par Aziz Salmone Fall, Olivier A. Ndenkop
Coordonnateur de la campagne internationale Justice pour Thomas Sankara (CIJS), membre influent du Groupe de Recherche et d’Initiatives pour la libération de l’Afrique (GRILA), Aziz Salmone Fall est de tous les combats qui visent l’autonomisation du continent et l’amélioration des conditions de vie de ses habitants. Dans cette interview exclusive accordée au Journal de l’Afrique, l’auteur du film documentaire Africom go home fustige la présence des bases militaires étrangères en Afrique, donne des détails sur l’évolution du dossier Sankara au Burkina Faso, etc. Il invite les jeunes générations africaines à rester vigilantes et surtout à s’organiser pour être à l’avant-garde de la libération en cours.
Aziz Fall
Le Journal de l’Afrique (JDA) : Pouvez-vous faire une brève présentation du Groupe de Recherche et d’Initiatives pour la Libération de l’Afrique (GRILA) dont vous êtes le président ?
Aziz S. Fall : Merci de votre invitation. Il n’y a jamais eu de président au GRILA durant ces 30 ans. Nous fonctionnons sans hiérarchie et transversalement par des collectifs. Je suis donc seulement un membre du collectif contre l’impunité où j’ai l’honneur de coordonner depuis 20 ans la Campagne Internationale justice pour Sankara, une équipe d’avocats et de militants. Le GRILA est un organisme autonome et sans but lucratif qui fonctionne grâce à la contribution matérielle et intellectuelle de ses sections composées de membres et de sympathisant-e-s. Dans sa vision d’un monde universaliste, il tente de contribuer à l’émergence et à la consolidation du développement autocentré en Afrique et à la solidarité internationale qu’il requiert. Concrètement, ce travail s’accomplit par la sensibilisation et par des actions sélectives dans des pays du centre, tout comme en Afrique. Le GRILA y soutient activement des forces démocratiques et progressistes qui luttent pour la destruction de toutes formes de racismes et d’ethnocentrismes ainsi que le respect des droits collectifs et de la personne ; le renversement des régimes alliés de l’ impérialisme ; des ruptures sélectives avec le système mondial capitaliste ;un équilibre des revenus villes-campagnes, l’autosuffisance alimentaire, et la satisfaction pour tous des biens essentiels ; l’émancipation des femmes, l’amélioration de leurs conditions de vie et le changement des mentalités masculines ; la participation populaire et civique, la démocratie populaire et la promotion de la jeunesse ; un développement autocentré et plus écologique ayant une gestion patriotique des fonds publics ; l’avènement d’Etats panafricains régionaux et ultimement une confédération panafricaine ; Les personnes intéressées peuvent visionner cette vidéo qui marquait notre quart de siècle, écouter nos émissions hebdomadaires Amandla ou visiter le site d’archives Addax.
Malgré les actions engagées pour la libération de l’Afrique, le pillage de ses ressources continue en s’accélérant, la croissance économique ne profite qu’aux multinationales étrangères et à leurs relais locaux. L’Union Africaine se caractérise par un manque de vitalité et de vivacité. Les jeunes Africains meurent par centaines dans la Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. L’Afrique est-elle maudite ?
Je ne crois pas à l’existence d’une imprécation fut elle divine ou autre, ce genre d’image fait partie du problème. Il s’agit simplement de problèmes humains, que les humains peuvent résoudre.
Pour l’Afrique, le « nouvel ordre mondial » ou la mondialisation n’est qu’un redéploiement sélectif du capitalisme de l’ère précédente. Il n’y permettra même pas l’émergence d’un « projet national bourgeois ». Quelques pays de ce continent au vil prix de la compradorisation, pourront s’ajuster aux exigences du système mondial. Les autres, en dépit de leur croissance, vivront à son crochet et y seront progressivement marginalisés ou mis en réserve. Dans tous les cas, il n’est pas possible de se développer significativement avec les maigres redevances que paient les firmes transnationales pour nos ressources, sans compter l’incurie et les formes de corruption locale. L’ordre ou le désordre mondial est impitoyable pour l’Afrique malgré ses slogans d’émergence et de futur reluisant. Plusieurs pans des formations sociales africaines seront marginalisés et condamnés à la mendicité et soumis au règne cupide de castes de prédateurs. Les autres formations sociales qui auront la possibilité d’être intégrées au marché mondial ne le seront qu’au prix de la compradorisation et de l’ajustement permanent aux conséquences, forcément de plus en plus cruelles, des exigences insatiables du grand capitalisme. C’est le sort que réserve actuellement le capitalisme à l’Afrique, c’est-à-dire la possibilité d’une vie décente à une infime minorité de privilégiés, la multitude des autres vivant aux crochets d’une économie informelle de produits en fin de vie et des rebuts et, pour le tiers restant, la survivance dans la misère. Le désordre mondial s’acharne à gérer l’insupportable. Le marché mondialisé permet la circulation des biens, des services et des marchandises à travers les frontières mais restreint la circulation humaine, toujours plus triée, avec la fuite de cerveaux et de bras corvéables. Les murs et les frontières des archipels de prospérité de par le monde, y compris en Afrique, s’érigeront toujours plus haut et les hordes de jeunes aux horizons bloqués s’évertueront à les franchir. Malheureusement, la plupart des pays africains, malgré l’échec des 3 dernières décennies, s’évertuent à poursuivre une hypothétique sortie de crise orchestrée par les institutions financières et les voraces transnationales du grand capital. La lutte effrénée des élites pour l’appropriation des moyens d’enrichissement, de pouvoir et de violence ravage le continent. La dépolitisation entretenue de pans entiers de la société par des diversions culturelles et sportives et la fragmentation des pans politisés empêchent aussi une riposte collective organisée. Bien que les aspirations populaires qui contestent cette voie dominante ne disposent pas de l’espace politique pour être concrétisées, des forces progressistes s’organisent pour qu’elles y parviennent. Il faut plus d’engagements politiques, élargir la marge d’action de l’Etat, recouvrer les espaces de souveraineté et sauvegarder le bien commun. Bref, la démocratie et les stratégies progressistes devraient être orientées dans le sens du développement autocentré et populaire.
Vous avez réalisé un film sur le quadrillage militaire de l’Afrique par les USA avec pour titre « AFRICOM go home ». Quel est le message que vous vouliez passer à travers le film ? Avez-vous l’impression qu’il a été bien reçu par le public ?
Le film s’interpose contre la présence de toutes les bases étrangères, pas seulement les installations américaines. Il peut être vu gratuitement sur le web en français, en anglais, et en allemand
C’est un document de contre-propagande et de sensibilisation, aux fins non commerciales, et d’usage d’archive et de consultation. Ce document vidéo est une interprétation personnelle de l’enjeu géopolitique africain et mondial. Il n’engage que moi et nullement la responsabilité du GRILA et de ses membres. Le film s’adresse aux dirigeants africains, aux panafricains, aux internationalistes et à la jeunesse africaine préoccupés de la condition de l’Afrique dans le système monde. Il compare la vision des pères progressistes du panafricanisme à celle des tenants de la domination et leurs alliés locaux. L’objectif de ce document est une contribution subjective au suivi de la déclaration AFRICOM go home, produite en une dizaine de langues, signée par une cinquantaine de personnalités et d’organisations africaines et allemandes qui s’opposent à la présence de l’AFRICOM en Allemagne comme en Afrique. Les versions multilingues de la déclaration sont sur www.grila.org
Ce document audiovisuel est articulé sur des images du WEB dont les auteurs ne portent aucune responsabilité dans le traitement du film. Le document audiovisuel est bâti sur les enjeux fondamentaux suivants : le suivi de la déclaration Africom Go home et le bien-fondé de cette déclaration ; l’histoire et l’évolution de la présence militaire impérialiste et néocoloniale en Afrique sur les 50 ans ; l’avènement de l’AFRICOM, son décryptage et celui des rivalités et visées impérialistes sur le continent, mais aussi leur surveillance réciproque et leurs contradictions dans la lutte contre le terrorisme. La dénonciation de l’extension rampante et faussement humanitaire de l’AFRICOM en Afrique et sa position en Allemagne ainsi que dans toute une série de bases. Les contradictions des Africains et leurs organisations pour se défendre contre les conflits liés au pillage des ressources et l’accès au territoire. La nécessité de la résistance panafricaine et internationaliste et la repolitisation démocratique de notre jeunesse
Dans le film, vous indiquez qu’une nouvelle recolonisation de l’Afrique est en cours. Comment se manifeste-telle ?
Les puissances impérialistes sont préoccupées de la coopération internationale proactive que fournissent les Chinois, les Indiens et autres pays émergents tout aussi insatiables en ressources. Incapables de poursuivre la chimère de la coopération internationale, qui de toute façon n’a jamais rempli les exigences du 0,7% de leur PIB, les pays de l’OTAN dans une hystérie guerrière ont, depuis la période de la guerre froide et de la lutte en Afghanistan, instrumentalisé l’Islamisme et ses variantes, tout comme ils ont su, durant la lutte contre l’apartheid, soutenir Pretoria et ses sbires et donner au monde l’impression du contraire. Bref, pour tempérer leur déclin économique et coopter les bourgeoisies des pays émergents dans leur sillage, il y a une surenchère terroriste qui leur permet de justifier leur parrainage de tous les pays qui ne peuvent se défendre contre le péril terroriste. Ils sont les premiers responsables de la boite de Pandore terroriste qui désormais rhizome dans des terres fertiles du sous-développement et de la frustration ou le ressentiment antioccidental, et les agendas contradictoires s’épanchent. La conditionnalité sécuritaire est donc venue se greffer à la conditionnalité politique des ajustements économiques, dite gouvernance. Les élites africaines mystifiées et apeurées de nos États, qui ont été dessaisies de leurs attributs de souveraineté par les ajustements, cautionnent cette mise en tutelle et repoussent, parfois à contrecœur, les gestes fermes d’autodéfense et de souveraineté panafricaine. Il y a donc désormais une constellation de bases où les intérêts de la Françafrique côtoient les dispositifs de l’OTAN, de l’AFRICOM, des réseaux d’intelligence de logistique et de cooptation totale de nos armées et de nos leaderships politiques. Avec la dépendance technologique et la servitude volontaire de pans entiers dépolitisés ou désinformés de nos tirailleurs modernes, j’ai le sentiment que nous sommes moins préparés à résister à ce phénomène complexe que nous ne l’avions été pour résister contre la colonisation du vingtième siècle.
Devant le Congrès étasunien en mars 2014 le général Rodriguez, commandant d’AFRICOM a révélé que cette composante de l’armée US a mené en Afrique 55 opérations, 10 exercices et 481 « activités de coopération dans le domaine sécuritaire », votre commentaire ?
Je crois que les ténors de l’AFRICOM, en recherche permanente de financement, commencent à reconnaître ouvertement ce qu’ils dissimulaient depuis longtemps. Ils se comportent en terrain conquis. Nous avons révélé tout cela dans le film avant que le commandant ne le divulgue à l’opinion publique. En Allemagne, nous avons réussi à convaincre des députés de soulever la violation de la constitution allemande par les exactions de l’AFRICOM. Nous avons expliqué que ce pays ne pouvait pas, après Berlin en 1885 et maintenant Stuttgart, recoloniser l’Afrique. Nous continuons de dire qu’il faut fermer la base de l’AFRICOM à Stuttgart ainsi que toutes les bases et facilités des États-Unis et de l’OTAN sur le continent. L’Union africaine doit faire courageusement volte-face et non rester sous tutelle. Tout cela est relaté dans le film qui vieillit bien et reste d’actualité. Les Africains américains qui aiment l’Afrique, l’Afrique consciente et panafricaine doivent se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. C’est David contre Goliath, et il nous faut beaucoup plus de David.
En enferment Laurent Gbagbo à la Haye, en assassinant Mouammar Kadhafi, l’Occident n’est-il pas en train de passer un message fort à d’autres dirigeants qui seraient tentés de s’opposer à ses intérêts en Afrique ?
Je ne raisonne pas en terme d’Occident. Il y a un système monde à dominante capitaliste où l’essentiel de nos propres élites collaborent. Il y a un système multilatéral désuet, où perdurent l’impunité et la justice à deux vitesses, où il a des droits et peu de devoirs. Les forces qui sont au-dessus des lois qui ont comploté contre Gbagbo et Khadafi sont connues et arrivent d’ailleurs à leurs fins sans avoir à recourir à ces instances. Nous montrons aussi cela dans le film. L’Afrique a le record de martyrs tombés pour sauvegarder la souveraineté de son peuple. La lutte continue et de nouvelles générations apprennent qui est Sankara, Fanon, Cabral, Ben Barka ou Chris Hani et poursuivent la résistance.
Kadhafi était un grand contributeur de l’UA et payait d’ailleurs la part des Etats défaillants. Son assassinat n’a-t-il pas brisé le rêve du panafricanisme qu’il incarnait et paralysé l’UA ?
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