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Économie - Page 7

  • Grèce : l'ultimatum des créanciers fait « pschitt »

     

    Alexis Tsipras a rejeté l'offre des créanciers, mais les discussions se poursuivent. L'ultimatum est donc déjà caduc. Mais le nœud gordien des négociations demeure : les retraites.

     

    La réunion entre le premier ministre grec Alexis Tsipras et le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a donc échoué mercredi 3 juin (2015) au soir. Jeroen Dijsselbloem, le président de l'Eurogroupe, convoqué pour retranscrire les termes d'un éventuel accord et convoquer dans la foulée une réunion des ministres des Finances de la zone euro, est donc reparti sans rien avoir à faire. Le blocage persiste, mais les discussions, affirme-t-on, vont continuer.

     

    L'échec de cette énième « rencontre de la dernière chance » et le fait même que les discussions continuent prouvent en tout cas que la manœuvre des créanciers consistant à proposer une « dernière offre » à Athènes qui serait « à prendre ou à laisser » a d'ores et déjà échoué. Cette forme dérivée d'ultimatum puisque la date limite n'était pas fixée officiellement, mais basée sur les échéances de remboursement de la Grèce n'a pas davantage été suivie d'effet que le précédent ultimatum de fin mars lorsque les créanciers avaient enjoints Athènes de présenter une « dernière » liste de réformes... avant d'en demander d'autres.

     

    Un plan en forme de provocation

     

    Ce plan soumis par les créanciers mercredi 3 juin au gouvernement grec était, il est vrai, inacceptable pour Alexis Tsipras et son gouvernement. Même le quotidien conservateur Ta Nea titre ce jeudi matin sur une « taxe de sang pour un accord. » Ce plan, fruit de pénibles discussions entre les représentants de la zone euro et du FMI, était une véritable provocation. Certes, il assouplit les objectifs d'excédents primaires (hors service de la dette) par rapport au plan de 2012 : 1 % du PIB en 2015 au lieu de 3 %, 2 % en 2016 au lieu de 4,5 %. Mais compte tenu de la dégradation de la conjoncture, ces objectifs signifiaient encore des coupes budgétaires massives.

     

    Les créanciers réclament aussi une modification du régime de la TVA, avec deux taux au lieu de trois. Un taux principal qui demeure à 23 % et un taux « unifié » à 11 % qui regroupe les deux taux réduits actuels de 13 % et 6,5 %. Ceci signifie que les produits de base et l'énergie verraient leur taux de TVA passer de 6,5 % à 11 %. Enfin, les créanciers réclament une suppression des exemptions pour les îles de l'Egée. En tout, la TVA sera alourdie de 1,8 milliard d'euros. Enfin, les créanciers exigent des coupes dans les retraites dès juillet, de 0,25 % à 0,5 % du PIB pour 2015 et 1 % du PIB en 2016. Et le report de la retraite complémentaire pour les pensionnés les plus faibles jusqu'en 2016.

     

    C'était imposer une nouvelle cure d'austérité à l'économie grecque et affaiblir encore les plus fragiles. Et c'était donc aussi chercher à provoquer l'aile gauche de Syriza et à obtenir sa dissidence par la volonté nette « d'enfoncer » les « lignes rouges » sur les retraites du gouvernement Tsipras. Le premier ministre le sait, il a donc rejeté immédiatement ce plan. Ce jeudi 4 juin au matin, le gouvernement grec a donc rejeté officiellement le plan des créanciers : « ce n'est pas une base sérieuse de discussion. » Dès mercredi soir, avant son départ pour Bruxelles, Alexis Tsipras avait assuré que « à la fin de la journée, la seule option réaliste restera le plan grec. » Ce dernier, soumis le lundi 1er juin aux créanciers, prévoit des excédents primaires de 0,8 % du PIB cette année et 1 % l'an prochain, une réforme « neutre » de la TVA et la suppression des schémas de départ en préretraites.

     

    Bluff de l'ultimatum

     

    Le premier ministre hellénique a donc fait preuve de sang-froid et a, de facto, rejeté « l'ultimatum. » Si cet ultimatum en était réellement un, il n'y aurait plus de discussions possibles. Or, ce n'est pas le cas. Alexis Tsipras a même fait preuve de bonne volonté en annonçant que la Grèce paiera son échéance de 300 millions d'euros environ au FMI vendredi 5 juin, ce qui permet de poursuivre les discussions. C'est clairement une volonté de ne pas « rompre » avec les créanciers, mais c'est aussi la preuve qu'on peut discuter la proposition des créanciers, ce qui est l'inverse de la définition d'un ultimatum. Mercredi, le porte-parole du groupe parlementaire de Syriza, Nikos Fillis, avait prévenu qu'il n'y aurait pas de paiement « sans perspective d'un accord. » Il faut donc considérer qu'il y a une telle perspective. Selon Dow Jones, le premier ministre grec pourrait faire une contre-proposition. Tout ceci signifie donc que cet ultimatum n'en était pas un. C'était un bluff destiné à forcer la décision des Grecs.

     

    Premières concessions des créanciers

     

    En réalité, les créanciers semblent de plus en plus désemparés par la fermeté grecque. Ils lancent des ultimatums, mais ne peuvent accepter de tirer les leçons d'un rejet de ces derniers, autrement dit provoquer le défaut grec. Peu à peu, leur position de faiblesse devient plus évidente. Et ils commencent à reculer. Selon le Wall Street Journal, les créanciers abandonneraient désormais leurs exigences de réductions d'effectif dans la fonction publique et de réformes du marché du travail. Ce dernier point était une des « lignes rouges » du gouvernement grec qui obtient ici une nette victoire. De plus, selon France 24, François Hollande et Angela Merkel auraient accepté, mercredi soir, dans une discussion téléphonique avec Alexis Tsipras, qu'il fallait abaisser les objectifs d'excédents primaires. Ce pourrait être une ouverture pour accepter les objectifs helléniques.

     

    Des concessions contre des coupes dans les pensions ?

     

    Qu'on ne s'y trompe pas cependant : ces concessions pourraient n'être qu'un moyen d'arracher l'acceptation par Athènes de ce qui apparaît comme le nœud gordien de ces discussions : la réforme des retraites et les coupes dans les pensions. Il devient progressivement de plus en plus évident que le camp qui cèdera sur ce point aura perdu la partie en termes de communication. L'obsession des créanciers pour la réduction des pensions en a fait un sujet clé. Or, socialement et politiquement, le gouvernement Tsipras ne peut accepter ces mesures. « La question des retraites est un sujet des plus symbolique non seulement pour les citoyens grecs, mais aussi pour un gouvernement qui se dit de gauche », affirme une source proche du gouvernement à Athènes qui ajoute : « pour le gouvernement, une nouvelle réduction des retraites est absolument exclue. » Le gouvernement grec ne semble donc pas prêt à « négocier » les retraites contre l'abandon des exigences concernant le marché du travail. Car si le système de retraite grec est difficilement tenable à long terme (mais les systèmes allemands et français le sont tout autant), si même dans le gouvernement grec, on convient à demi-mot qu'il faudra sans doute le réformer un jour, il est impossible d'y toucher aujourd'hui. Pour deux raisons.

     

    Pourquoi Alexis Tsipras ne peut céder sur les retraites

     

    La première est sociale. Tant que le chômage est élevé et que le taux d'indemnisation des chômeurs est faible (14 %), les retraites ont une fonction sociale centrale. Elles permettent de faire jouer la solidarité familiale. C'est un amortisseur incontournable. Baisser à nouveau les retraites ne frappera donc pas que les retraités, cela frappera toute la société et notamment les jeunes dont le taux de chômage, rappelons-le, est de 60 %. La réforme des retraites ne peut donc intervenir dans cette situation. Il faut d'abord recréer les conditions de la croissance et de la reprise de l'emploi. La seconde raison est politique. Baisser les pensions dès la première année pour un gouvernement de gauche, c'est faire ce qu'Antonis Samaras avait refusé. C'est donc abandonner symboliquement son positionnement de gauche. Nouvelle Démocratie et le Pasok auront beau jeu de prétendre qu'ils défendaient mieux les retraités et les chômeurs que Syriza. Ce serait aussi inévitablement conduire Syriza à la rupture, beaucoup au sein du parti estimant, non sans raison, qu'il s'agit là d'une trahison et que, dans les futures élections, il faudra s'être présenté comme un défenseur des retraités. Alexis Tsipras ne peut accepter ces deux conséquences. Il est donc peu vraisemblable qu'il cède sur ce point.

     

    Blocage

     

    Bref, comme le signale la source athénienne déjà citée : « le gouvernement acceptera tout accord qui sera ressenti comme un progrès par rapport à la situation d'avant le 25 janvier. » Autrement dit, le gouvernement grec ne peut accepter d'accord avec des baisses dans les pensions. Mais, on l'a vu, les créanciers, n'ont désormais pour but principal que cette question des retraites. Le blocage semble donc total et les créanciers, eux, pourraient être tentés par un « report à plus tard » des discussions, mais pour cela, il faut trouver un moyen de financer les quelques 12 milliards d'euros que la Grèce doit payer d'ici à septembre prochain. Or, verser les fonds à Athènes sans accord serait aussi une défaite symbolique pour les créanciers...

     

    Biais idéologique

     

    En réalité, ce blocage n'est dû qu'à ce biais idéologique que portent les créanciers et qui centre la solution sur une vision comptable de l'économie. La solution au problème des retraites, comme aux autres maux de la Grèce, est pourtant ailleurs : il est dans la relance de l'économie grecque, dans sa reconstruction, dans la restructuration de sa dette publique et privée et dans la lutte active contre le chômage. Dès lors, une réforme des retraites deviendra possible. Mais la situation semble avoir échappé à toute logique. Et c'est bien pourquoi Alexis Tsipras estime que seul le plan grec est une base « réaliste » à la discussion

    Romaric Godin

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  • Buvez le thé et les tisanes de SCOP TI et 1336

    Encore un exemple de ce que même très longue, la lutte paie : les simples ouvriers qui faisaient du Thé de l'Eléphant bourré de produits chimiques et des tisanes d'import lorsque leur usine a été menacée de fermeture par UNILEVER l'ont occupée, se sont battus comme des chiens, ont emporté le soutien si nécessaire des élus locaux, ont décidé de faire en même temps s'ils redémarraient du BON thé et des tisanes issues des champs du Midi... toute une métamorphose certes la SCOP n'est pas la panacée, il faut rester vigilant et il leur reste à s efaire un nouveau marché mais voilà, ils ont TENU, ils ont GAGNE ... !!

    Beau, non ? Allez les voir !

    Soutenez les , achetez plutôt leur thé et leurs tisanes que celles des grandes entreprises qui vous vendent de la m... (en tant que buveuse de thé, j'en sais qqchose, avec des sachets insipides que tous les cafés vous vendent maintenant au prix de 5 euros,de  la marque Comptoir RICHARD à boycotter = de l'eau chaude !! mais payée moins cher par les cafetiers)

    Evelyne PERRIN pour le réseau Stop Précarité

    Ayant fait un tour de France de 40 usines en lutte en 2009-2010, sous le titre "Haute tension" où des luttes pour reprendre nos usines en SCOP ont été menées, je vous joins mon manuscrit, ainsi que mon intervention lors d'un splendide "séminaire ouvrier d'ESS" tenu là-bas en 2012...

     

     

    COMMUNIQUÉ DE PRESSE SCOP TI du 26 MAI 2015

    Voilà , c’est officiellement parti !!

    Vous cliquez sur le lien ci-dessous et vous pourrez découvrir la vidéo du lancement de nos marques :

    www.scop-ti.com

     

    UNE PREMIÈRE VICTOIRE « SYMBOLE »

    Pendant 1336 jours, les Fralibs ont mené une lutte sans pareil pour conserver un fleuron de l’industrie sur le territoire français depuis plus d’un siècle , une usine de + de 12 000m2 située à Gémenos depuis 1989  et dans laquelle sont fabriqués thés et infusions.

    Pendant 1336 jours, des femmes et des hommes se sont relayés pour faire peser leur droit face aux dérives d’un capitalisme obsédé par les chiffres et peu considérant des conditions de travail et de la qualité du produit vendu au consommateur.

    Pendant 1336 jours, médias et citoyens de tous horizons sont venus apporter leur soutien pour que les 182 salariés de Falibs continuent de faire ronronner les machines sur le territoire français.

    Et le 26 Mai 2014, la détermination et le courage de ces salariés ont été récompensés par la signature d’un protocole d’accord avec le géant Unilever.

    C’est une victoire exemplaire de grande portée.

     

    UN NOUVEAU DÉFI DE TAILLE

    C’est sous le nom de SCOP TI, Société Coopérative Ouvrière Provençale de Thés et Infusions que 58 coopérateurs des 76 salariés surnommés « les Fralibs » pendant la lutte, vont relancer une production sur le site de Gémenos.

    SCOP TI s’engage donc dans la voie d’une nouvelle organisation, plus humaine, moins hiérarchisée où chaque voix compte.

    SCOP TI souhaite produire de la qualité en thé, infusions, nature et parfumé avec arome 100% naturelle.

    Rebâtir la filière agricole provençale, décimée par les stratégies de délocalisation menées par les grands groupes de l’agro-alimentaire.

    Aujourd’hui le mardi 26 mai 2015, SCOP TI lance deux nouvelles marques de thés et infusions au niveau national, qui sera référencée dans une grande partie des réseaux de distribution.

    Ces marques seront l’emblème à la fois d’une lutte historique et d’un ensemble de valeurs aujourd’hui centrales : le « manufacturé en France » dans le respect des travailleurs et l’exigence d’une qualité 100% naturelle et gustative.

    C’est désormais au tour du consommateur de participer à cette belle aventure en choisissant les thés et infusions de la coopérative SCOP TI dans les rayons des grandes surfaces et réseaux spécialisés ! En devenant  des « consom-acteurs »

     

    Amicalement les SCOPTISTES !!!

     

    À LIRE EN COMPLÉMENT :

    Haute tension.nveau der.doc

    Séminaire Ouvrier d'ESS FRALIB Intervention E Perrin.doc

     

     

     

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  • Partenariat Trans-Pacifique et mort de la République


    par Ellen Brown

     

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    Alors que la Commissaire européenne Cecilia Malmström vient de défendre le projet du TTIP devant le parlement fédéral belge, Investig'Action vous propose cette analyse d'un autre accord de libre-échange qu'est en train de négocier Washington. Le TPP, tout aussi discret que son pendant transatlantique, est un accord entre les Etats-Unis, le Mexique, le Canada, le Japon, Singapour et sept autres partenaires concernant 40 % de l’ensemble des marchés mondiaux. La juge Ellen Brown relève comment cet accord ferait passer le droit des multinationales avant celui des citoyens. Un problème qui se pose aussi à travers le TTIP.

     



    «  Les Etats-Unis s’engagent à garantir à chaque état de l’Union une forme de gouvernement républicaine » - Article IV . Section 4. Constitution des Etats-Unis

    Une forme républicaine de gouvernement est celle qui donne le pouvoir à des représentants des citoyens, officiellement élus et exerçant le pouvoir conformément aux termes de la loi. Dans The Federalist Papers, James Madison définit la république comme « un gouvernement qui tient tous ses pouvoirs directement ou indirectement de l’ensemble de la population… »

    Or il faut savoir que, le 22 avril 2015, la commission Finance du sénat a approuvé une loi autorisant le traitement accéléré du Partenariat Trans-Pacifique (TPP), important accord commercial qui court-circuiterait notre forme républicaine de gouvernement et confierait le pouvoir législatif et judiciaire à un groupe étranger d’avocats associés constitué de trois personnes.

    Ce si discret TPP est un accord entre le Mexique, le Canada, le Japon, Singapour et sept autres partenaires concernant 40 % de l’ensemble des marchés mondiaux. L’autorité compétente pour le traitement accéléré - fast track - de ce dossier peut désormais soumettre son texte en séance plénière au Sénat dès la semaine prochaine. Fast track signifie que le Congrès ne pourra amender l’accord commercial qui sera soumis à un vote à la majorité simple des élus. La négociation secrète du traité et son vote accéléré par le Congrès est ainsi jugée indispensable pour en assurer l’approbation car, si l’opinion publique avait le temps d’en étudier tous les aspects, l’opposition pourrait s’organiser et le rejeter.

     

    Abdiquer le pouvoir judiciaire en faveur d’un groupe d’avocats associés

     

    James Madison a écrit dans The Federalist Papers : La concentration de tous les pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire dans les mêmes mains peut être fort justement qualifiée de tyrannie… « Quand le pouvoir de juger est associé au pouvoir de légiférer, la vie et la liberté du citoyen est exposée à l’arbitraire car le juge est celui qui rédige les lois… »

    Et cela sera la conséquence inéluctable de ce que nous savons des termes secrets des accords du TPP.

    La disposition la plus controversée du TPP est l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement)- Organe de règlement des conflits entre Etat et Investisseurs- qui renforce les procédures existantes. Cet ISDS est apparu en 1959 à la faveur d’un premier accord commercial bilatéral. Selon The Economist, l’ISDS octroie aux firmes étrangères le droit inhabituel de déposer plainte auprès d’une cour d’arbitrage discrète constituée d’avocats très bien rémunérés en vue de demander des compensations chaque fois que le gouvernement vote une loi qui, selon elles, porterait atteinte à leurs bénéfices (comme des mesures contre le tabagisme, les dégradations de l’environnement ou encore les risques d’accidents nucléaires).

    Ces juges arbitres officient au salaire horaire de 600 à 700 US Dollars, ce qui les incite peu à écarter les plaintes. Le caractère secret des procédures d’arbitrage et le manque de jurisprudence en ces matières laisse libre cours aux décisions les plus fantaisistes et arbitraires.

    A ce jour, la compensation la plus élevée exigée par l’ISDS s’élève à 2,3 milliards d’US Dollars demandés par l’Occidental Oil Company au gouvernement équatorien pour l’interruption d’un contrat d’exploitation pétrolière pourtant décidée d’une manière formellement légale. Une autre procédure d’arbitrage est en cours, lancée par Vattenfall, une entreprise suédoise qui gère deux sites nucléaires en Allemagne et qui réclame une compensation de 4,7 milliards d’US Dollars sur base d’une clause de l’ISDS en matière d’investissements énergétiques, après que le gouvernement allemand ait décidé de mettre un terme à ses activités nucléaires après le désastre de Fukushima en 2011 au Japon.

    Sous le régime du TPP pourtant, des décisions judiciaires plus dramatiques encore peuvent être attendues dans la mesure où la nature des investissements qu’ils protègent comprend non seulement « l’engagement de capitaux ou d’autres ressources » mais aussi « les gains et bénéfices escomptés ». Cela signifie l’extension d’un droit des entreprises dans d’autres pays que le leur, non seulement sur leurs infrastructures et les capitaux investis mais aussi sur les revenus et bénéfices qu’elles en attendent.

    Dans un article adressé par Yves Smith, Joe Firestone émet quelques hypothèses intéressantes : Avec ce TPP, le gouvernement des Etats-Unis pourrait-il être poursuivi et tenu pour responsable s’il décidait de ne plus émettre de bons du trésor et finançait ses déficits d’une autre manière (par exemple en augmentant la masse monétaire ou en émettant des pièces de milliards de dollars ?) Pourquoi pas ? Sauf qu’il ne le fera pas parce que des compagnies privées en subiraient des pertes de profits. Avec le TPP ou le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, en français « Partenariat Transatlantique de commerce et d’investissement ») en cours de discussion avec l’Union Européenne, la Réserve Fédérale risquerait elle des poursuites si elle refusait de soutenir des banques trop grosses pour tomber en faillite ?

    Firestone rappelle que sous l’accord commercial Tchèco-Néerlandais la république Tchèque a été condamnée dans un différend Investisseur-Etat pour n’avoir pas accordé sa garantie financière à une banque insolvable où le plaignant avait des intérêts. L’investisseur a obtenu une compensation de £236 millions pour clore le différend. Quels seraient les dégâts se demande Firestone si la FED décidait de ne plus soutenir la Bank of America et qu’une compagnie d’investissement Saoudienne décide de la poursuivre ?

     

    Céder le pouvoir législatif aux multinationales

     

    La simple menace d’une réparation aussi extravagante d’un préjudice contestable suffirait à bloquer les projets de loi en cours. Mais le TPP prend les devants et s’accapare d’emblée la fonction législative en empêchant toute forme de régulation.

    Public Citizen fait observer que le TPP offre aussi aux grosses banques de bons moyens d’édulcorer les efforts de régulation de Wall Street après que les dérégulations aient entraîné la pire crise financière depuis la grande dépression. Le TPP empêcherait les Etats d’exclure les produits financiers particulièrement risqués, tels les dérivés toxiques qui ont forcé le gouvernement à couvrir AIG pour un montant de 130 milliard d’US Dollars. Il interdirait les choix politiques qui empêcheraient les banques de devenir trop grandes pour faire faillite et ferait obstacle aux pare-feu envisagés pour prévenir la conversion de nos comptes épargne en fonds de casinos que sont les hedge funds.

    Le TPP limiterait aussi le contrôle des mouvements des capitaux, instrument essentiel de prévention des déstabilisations créées par les flux de monnaies spéculatives… Et l’accord interdirait la taxation des mouvements spéculatifs de Wall Street comme le propose la Taxe Robin des bois qui pourtant permettrait de libérer des milliards de dollars pour l’aide sociale, la santé ou l’environnement.

    Les décisions résultant de libres accords commerciaux antérieurs sont évoquées pour défier les tentatives de régulation du monde des affaires. Le monde de l’industrie des énergies fossiles tente de contourner les mesures du Québec visant à interdire le cracking écologiquement catastrophique pour exploiter le gaz de schiste. Veolia, compagnie française connue pour la construction d’un réseau de tramways desservant les colonies israéliennes à Jérusalem Est et dans les territoires occupés bloque le relèvement des salaires minimum en Egypte. Philip Morris, le grand cigarettier, poursuit l’Uruguay et l’Australie pour leurs mesures anti-tabac.

    L’objectif du TPP n’est pas uniquement d’accroître le pouvoir des industriels étrangers mais celui du monde international de la finance afin qu’il puisse s’en prendre devant des tribunaux étrangers aux politiques financières qui les contrarient et pouvoir ainsi demander des compensations aux contribuables pour les lois et règlements qui, selon eux, limiteraient leurs profits et décevraient leurs espérances de rentabilité.

     

    Hypothéquer la souveraineté nationale

     

    Comment justifier de telles entraves aux droits souverains des gouvernements ? Officiellement, l’ISDS les stimulerait en sécurisant les investissements étrangers. Mais, comme le fait remarquer The Economist, les investisseurs peuvent se protéger en contractant des assurances « risques politiques ».

    D’autre part, le Brésil continue à bénéficier d’importants investissements étrangers alors qu’il se refuse à signer tout traité de type ISDS. De plus en plus de pays commencent à imiter le Brésil sur ce point.

    Le rapport de ce 22 avril du Centre de Recherche Economique et Politique révèle pourtant à quel point les bénéfices de la libéralisation commerciale internationale sont dérisoires, équivalant à peine à 0.014 % de la consommation, soit environ 0.43 $ par personne et par mois. Cela, en supposant que les bénéfices soient uniformément répartis sur l’ensemble du paysage économique. En réalité, les sociétés multinationales perçoivent l’essentiel des bénéfices au détriment de la population mondiale.

    Il semble bien que tout autre chose se prépare au-delà d’un appel aux investissements et d’un encouragement du commerce international. Le TPP voudrait plutôt saper notre forme de gouvernement républicain régi par les lois en plaçant les droits des investisseurs - également appelés « droits du capital »- au-dessus des droits du citoyen.

    En clair, le TPP est formellement anticonstitutionnel . Mais comme le fait remarquer Joe Firestone, le néolibéralisme et ses alliés du monde des affaires ont si bien camouflé les éléments du traité qu’ils empêchent de voir à quel point il vend la souveraineté des Etats-Unis à l’étranger et aux grandes sociétés multinationales.

    Ellen Brown est juge, fondatrice du Public Banking Institute et auteure d’une douzaine de livres parmi lesquels le best-seller Web of debt. Son dernier livre The Public Bank Solution, étudie sur le plan historique et universel les différents modèles bancaires. Ses 300 articles peuvent être consultés sur son blog EllenBrown.com. Vous pouvez aussi écouter « It’s our money with Ellen Brown » sur PRN fm.

    Traduit de l’anglais pour Investig’Action par Oscar GROSJEAN.

    Source : Investig’Action

    Source originale : Counter Punch

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  • L’UE n’a pas d’argent pour la Grèce, mais a 11 milliards d’euros pour un pays non membre, l’Ukraine.

     

    Et sans que le Parlement de cette Europe capitaliste ne s'en émeuve. Ci-dessous, une photo de nos glorieux parlementaires défendant le capitalisme libre et non faussée en Ukraine

     

     
    L’UE n’a pas d’argent pour la Grèce, mais a 11 milliards d’euros pour un pays non membre, l’Ukraine.
     
     
    Par contre, pour la Grèce, état de l'UE et de la zone euro, pas de fric!
    Oui, la Commission européenne vient de rendre public son  « Paquet de soutien pour l’Ukraine »: 11 milliards d'euros accordés à l'Ukraine, pas pris dans les poches des hors-sol qui dirigent l'UE ou dans celles du patronat européen, non par tous les contribuables européens qui sont soumis à l'austérité. Pire, l'UE nous pique du pognon pour un gouvernement avec des néo-nazis dans ses rangs. Voici les détails :
    • 3 milliards du budget de l’UE, soit 1,6 milliards en prêts d’aide macro financière (MFA) et un programme d’aide de subventions de € 1,4 milliards ;
    • Jusqu’à 8 milliards de la Banque européenne d’investissement et de la Banque européenne pour la Reconstruction et le développement ;
    • 3,5 milliards potentiels par le biais de la Facilité d’Investissement de Voisinage(sic) ;
    • Mise en place d’une plate-forme de coordination des donateurs ;
    • Application à titre provisoire de la Zone de Libre-échange Complète et Approfondie à la signature de l’accord d’Association et, si besoin, par le pré-approvisionnement autonome des mesures commerciales ;
    • Organisation d’un Forum/groupe d’investissement de haut niveau ;
    • Modernisation du système de Transit du gaz en Ukraine et travail sur les flux inverses, notamment par le biais de Slovaquie ;
    • Accélération du Plan d’Action de libéralisation des Visas dans le cadre établi ;
    • Offre d’un partenariat pour la mobilité ;
    • Assistance technique sur un certain nombre de domaines, des réformes constitutionnelles aux réformes judiciaires et les préparations d’élections.
    Et si on ne devait que s'en tenir aux réformes ukrainiennes(sic), des dispositions ont été prises pour éradiquer la culture et la langue russe –provoquant naturellement la colère des plus de 8 millions de russophones qui composent la population – mais qui se considéraient également ukrainiens.
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  • Pour comprendre qui décide : l’ OCDE

    Par Michèle JANSS

     

     
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    La base de données économiques de l'OCDE, si elle est une des plus fournies au monde, sert sans nuances mais au moyen d’ une communication très étudiée, le libéralisme économique.

     



    Les analyses, mesures et comparaisons, produites par l’OCDE, et plus particulièrement les études qu’elle consacre à l’éducation, sont présentées, avec les recommandations qui les accompagnent, comme la source d’inspiration et le point de départ incontournable des politiques à mettre en place pour sortir de la crise.

     

    Décoder les études PISA (Programme international pour le suivi des acquis) consacrées à l’enseignement, mettre ces clarifications à la disposition des citoyens et plus particulièrement des enseignants est une entreprise qui se révèle plus complexe qu’un simple constat des progrès et reculs enregistrés. Le dossier de N. Hirtt nous l’a démontré.

    La base de données économiques de l’OCDE, si elle est une des plus fournies au monde, sert sans nuances mais au moyen d’ une communication très étudiée, le libéralisme économique. Les nombreux chercheurs qu’elle mobilise, forment un think tank, inquiet de la bonne application aux systèmes éducatifs de ses recettes, toutes ultra libérales comme il se doit. Du « cousu main » pour une école plus soucieuse de l’état du marché et de « l ’employabilité » des élèves par ce même marché, que de développement par la culture et le savoir.

    L’histoire et le fonctionnement de l’OCDE témoignent d’un basculement idéologique qui a eu lieu dans la deuxième moitié du XXème siècle. L’ idée centrale est de considérer l’économie comme n’ obéissant qu’ à des lois naturelles, ne devant pas être entravée ou régulée par l’ action publique des Etats.

    Un peu d’histoire... En juillet 1944, alors que le débarquement des forces alliées en Normandie n’est pas terminé (la libération de Paris n’aura lieu qu’en Aout), 730 délégués des 44 nations alliées et un observateur soviétique se réunissent à Bretton Woods, aux Etats-Unis, afin de mettre au point un système monétaire mondial qui doit favoriser la reconstruction et le développement des pays touchés par la guerre. Il s’agit aussi pour les Etats-Unis d’ouvrir l’Europe aux produits américains. Le plan des britanniques était ébauché dès 1941 et visait à préparer un système monétaire mondial fondé sur une unité de réserve non nationale, le banco. Les américains proposaient plutôt de créer un fond de stabilisation construit sur les dépôts des états et une banque de reconstruction pour l’après-guerre. C’est la proposition américaine qui l’emporte, organisant le système monétaire mondial autour du dollar US, mais avec un rattachement nominal à l’or. Deux organisations, toujours en activité, voient le jour lors de cette conférence : la banque mondiale (BM) et le fonds monétaire international (FMI). Ces deux institutions ont un point commun : les Etats-Unis y sont seuls à pouvoir exercer un droit de véto. Les pays européens alors ruinés, doivent accepter que des conditions soient liées aux prêts du FMI.

    En 1948, le plan Marshall, officiellement appelé « programme de rétablissement européen » est mis en place afin de reconstruire une Europe ravagée par la guerre mais aussi de « protéger les états libres de l’avancée du communisme » (2). Les États-Unis demandent aux États européens de s’accorder entre eux au sein de l’ OECE pour commencer la reconstruction. Cette organisation européenne de coopération économique a comme mission de répartir les crédits du plan Marshall et de coordonner l’économie des pays bénéficiant de fonds. La libéralisation du commerce et des échanges monétaires en est le but avoué. Cette organisation, ancêtre de l’OCDE, doit étudier la possibilité de créer une union douanière ou de libre-échange.

    l’OECE comprend l’ Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’ Irlande, l’ Islande, l’ Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Suède, la Suisse, la Turquie, l’ Allemagne occidentale, zones d’occupation anglaise, américaine et française.

    La structure de l’OECE consiste en comités chargés de domaines spécifiques : alimentation et agriculture, charbon, électricité, pétrole, sidérurgie, matières premières, équipement, métaux non ferreux, produits chimiques, bois, pâtes et papiers, textiles, transports maritimes et intérieurs, programmes, balance des paiements, échanges, paiements intra-européens et main-d’oeuvre. L’OECE accomplit également un important travail d’échange d’informations statistiques.

    L’URSS refuse le plan Marshall, le libre-marché et la libération économique étant incompatibles avec l’économie communiste. Staline ne voulait pas que les pays sous influence soviétique passent sous contrôle américain. La guerre froide commence.

    A partir de 1952, l’ OECE perd de son utilité. L ’OTAN se servira de ses comités pour alimenter ses propres travaux. La création de la CEE, pour une coopération économique entre la RFA, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays Bas, en 1957 rend la situation de OECE bancale et fait échouer, notamment, la conclusion d’un accord de libre-échange dans le cadre de l’ Organisation.

    En 1961, l’OCDE, comprenant les Etats unis et le Canada, se substitue à l’OECE.

    Comment fonctionne l’OCDE ?

    Le conseil de l’organisation se compose d’un représentant par pays membre, il se réunit régulièrement afin de décider afin de fixer les priorités des travaux qui seront réalisés par le secrétariat.

    Les comités (environ 250) sont des groupes de travail et groupes d’experts spécialisés. Il débattent des idées et progrès réalisés en économie, échanges, emploi, science, éducation et marchés financiers.

    Le secrétariat, présidé actuellement par M. Angel Gurria, effectue les travaux suivant les priorités fixées par le conseil. Le secrétariat, établi à Paris, au château de la Muette, compte quelque 2500 agents. Ils ne sont pas tous basés à Paris, certains travaillent dans des centres de l’OCDE à l’étranger.

    « L’OCDE est financée par ses pays membres. Les contributions financières des membres au budget annuel sont calculées à partir d’une formule qui dépend de la taille de l’économie de chacun des pays membres. Les Etats-Unis sont le contributeur le plus important, suivis par le Japon. Avec l’approbation du Conseil, les pays peuvent également apporter leurs contributions de manière distincte à des programmes particuliers qui ne sont pas financés à partir du budget de base.
Le budget de l’OCDE et son programme de travail sont établis par le Conseil ».(3)

    Que fait l’OCDE ?

    On trouve, sur son propre site, une description du rôle que s’assigne l’OCDE : "La mission de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) est de promouvoir les politiques qui amélioreront le bien-être économique et social partout dans le monde.

     L’OCDE offre aux gouvernements un forum où ils peuvent conjuguer leurs efforts, partager leurs expériences et chercher des solutions à des problèmes communs. Nous travaillons avec les gouvernements afin de comprendre quel est le moteur du changement économique, social et environnemental. Nous mesurons la productivité et les flux mondiaux d’échanges et d’investissement. Nous analysons et comparons les données afin de prédire les tendances à venir. Nous établissons des normes internationales dans un grand nombre de domaines, de l’agriculture à la fiscalité en passant par la sécurité des produits chimiques.

    Nous examinons également les questions qui affectent directement la vie des gens, comme le coût des impôts et de la sécurité sociale ou le temps libre dont ils disposent. Nous comparons la façon dont les systèmes éducatifs préparent les jeunes à la vie moderne et la façon dont les systèmes de retraite protègeront les citoyens plus âgés.

    En nous appuyant sur les faits et l’expérience concrète, nous recommandons des politiques dont le but est d’améliorer la vie de tous. Nous travaillons avec les entreprises, à travers le Comité consultatif économique et industriel auprès de l’OCDE, et les syndicats, à travers la Commission syndicale consultative auprès de l’OCDE. Nous consultons d’autres organisations de la société civile, notamment en organisant chaque année le Forum de l’OCDE. Tous nos travaux ont pour point commun un engagement partagé en faveur du développement durable, de l’emploi et des échanges, reposant sur la coopération internationale et visant le bien-être de tous. Chemin faisant, nous nous efforçons aussi de rendre la vie plus dure aux terroristes, aux fraudeurs fiscaux, aux entrepreneurs véreux et à tous ceux qui sapent les fondements d’une société juste et ouverte. »(3)

    Voilà pour la présentation officielle ! En réalité, on assiste à une mondialisation des politiques ultra-libérales, via un organisme financé par nos états, qui se fixe ses propres règles et travaille à l’ acceptation d’un système de relations internationales entre états bénéficiant aux intérêts des États-Unis et de ses alliés.

    La promotion de politiques et les mesures de productivités ne consistent pas en d’anodines spéculations : dernièrement, la visite du secrétaire M. Angel Gurria à notre premier ministre afin de lui remettre ses conclusions sur les « progrès » de la Belgique a été présentée dans les médias comme de première importance. Ce rapport a d’ailleurs été commenté dans la presse sous forme de "bons points" et "mauvais points" attribués à notre pays, allant jusqu’ à expliquer comment cela fonctionne : si la Belgique ne suit pas les recommandations de l’OCDE, elle risque de perdre sa "bonne réputation" et de se faire taper sur les doigts par l’Europe, le FMI, la BCE… Ainsi, sans avoir l’air de s’ingérer dans la politique belge, l’OCDE se présente comme conseiller incontournable.

    Le fait de rendre la vie plus dure aux terroristes, fraudeurs et entrepreneurs véreux reflète le côté « punitif » de l’organisation qui, en principe, n’a aucune légitimité en matière de poursuites. En effet, ces catégories d’individus sont normalement traquées par toutes les polices financières ou criminelles qui font leur travail. Tout comme les violeurs, les trafiquants de drogues ou d’êtres humains…

    Pourquoi ne citer que les terroristes, fraudeurs fiscaux et entrepreneurs véreux ? Pour les deux derniers, on comprend le rapport à l’économie et le raccourci qui les rend responsables de la crise camoufle les inégalités sociales. Pourquoi y associer les terroristes ? Parce que, dans le contexte des guerres provoquées par les principaux pourvoyeurs de fonds de l’organisation, c’est sans aucun doute l’actualité qui dicte la ligne à suivre. Sinon, pourquoi ne pas citer les violences ou corruptions policières qui secouent des états comme les USA ou le Mexique ? La communication de l’ OCDE ne met en lumière que ce qu’elle veut bien. L’ OCDE, dépourvue officiellement de pouvoir de coercition, produit des rapports relayés docilement dans les médias afin de conditionner l’opinion.

    Le grand bond en arrière

     

    Serge Halimi, dans son essai « le grand bond en arrière », étudie comment l’ordre libéral s’est imposé au monde car « il a beaucoup fallu penser pour les marchés avant que ne se généralise l’idée qu’on ne pourrait plus penser contre eux ».(4)

    Il y montre comment « changer le monde » est devenu un but pour la droite américaine et les néo-libéraux en général. Serge Halimi met en lumière la mise en place de politiques, de stratégies et de création d’ organisations internationales (OCDE, FMI, BM, BCE…) dont le but est, essentiellement, de faire triompher leurs idées au niveau mondial et de « fabriquer du marché ». Dans un chapitre qu’il consacre à l’OCDE, il démontre combien les travaux de l’organisation sont douteux : « …ses pronostics sont pour le moins hasardeux : entre décembre 1995 et mai 1996, elle (l’OCDE) a du diviser par cinq ses prévisions de croissance pour l’Allemagne… Pour l’année 1996 ! Depuis 2004, l’OCDE publie d’ailleurs ce genre de chiffre en indiquant une marge d’erreur parfois égale au taux de croissance annoncé. » (4)

     

    Pour lutter contre le chômage, l’OCDE recommande, entr’autre, plus de flexibilité du marché et des travailleurs, ignorant superbement qu’il n’y a suffisamment de postes offerts que pour mettre au travail une petite partie des demandeurs d’emploi et que les pays où le taux d’ employabilité est le plus grand est aussi celui où on trouve le plus d’emplois à temps partiel et de situations de précarité (3). Et pourtant, ces recommandations continuent à modeler nos politiques. Cette même flexibilité, avec les compétences qui s’y rattachent, envahit l’enseignement.

    Si l’ OCDE consacre une bonne partie de ses travaux à l’analyse des systèmes d’enseignement c’est qu’il faut rendre ceux-ci plus compétitifs. Evidemment, cette compétitivité-là ne tient compte ni du développement personnel ni d’ une évolution sociale rendue possible par l’ éducation. L’école reste soumise au sacro-saint « marché du travail ». La pensée néolibérale s’ impose de la même manière dans les cours d’économie au coeur des universités : à l’UCL, les étudiants jugeant leur cursus trop dogmatique, n’ ont obtenu que récemment un cours d’histoire des doctrines économiques. Les prévisions de l’organisation ne sont pas pertinentes et ne tiennent compte ni des exigences nationales, ni des spécificités de chacun. Ce travail de collecte de statistiques et d’analyses devrait être confié aux universités et soumis au débat contradictoire. Les sommes versées à l’OCDE seraient plus utiles à l’enseignement supérieur…

    En conclusion : « l’organisation de coopération et de développement économique devrait être vendue ou dissoute…elle ne cesse d’expliquer que le contribuable est trop imposé. Pourquoi devrait-il participer plus longtemps au financement d’un organisme qui n’a d’autre obsession que de le dépouiller des quelques droits sociaux que le marché lui laisse ? » (4)
    Michèle JANSS

    Source : Investig’Action

    (1) Dossier de N. Hirtt sur PISA : http://www.skolo.org/spip.php?article1656
    (2) discours de Harry Truman au congrès des Etats-Unis -12 mars 1947
    (3) site de l’OCDE, http://www.oecd.org
    (4) Serge Halimi, Le grand bond en arrière, comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Eléments - Editions Agone 2006
    (5) Mateo Alaluf, http://politique.eu.org/spip.php?article3072

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  • L’intérêt d’une sortie de l’Euro

     

    Par Jacques Sapir

     

    On sait que dans un système de monnaie unique (une Union Monétaire) comme la zone Euro, les pays membres ne peuvent dévaluer les uns par rapport aux autres. Une dépréciation (ou une appréciation) de la monnaie ne peut survenir qu’entre l’ensemble de la zone et le « reste du monde ».

     

    Dans cette Union Monétaire, un problème majeur est celui de l’évolution de la compétitivité des pays membres. Les pays ne peuvent désormais plus corriger des écarts de compétitivité par des dépréciations monétaires. Cette compétitivité peut se calculer par rapport à l’économie dominante de l’Union Monétaire, dans le cas de l’Euro l’Allemagne. Si l’on veut mesurer l’effet de l’Union Monétaire sur l’économie des pays considérés, il faut regarder comment cette compétitivité a pu évoluer depuis la date d’entrée en vigueur de l’Union Monétaire.

     

    La question de la compétitivité.

     

    Dans le cas de la Zone Euro, ce problème de la compétitivité relative des pays est aujourd’hui un problème majeur. La compétitivité relative évolue alors, depuis la date d’entrée en vigueur de l’UEM (1999), en fonction :

     

    1. Des différences dans les rythmes d’inflation.
    2. Des différences dans les gains de productivité.
    3. Des différences dans la pression fiscale pesant sur les entreprises, sauf si une Union Fiscale a été décrétée.
    4. Des différences dans les taux de salaires directs et indirects (incluant les prestations sociales) sauf si une Union Sociale a été décrétée.
    5. De la montée en gamme de l’ensemble de la production du pays considéré par rapport à l’économie dominante.

     

    On peut noter qu’un seul de ces facteurs s’apparente à une compétitivité « hors coût ». En fait, l’ensemble des études disponibles sur la zone Euro tend à montrer que la compétitivité « hors coût » a un rôle relativement faible, de 10% à 30% suivant les pays. Il faut aussi signaler que, en absence d’une Union Fiscale et d’une Union Sociale, les gouvernements vont être tentés de mettre en œuvre des politiques de dévaluation interne (faire baisser le salaire soit de manière relative soit de manière absolue) ou d’alléger le fardeau fiscal pesant sur les entreprises. Dans le premier cas, cela comprime fortement la demande intérieure, et peut conduire à une récession importante si la demande extérieure ne peut se substituer à la demande défaillante. Dans le deuxième cas, cela peut conduire à des politiques fiscales qui soit vont se traduire par une dette publique croissante, soit vont avoir pour effet une forte réduction des dépenses publiques, ce qui aura à terme des effets négatifs sur la santé et l’éducation de la population, et entrainera une chute des gains de productivité.

     

    En fait, la question des gains relatifs en inflation et en productivité permet de déterminer l’ampleur nécessaire de la dévaluation interne et des transferts de charges au profit des entreprises et au détriment des ménages qu’il faut réaliser si l’on veut maintenir le niveau initial de compétitivité. On peut en déduire le freinage de l’activité qui en résulte. De fait, cette question de la compétitivité se transforme pour la plupart des pays d’une Union Monétaire en un biais dépressif important, ce qui avait été noté dès 2007 par Jorg Bibow[1].

     

    C’est pour estimer cet effet, et le coût potentiel sur la croissance qui en résulte que l’on va considérer l’évolution de deux facteurs de la productivité, sur les pays de l’Europe du Sud. On présente donc ici l’évolution de l’inflation et de la productivité dans 4 pays (Espagne, Grèce, Italie et Portugal) pour chercher à estimer l’ampleur des autres ajustements nécessaires si ces pays veulent rester en Union Monétaire avec l’Allemagne.

     

    La question de l’Inflation.

     

    On considère que les taux d’inflation sont un bon indicateur de la hausse des prix pour l’ensemble de l’économie, ce qui est bien entendu une approximation. Pour être très précis il faudrait distinguer les secteurs exportateurs, les secteurs exposés à la concurrence sur le marché intérieur et les secteurs fonctionnant dans des conditions de protection relative par rapport à la concurrence étrangère. On a donc utilisé dans cette étude les taux d’inflation figurant sur la base de donnée du FMI. Dans le cas de la zone Euro, nous obtenons pour les 4 pays choisis les chiffres suivants, en comparaison avec les taux d’inflation en Allemagne.

     

    Tableau 1

     

    Inflation

    Ecarts avec le taux d’inflation cumulé de l’Allemagne

     

    Grèce

    Italie

    Portugal

    Espagne

    1999

    0

    0

    0

    0

    2000

    2,00%

    1,03%

    1,54%

    1,61%

    2001

    3,81%

    2,22%

    2,98%

    3,74%

    2002

    5,44%

    2,70%

    5,67%

    4,79%

    2003

    8,01%

    4,09%

    8,30%

    7,30%

    2004

    10,94%

    6,09%

    10,93%

    9,71%

    2005

    12,43%

    6,73%

    11,96%

    11,35%

    2006

    14,63%

    7,19%

    12,44%

    13,32%

    2007

    16,66%

    7,83%

    14,21%

    15,75%

    2008

    17,83%

    7,71%

    14,71%

    16,83%

    2009

    20,19%

    8,86%

    15,00%

    19,13%

    2010

    21,60%

    9,56%

    13,53%

    18,53%

    2011

    26,83%

    10,29%

    13,99%

    19,96%

    2012

    28,72%

    11,07%

    15,76%

    21,23%

    2013

    28,38%

    12,88%

    16,99%

    22,13%

    2014

    24,95%

    12,64%

    15,61%

    22,37%

     

    Source : Base de donnée du FMI.

     

    On voit que l’inflation est à peu de choses près la même pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal de 1999 à 2007. L’écart s’ouvre largement avec l’Allemagne. Puis, l’inflation tend à ralentir au Portugal qui stabilise sa position par rapport à l’Allemagne, tandis qu’elle continue d’augmenter, par rapport aux rythmes allemands, pour l’Espagne et la Grèce et ce jusqu’en 2010. Ce n’est qu’à partir de cette date que l’on note une divergence dans l’écart d’inflation avec l’Allemagne. Il tend à se stabiliser en Espagne alors qu’il augment très brutalement (2011 et 2012) en Grèce, avant de diminuer en 2013 et 2014.

     

    Graphique 1

     

     

    A-InflaCompar.jpg

     

    Source : base de données du FMI

     

    Il est cependant clair que les dynamiques inflationnistes ont été relativement similaires entre l’Espagne, la Grèce et le Portugal jusqu’en 2007. Après, l’application de programmes d’austérité a eu des effets différents, provoquant une baisse rapide de la croissance de l’écart en Espagne, et au contraire une poussée d’inflation en Grèce, avant que la brutalité des politiques préconisées par la « Troïka » ne provoque une réduction de cet écart sur les deux dernières années.

     

    Le cas de l’Italie est assez différents des trois autres pays, mais n’est pas non plus sans poser problèmes. L’écart du taux d’inflation avec l’Allemagne est régulièrement en hausse de 1999 à 2013. Certes, les rythmes sont moins rapides que pour les trois autres pays, mais l’Italie voit son écart d’inflation avec l’Allemagne augmenter de plus de 12% au total en 2013 ce qui, sans l’EMU, aurait conduit à une dépréciation monétaire du même ordre.

     

    Un problème se pose : l’écart entre les dynamiques inflationnistes est important (de 25%pour la Grèce à 12,5% pour l’Italie) et durable. Or, ces pays sont censés avoir la même politique monétaire que l’Allemagne puisque la politique monétaire est le fait de la BCE et non plus des institutions monétaires nationales. Même si l’on accepte l’idée d’une « mémoire » dans les anticipations d’inflation[2], on aurait dû connaître vers 2004/2005 un alignement des rythmes d’inflation sur l’Allemagne, entraînant des courbes (graphique 1) a peu près plates. Or, ce n’est pas le cas. Ceci constitue à la fois un argument pour montrer que l’inflation peut avoir une composante non-monétaire[3], mais aussi pour montrer la folie qu’il y avait de vouloir réaliser l’Euro (l’EMU) avec des pays dont les structures économiques étaient si différentes[4].

     

    La question de la productivité.

     

    Néanmoins, l’écart entre les rythmes d’inflation entre les 4 pays et l’Allemagne aurait pu être compensé si les gains de productivité du travail avaient été plus rapides dans ces pays qu’en Allemagne. Aussi, on regarde maintenant l’évolution de l’écart des gains de productivités, à partir des statistiques de l’OCDE. Ici encore, il y a des imprécisions statistiques, qui portent sur le calcul précis des heures ouvrées. Mais, l’utilisation des données de l’OCDE nous a semblé une meilleure garantie d’homogénéité des données entre les différents pays que le calcul à partir des données nationales.

     

    Tableau 2

     

    Productivité

    Ecarts avec la croissance cumulée de la productivité en Allemagne

     

    Grèce

    Italie

    Portugal

    Espagne

    1999

    0

    0

    0

    0

    2000

    1,84%

    0,80%

    0,74%

    -0,73%

    2001

    3,29%

    -1,51%

    -1,26%

    -2,11%

    2002

    3,72%

    -3,43%

    -1,57%

    -2,20%

    2003

    9,02%

    -5,11%

    -2,30%

    -2,59%

    2004

    11,37%

    -4,53%

    -0,75%

    -3,42%

    2005

    8,33%

    -5,08%

    -0,55%

    -4,76%

    2006

    9,37%

    -8,28%

    -2,71%

    -7,82%

    2007

    9,88%

    -9,81%

    -1,78%

    -8,84%

    2008

    8,49%

    -10,48%

    -1,46%

    -6,99%

    2009

    10,24%

    -8,11%

    4,31%

    2,42%

    2010

    3,28%

    -9,60%

    4,33%

    1,08%

    2011

    -2,98%

    -11,79%

    1,54%

    0,01%

    2012

    -0,41%

    -13,22%

    3,18%

    3,04%

    2013

    0,11%

    -12,79%

    5,27%

    5,44%

    2014

    -0,12%

    -13,67%

    3,18%

    4,84%

     

    Source :

     

    OECD Economic Outlook, Volume 2014 Issue 2 – © OECD 2014

     

    Annexe : Table 12.   Labour productivity in the total economy

     

    Note: Productivité du travail mesurée par unité du PIB par personne employée.

     

    On constate ici des évolutions très divergentes. L’écart dans le domaine des gains de productivité avec l’Allemagne apparaît très important pour l’Italie et l’Espagne. Par contre, la Grèce améliore sa position de 1999 à 2004 (apportant ainsi un démenti cinglant à tous ceux qui, outre Rhin ont qualifié les travailleurs grecs de « cueilleurs d’olives »), tandis que le Portugal a une croissance de la productivité comparable à celle de l’Allemagne.

    LA SUITE ICI

     

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  • Cette dette que l'Allemagne doit encore à la Grèc

     Entretien avec l’historien de l’économie Albrecht Ritschl

     

     
       

    Dans une interview datant de novembre 2014, Albrecht Ritschl, professeur d’histoire économique de la London School of Economics, discute des dettes de guerre de l’Allemagne et des réparations dues à la Grèce après la deuxième guerre mondiale. Selon lui, l’Allemagne est le plus grand fraudeur de la dette du 20ème siècle



    > Michael Nevradakis : Beaucoup de gens ignorent tout du prêt que le régime nazi a imposé à la Grèce pendant la Deuxième guerre mondiale. Faîtes nous un résumé de ce problème.
    >
    > Albrecht Ritschl : Les éléments essentiels sont les suivants : pendant l'occupation, l'Allemagne a forcé la Banque de Grèce à lui prêter de l'argent, ce prêt forcé n'a jamais été remboursé et il est probable que personne n'ait jamais eu l'intention de le faire. Nous avons là une tentative de déguisement, de camouflage, pourrait-on dire, des frais d'occupations en prêt forcé – et ce prêt avait bien des mauvais côtés. Il a alimenté l'hyperinflation grecque, qui avait déjà lieu à cause de l'occupation italienne, et surtout, il a ponctionné des ressources vitales. Ce qui a eu pour conséquence une baisse catastrophique de l'activité économique ; et cela n'a rien fait pour rendre l'occupation allemande moins impopulaire qu'elle ne l'était avant. Cela a raffermi la résistance grecque dans sa résolution et a eu pour effet tout un tas de choses très tragiques et néfastes.
    >
    > Les Nazis ont-ils forcé d'autres pays occupés à leur accorder des prêts ?
    >
    > Oui, c'était une façon de faire très fréquente et largement utilisée. Juste pour vous expliquer un peu ce qui se passait alors, les Nazis avaient instauré un système monétaire à taux fixe dans les pays occupés, en alignant les taux de change sur le reichsmark, la devise allemande de l'époque, plus ou moins à leur gré. Le système était centralisé à la banque centrale allemande, la Reichsbank de Berlin, grâce à un système de créance à court terme, comme des comptes à découvert, et l'Allemagne était à découvert en ce qui concerne les pays occupés – ce qui a créé l'illusion de paiements.
    >
    > Quand les officiers allemands se rendaient dans des usines françaises, belges ou néerlandaises – dans les trois pays d'où l'Allemagne tirait la plus grande partie de ses ressources et réquisitionnait des machines et des matières premières – ils payaient effectivement, et ces paiements étaient essentiellement crédités sur leurs comptes nationaux à la Reichsbank. Le prêt imposé à la Grèce a suivi un schéma similaire. Comme je l'ai déjà dit, l'essentiel de ces prêts provenait majoritairement des pays d'Europe de l'Ouest. La Grèce, à cause de son économie réduite, ne représentait qu'une fraction de tout cela. Néanmoins, les effets sur l'économie grecque ont été dévastateurs.
    >
    > Que s'est-il passé après la Deuxième guerre mondiale en ce qui concerne les prêts forcés de la Grèce et des autres pays concernés – ainsi que des réparations et des remboursements des dettes de guerre allemandes en général ?
    >
    > Vous seriez surpris d'apprendre qu'il ne s'est rien passé, et la raison est la suivante : après l'invasion des Alliés et la chute du régime nazi, la première chose que les autorités d'occupation ont fait a été de bloquer toutes les revendications à l'encontre et de la part du gouvernement allemand, en vertu d'une fiction juridique selon laquelle le gouvernement et l'État allemand n'existaient plus. La question était alors de savoir ce qu'on allait en faire après la mise en place de nouvelles structures étatiques à la fin des années 1940. La question était très controversée, car beaucoup de gouvernements d'Europe de l'Ouest disaient : "Nous sommes tous tellement heureux de refaire du commerce et de renouer des relations économiques avec l'Allemagne occupée, et au fait, nous avons toujours ces comptes qui n'ont pas été liquidés avec les Allemands… Et si les Allemands nous livraient tout simplement des marchandises pour combler les déficits de ces comptes ?"
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    > C'est devenu une préoccupation majeure pour les occupants, surtout pour les Américains, puisqu'ils craignaient beaucoup que les zones occupées de l'Allemagne saignent l'économie avec un tel système de remboursement des prêts de guerre, et les Américains cherchaient avant tout à renflouer et relancer l'Allemagne. Les raisons de leur inquiétude trouvaient leurs racines dans l'histoire des réparations à la fin de la Première guerre mondiale, quand un système similaire avait été mis en place après la fin de l'hyperinflation allemande. C'était un projet américain de stabilisation de l'économie allemande, le plan Dawes, qui fonctionnait comme suit : l'Allemagne payait des réparations aux alliés occidentaux et les États-Unis fournissait une aide financière à l'Allemagne. Entre 1924 et 1929 ce système était hors de contrôle et c'était en fait les États-Unis qui finançaient les réparations allemandes.
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    > Donc les Américains, après la Deuxième guerre mondiale, craignant de voir ce schéma se répéter, ont bloqué tout cela. Comment l'ont-ils bloqué ? Grâce à un dispositif ingénieux quoiqu'un peu malveillant : tout pays souhaitant recevoir l'aide du plan Marshall devait signer une renonciation dans laquelle il abandonnait toute poursuite financière à l'encontre de l'Allemagne en échange de l'aide du plan Marshall. Cela ne revenait pas à bloquer complètement les réclamations mais à les repousser jusqu'à l'époque où l'Allemagne aurait remboursé l'aide qu'elle avait reçue du plan Marshall. En termes techniques, cela a placé les réparations et les demandes de remboursements faites à l'Allemagne à un rang inférieur à celui du plan Marshall. Et comme tout le monde voulait recevoir l'aide du plan Marshall, tout le monde a signé les renonciations à contrecœur. La situation pendant la période du plan Marshall était donc celle-ci : les dettes existaient encore sur le papier, mais elles ne valaient plus rien en ce sens que la dette était bloquée.
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    > Combien dit-on que l'Allemagne doit à la Grèce et aux autres pays pour ce qui est des dettes de guerre ?
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    > La dette due à la Grèce était de l'ordre d'un peu moins de 500 millions de reichsmarks ; la dette totale due à l'Europe de l'Ouest sur les comptes de compensation était d'environ 30 milliards de reichsmarks. De nos jours ça n'a l'air de rien, mais cela prend tout son sens si je vous dis que le montant total équivalait à environ un tiers du Produit National Brut de l'Allemagne en 1938, un an avant que l'Allemagne ne déclenche la Deuxième guerre mondiale. Ce n'était pas la seule dette, car l'Allemagne avait manipulé la valeur de la dette grâce au système de taux de change qu'elle contrôlait.
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    > Il y a des calculs faits par les fonctionnaires du gouvernement allemand vers la fin de la Deuxième guerre mondiale, donc toujours sous le régime nazi, qui essaient de rendre compte de la valeur réelle de la dette totale contractée dans l'Europe occupée, et qui arrivent à des résultats proches de 80 ou 90 milliards. Ce qui se rapproche fortement du PNB de l'Allemagne en 1938 ; disons 85 ou 90 %. Nous parlons désormais de très grosses sommes. Juste pour vous donner une idée : le PNB de l'Allemagne l'an dernier [2013, ndlr], était d'un peu plus de deux mille milliards d'euros, disons 90 % de ce chiffre. Nous sommes toujours au-dessus de deux mille milliards d'euros, juste pour vous donner une idée de ce que la dette représentait alors dans le potentiel économique de l'Allemagne.
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    > Y a-t-il un moyen de quantifier cette dette et sa valeur actuelle si on l'ajustait à l'inflation et au taux de change des dernières décennies ?
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    > Il y a plusieurs façons de faire. Ce que je viens de faire en est une, et nous dirions alors que le total de cette dette, si l'on prend le PNB allemand comme mesure et que l'on ne fait pas intervenir l'inflation, la valeur totale de la dette mesurée en pourcentage du PNB allemand sur un an, serait aujourd'hui de plus de deux mille milliards d'euros.
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    > Quels arguments l'Allemagne avance-t-elle, historiquement et présentement, quant au problème des dettes de guerre et des réparations ?
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    > Il y a eu une importante période provisoire avec les Accords de Londres sur la dette allemande. Au début des années 1950, des négociations ont commencé entre l'Allemagne de l'Ouest et les pays créanciers. Une solution a été trouvée – ou plutôt de nouveau imposée par les Américains et dans une certaine mesure par les Britanniques – qui avait deux effets. Premièrement, ils ont réuni les dettes de guerre et les réparations – ce qui n'était pas anodin. Deuxièmement, ils ont tenu des propos confus, qui étaient ouverts à l'interprétation, disant que l'on repoussait la résolution de ces problèmes jusqu'à la réunification de l'Allemagne. Pourquoi ces deux points sont-ils importants ?
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    > Le premier point est le suivant : si vous réunissez les dettes de guerre et les réparations allemandes, vous mettez tout dans le même sac. Et il ne fait aucun doute que l'Allemagne a payé des réparations considérables en nature après la Deuxième guerre mondiale, principalement à travers deux choses : les livraisons forcées – qui étaient très importantes pour ce qui est devenu ensuite l'Allemagne de l'Est – et la cession de territoires, qui sont désormais une partie de la Pologne et, dans une moindre mesure, de la Russie, ce que nous pouvons dans les deux cas appeler des réparations en nature. Donc si vous réunissez les dettes de guerre et les réparations, la balance est plus légère, car ces réparations en nature ont été considérables. Le second point ce sont ces propos confus repoussant la résolution de ces problèmes aux lendemains de la réunification allemande, car la grande question était alors de savoir si cette clause, l'article 5 des accords de Londres, constituerait une obligation après la réunification allemande, qui a effectivement eu lieu en 1990.
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    > En ce moment la presse et les médias parlent beaucoup de la success story de l'économie allemande, de sa responsabilité budgétaire, que l'on compare à l'irresponsabilité budgétaire supposée des pays d'Europe du Sud, comme la Grèce. Mais vous soutenez que l'Allemagne a été le plus grand fraudeur de la dette au 20ème siècle. Pourquoi pensez-vous que c'est le cas ?
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    > Eh bien, nous pouvons juste faire parler les chiffres, et j'ai déjà parlé de ces dettes de guerres presque égales au rendement économique de l'Allemagne en 1938, quand l'Allemagne connaissait le plein-emploi. Donc au fond, ces sommes n'ont jamais été remboursées. Nous avons de plus la dette publique de l'Allemagne, qui a été effacée par une réforme monétaire entreprise par les Américains dans les zones occupées de l'Allemagne de l'Ouest et par les Soviétiques dans les zones occupées de l'Allemagne de l'Est en 1948. Les Soviétiques ont totalement effacé la dette publique ; les Américains en ont effacé 85 %. Si maintenant nous additionnons tout cela et essayons de parvenir à un total global, à la fois interne et externe, effacé par la réforme monétaire et les accords de Londres, nous arrivons à un chiffre qui est approximativement – c'est très approximatif, juste pour avoir un ordre d'idée – quatre fois le revenu national de l'Allemagne. Pour donner un ordre d'idée actuel, si l'on accepte que le PNB est de l'ordre de deux mille milliards d'euros, ce qui fait plus de deux mille milliards et demi de dollars, nous parlons alors d'un défaut de paiement et d'un allègement de dette de l'ordre de dix mille milliards de dollars. J'aurais tendance à penser que c'est sans équivalent dans l'histoire du 20ème siècle.
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    > Avez-vous connaissance de mouvements ou d'activistes qui essaient actuellement de sensibiliser l'opinion aux dettes et aux réparations de guerres ?
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    > Il y en a relativement peu. Pour expliquer cela, plongeons-nous dans la situation juridique à l'époque de la réunification allemande de 1990. L'Allemagne a reçu cette espèce de certificat de baptême pour une Allemagne unifiée qui est rédigé d'une manière incroyablement subtile et dont le seul but était, apparemment, d'empêcher toute réclamation quant aux réparations ou aux restitutions à l'encontre de l'Allemagne unifiée, sous prétexte qu'il existait désormais un État allemand unifié et que l'article 5 des accords de Londres pourraient tout d'un coup être réactivé.
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    > Du point de vue allemand, le traité de 1990 ne mentionne pas les réparations ou les dettes de l'Allemagne nazie, et puisque ce point n'est pas couvert par le traité, le problème est enterré. Ç'a été l'attitude systématique du gouvernement allemand. Et jusqu'ici cette attitude a plutôt réussi… De nombreux essais ont été fait pour contester ce point à la Cour européenne mais ont échoué, et il me semble que d'un point de vue légal, il y a relativement peu de chances que cela réussisse.
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    > Ce qui nous amène à la question suivante : pourquoi n'y a-t-il pas une plus grande sensibilité à ces problèmes en Allemagne ? Et une chose nous met sur la voie. Il est clair que Berlin n'a aucune intention de parler de ces problèmes, parce que les avocats craignent toujours de créer un précédent, Berlin reste donc silencieux là-dessus. Le seul qui en ait parlé, et c'est assez révélateur, a été l'ancien Chancelier Helmut Kohl, que l'on a interrogé sur ce point à la sortie d'une conférence de presse au moment des négociations. Il a déclaré : "Écoutez, nous affirmons que nous ne pouvons pas payer les réparations, parce que si nous ouvrons la boite de Pandore, compte tenu de la cruauté et la brutalité nazies, des génocides – et les Nazis sont à l'origine de plusieurs génocides – compte tenu de ces faits horribles et de l'échelle incroyable de ces crimes terrifiants, tout essai de quantification et de réclamation à l'Allemagne finira soit avec des compensations ridiculement basses ou bien cela va dévorer toute la richesse nationale de l'Allemagne." C'est resté la position de l'Allemagne depuis : les dommages causés par les Nazis, pas seulement en termes de souffrance humaine et morale, mais tout simplement en termes de dommages matériels et financiers, sont si élevés que cela remplacerait la capacité de remboursement de l'Allemagne.
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    > Et en tant qu'économiste, j'ai bien peur que ce ne soit pas totalement tiré par les cheveux ; il y a de cela. Ce qu'a ensuite affirmé Helmut Kohl était qu'au lieu d'ouvrir la boite de Pandore et de s'enfoncer dans les demandes de réparation, il serait sûrement préférable de continuer dans ce qui lui semblait être une coopération économique fructueuse en Europe. À l'époque, c'était une bonne idée, et c'était à cette époque pré-euro où tout le monde était très optimiste quant à l'avenir de la coopération économique en Europe. Nous sommes devenus désormais un peu plus réalistes, mais à l'époque ce n'était pas totalement irréaliste et déraisonnable de penser régler ces problèmes ainsi.
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    > Selon vous, quelle serait la meilleure solution pour régler le problème des dettes et réparations de guerre pour les gouvernements grec et allemand à l'heure actuelle ?
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    > La meilleure solution serait sans doute d'essayer de dépolitiser les choses au maximum. Alors je sais bien que c'est complètement irréaliste parce que c'est un sujet politique depuis le début. Ce que je préférerais faire, plutôt que de donner une opinion personnelle et illusoire, c'est de faire quelques prévisions sur ce qui va se passer selon moi.
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    > Laissez-moi dire quelques mots sur ce que je crois qu'il faut faire – je ne vais pas complètement éluder votre question. Je crois vraiment que nous avons besoin de plus d'annulation de dette, et je crois que nous allons en avoir besoin assez vite. Je suis de ceux qui sont assez préoccupés par la situation politique actuelle de la Grèce. Le gouvernement grec [ndlr : le gouvernement de Samaras] sert manifestement deux maîtres. L'un est l'électorat grec, qui est naturellement et clairement peu satisfait de la situation, c'est le moins qu'on puisse dire, et l'autre est composé des créanciers internationaux, menés par l'Allemagne, et dans une moindre mesure par le FMI. À l'évidence, les intérêts, du moins à court terme, des créanciers et de la population grecque, ne concordent pas ; ils s'opposent même. Cela met le gouvernement grec en mauvaise posture. Je suis inquiet de l'avenir de la démocratie en Grèce, et en tant qu'Allemand j'en suis inquiet pour deux raisons.
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    > D'abord parce qu'on ne peut pas nier la responsabilité historique de l'Allemagne, et ensuite parce que l'Allemagne a traversé une expérience très très similaire. Cette expérience s'est faite à la fin des problèmes de réparation qui ont suivi la Première guerre mondiale, pendant la Grande Dépression des années 1930. Le gouvernement allemand devait payer des réparations selon un programme très strict. Le programme, le plan Young, avait commencé en 1929 ; c'était rude, et à bien des égards, cela me rappelle ce que le ministre des finances allemand et la troïka imposent à la Grèce ; les effets ont été les mêmes : chute de la production économique de 25 à 30 %, le chômage de masse, la radicalisation politique. En gros, le plan Young a fait sortir les Nazis du bois. Oui, je suis assez inquiet de la situation en Grèce, donc je pense que nous devrions rapidement prendre des mesures pour stabiliser la démocratie grecque. Est-ce que je pense que cela va se produire ? Je suis un peu sceptique. J'ai peur que deux choses se passent : d'abord, qu'à la fin il y ait une annulation de dette généralisée, mais cela arrivera assez tardivement, et des dégâts profonds auront déjà été causés à la démocratie grecque.
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    > Source : truth-out.org
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     A lire également sur le même sujet, l’article de Romaric Godin sur La Tribune : L’Allemagne doit-elle vraiment des réparations de guerre à la Grèce ?.

    > Extrait :
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    > Pour autant, cette question des réparations doit plutôt être comprise comme une arme morale que financière. L’Allemagne n’acceptera jamais de payer, ne fût-ce que 10 milliards d’euros. Le président allemand, Joachim Gauck, avait d’emblée fermé la discussion au printemps 2014 lorsque, en visite à Athènes, il avait répondu au président grec Karolos Papoulias, qui avait évoqué cette question : « Vous savez ce que je dois répondre : la question juridique est épuisée. »
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    > Tout ce que peut espérer le gouvernement Tsipras, c’est la crainte de l’Allemagne de voir rouvrir une question délicate qui la ramène à son passé, renforce l’unité nationale grecque contre elle, et rappelle que l’Allemagne est un des plus mauvais payeurs de dette du 20e siècle. L’idée serait d’affaiblir Berlin dans les discussions.
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    > Mais cette arme doit être utilisée avec modération, de peur qu’elle se retourne contre un gouvernement grec qui serait accusé de faire le jeu de la xénophobie et de jeter de l’huile sur le feu. Autrement dit, cette question est, pour Athènes, à manier avec précaution…

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