposé au monde un Peres plus mature et cohérent. Il était le visage international d’Israël, que ce soit au gouvernement ou à l’international. Il a joué ce rôle même après que le Likoud soit devenu la principale force politique du pays.

    Au pouvoir dans le gouvernement Rabin au début des années 1990, puis comme Premier ministre après l’assassinat de Rabin en 1995, puis en tant que ministre dans le cabinet d’Ehud Barak entre 1999 et 2001, Peres a mis en avant un nouveau concept pour ce qu’il appelait la « paix ».

    Plutôt que de partager le contrôle en Cisjordanie et dans la bande de Gaza avec la Jordanie ou l’Egypte, il voulait maintenant le faire avec l’Organisation de libération de la Palestine. L’idée a été acceptée par le chef de l’OLP, Yasser Arafat, qui avait espéré bâtir dessus un nouveau projet pour la libération de la Palestine.

    Comme il était inscrit dans les accords d’Oslo de 1993, ce concept a été approuvé avec enthousiasme par les alliés internationaux d’Israël.

    Peres a été le principal ambassadeur de cette mascarade de processus de paix, qui a fourni un parapluie international à Israël pour établir une politique du fait accompli sur le terrain, permettant de créer un plus grand apartheid israélien avec de petits bantoustans palestiniens dispersés en son sein.

    Le fait qu’il ait gagné un prix Nobel de la paix pour un processus qui a accéléré la ruine de la Palestine et de son peuple, est un nouveau témoignage de l’incompréhension, du cynisme et de l’apathie des gouvernements du monde entier envers la souffrance palestinienne.

    Nous sommes chanceux de vivre à une époque où la société civile internationale a exposé cette mascarade et a offert, à travers le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions, ainsi que le soutien croissant pour une solution à un Etat, un chemin à terme plus encourageant et authentique.

    Cana

    En tant que Premier ministre, Peres avait une « contribution » supplémentaire à apporter à l’histoire de la souffrance palestinienne et libanaise.

    En réponse aux escarmouches sans fin entre le Hezbollah et l’armée israélienne dans le sud du Liban, où le Hezbollah et d’autres groupes ont résisté à l’occupation israélienne qui a commencé en 1982 pour prendre fin en 2000, Peres avait ordonné le bombardement de toute la région en avril 1996.

    Pendant ce qu’Israël a appelé l’opération « Raisins de la colère », les bombardements israéliens ont tué plus de 100 personnes – des civils fuyant les bombardements et des Casques bleus des Fidji – près du village de Cana.

    Malgré une enquête des Nations unies qui a trouvé « peu probable » l’explication d’Israël selon laquelle le bombardement était un accident, le massacre n’a en rien écorné la réputation internationale de Peres comme étant un « artisan de la paix ».

    Au cours de ce siècle, Peres était plus une figure de proue symbolique qu’un homme politique actif. Il a fondé le Centre Peres pour la paix, construit sur une propriété de réfugié-e-s palestinien-ne-s confisquée à Jaffa, et qui continue de vendre l’idée d’un « Etat » palestinien avec peu de terre, d’indépendance ou de souveraineté, comme la meilleure solution possible.

    Cela ne marchera jamais, mais si le monde continue d’être accroché à cet héritage de Peres, il n’y aura pas de fin à la souffrance des Palestinien-ne-s.

    Shimon Peres a symbolisé l’embellissement du sionisme, mais les faits sur le terrain mettent à nu son rôle dans la perpétration de tant de souffrances et de conflits. Connaître la vérité, au moins, nous aide à comprendre comment aller de l’avant et défaire tant d’injustices que Peres a contribué à créer.

     

    Source: Etat d’exception

     

    Ilan Pappé est un historien israélien en exil. En Angleterre. il est professeur d’histoire. Il dirige aussi le Centre Européen pour les Études Palestiniennes et co-dirige le Centre pour les Études Ethno-Politiques, à l’Université d’Exeter. Retrouvez son livre La Propagande d’Israël sur notre boutique.

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  • L’Ethiopie à la croisée des chemins (1/3): l’Empire de Sélassié

     

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    Voilà plus d’un an que des manifestants défient le gouvernement éthiopien sous les tirs à balles réelles de la police. Sans défrayer la chronique ni même susciter l’intérêt des chancelleries occidentales promptes à promouvoir la démocratie partout dans le monde. « L’Éthiopie brûle », nous prévient Mohamed Hassan. Pour notre spécialiste de la Corne de l’Afrique, ancien diplomate éthiopien, les jours du gouvernement sont comptés. Pour le meilleur ou pour le pire. La chute du régime est une opportunité de voir les Éthiopiens construire un véritable État démocratique. Mais le pays pourrait tout aussi bien imploser dans des combats interethniques. L’Éthiopie est à la croisée des chemins. Après nous avoir fait traverser le Moyen-Orient et l’Afrique de l’Est dans la Stratégie du chaos et Jihad made in USA, Mohamed Hassan nous emmène dans son pays, l’Éthiopie. Cette première partie porte sur l’Empire de Hailé Sélassié. Quelle réalité cachait le mythe du « roi des rois » ? Comment le seul pays d’Afrique à ne pas avoir été colonisé est-il devenu une caricature de néocolonie ? Pourquoi Mohamed Hassan voulait-il changer de nom lorsqu’il était enfant ? Retour sur un empire qui a alimenté bien des fantasmes… 


     

    Vous dîtes que l’Éthiopie est en train de brûler dans l’indifférence quasi générale. Pourquoi tirez-vous la sonnette d’alarme ?

    Voilà près d’un an que des manifestants défient l’autorité du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), le parti qui domine la coalition au pouvoir. La répression est terrible. Des centaines de personnes y ont déjà laissé leur vie, mais la contestation continue à se répandre dans le pays comme une trainée de poudre. Le TPLF tient les rênes de l’Éthiopie depuis 1991. À travers la coalition du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), il s’est octroyé la totalité des sièges du Parlement lors des dernières élections législatives. Mais les gens en ont plus qu’assez de cette dictature, du manque de libertés et, surtout, des conditions de vie terribles. Les dirigeants corrompus du TPLF bradent les richesses de ce beau pays qu’est l’Éthiopie et laissent le peuple crever de faim. La situation est devenue explosive. Les premières manifestations sont parties de la région Oromo avant de gagner la communauté Amhara. La colère des Éthiopiens a ensuite éclaté dans la capitale Addis-Abeba. Le Premier ministre Haile Mariam Dessalegn a fait couper Internet avant d’autoriser la police à utiliser « tous les moyens nécessaires » pour réprimer ces manifestations qui « menacent l’unité du pays ». Getachew Metaferia, professeur de sciences politiques à l’université Morgan State aux Etats-Unis, décrit ainsi la situation : « Il n’y a pas de discussion fondamentale avec le peuple, pas de dialogue… Le niveau de frustration augmente. Je ne pense pas qu’il y aura un retour à la normale. »[1]

     

    Le gouvernement à la tête du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique serait-il sur le point de tomber ?

    Les jours du TPLF sont comptés. Les Oromo et les Amhara lui reprochent de monopoliser le pouvoir alors que les Tigré ne représentent que 6 % de la population. De fait, le TPLF a joué la carte de la division ethnique pour imposer sa suprématie. Et la communauté Tigré en est elle-même victime car seuls quelques privilégiés corrompus profitent de la mainmise du TPLF. La possible chute du gouvernement représente donc une opportunité, mais aussi un danger pour l’Éthiopie. Ce pays n’a connu que des dictatures. Aujourd’hui, il peut entrevoir l’occasion de construire un véritable État démocratique où tous les citoyens auront les mêmes droits et où les richesses serviront à rencontrer les besoins fondamentaux de la population. Mais le défi est de taille. Le TPLF a imposé un fédéralisme ethnique en Éthiopie, si bien que les mouvements d’opposition reposent pour la plupart sur des bases communautaires. Le danger de voir le pays imploser est donc réel. En fait, l’Éthiopie est à un carrefour. Si les manifestants et les partis d’opposition parviennent à unir leurs forces sur une base démocratique, l’Éthiopie sera un paradis sur terre. S’ils échouent, l’Éthiopie pourrait tout simplement disparaître.

     

    Les Éthiopiens sont dans la rue, le gouvernement fait tirer sur les manifestants, les opposants politiques sont jetés en prison, les accès à Internet sont coupés, la répression se durcit… Voilà un contexte qui rappelle furieusement celui des « printemps arabes ». Pourtant, l’Éthiopie ne fait pas la une des médias. Et nos chanceliers ne se bousculent pas pour soutenir la démocratie dans ce pays d’Afrique. Pourquoi ?

    Les journalistes étaient peut-être trop occupés avec le burkini et les Jeux olympiques. Ou alors, ils attendent que les services de presse de l’Otan mettent le sujet sur la table. Dans ce cas, ils pourront attendre longtemps. Les Etats-Unis ne vont pas intervenir en Éthiopie pour aider ceux qui aspirent à la démocratie comme ils ont prétendu le faire en Libye ou en Syrie. La relation qui unit Washington à Addis-Abeba, si elle a connu des hauts et des bas, est historique. C’est par l’Éthiopie que les Etats-Unis ont mis un premier pied en Afrique alors que le continent était colonisé par les puissances européennes. L’Éthiopie est ainsi devenue un allié stratégique de l’impérialisme US. Depuis de nombreuses années, le TPLF joue pour Washington le rôle de gendarme dans la Corne de l’Afrique. Il est intervenu militairement dans des pays hostiles à son employeur comme la Somalie, l’Érythrée ou le Soudan. Mais malheureusement pour lui, Obama n’a pas de plan B en Éthiopie pour remplacer ce régime aux abois. Ce n’est pas comme en Tunisie ou en Égypte où les Etats-Unis avaient d’autres coups à jouer pour remplacer leurs alliés historiques. Même si tout ne se passe pas comme prévu. Ce n’est pas non plus comme en Libye et en Syrie où Washington voulait se débarrasser des dirigeants en place. L’utilité du TPLF et l’absence d’alternatives expliquent donc la grande réserve d’Obama sur les événements qui secouent le pays. L’Éthiopie révèle ainsi les véritables motivations des Etats-Unis. Vous remarquerez qu’il n’y a que dans les pays qui leurs sont hostiles que les Etats-Unis soutiennent des « révolutions ». Chez leurs alliés, ils s’accommodent des pires dictateurs.

     

    Les Éthiopiens sont passés aux urnes l’an dernier et les élections se sont soldées par une victoire sans appel de la coalition au pouvoir. Le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF) a remporté la totalité des sièges. Comment expliquez-vous ce résultat ?

    Ces élections n’avaient aucun enjeu. Elles devaient simplement permettre de formaliser le règne sans partage du TPLF qui utilise la coalition au pouvoir pour avancer masqué, même si personne n’est dupe. Autrefois indépendantiste, le TPLF vient d’une région du sud de l’Éthiopie, à la frontière avec le Soudan et l’Érythrée. Il a participé au renversement de la junte militaire en 1991. Son leader, Meles Zenawi, a ensuite imposé d’une main de fer son hégémonie sur tout le pays jusqu’à sa mort en 2012. Les élections de l’an dernier ont simplement permis de confirmer officiellement dans ses fonctions le successeur de Zenawi, Haile Mariam Dessalegn. C’est le TPLF qui est réellement aux manettes en Éthiopie. L’EPRDF n’est qu’une coalition fantoche qui sert à masquer la mainmise d’une minorité sur tout le pays.

    La répression des opposants politiques et le boycott d’une partie de l’opposition expliquent ce résultat ubuesque. On peut dire que le TPLF a tiré les enseignements du scrutin de 2005. Cette année-là, sous la pression de ses parrains occidentaux, le parti au pouvoir avait voulu montrer un visage démocratique et s’était plus ou moins prêté honnêtement au jeu des élections. Résultat des courses : le TPLF avait perdu. Il avait légèrement entrebâillé la fenêtre, le vent s’était introduit et avait failli tout détruire dans la maison. Finalement, au nom de la réconciliation nationale, le TPLF avait repris la main et écrasé l’opposition avec la bienveillance de l’Union européenne et des Etats-Unis. Des opposants politiques, notamment ceux qui avaient réellement gagné les élections, ont été emprisonnés ou contraints à l’exil. Un nouveau parti politique s’est ainsi créé, Ginbot 7 qui veut dire « 7 mai », en souvenir de cette triste date des élections de 2005. On retrouve dans ce parti des victimes malheureuses du scrutin qui ont tiré les enseignements de cette amère expérience. Puisque le régime est incapable de reconnaître sa défaite et qu’il jouit du soutien des Occidentaux pour réprimer les opposants, aucun changement n’est possible en Éthiopie par la voie démocratique. Ginbot 7 s’est donc associé à un autre mouvement, le Front patriotique du peuple éthiopien, qui mène la lutte armée. Quant au parti au pouvoir, après la frayeur de 2005, il n’a plus tenté le diable lors des élections suivantes. L’EPRDF a cadenassé le système politique, remportant 99,6 % des sièges en 2010 et 100 % en 2015.

     

    Le score des dernières élections de 2015 ferait saliver n’importe quel dictateur à travers le monde. Mais la réaction de l’Union européenne est pour le moins ambigüe. Dans un communiqué, elle a timidement pointé l’arrestation de journalistes et d’opposants politiques, tout en jugeant « encourageant que le processus se soit déroulé de manière générale dans l’ordre et dans le calme ». L’Union européenne conclut qu’elle attend avec beaucoup d’intérêt de poursuivre la coopération avec le nouveau gouvernement. Plutôt paradoxal, non ?

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  • Sarkozy estimait il fallait virer Kadhafi

    La doxa officielle nous a affirmé, avec ses trémolos, qu’il fallait virer Kadhafi pour avoir martyrisé sa population.

     

    Nos sauveurs de la planète viennent d’être démentis. Les échanges téléphoniques d’Hillary Clinton avec N. Sarkozy, rendus dernièrement publics, confirment ce que nous avons toujours décrits : outre faire taire l’entourage de Kadhafi concernant le financement de la campagne de Sarkozy, simple anecdote, c’est la proposition de Kadhafi à l’Assemblée de l’OUA de remplacer les monnaies coloniales en Afrique par une monnaie panafricaine qui déclencha en réalité les hostilités. Cette nouvelle monnaie, proposait-il, devait se fonder sur l’or (comme le franc suisse), et non plus sur le franc CFA, celui-ci étant adossé à une monnaie qui ne vaut plus rien (l’équivalent de quelques grammes d’or aujourd’hui), le dollar US. Kadhafi était prêt à utiliser ses réserves d’or (143 tonnes) et ses réserves argent (140 tonnes) de sa banque centrale pour abonder celle d’une banque centrale panafricaine.

     

    Une fois la Lybie envahie, les réserves d’or et d’argent ont disparues … On apprendra plus tard que Sarko a vendu une partie importante des réserves en or de la banque de France. Bizarre !

     

    On ne menace pas le dollar US, directement ou indirectement, sinon c’est la mort assurée : Sadam Hussein, Hugo Chavez, Kadhafi, … pour les pays les plus faibles, la menace nucléaire sur l’axe Moscou – Pékin (la moitié de l’humanité) pour les plus forts.

    Le dollar US ne tient que par l’agressivité du Pentagone.

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  • Après avoir soutenu Snowden, le Washington Post demande son inculpation

    Une première dans l’Histoire du journalisme : le Washington Post demande l’inculpation de sa propre source – après avoir accepté le prix Pulitzer

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    Trois des quatre médias qui ont reçu et publié un grand nombre de documents secrets de la NSA fournis par Edward Snowden – The Guardian, le New York Times etThe Intercept – ont demandé au gouvernement des États-Unis de permettre au lanceur d’alerte de la NSA de rentrer aux Etats-Unis sans risques. Un geste normal pour une organe de presse à qui il incombe de protéger ses sources et qui – par le simple fait d’accepter les documents de la source et de les publier – déclare implicitement que les informations fournies par la source sont d’un intérêt public.

    Mais pas le Washington Post. Face à une campagne grandissante menée par l’ACLU [Organisation de défense des droits civiques aux Etats-Unis – NdT] et Amnesty pour obtenir un pardon pour Snowden, en coordination avec la sortie ce week-end du biopic d’Oliver Stone, ’Snowden,’ l’éditorial du Post aujourd’hui s’est non seulement prononcé contre un pardon, mais a explicitement demandé que Snowden – la propre source du journal – soit poursuivi pour espionnage ou, comme « solution de rechange », qu’il accepte « une mesure de responsabilité pénale pour ses excès et que le gouvernement des États-Unis offre une mesure de clémence. »

    Ce faisant, le Washington Post a réalisé un exploit ignominieux dans l’histoire des médias US : être le premier journal à avoir explicitement demandé des poursuites pénales contre sa propre source – sur le dos de qui le journal a remporté et accepté avec empressement un Prix Pulitzer du Service Public. Mais encore plus stupéfiant que cet acte de trahison journalistique contre la propre source du journal sont les arguments avancés pour le justifier.

    Les éditorialistes du Post concèdent qu’un – et un seul – des programmes révélés grâce à Snowden l’avait été à juste titre – à savoir le programme de métadonnées interne, parce qu’il était « un détournement, sinon une violation pure et simple, du droit fédéral de surveillance, et posait des risques à la vie privée ». En ce qui concerne la « législation corrective » qui a suivi sa révélation, le Post reconnaît : « Nous devons ces réformes nécessaires à M. Snowden » Mais ce programme de métadonnées n’a pas été révélé par le Post, mais plutôt parThe Guardian.

    Autre que cette révélation initiale de Snowden, suggère le Post, il n’y avait aucun intérêt public à révéler les autres programmes. En fait, affirment les éditorialistes, leur révélation a causé un véritable préjudice. Ceci inclut le programme PRISM, au sujet duquel le Post s’exprime ainsi :

    Ce qui complique les choses est que M. Snowden a fait plus que cela. Il a également volé, et fuité, des informations sur un programme distinct de la NSA de surveillance de l’internet à l’étranger, PRISM, qui était clairement légal et ne constituait aucune menace évidente contre la vie privée. (Il était également temporaire, car la loi l’autorisant expire l’année prochaine.)

    En faisant valoir qu’il n’y avait aucun intérêt public à révéler le programme PRISM, les éditorialistes du Poston oublié de mentionner un détail. Que le journal (en même temps que The Guardian) qui a choisi de révéler le programme PRISM en étalant ses détails opérationnels et le manuel top-secret en première page s’appelle… le Washington Post. Puis, après avoir choisi de le faire, ils ont explicitement vanté leur révélation du programme PRISM (ainsi que d’autres révélations) lorsqu’ils ont postulé pour le prix Pulitzer.

     

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  • Retour sur l'assassinat d'un ministre d'Allende : extrait du livre L'équipe de choc de la CIA.

    Orlando Letelier et Ronny Moffit : assassinats à Washington

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    Le 21 septembre 1976, une bombe puissante explosa en plein Massachusetts Avenue, dans le secteur connu comme le Quartier des Ambassades à Washington. Actionnée à distance, elle était placée dans l’auto d’Orlando Letelier et le tua sur le coup, ainsi que Ronny Moffit, sa secrétaire de nationalité étasunienne. Il s’agissait du second assassinat politique dans l’histoire de cette ville. Le premier avait été celui visant le président Abraham Lincoln, en avril 1865.

    Entre 1970 et 1973, Letelier avait occupé des fonctions de très haute responsabilité dans le gouvernement d’Allende. Au moment du coup d’Etat, il était ministre de la Défense, donc le supérieur de Pinochet. Il fut arrêté et déporté avec d’autres dirigeants du gouvernement, vers un camp de concentration glacial au sud du pays. Devant la pression internationale, il fut libéré quelques mois après. A sa sortie du pays, il devint l’un des principaux accusateurs de la dictature.

    Il était normal que l’on pense immédiatement que Pinochet était le responsable de cet assassinat. Mais étonnamment, une autre thèse commença à être diffusée par la grande presse des Etats-Unis. Et comme c’est presque toujours le cas, elle fut reprise par de nombreux autres médias à travers le monde. Dans son édition du 11 octobre, la revue Newsweek fut la première à publier un « rapport secret » qu’une source de « haute confiance » lui avait remis. Le lendemain, le New York Times le mit en relief dans ses pages principales. Et peu de jours après, le Washington Post en fit de même. Il s’agissait d’un document réalisé par la CIA et destiné au FBI.

    Il y était écrit que l’assassinat de Letelier n’était peut-être pas dû à un ordre de Pinochet : « Les services de sécurité indiquent qu’une enquête parallèle cherche à déterminer si Monsieur Letelier n’aurait pas pu être assassiné par des extrémistes de gauche, afin de compromettre les relations des Etats-Unis avec la junte militaire. ». Et c’est alors que fut lancée une hypothèse monstrueuse : les « extrémistes » auraient éliminé Letelier parce qu’il avaient besoin de « se créer un martyr ».

    L’enquête se convertit alors en une chose extraordinairement fastidieuse, complexe, où l’on ne voyait aucun progrès, même si tout paraissait clair. Il n’était pas difficile de découvrir, sans faire beaucoup d’efforts, qu’il existait des tensions, un conflit entre le FBI et la Justice vis-à-vis de la CIA et du Département d’Etat, car ces derniers refusaient de partager les informations sur l’opération Condor et en particulier sur l’assassinat.

    Situation logique: c’était au moment où le Congrès s’efforçait de pousser l’Agence dans ses derniers retranchements, et où Bush ne pouvait permettre qu’elle semble être mêlée à quelque chose d’aussi délicat.

    Les autorités fédérales durent mener des milliers d’entretiens et trier parmi des centaines de fausses pistes créées par la CIA elle-même, sur ordre personnel de Bush, comme on le sut des années plus tard lors des enquêtes sur l’Opération Condor. Au moment où l’on croyait que l’impunité serait le seul résultat concret, cinq hommes furent présentés comme responsables: tous avaient une expérience d’agent à la CIA. Parmi eux, quatre étaient d’origine cubaine.

    Townley était le chef de l’équipe. Fin juin 1976, il avait reçu l’ordre de tuer Letelier, quelques jours après l’entrevue de Kissinger avec Pinochet. Bosch Ávila autorisa ses compatriotes Dionisio Suarez, Virgilio Paz Romero et les frères Novo Sampoll, à participer au crime.

    Dans son témoignage du 16 décembre 1991, le commissaire général de l’époque de la DISIP vénézuélienne raconta devant la justice chilienne que Morales Navarrete lui avait dit, en 1981, que l’assassinat de Letelier avait été planifié à Bonao.

    Le 12 mai 2005, l’ex-général Contreras présenta un document dans lequel il confirmait et développait ce qui a été dit plus haut, revenant en détail sur le crime contre Letelier, pour lequel il était condamné. Il y dit notamment :

    “Le sous-directeur de la CIA, le général Vernon Walters informa le président de la République Chilienne [Augusto Pinochet] qu’Orlando Letelier constituait un danger pour les Etats-Unis, puisque des informations obtenues par la CIA avaient établi la preuve qu’il travaillait en tant qu’espion du KGB sur le territoire des Etats-Unis […]

    En accord avec ce qui avait été planifié lors de la réunion à Bonao, en République Dominicaine, et avec la concertation préalable du sous-directeur de la CIA et du Président du Chili, celui-ci décida personnellement, exclusivement et directement l’action de […] Michael Townley contre Monsieur Orlando Letelier del Solar, en ordonnant à Townley de partir pour les Etats-Unis en septembre 1976 et de mettre le plan à exécution […]”.

    Pendant de nombreuses années, les tribunaux chiliens rejetèrent la participation de la CIA à ce crime, sûrement à la suite de puissantes pressions externes. Ils ne prirent pas en compte les arguments de l’ex-général Contreras, ajoutant qu’il s’agissait d’un stratagème pour éluder ses responsabilités et sa condamnation.

    Le fonctionnaire chilien Adolfo Bañados qui instruisit l’enquête, souligna quelque chose de très révélateur, bien que largement ignoré: « Je me souviens d’avoir envoyé un officier aux Etats-Unis pour poser des questions sur le contenu de cette réunion en République Dominicaine au président George Bush père, qui avait été chef de la CIA. Par l’intermédiaire de l’un de ses sous-secrétaires, Bush répondit que dans cette réunion, il n’avait jamais été question de projet visant à éliminer qui que ce soit ». (1)

    Ainsi niée, l’idée que l’assassinat ait été planifié à Bonao était écartée. Mais cette réponse confirma que Bush et la CIA avaient eu connaissance de la réunion du CORU, ainsi que des sujets qui y furent abordés.

     

    L’impunité des agents du CONDOR et du CORU

     
    Michael Townley, peut-être le principal terroriste sur lequel compta l’Opération Condor, fut extradé du Chili vers les Etats-Unis en 1978. Il y fut emprisonné seulement cinq ans, car il s’était mis sous la protection du Programme de Protection de Témoins. Il travailla ensuite pour le FBI, sous une nouvelle identité. Lorsque d’autres nations le sollicitèrent pour l’interroger en tant que responsable présumé de crimes, ou en qualité de témoin, les autorités de son pays s’y opposèrent régulièrement. Quand elles acceptèrent, comme ce fut le cas pour l’Italie, on ne put lui poser de questions qui auraient impliqué quelque institution étasunienne que ce soit. Il a été clairement dit à la justice argentine que Townley ne sera jamais présenté aux juges de ce pays.

    Les frères Novo Sampoll, eux non plus, ne firent pas long feu en prison. Ils furent condamnés puis relaxés en deuxième instance. José Dionisio Suarez et Virgilio Paz furent en fuite pendant 14 ans. Le FBI inclut le premier dans le programme télévisé « America’s Most Wanted » (« Les hommes les plus recherchés d’Amérique »), car il était en effet l’une des dix personnes les plus recherchées de cette nation, pour cause de haute dangerosité. Sa photo était placardée dans de nombreux bureaux fédéraux. Et malgré cela, il coulait des jours tranquilles à Porto Rico – colonie étasunienne – où il se maria en 1982 sous son vrai nom. Après avoir été arrêté en 1990, on sut que depuis 1984, il était allé en Amérique Centrale et avait participé à la guerre sale que la CIA et la Maison Blanche menaient contre le gouvernement sandiniste du Nicaragua. C’est là-bas qu’il rencontra Paz.

    Des enquêtes privées démontrèrent qu’ils intégrèrent tous les deux le réseau de trafic de drogue qui finança en partie ces opérations. (2)

    Tous deux furent détenus en Floride, sans le grand déploiement policier habituel dans ces cas. Tout se passa dans un calme total. Comme entre personnes qui se connaissent. Il est possible qu’avec leur capture, les autorités étasuniennes aient voulu démontrer qu’elles aussi punissaient les hommes impliqués dans l’Opération Condor sur leur territoire.

    Ils ne furent condamnés qu’à douze ans de prison, alors qu’ils avaient reconnu être les auteurs du double crime, ce qui, normalement, était passible de la perpétuité. Huit ans après, il s’en est fallu de peu pour qu’ils ne soient remis en liberté, mais le Département de la Justice s’y opposa. Le Service d’Immigration et de Naturalisation (SIN) réussit à les garder derrière les barreaux presque quatre ans de plus, considérant qu’ils représentaient un danger pour la communauté. Finalement, les portes de la prison s’ouvrirent le 26 juillet 2001 pour Virgilio Paz et le 14 août pour José Dionisio Suarez.

    Le président George Walker Bush, le fils à présent, leur pardonna et autorisa leur libération.
    « Je suis surpris. Le système fonctionne. », déclara Paz Romero, quelques heures après avoir été libéré. « C’est dommage qu’il ait été si lent, mais il fonctionne. Que Dieu bénisse la démocratie ». (3)

    Pendant la conférence de presse qu’il donna quelques jours après, il affirma qu’il n’éprouvait aucun remords pour la mort de l’ex-chancelier Letelier, et que par conséquent, il n’avait pas d’excuses à présenter à sa famille. Il précisa qu’il dirait à la veuve : « Votre mari était un soldat dévoué à sa cause ». (4)

    Etrangement, ni au Chili, ni en Italie, ni en Argentine, ni dans d’autres nations touchées par leurs crimes et leurs actions terroristes, les personnes chargées de rendre la justice n’eurent l’idée de demander leur extradition, ni même leur témoignage. Quant aux autorités cubaines, qui pourtant les réclamait dans le cadre de plusieurs affaires de terrorisme, elles virent leur demande rejetée par les Etats-Unis.

    Le 20 mai 2002, presque un an après, le président Bush fils était à Miami. Sa principale activité fut de prononcer un bref discours devant quelque deux mille personnes. L’immense majorité était composée de vétérans du Projet Cuba et de la JM/WAVE. Autrement dit, des anciens agents de la CIA. Outre le fait de proposer toute son aide pour en terminer avec la révolution cubaine, le président insista sur son engagement dans la « guerre contre le terrorisme ». A peine huit mois plus tôt avaient eu lieu les terribles attentats à New York et à Washington.

    Paz et Suarez se tenaient non loin de l’estrade, prouvant ainsi que ceux qui servaient les intérêts étasuniens étaient excusés d’être des terroristes. Orlando Bosch Ávila qui était rentré aux Etats-Unis en février 1988, se trouvait là aussi…

    Ce n’était pas seulement la couverture de la CIA protégeant les hommes de l’Equipe de choc qui leur permettait de se moquer de la justice. Il y avait maintenant une autre raison très importante.
    Un enquêteur étasunien déclara que Paz et Suarez étaient sortis de prison, parce que Bush fils voulait « faire plaisir à des amis cubains anti-castristes, envers qui il a une grande dette. » (5)

    Une dette immense à vrai dire. C’est en Floride qu’a eu lieu la fraude qui lui a permis de remporter les élections, alors qu’il était en train de perdre face à Al Gore, le candidat du parti Démocrate.
    La Floride était aussi l’état dont son frère, John Ellis « Jeb », était parvenu à être le gouverneur en 1999, grâce à une solide alliance avec le secteur dirigé en grande majorité par des vétérans du JM/WAVE.

    Ann Louise Bardach, journaliste au New York Times et à la revue Vanity Fair, rapporta dans l’un de ses livres quelques secrets de la famille Bush dans le sud de la Floride, en soulignant ses puissants liens, et en particulier ceux de Jeb, avec les groupes les plus extrémistes de la communauté d’origine cubaine. (6)

    Elle affirme que Jeb a été l’instrument idéal pour que son père et son frère facilitent la libération d’individus jugés pour actes terroristes, ou pour qu’ils fassent stopper des enquêtes du même acabit, en échange d’un appui financier et électoral décisif.

    Notes:
    1) Mentionné dans: Osorio, Víctor. “Las pruebas de la DINA contra Posada Carriles.” Crónica Digital, Santiago du Chili, 23 mai 2005.
    2) Scott, Peter Dale et Marshall Jonathan, Cocaine politics, Op.cit.
    3) BBC Monde, 27 juillet 2001.
    4) BBC Monde. 2 août 2001.
    5) Landau, Saul. “Albergando terroristas: Nuestra propia lista”. PolíticaConoSur, 3 septembre, 2001.
    6) Bardach, Ann Louise. Cuba Confidential: Love and Vengeance in Miami and Havana. Vintage. New York, 2003.

    Hernando Calvo Ospina est journaliste et écrivain. Ce texte est un extrait de l’ouvrage L’equipe de choc de la CIA. Editions Le temps des cerises, Paris, 2009.

    Source: Investig’Action

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